Recherche...

United Passions

(1ère publication de cette chronique : 2022)
United Passions

Titre original :United Passions

Titre(s) alternatif(s) :United Passions : La Légende du Football

Réalisateur(s) :Frédéric Auburtin

Année : 2014

Nationalité : France / Suisse / Azerbaïdjan

Durée : 1h50

Genre : On n'a clairement pas le même maillot

Acteurs principaux :Fisher Stevens, Tim Roth, Gérard Depardieu, Sam Neill, Jemima West, Thomas Kretschmann, Antonio de la Torre, Martin Jarvis

Drexl & Rico
NOTE
0.75/ 5

A l’heure où de nombreuses voix polémiquent sur la tenue de la Coupe du Monde de football au Qatar, il nous a semblé putaclic opportun, chez Nanarland incorporated®, de revenir sur cette production hallucinante sortie discrètement en 2014, après une non-carrière spectaculaire en salles obscures. Quoi de mieux, pour prendre le pouls d’une organisation aussi opaque que la Fédération Internationale de Football Association, qu’un film produit par ses soins, et scrupuleusement chapeauté par son grand manitou de l’époque ? Quoi de mieux, pour célébrer la pratique du sport le plus populaire de la planète, que de n’en filmer que quelques images à la volée et de se focaliser sur les tractations en coulisses de ses dirigeants ? 

Non, vraiment, ne cherchez pas, il n'y a rien de mieux.

Les petits plats sont emboîtés dans les grands sans aucune retenue. Un budget de 25 millions de dollars, avancé en majeure partie par l'organisation "à but non lucratif", un casting international trois étoiles...

L’erreur serait néanmoins de croire que United Passions se contente de n'être qu'un simple outil de promotion de la FIFA. Il l’est, indéniablement, mais son statut est encore bien plus retors que ça. Il s’agit ni plus ni moins que de produire un film à la gloire d’un homme qui va sauver le football de la gangrène du racisme, du sexisme et des affaires de corruption. Un chevalier blanc, phare de probité qui, seul contre tous, tel un Batman du ballon rond, émerge des ténèbres pour venir rendre la justice sportive : Saint Sepp Blatter. 

L'homme, la légende, ici montré levant le coude en toute simplicité avec la valetaille.

Coïncidence incroyable, le film doit sortir pour sa réélection à la tête de la Fédé ! Pas de bol, il va sortir 15 jours après la révélation des scandales de corruption derrière l’attribution de plusieurs coupes du monde, dont celle au Qatar. Et pour Blatter, c’est la tuile, car ce film, véritable plaidoyer pro domo pour sa gestion de la FIFA, devait lui permettre de balayer critiques et adversaires dans la course à sa réélection. Blatter, c’est le pur produit du monde des affaires suisse, venu de la communication d’entreprise, du tourisme à l’horlogerie, mâtiné de journalisme de relations publiques. Autant vous dire que le publi-reportage, ça le connaît. Signe qui ne trompe pas, il choisit Tim Roth pour l'incarner, dans une logique tout à fait fantasmatique – Brad Pitt ou Tom Cruise devaient être indisponibles, et avoir surtout moins de besoins financiers à cet instant précis que le légendaire Mr Orange de Reservoir Dogs.

Le vrai Sepp Blatter en 2004.

La même scène dans le film, avec un Tim Roth criant de vérité. Et l'heureux pays qui va pouvoir s'endetter pour les 50 prochaines années est...

Confronter le Blatter de fiction, infatigable défenseur de la pureté du foot, de la cause du sport féminin et de la représentation des pays en voie de développement, et la réalité de son action à la tête de la Fédération cadre mal avec ce qui est ressorti sur lui ces dernières années. Corruption généralisée et valise de billets en goguette, certes, mais aussi réflexions racistes à répétition, pudeur de rosière sur les atteintes aux droits de l’Homme dans les pays organisateurs de ses compétitions, et surtout rafales d’accusations d’agressions sexuelles envers des footballeuses. Pour les ardents défenseurs de la présomption d'innocence en pareilles circonstances et les amateurs de féminisme à l'ancienne, rappelons que Blatter avait suggéré, pour promouvoir leur cause, que les joueuses portent des shorts plus courts. Voilà qui rend bien saumâtre la vision de Tim Roth célébrant la nécessité d’encourager le foot féminin, ou allant saluer personnellement les femmes de ménage au siège de la FIFA le matin. Sans même parler du panache de vouloir faire porter le chapeau de toutes les affaires de la Fédé à son prédécesseur, le Brésilien João Havelange, interprété avec une certaine dignité par Sam Neill.

Non mais regardez-moi ce salopard dans sa piscine, en train de manquer de respect à une femme.

Pour ce qui est du film en lui-même, il faut lui reconnaître une facture technique à peu près correcte, assurée par Frédéric Auburtin. Un homme de l'ombre du cinéma français, assistant réalisateur de choc pour Maurice Pialat, Claude Berri ou Jean-Jacques Annaud sur nombre de projets ambitieux. A compter de Un pont entre deux rives, unique co-réalisation de Gérard Depardieu qu'il assure à ses côtés, Auburtin devient l'homme de confiance de ce dernier. C'est à lui que l'acteur va faire appel pour rattraper ce qui peut l'être sur la débâcle San Antonio, et c'est à lui que va être confié ce cadeau empoisonné. S'il bénéficie de moyens confortables, Auburtin va très vite comprendre, comme il le révélera plus tard en interview, qu'il peut faire une croix sur le projet de lecture des événements à la Costa Gavras qu'il entendait mener. La FIFA est grande, la FIFA a sauvé le monde et le monde doit le savoir.

La seule marge de manoeuvre de Frédéric Auburtin réside dans quelques effets de montage et de mise en scène, comme ce fondu enchaîné d'un goût, ma foi, laissé à l'appréciation de chacun...

Il y a de fait une schizophrénie dévorante à l'oeuvre dans United Passions. Chaque fois que la caméra souhaite filmer le sport qu'elle entend célébrer, la férule de son producteur interrompt la liesse pour revenir sur l'exploration des coulisses. Une scène résume cette aberration de façon particulièrement éloquente. En pleine Seconde Guerre mondiale, un membre de la FIFA évoque un match où les Allemands ont obligé des prisonniers ukrainiens à jouer contre eux. Les geôliers se sont au final faits humilier sur le terrain, le football devenant par là même le symbole de la résistance à la barbarie. Des inserts au ralenti baignés de fumée viennent illustrer l'anecdote, et au moment de l'action décisive, le montage revient inexplicablement sur l'assemblée de notables en redingote, et notamment sur un Depardieu au summum de son fameux hochement de tête semblant nous dire "ah bah dis donc, quelle histoire ça aussi...". Scène conclue par cette répliquée dépitée : "Le match de la mort... Et nous n'étions pas là !". Que les choses soient bien claires : les héros ne sont pas les joueurs, mais les décideurs qui ont compris l'importance de tout ce qui est en jeu. Il en va ainsi d'un bout à l'autre de la narration. La FIFA dispose visiblement d'un stock d'images d'archives phénoménal, mais le montage n'en propose que des bribes, pour mieux revenir sur les visages satisfaits des administrateurs et autres instances internationales.

United Passions est un film sur le football sans football, à une exception près, un gimmick narratif revenant en virgules tout le long du récit : des bambins jouent sur un terrain vague, attirent de plus en plus de spectateurs. Une équipe a mis une jeune fille dans les cages, qui se prend but sur but... jusqu'à la séquence finale, où elle traverse le terrain et marque le point de la victoire. C'est la fameuse technique dite de Nicolas Bedos : j'ai un discours de merde tout du long et hop, une pirouette finale te montre qu'en fait, j'ai un coeur gros comme ça, et me voilà dédouané.

Mollo sur les symboles christiques, Frédéric, bon sang !

Mais c'est dans les principaux arcs narratifs qu'un gros travail de réécriture, plutôt savoureux, va s'opérer. Trois tableaux successifs correspondent à trois présidences. Début du XXe siècle, la FIFA, pure et immaculée, présentée comme l’ultime rempart sportif contre tous les totalitarismes (et contre ces salopards d'anglais, les bad guys revanchards rémanents), est créée seul contre tous par un Jules Rimet idéaliste et désintéressé, incarné par un Depardieu en pilote automatique mais encore un minimum intéressé par le projet. Intéressé... ne serait-ce déjà par sa partie financière, puisque c’est l’entregent de l’acteur qui a permis le montage du film, et très probablement son co-financement à hauteur de 5 millions de dollars par l’Azerbaïdjan (le fameux montant du budget non financé par la FIFA). Il est à noter que c’est dans les pays de l’ancienne URSS que le film recoltera l’essentiel de ses maigres recettes. A partir des années 1970, la Fédération est présentée comme une pauvre victime de la financiarisation du sport, tous ses maux se concentrant dans la figure méphistophélique de João Havelange. Heureusement, un utopiste fin financier va remettre le football sur les rails : Sepp Blatter va nettoyer les écuries d’Augias d’une main ferme pour faire place à la FIFA actuelle, dont la probité ne saurait être remise en cause. Le film s'achève en apothéose sur l'obtention, hautement symbolique, de la Coupe du Monde 2010 par l'Afrique du Sud, stock-shot de Nelson Mandela tout sourire à l'appui.

La tentation du plan ambigu, dévoilant la complexité de l'homme derrière le héros.

A cet égard, United Passions a au moins la qualité de répondre sans ambages à la question de savoir si le football, et le sport dans son ensemble, est politique. Oui, plutôt deux fois qu'une, putain oui, mille fois oui. Le film ne parle que de ça, tout le temps, tant il voudrait se donner le sentiment d'être de facto le lubrifiant des relations internationales. Le football comme marqueur essentiel de l'avènement à la civilisation pour les pays émergents, le football comme remède à la guerre, le football comme moyen, demain, de conquérir Mars. Le tout est de ne pas avoir des Havelange à la tête des institutions, des butors qui instrumentalisent la compétition avec cynisme, mais d'opter pour des Jules Rimet ou des Sepp Blatter, des bons gars avec la tête sur les épaules, qui savent que Mandela est gentil et que les Nazis sont méchants. C'est beau comme un pot-de-vin à six zéros.

Tim Roth : « J’avais deux enfants à l’université, j’ai dû prendre une décision et elle était sans doute mauvaise, mais une fois que vous la prenez, il faut aller au bout. C’est difficile de faire partie d’un projet dont vous ne voulez pas, mais je suis content de l’avoir fait pour ma famille. » [Source : https://www.sofoot.com/tim-roth-pas-fier-d-united-passions-le-film-sur-la-fifa-214054.html]

Sorti au moment des révélations sur les conditions douteuses d’attribution de la coupe du monde 2022 au Qatar, le film est prudemment enterré par la FIFA après une sortie catastrophique aux Etats-Unis, certes sur un circuit réduit de salles de grandes villes, où il fait moins de 1000 $ de recettes. Le film écope d'un cinglant 0 % sur Rotten Tomatoes, de critiques assassines dans les journaux le qualifiant notamment d'être "l'un des films les plus irregardables de mémoire récente" (New York Times) voire "d’excrément cinématographique" (le britannique The Guardian) ! En France, le film, sera balancé en VOD puis DVD sans tambours ni trompettes par TF1, qui en assurait la distribution. 

La réaction de Tim Roth quand il apprend que le film va être projeté au Festival de Cannes, hors compétition, certes, mais tout de même.

Pourquoi le chroniquer chez nous dès lors ? Par pur clickbait souci de coller à l'actualité, pour nourrir notre fascination pour les ordures réécrivant leur propre histoire, pour l'ajouter sur notre étagère des films pouvant aussi servir de pièce à conviction, et ainsi enrichir la branche "Affaires sensibles" du site. D'un point de vue artistique, United Passions n'a strictement aucun intérêt. Frédéric Auburtin n'a quasiment aucune latitude pour l'élever au-delà du téléfilm de luxe, à l'esthétique numérique délavée typique du début des années 2010. Son sens du rythme est abominable en raison de la vanité de ses producteurs, persuadés que leur quotidien semblera passionnant au commun des mortels. C'est non seulement un film de football sans football, mais un film à qui on interdit fermement de faire du cinéma. Il gagne ses galons de nanar de propagande radioactif pour des raisons extra cinématographiques, pour sa mise en abyme sidérante de l'arrogance, de la fatuité, de l'inconséquence de la FIFA dans son ensemble, par delà même la personnalité du seul Sepp Blatter. Une instance à ce point nocive qu'elle n'est même pas foutue de torcher un nanar un minimum distrayant.

Panem et circenses

- Drexl & Rico -
Moyenne : 0.69 / 5
Drexl & Rico
NOTE
0.75/ 5
Drexl
NOTE
0.5/ 5
Rico
NOTE
1/ 5
Hermanniwy
NOTE
0.5/ 5

Cote de rareté - 2/ Trouvable

Barème de notation

Il existe une édition DVD française "TF1 Vidéo" assortie d'un making of pas du tout promotionnel, pas du tout complaisant, je ne vois pas ce qui vous fait dire ça. Par contre pas de blu-ray chez nous. Vous pouvez cependant contempler ci-dessus le superbe visuel du blu-ray américain, délicatement délesté de la tête d'affiche interprétant Sepp Blater. United Passions agrémente par ailleurs, à l'heure où sont écrites ces lignes, le catalogue de trois plateformes de vidéo à la demande, soit trois de plus qu'il ne le mérite.