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La Chute de Berlin


La Chute de Berlin

Titre original :Padeniye Berlina

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Mikheïl Tchiaourelli

Année : 1949

Nationalité : URSS

Durée : 2h30 (deux parties de 1h15)

Genre : Heureux qui communiste...

Acteurs principaux :Mikheïl Gelovani, Boris Andreyev, Marina Kovalyova, V.Savelyev

Nikita
NOTE
3.5/ 5

Ce qu’il y a de bien avec les dictatures, c’est que le ridicule de leurs propagandes survit parfois à l’horreur de leurs méfaits et nous vaut, rétrospectivement, de grands moments de rigolade assez salvateurs. Des critiques ont ainsi loué naguère, pour des raisons souvent plus idéologiques qu’esthétiques, le cinéma soviétique. C’était oublier que les œuvres majeures sont généralement les arbres qui cachent la forêt de la médiocrité et du crétinisme. Pour un Eisenstein qui faisait de la propagande avec talent, combien de Mikheïl Tchiaourelli qui moulinaient des odes kitschissimes au régime ? Ne serait-ce que pour l’œuvre dont nous allons vous parler, ce cinéaste mérite en tout cas de rester dans l’Histoire.



« La Chute de Berlin » est un film-monstre, dans tous les sens du terme, l’une des aberrations propagandistes comme les adorateurs du kitsch osent à peine les désirer dans leurs rêves érotiques les plus mouillés. Imaginez, pour prendre un exemple pertinent au moment où ces lignes sont écrites, une superproduction américaine directement commandée par la Maison Blanche, réalisée en 2004 sur la guerre d’Irak, et qui montrerait George W. Bush, joué par un sosie, gagner le conflit grâce à ses seules intuitions géniales, réduire à merci l’ignoble Saddam Hussein, et exposer triomphalement à la face du monde les armes de destruction massive découvertes dans le bunker secret du dictateur le soir même de la chute de Bagdad. Absurde ? Pas tant que ça : dans le contexte de l’URSS stalinienne, Mikheïl Tchiaourelli l’avait déjà fait. Ce spécialiste de la propagande soviétique, ami personnel de Staline, signait là son chef-d’œuvre, sans doute l’un des films les plus ridicules et admirablement vomitifs de toute l’histoire du cinéma.



Les films à la gloire personnelle de Staline, et le mettant en scène joué par un acteur, avaient vu le jour dès la fin des années 1930, à l’apogée du culte de la personnalité du dictateur. A partir de 1938, le rôle était devenu l’apanage de Mikheïl Gelovani, comédien professionnel dont l’interprétation plût tant à Staline qu’il ne fut plus autorisé à jouer aucun autre rôle à l’écran. Gelovani avait pour qualité d’être d’une part Géorgien comme Staline, d’autre part plus grand et plus bel homme que son modèle, ce qui plaisait beaucoup au tyran. Son interprétation demeura toujours complètement figée sur le registre du sage omniscient : il n’était pas autorisé à donner à son personnage une quelconque autre dimension.



C’est sans nul doute grâce à « La Chute de Berlin » que la propagande stalinienne demeurera dans les annales du n’importe quoi tant ce film constitue l’apothéose du mauvais goût et de la falsification historique, le tout mis au service de la divinisation pure et simple de l’un des tyrans les plus ignobles du XXème siècle.

« La Chute de Berlin » est une production soviétique ayant bénéficié d’un important budget : pellicule couleur (oh combien !), figurants multiples, tout a été mis au service de l’édification des masses pour raconter la vérité vraie sur la Seconde guerre mondiale. Et ce quatre ans après la fin du conflit, au moment où l’URSS de Staline apparaissait au faîte de sa puissance en Europe (séparation de l’Allemagne, prise de pouvoir des communistes partout en Europe de l’est…) C’est donc un bel outil de propagande que nous avons là, préparé et bichonné pour vanter la gloire d’un bulldozer politique.


A gauche : Alioucha, notre héros.


Natasha, qui connaît le sens des vraies valeurs.



Le récit du film suit le déroulement du conflit mondial, sur le mode de la rencontre entre la grande et la petite histoire, les personnages fictifs croisant les personnages réels. Le protagoniste du film est un certain Alexeï (dit Alioucha), brave ouvrier stakhanoviste qui fait la fierté de sa province et n’ose pourtant déclarer son amour à Natasha, l’institutrice du village.




La drague à la soviétique.



Grâce à ses prouesses productives, Alioucha est reçu par Staline en personne. Pas besoin de préciser que le personnage de Staline est légèrement idéalisé par rapport à la réalité : on pourrait difficilement trouver plus sympathique que le bon papa interprété par Mikheïl Gelovani, qui regarde d’un air ému les fleurs des arbres de son jardin (arbres qu’il plante lui-même, car il est resté simple) et conseille chaleureusement à Alioucha de déclarer ses sentiments à Natasha. [NDLR : cette partie de la séquence semble avoir été coupée de la plupart des copies et ne survit apparemment que dans des copies est-allemandes du film]




Staline jardinier.


Qu'est-ce qu'il est sympa, ce Staline !



Mikheïl Gelovani est tout simplement magnifique : un balai dans le cul, tellement recouvert de fond de teint qu’il peut à peine bouger les muscles du visage, l’acteur ressemble tantôt à la momie de Staline, tantôt à une poupée Barbie rose bonbon.



Quant à l’URSS, c’est l’Île aux enfants : il fait toujours beau, les hommes vivent en harmonie avec leurs semblables et la nature et s’il ne coule pas des rivières de chocolat, c’est uniquement parce que nous sommes dans un film réaliste-socialiste.




Un nazi pas bô.



Hélas, le bonheur des Soviétiques voguant vers de glorieux horizons communistes ne va pas durer : car l'Allemagne nazie ne va pas tarder à agresser unilatéralement la pacifique et bienveillante URSS. Alors, les nazis, c’est tout le contraire des communistes, et c’est là que l’usage idéologique de la couleur montre toutes ses possibilités. Si Staline est rose bonbon, Hitler est verdâtre, les teintes utilisées pour toutes les séquences le mettant en scène avec son état-major oscillant entre le gris, le caca d’oie et le marronasse. Pour ceux qui se souviennent de la BD de « Pif Gadget » « Les Rigolus et les Tristus », l’opposition visuelle entre soviétiques et allemands est assez comparable.




Quant à Hitler, c’est un véritable festival. On pensait qu’Henri Tisot avait, dans « Le Führer en Folie », interprété l’Adolf le plus outrancier de l’histoire du cinéma. Nenni ! L’acteur soviétique V. Savelyev réussit à faire encore mieux, sauf que lui le fait au premier degré. C’est un show permanent d’aboiements, de roulements d’yeux, de tics nerveux, de tremblements relevant de l’échelle de Richter. Il pourrait avoir la bave aux lèvres et hurler à la lune, on n’en serait pas étonné. L’opposition entre Hitler, qui passe son temps à hurler à ses subordonnés des ordres ineptes, et Staline, qui ne se départit pas un instant de son calme olympien, achève d’enfoncer le clou pour qui hésiterait encore à identifier les bons et les méchants.











Festival Hitler !!!



Evidemment, Alioucha rejoint l’Armée Rouge, et s’avère un soldat héroïque. Mais il a été séparé par la guerre de Natasha, qui a été pour sa part capturée par les nazis et envoyée comme communiste dans un camp de concentration. Malgré la dureté de ses conditions de détention, Natasha demeure digne et fière, confiante dans la victoire de sa patrie.




On a beau être déportés, on n'en reste pas moins propres et nets : c'est ça, la magie du communisme !



Staline, de son côté, dirige la guerre depuis la solitude olympienne de son bureau, dont il sort pour stupéfier ses subalternes par la pertinence de sa stratégie. Son calme et sa pondération lui sont d’ailleurs utiles, lors de la conférence de Téhéran, pour tenir tête à un Churchill borné et légèrement porté sur la bibine.












Autre signe de l’importance du film pour la propagande du régime : la bande originale a été confiée à Dimitri Chostakovitch.



Ce défilé ahurissant de clichés propagandistes et d’images d’Epinal communistes est illustré de manière frappante par une forme à la hauteur du fond. Ce ne sont que couleurs criardes et dégoulinantes, chromos outranciers, violons à foison en fond sonore et drapeaux rouges flottant au vent au ralenti. On en attrape une crise de foie. Malgré cette esthétique ultra-kitsch, il convient de noter que la réalisation demeure techniquement irréprochable, mais elle ne peut cependant rien contre l’outrance délirante du propos et contre l'abus hallucinant de clichés mélodramatiques et de discours patriotards.





Si une partie du film consiste en un récit de guerre assez classique, et même plutôt efficace du fait des moyens mis à la disposition du réalisateur, toutes les apparitions de personnages historiques nous font retomber dans le nanar pur et dur : Goering, Goebbels, Himmler ou Eva Braun, par exemple, semblent sortir d’un théâtre de guignol tant leur représentation donne dans la caricature.

Ajoutons en outre que le film fait preuve d'une indifférence pour les distances : l'Allemagne et l'URSS semblent être des pays frontaliers, et les prisonniers soviétiques sont paradés à travers les rues de Berlin, au mépris de toute réalité historique et géographique (apparemment, la Pologne n'existe pas).


Ce vieux gâteux de Churchill.


Staline portant un toast avec Churchill et Roosevelt (assis).


Une curiosité pour les fans de James Bond : Goering est joué par un acteur tchèque, Jan Werich (comédien et dramaturge de renom, par ailleurs), qui fut plus tard choisi pour jouer le rôle de Blofeld dans « On ne vit que deux fois ». Mais, tombé malade peu avant le tournage, il fut remplacé in extremis par Donald Pleasence.






La gigantesque grotesquerie idéologique de l’œuvre trouve son point d’orgue avec la scène finale, aussi ahurissante que totalement fantaisiste : après la chute de Berlin, Staline arrive à bord d’un avion blanc pour proclamer la paix et la fraternité universelle. Des centaines de figurants (dont des déportés récemment libérés, en pyjamas rayés impeccables) se ruent pour l’applaudir, en brandissant des drapeaux de tous pays, en signe de reconnaissance de l’humanité entière. Natasha et Alioucha se retrouvent dans la foule, et tombent dans les bras l’un de l’autre, sous les acclamations de leurs camarades et le regard ému de Staline.







Il ne bénit pas leur union, mais c'est tout comme.



Natasha demande tout de même à Staline la permission de l’embrasser pour le remercier ; et tandis que le peuple l’acclame dans toutes les langues, Staline conclut le film par ces mots : « Paix et bonheur sur vous, mes amis ! »





Ne pas rater le festival d'accents bidons des acteurs censés acclamer Staline en anglais ou en italien.



Véritable mastodonte du film de propagande, explosant toutes les limites connues et inconnues du kitsch, de la falsification historique et du ridicule, « La Chute de Berlin » est un film qui n’a, littéralement, honte de rien. Cette déclaration d’amour délirante d’un tyran à lui-même mérite en tout cas de rester dans les annales du film-tract, pour montrer jusqu’où le cinéma peut aller par servilité idéologique et absence totale de scrupules. Malgré sa réalisation efficace et une interprétation globalement de qualité bien que très théâtrale (le talent des comédiens n’est pas en cause, plutôt ce qu’on leur fait jouer), l’absurdité délirante du propos fait de ce point ultime du cinéma stalinien un nanar de très, très grand choix, à voir, revoir et déguster par les estomacs les plus solides.


Camarades, he huis htrop mahillé, h'ai du mal à hemuer hes lèvres pour dire hon hiscours....



A noter que le film bénéficia d’une distribution en salles en France, sous les auspices du Parti Communiste Français : il fut rapidement interdit par le gouvernement de l’époque, mais continua de faire le bonheur de projections clandestines pour les militants du PCF. La Cinémathèque Française dispose d’une copie, qu’elle ressort pour les grandes occasions. Vivement qu'ils nous le repassent !

Note : 3,5 sur 5 pour l'ensemble, car le film est quand même techniquement correct, mais 5 sur 5 pour le contenu.
- Nikita -
Moyenne : 3.33 / 5
Nikita
NOTE
3.5/ 5
Jack Tillman
NOTE
3.5/ 5
Drexl
NOTE
3/ 5

Cote de rareté - 4/ Exotique

Barème de notation
Guère récupéré par les éditeurs grand public (on ne voit vraiment pas pourquoi !), le film a été réédité en DVD… au Japon chez "Bo Ying" ! Reste plus qu’à mettre la main dessus.



Un DVD équipé de sous-titres anglais est à vendre chez Movie Unlimited pour la bagatelle de 31 $. Est-ce le DVD japonais ou un DVD-R maison ? Difficile à dire vu le peu de renseignements que nous donne ce distributeur américain de films rares.

L'offre de Movies Unlimited.