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Alluda Majaka…!

(1ère publication de cette chronique : 2011)
Alluda Majaka…!

Titre original : Alluda Majaka…!

Titre(s) alternatif(s) :Alludaa Mazakaa

Réalisateur(s) :Satyanarayana E.V.V.

Année : 1995

Nationalité : Inde

Durée : 2h41

Genre : Plus viril que moi, tu meurs !

Acteurs principaux :Ramya Krishna, Rambha, Giri Babu, Srihari, Kota Srinivasa Rao, Brahmanandam, AVS, Mallikarjun, Chinna, Allu Ramalingayya, Ooha, Chiranjeevi

John Nada
NOTE
4.25/ 5


Starring Siva Sankara Vara Prasad Konidela, alias Chiranjeevi.


Permettez-moi d'entamer cette chronique par une petite réflexion. Lors d'une de nos conversations avec Richard Harrison, lorsque nous l'avions rencontré à Rome (ne ricanez pas, on a les fiertés qu'on peut), celui-ci se désolait de constater qu'au cinéma, les héros d'antan incarnés par des hommes dans la force de l'âge avaient progressivement disparu au profit d'une génération de godelureaux à peine sortis de la puberté. Que les John Wayne, Kirk Douglas, Burt Lancaster ou Charlton Heston, qui avaient jadis joué le rôle de father figures pour des générations de gosses, avaient été remplacés par des endives avec beaucoup de gel dans les cheveux et aucun charisme, des demi-portions androgynes, émasculées sur l'autel de la métrosexualité. Avant d'être acteurs, des types comme Belmondo, Bronson, Gabin, Reynolds ou Ventura avaient d'abord été des hommes : ouvrier, boxeur, mineur de fond, champion de lutte, ancien combattant… Bref, des gars qui avaient bourlingué avant de croiser l'objectif d'une caméra. Or aujourd'hui, la tendance - particulièrement marquée en Asie - est de mettre en vedette des minets imberbes et des poupées kawai, issus de la télé, de la chanson ou du mannequinat, des poupons aux joues roses comme Zac Efron ou Justin Bieber, plastiquement interchangeables et désespérément fades.


Sean Connery dans Zardoz, beau spécimen de mâle alpha à l'ancienne…



Un bon sujet de dissertation !


Heureusement, une industrie d'irréductibles résiste tant bien que mal au phénomène : Tollywood, le cinéma indien en langue telugu basé à Hyderabad, dans l'Etat de l'Andra Pradesh. Un cinéma populaire où la moustache n'est pas encore un attribut ringard mais la norme, où les hommes ne sont pas des êtres fragiles, à l'écoute de leurs tourments minuscules, mais de solides gaillards qui respectent leurs aînés, vénèrent leur patrie, protègent leurs soeurs, honorent leurs épouses et flanquent des raclées aux gredins !


Les justiciers indiens, faut pas venir leur baver sur les rouleaux.


Digne représentant de ce cinéma macho, Alluda Majaka met en scène Chiranjeevi, une super star locale spécialisée dans les rôles de héros droits dans leurs bottes, combattant les injustices à grands coups de tatanne dans les gencives. Coiffé d'une élégante mulette, le visage barré d'une moustache épaisse qu'on devine à l'épreuve des balles, épais comme un boeuf et viril comme un taureau reproducteur, Chiru incarne le héros populaire indien dans toute sa splendeur trapue.


Face au jeunisme imberbe, il est le dernier des moustachus.


Dans Alluda Majaka, Chiranjeevi incarne Seetharam, un mec bien sous tous rapports. Seetharam est un grand propriétaire terrien, mais qui laboure lui même ses champs. Seetharam est un brahim, mais qui est généreux avec les membres des castes inférieures. Seetharam a un charme fou. Seetharam danse comme un Dieu. En somme, Seetharam est un croisement sauce curry entre Chuck Norris et Alain Delon.


Seetharam a aussi des goûts vestimentaires sûrs, comme en témoigne cet ensemble violet à motifs papillons, apparemment très tendance en 1995.


Oui mais voilà, tout le monde n'est pas comme Seetharam. En Inde comme ailleurs, il y a aussi des salauds, des fourbes, des comploteurs, des flics ripoux, des juges corrompus, des politiciens véreux, et même des danseurs médiocres. Des vilains pas beaux qui vont jeter notre gendre indien idéal dans les rets d'un destin pas joli joli. Seetharam sera jeté en prison, son père poussé au suicide, sa soeur abusée, leur famille déshonorée…


Un bad guy de service.


Mais ce que ses perfides ennemis ignorent, c'est que Seetharam est un cogneur prompt à faire appliquer la loi du talion, un homme d'action, un vrai, un qui sent la sueur qui pique le nez. Pas une demi-fiotte parfumée comme un caniche !


Quand on énerve Chiranjeevi, il voit rouge !


Seetharam peut traverser un bus ou glisser sous un camion à cheval. Seetharam peut faire des sauts en tracteur à la seule force des poignets, comme sur un vulgaire BMX. Les saltos et autres coups de pieds sautés de Seetharam ignorent les lois de la pesanteur. Seetharam a le pouvoir de se transformer en mannequin en mousse, et de faire exploser des hors-bords juste en les touchant. Quand Seetharam ouvre la bouche, la béatitude fige le visage de ses interlocutrices. Seetharam est adulé à un point tel que lorsque la police l'arrête, le peuple menace de s'immoler par le feu si on ne le libère pas sur le champ. Seetharam est un amant si exceptionnellement vigoureux qu'il est capable de se taper deux soeurs et leur mère dans la même soirée (une prouesse qui n'a pas eu l'heur de plaire à la censure indienne).




Seetharam ne reconnaît plus personne en Massey Ferguson.



Un petit bonhomme en mousse, dans une scène un peu bateau…



Qui veut voyager loin ménage sa monture.


Nanarland a déjà eu maintes fois l'occasion de louer les vertus furieusement récréatives du cinéma indien. Un cinéma simple, avec des héroïnes, des méchants qui les ligotent sur des rails, et des héros qui arrivent juste à temps. Un cinéma qui méprise volontiers la vraisemblance, la pondération, et autres concepts de fillette dont le public se contrefiche. Bref, du cinéma-spectacle aussi idiot qu'enthousiasmant !


Un film riche en voiturettes qui explosent toutes seules sans aucune raison.


Le cinéma indien ayant aussi comme caractéristique de faire partouzer les genres, Alluda Majaka distille sur près de 3 heures un spectacle complet, où l'on trouve à la fois de l'humour subtil et délicat, du mélodrame larmoyant, de la romance plus sucrée que de la pâte de goyave industrielle, ainsi bien sûr que les traditionnelles séquences chantées et dansées.


Chiranjeevi, inlassable tombeur de beautés loukoumesques.



Tiens, le sidekick de service s'est travesti (gag !).


C'est précisément dans ce dernier domaine que le film atteint de kitschissimes sommets, avec quelques vigoureux numéros de déhanchement dans des décors improbables où les strass se mêlent au safran. Chaque morceau offre un défilé ahurissant de tenues à la mode d'on ne sait trop quelle année, où le cuir côtoie le pull jacquard, les casquettes multicolores se marient avec les débardeurs résille, et les survêtements de sport avec les chemises à fleurs froufroutantes. En guise de temps forts, on citera notamment une reprise du We Will Rock You de Queen, dispensée avec la légèreté d'un orchestre bavarois un jour de fête de la bière, ainsi qu'un intermède romantique dans un faux parc Disneyland, avec des Donald et des Mickey en carton-pâte absolument terrifiants.






Des décors dans lesquels même les frères Bogdanoff n’auraient pas oser présenter leur magazine dans les années 80 !









Disneyland sous acide.


Mais ne nous y trompons pas : le genre de prédilection de Alluda Majaka, ça reste avant tout l'action testostéronée, les gunfights pétaradants et les grosses scènes de baston assorties de bruitages tonitruants… Des bruitages qui sont d'ailleurs copieusement recyclés, un même effet sonore pouvant indistinctement illustrer une pirouette dans les airs, un lasso, un coup de pied ou un lancer de couteau !


Attention, bruitage tonitruant à l'horizon…



RATATATATA !!!!



PAF !

Plus qu'un petit plaisir coupable ou qu'un simple "nanar exotique", Alluda Majaka est un divertissement qui désarçonne le spectateur profane en allant là où seul son public d'origine semble l'attendre : dans l'excès et la surenchère systématique. Du cinéma large d'épaules et fort en gueule, célébrant dans un beau vacarme la virilité triomphante des héros indiens. Un cinéma de dinosaure en voie d'extinction, perpétuellement en retard d'une mode, dont la bassesse de front et le premier degré implacable saisissent le spectateur comme un pain dans la tronche. Chiru is the man !

- John Nada -
Moyenne : 3.90 / 5
John Nada
NOTE
4.25/ 5
Kobal
NOTE
4.25/ 5
Barracuda
NOTE
2.5/ 5
Labroche
NOTE
4/ 5
Wallflowers
NOTE
4.5/ 5

Cote de rareté - 4/ Exotique

Barème de notation

Sorti en DVD et en VCD en Inde, le film y a été distribué dans une copie correcte, avec des sous-titres anglais cohérents (fait assez rare pour être signalé). Attention cependant, pour celles et ceux qui ont l'habitude de se fournir chez leur revendeur indien habituel (rue du faubourg Saint-Denis pour les Parisiens), il faut savoir que les productions Tollywood restent dures à dénicher.





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