Recherche...

Double Down

(1ère publication de cette chronique : 2013)
Double Down

Titre original : Double Down

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Neil Breen

Producteur(s) :Neil Breen

Année : 2005

Nationalité : Etats-Unis

Durée : 1h33

Genre : Jason Burnes

Acteurs principaux :Laura Hale, Mike Brady, Robert Di Francesco, Bonnie Carmalt, George Kerr, Maynard Mahler, Ruth Mahler, Marry Taylor, Neil Breen

Drexl
NOTE
4/ 5

En contrées nanardes, la mégalomanie est un terreau fertile où s’épanouissent des visions inédites, protubérances grotesques d’esprits dénués de tout recul. Des auteurs démiurgiques s’y créent des surmoi cinématographiques à la hauteur de leur profonde estime d’eux-mêmes, généralement en dépit de tout bon sens. Dans le domaine, on pensait avoir trouvé un modèle absolu en la personne de Tommy Wiseau, l’inoubliable créature à l’œuvre derrière le fascinant "The Room". C’était avant de découvrir Neil Breen.


Soit un agent immobilier de Las Vegas (le numéro 1, apparemment), sourire, brushing et regard de winner. Un enfant du siècle, capitaliste pur jus à la réussite a priori insolente, qui aspire pourtant à d’autres sphères supérieures, loin, là-haut, tout près des étoiles. Dans l’intimité protectrice de son confort pécuniaire, Neil rêve de cinéma pour donner libre cours à ses idées, ses convictions, sa doxa post Century 21. D’aucuns pourraient prétendre que nous aurions juste affaire à un golden boy en pleine crise de la quarantaine – ils n’auraient pas complètement tort.


En 2005, Neil saute le pas gaillardement et se lance dans l’aventure artistique. Pas besoin d’un high concept, cher aux exécutifs hollywoodiens, pour lancer son projet : Breen est son propre high concept. Doté de son vécu, son expérience, ses opinions profondes, il compte faire passer ses messages cruciaux en donnant de sa personne – comment faire autrement ? Réalisateur, scénariste, producteur, responsable de la musique, des repérages et même du catering, Neil est en outre le seul à pouvoir camper le personnage d’Aaron Brand, « informaticien génial et solitaire qui prend le contrôle de la ville en luttant contre la dépression et ses obsessions pour la mort et l’amour », si l’on en croit la lyrique jaquette du film, ornée en son recto du seul visage impassible de son créateur. Lequel nous apparaît au début de son film en jean et marcel, en train de crapahuter dans les montagnes rocheuses du désert du Nevada, tandis que sa voix-off - dotée de l’assurance des justes - nous présente le personnage.


« J’étais premier en classe d’informatique. Je me suis engagé et suis devenu pilote de chasse. J’ai gagné des médailles pour mes actions. J’ai toujours vécu entre ce monde et l’autre. Je suis maintenant un agent secret. Un mercenaire. Pour n’importe quelle nation qui veut prendre le contrôle d’une autre. (…) Je me suis engagé dans les services secrets pour combattre le terrorisme à travers le monde, et devenir le meilleur agent qu’ils aient jamais eu. J’ai trouvé le moyen de contrôler n’importe quel ordinateur ou satellite du gouvernement ».

 

 


Une parabole, un flingue en plastoc, des pipettes avec un mystérieux produit rouge, trois laptops éteints et du thon à volonté. Aaron est prêt à mettre le monde à genoux.


Le tout avec un matos pour le moins rudimentaire : en gros, trois laptops toujours éteints, deux téléphones cellulaires, et une parabole dans le coffre de sa bagnole. Mieux : Aaron nous explique qu’il a créé un bouclier invisible tuant automatiquement les moindres impétrants. A l’aide de moult, moult stock-shots, et de deux pistes musicales montées en boucles quasi psychotiques (qui eurent d’ailleurs raison d’un fondateur pourtant robuste de Nanarland), notre super duper agent secret ressasse constamment à quel point il est le meilleur, la crème de la crème, le chef des satellites et des ordinateurs de toute la planète.





Le fameux bouclier invisible anti-intrusion !


Il a même concocté un plan d’attaque terroriste de plusieurs grandes villes au cas où il lui arriverait malheur (grâce à une poudre capable de tuer tous les poissons du lac où il aime bien chiller). Aaron est auto-suffisant : il contrôle tout de son QG désertique, et n’a besoin pour se nourrir que de boîtes de thon qu’il laisse traîner un peu partout. En loucedé, il prépare son plus gros coup : le black out, pendant plusieurs semaines, du strip de Las Vegas.




Mais qu’est-ce qui meut Aaron ? Des sentiments complexes et contradictoires, engendrés par la perte de son amour de jeunesse, rencontré à l’âge de sept ans sur une aire de jeu. Alors que les deux tourtereaux se baignent de trois quarts dos dans une piscine et qu’Aaron vient de faire sa demande en mariage, l’amour de sa vie succombe à une balle dans le dos, dans une scène faisant définitivement basculer "Double Down" dans la quatrième dimension cinématographique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Neil Breen, ou l'obsession à fleur de peau. Toute la patte d'un auteur qui nous hurle son besoin d'être psychanalysé.


Nonobstant ces flashbacks enchevêtrés de façon chaotique à l’intrigue, Aaron s’en va rencontrer son contact à la CIA, qui lui propose apparemment d’enquêter… sur lui-même, puisqu’il est censé arrêter le terroriste projetant de prendre le contrôle du strip de Las Vegas. Notre super agent secret se lance alors dans un monologue que son interlocuteur écoutera patiemment.
« Ça m’étonne toujours de voir à quel point les gouvernements à travers le monde sont préoccupés par les missiles nucléaires et les bombes nucléaires, et surtout par les technologies très coûteuses qu’elles impliquent. La vérité, c’est que les armes chimiques ou bactériologiques sont bien plus dangereuses pour les sociétés et leur économie que les armes nucléaires. Elles coûtent moins cher, peuvent être transportées par n’importe qui, n’importe où, elles impliquent peu de technologies scientifiques. Elles peuvent être dispersées discrètement, sans que personne ne s’en aperçoive. Et les terroristes peuvent s’en sortir sans se faire prendre. C’est pour ça que les gouvernements se concentrent à ce point sur les armes nucléaires : ils ne veulent pas que le public soit au courant du vrai danger, que les armes chimiques et bactériologiques sont des armes de destruction massive. Comment puis-je vous aider ? »

 

 

 


Aaron se barre du rendez-vous, et se réveille un nombre invraisemblable de stock-shots plus tard, allongé comme un cuitard de base à côté de sa bagnole. Au détour d’une de ses traditionnelles ballades dans les rocheuses, il tombe sur un vieux, voué à mourir une minute plus tard en se fracassant le crâne sur un rocher, non sans lui avoir remis un étrange talisman. Aaron lui concocte une tombe pas trop dégueu, la caresse en lui répétant « Come back again, come back again » ; une scène bucolique à souhait, à peine troublée par un mystérieux stock-shot d’aigle en plein doute.

 

 

 

 


Notre héros se réveille ENCORE UNE FOIS à côté de sa voiture, où il s’est laissé un message sanglant – le thon aurait-il des vertus psychotropes ? Il hurle « Where are you ? » à la cantonade dans le désert, puis va se recueillir sur la tombe de sa dulcinée, lui demande si elle a saisi le sens de la vie. Ses parents décédés lui apparaissent alors dans le lac de ses funestes expériences tueuses de poissons – mec, je serais toi, j’arrêterais vraiment le thon en boîte.

 

 

 


Invité dans une famille de potes ou whatever, Aaron ne peut s’empêcher de la ramener sur son job. « Vous savez, les grandes poursuites, les immeubles qui explosent, c’est dans les films ou à la télé. En vrai, tout se fait secrètement, sous couverture, et électroniquement ». Après avoir appris que la jeune Megan avait une tumeur au cerveau, il la guérit en serrant très fort le talisman du petit vieux. Cette formalité étant réglée, il peut se concentrer sur son plan, aligner des satellites, tapoter sur ses ordis et je ne sais quoi. Il accepte un nouvel engagement : kidnapper un couple de jeunes mariés. Il les piège à l’aide de fraises empoisonnées, glissées négligemment dans du champagne : en vain, puisqu’il s’est trompé de couple. De toutes façons, il en a marre de cette mission et se casse refaire des trucs sur ses ordis – si c’est ça le meilleur agent du monde, je n’ose imaginer le bilan de fin d’année de la CIA.

 

 


Fraises, champagne… les meilleures armes d'un agent de la CIA en action.


Aaron luttera par la suite contre ses démons, et traversera une série d’épiphanies toutes plus absurdes les unes que les autres. Ce résumé en donne un vague aperçu : il est excessivement ardu de savoir de quoi parle "Double Down". D’une, sa narration n’a de cesse de se contredire et de se perdre dans des méandres répétitifs ou des digressions franchement grotesques. De deux, le style très particulier du film, imputable en partie à sa confection artisanale, pousse encore plus le spectateur à la perplexité, voire au craquage nerveux (Labroche, pour ne pas le citer, vous en dira des nouvelles). Constitué à 65 % de stock-shots (à vue de nez, hein), "Double Down" aligne successivement de jolis plans du désert du Nevada, de scientifiques des années 80 tapotant des trucs sur leurs ordis, d’un fascinant cactus en images polarisées, d’avions en plein vol, d’un beau barrage, ou de divers animaux, le tout mixé sur les mêmes incessantes musiques loopées à la va-comme-je-te-pousse.



Des stock-shots de la NASA.


Cette somme de partis pris esthétiques douteux ronge sournoisement le cerveau. Poseur au dernier degré, d’une lenteur criminelle dans son rythme, totalement incohérent et farouchement incompréhensible pour le commun des mortels, "Double Down" n’est en définitive qu’un véhicule à la gloire permanente de son auteur / héros de notre époque troublée. Les (rares) autres personnages n’ont de cesse de se prosterner devant Aaron Brand, ils ne vivent que pour l’écouter déblatérer ses discours alarmistes sur le Secret Défense et les armes bactériologiques dans un monde où, de toute façon, l’amour est mort.

 

 


Sa voix-off sacerdotale et son non-jeu tout bonnement aberrant imposent Neil Breen, au fur et à mesure des interminables minutes de ce manifeste, comme une personnalité définitivement à part, une planète à lui tout seul, un rebelle sur le retour qui aurait repoussé les limites de l’égocentrisme pour accéder à un ailleurs cinématographique complètement inédit. Le greffon impossible entre Terrence Malick et Bruno Mattei, prisonnier d’obsessions conspirationnistes et d’un ego de la taille du Nevada.
Et encore, Neil n’a pas tout dit. Il se réserve pour "I am here…. Now".

 

 

 


Le clou rouillé du film : Neil Breen dévale une pente en serrant rageusement ses petits poings et en hurlant tout ce qu'il sait. Un plan-séquence dont on ne ressort pas indemne.



- Drexl -
Moyenne : 3.40 / 5
Drexl
NOTE
4/ 5
John Nada
NOTE
3/ 5
Labroche
NOTE
4/ 5
Kobal
NOTE
3.5/ 5
Barracuda
NOTE
2.5/ 5

Cote de rareté - 4/ Exotique

Barème de notation

Inédit en France (comme partout ailleurs en dehors, peut-être, de Las Vegas), ce brûlot a été distribué en DVD vendu directement sur le site perso de Neil Breen qui semble malheureusement HS. Comme pour son second opus "I am here…. Now", les rares exemplaires qu'on trouve parfois d'occasion sur des sites comme ebay atteignent des prix indécents...