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Eaux Sauvages

(1ère publication de cette chronique : 2004)
Eaux Sauvages

Titre original :Savage Water

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Paul W. Kener

Producteur(s) :Paul W. Kener

Année : 1978

Nationalité : Etats-Unis

Durée : 1h32

Genre : Doublage de pierre

Acteurs principaux :Ron Berger, Dewa DeAnne, Bridget Agnew, Pat Comer, Gene Eubanks, Doug Jones, Clayton King, Valerie Kittel, Rasheed Javeri, Mike Wactor, So Mickelsen, Gill Van Wagoner

Techniciens :Paul W. Kener

Labroche
NOTE
4/ 5



Un personnage d'Eaux Sauvages à un autre : « Je suppose qu’en faisant ce que vous avez fait, vous n’avez fait que précipiter la chose même qui vous a poussé à le faire... »

AVERTISSEMENT : Attention, cette chronique comporte des meurtres horribles. 


Chronique à chaud, Grenoble, le 13 août 2004, 1h du matin.
Il est des oeuvres qui laissent sans voix… Il y a une heure et demie de cela j’ai enfourné dans mon magnétoscope une vidéocassette dont je ne savais rien : Eaux Sauvages, de Paul W. Kener, histoire d’en voir les cinq premières minutes (je fais souvent ça quand je ne connais pas un film).


L’effet hypnotique fut immédiat, ce film est un OVNI cinématographique. Enfin, ce film dans sa version française tout du moins. Je l’ai regardé d’une traite, sans broncher, en allant de surprises en surprises, alors même que le film n’en recèle aucune ! L’histoire est basique puisque Eaux Sauvages se veut un pionnier du genre « slasher », ces films dans lesquels une bande de fringants jeunes gens se fait joyeusement décimer par un tueur psychopathe. Généralement, ce sont des étudiants affolés par leurs hormones, parfois des campeurs. Ici on charcute des touristes partis faire une expédition en rafting dans le Grand Canyon.



Le film regorge de personnages, tous caricaturaux au possible : trois guides sympacools (contraction de sympa et cool), des jeunes, des vieux, des babs, un psychiatre, un couple d’Allemands et même un richissime fils d’émir. Les looks déjà sont très marrants puisque l’on navigue (film de rafting oblige, ha ha) en pleines années 70. Vive les barbes touffues, les grasses moustaches, les minis shorts en jean et autres brushings de l'apocalypse capillaire.


Eaux Sauvages dure 1h32, et autant le dire tout de suite, il ne se passe strictement rien jusqu’à la 60ème minute. Mais quand je dis "strictement rien", je pèse mes mots : on y bavarde, on y cuisine, on y mange, on s'apprête, on apprend à enfiler un gilet de sauvetage, on explique comment faire un noeud... le tout filmé en temps réel… Bref la première heure du film aligne les pires scènes de remplissage.

Un film utile : on y apprend à mettre correctement un gilet de sauvetage des années 70.


Ceci dit, déjà, on remarque quelques incohérences. Ainsi, la première scène se passe dans un avion à hélice, bruité par... un son d'hélicoptère ! Les guides sont des écolos, ça c’est plutôt normal. Ils expliquent notamment qu’il ne faut pas faire ses besoins derrière des buissons, parce que sinon, cela aurait un effet fertilisant si efficace qu’il dérèglerait le cycle de la nature. Ils imposent donc à tous les participants à la descente en canyon de faire caca sous une tente, tandis que la nuit ils dorment dans un sac de couchage à la belle étoile, à même le sol.


La tente à caca...


On pourrait aussi s’arrêter un moment sur l'atroce jaquette jaune poussin du film, sûrement l’une des plus abominables que recèle notre site (sur laquelle Mick Jagger semble avoir été dessiné par un enfant de 5 ans, une illustration du plus bel effet signée d’un énigmatique Tarzoon Productions 84). Mais tout cela n’est rien. Non. Le film gagne en fait ses galons de superbe nanar grâce aux doublages qui sont tout simplement les plus hallucinants qu’il m’ait été donné d’entendre dans un nanar ! Oubliés les Godfrey Ho, les ninjateries sans queue ni tête ! Dépassés par les événements, les post-nukes doublés à la chaîne par des comédiens aux abois venus faire un peu de black le dimanche matin juste après Téléfoot. Ici on tape dans le top du top du doublage nanar, le paroxysme foudroyant du crétinisme le plus abyssal.


Vous voyez là-bas ? c'est la fin du film... on y sera dans environ 1h32. D'ici là, il va falloir meubler...


Durant tout le métrage, une impression de flottement hypnotique happe le spectateur au point de faire passer l’heure et demie de néant comme une lettre à la poste. Il ne se passe rien et pourtant on reste pendu aux lèvres des différents protagonistes. Les doubleurs bafouillent, hésitent à tel point que certaines répliques sont totalement incompréhensibles ! Si encore l’histoire donnait un sens aux dialogues, mais là non… D’histoire il n’y en a point. On nage réellement dans le n’importe quoi le plus absolu.

Bon, mes amis, de quoi parle notre film au juste ?

Pour tenter de décrire l’ampleur des dégâts, disons pour commencer qu'on a l’impression que guère plus de 3 doubleurs ont dû se répartir la petite vingtaine de personnages à doubler. Ensuite, on sent que le texte est découvert à la lecture (j’en veux pour preuve les innombrables cafouillis dont regorge le film). C’est peu dire que les mouvements des lèvres sont mal coordonnés, dans la mesure où dans plusieurs scènes un personnage parle sans que l’on entende le moindre son, ou inversement, parle en français les lèvres mystérieusement closes.

Et vous, vous êtes plutôt taboulé ou macédoine de légumes ?

L’exemple le plus sidérant est sûrement cette scène où, devant un saladier de taboulé et deux sandwichs au saucisson, deux moustachus en short partent dans une explication hallucinante de ce qu’est le karma. On croit rêver !


Disons que vous vous êtes trouvé à la porte de chez vous, alors vous allez à votre boîte aux lettres prendre la clef. Quand vous y arrivez, vous vous apercevez que votre clef n’est pas là, vous ne l’avez pas remise la dernière fois. Alors, vous tapez sur la boîte aux lettres, ce qui fait sortir les chiens, et un chien vient vers vous et commence à aboyer...


...alors vous frappez le chien, et le chien s’en va en hurlant et passe devant la maison du voisin, et le voisin appelle la police, et quand la police arrive pour enquêter, elles vous arrête pour avoir essayé de rentrer chez vous, dans votre propre maison. C’est cela le karma. [dialogue authentique, en écoute ici]


Le plus marrant, ce sont les scènes de panique ou de rafting, bref, les scènes collectives. Là on tombe à pieds joints dans l’indescriptible, tant on a l’impression que les doubleurs sont là, avec nous sur le canapé, tandis que sur notre TV défilent de vieilles images de descente de canyon (prononcez « canyon » comme « camion »). Nous avons d'ailleurs remarqué à la seconde vision que les "bruits de foule" étaient en fait passés en boucle et resservis à chaque séquence de rafting (l'expression "j'm'en suis pris plein la poire !" revient ainsi une bonne dizaine de fois).


Tous en choeur (d'un air pas motivé ) "oulala, ça mouille", "Whaou j'en ai pris plein la poire", "hohoho", "youpiiii"...


Enfin, la fin essaye de relancer l’attention avec une scène que je ne décrirai pas ici afin de ne pas gâcher le plaisir aux éventuels acquéreurs de l'objet… Sachez seulement que le film se termine sur la chute d’une personne et que, encore une fois, le doublage du cri (du « aahhhhhhhh » quoi) est à l’image du film, catastrophique ! Quelques traductions douteuses versant dans les affres des anglicismes nous ont aussi bien fait marrer (ex : quand l'un des personnages se voit demander d'enlever sa "jaquette", en lieu et place de sa veste - veste se disant "jacket" en anglais). On pourrait évidemment se poser la question de savoir à quel point le doublage peut être pris en compte dans la nanardise d’un film. Qu’importe, prenons-le pour ce qu’il est, une vraie valeur ajoutée. De toute manière, même en VO, Savage Water doit valoir son pesant de catastrophe filmique. Le fait est que là, agrémenté de son doublage magique, il rentre directement dans mon panthéon des mauvais films incroyablement drôles et hypnotisants.


Addendum

Rareté absolue, ce film a bénéficié, depuis la mise en ligne de cette chronique sur Nanarland, de quelques diffusions confidentielles entre cercles d’amis de bon goût. Il semble que les notions d’ordre du monde, des choses et de l’existence en général aient été profondément chamboulées chez certains spectateurs. Des débats intéressants sont nés, des interprétations inédites, des analyses mélangeant avec un sens de l’à-propos surprenant philosophie hegeliano-marxiste et métaphysique de comptoir. On s’accorde dès lors à trouver plus de fond qu’il n’y paraît à cette œuvre qui, sur la forme, ressemble quand même furieusement au film de vacances de tonton Roger faisant son stage de rafting.


Certains n’hésitent pas à l’affirmer haut et fort : ce film est LE film de la génération hippie. On voit ainsi exposée, dans un premier temps, la volonté de vie en communauté de nos héros (tente à caca, respect de la nature, débat pour savoir si c'est le gouvernement ou Dieu qui possède le Grand Canyon, organisation pour manger, faire la vaisselle, etc.). Mais cette communauté tant souhaitée par nos hippies en gilets de sauvetages 70's est mise à mal, comme le sera le mouvement hippie en général : le psy yuppie traître qui a des actions en bourse (Skiper Mike, tombant des nues : "je croyais que tu étais des nôtres"), l'avarice du gros (dont l’obésité incarne déjà à elle seule les excès d’un mode de consommation), le non respect des autres (certains mangent avec leurs mains), la drogue qui détruit insidieusement le mouvement de l'intérieur (la drogue est ici déconseillée aux visages pâles), la question du rapport à l'étranger (voir en particulier les scènes avec le couple allemand : "Toi être beau garçon, mais pourquoi toi pas laver la figure ?" (le garçon frappe le vieux teuton) "Moi, dans mon pays, garçons être plus polis !") et surtout l'apparition du meurtre. Comment une communauté hippie du grand canyon peut-elle juger un meurtre ? Faut-il donc croire en une justice immanente de la nature, recourir à une justice immédiate et sauvage (voir la tentative de lynchage) ou à la justice civile, Dave parlant par deux fois de "retour à la civilisation" ? Une question centrale révélant au groupe le caractère utopique de leur idéal : Eaux Sauvages rend compte ni plus ni moins que du chant du cygne du mouvement hippie. C'est en quelque sorte un témoignage socio-historique naïf mais qui n’oublie pas de poser des questions fondamentales, nous en apprenant peut-être plus sur les affres de la vie en communauté que des centaines d’heures de programmes de real-tv type Loft Story ou Survivor. Merci à toi Dave de nous avoir appris à mettre un gilet de sauvetage et nous montrer les difficultés de l'idéal hippie.

Susie (Dewa DeAnne) flirte avec Sheik Mahomad (Rasha Javeri) en buvant de la crème de whisky.
« - Je t’achèterai toute la crème de whisky du monde, car tu es la première femme qui m’ait tenu la main.
- C’est vrai ? Jamais aucune femme ne t’a tenu la main ?
- Non. J’ai pas de soeur. »

John Nada, fin limier de Nanarland, a pu trouver quelques informations dans des archives de journaux de l'époque. Produit par le duo Paul Wesley Kener & Raymond H. Smith de la petite firme Talking Pictures basée à Salt Lake City, Utah, Eaux sauvages fut tourné au cours de l'été 1978 sur le fleuve Colorado dans le sud de l'Utah, pour la modique somme de 500,000 $. L'automne précédent, les mêmes produisaient Wendigo, réalisé par Roger Darbonne et tourné en septembre 1977 dans le Teton National Park, situé dans le Wyoming voisin.

- Labroche -

Entretiens

Moyenne : 3.88 / 5
Labroche
NOTE
4/ 5
John Nada
NOTE
4/ 5
TantePony
NOTE
5/ 5
Rico
NOTE
2.5/ 5
LeRôdeur
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4.5/ 5
MrKlaus
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4/ 5
Nikita
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3/ 5
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4.75/ 5
Wallflowers
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Mayonne
NOTE
4/ 5
Drexl
NOTE
2/ 5
Jack Tillman
NOTE
4.75/ 5
Hermanniwy
NOTE
4/ 5

Cote de rareté - 3/ Rare

Barème de notation

Dans son genre, voilà vraiment le prototype du film perdu. Faut dire : acteurs inconnus, réalisateur inexistant, images crados façon téléfilm délavé... Dans ces conditions, les éditeurs ne s'étaient pas précipités pour rééditer ce film, même dans son pays d'origine.
On a pourtant eu la surprise de le voir réédité en 2013 dans un double-programme par la petite société spécialisée "Vinegar Syndrom" accompagné de "Death by Invitation", un slasher très marqué années 70. Malgré le fait qu'ils aient repris pour la jaquette l'épouvantable illustration française, pas de V.F. à l'horizon, juste une remasterisation assez honnête au regard de l'état du matériau d'origine et un commentaire audio de "The Hysteria Continues", une bande de fans américains de slashers oubliés qui publie des podcasts de leurs visionnages.


Pour la petite histoire, il semble que ce micro-éditeur ait ressorti Eaux Sauvages sans en avoir acquis les droits, et qu'il a dû cessé toute exploitation après avoir reçu un courrier de la part de la famille Kener...


La version VHS...

...et la version DVD du film. Sur l'édition numérique, on remarque qu'on gagne des informations sur les côtés de l'image, mais qu'on en perd en haut et en bas. Ceci dit, l'intérêt réel du film ne s'en trouve guère altéré puisque c'est uniquement grâce à ses dialogues et surtout sa V.F. hallucinante qu'Eaux Sauvages doit sa place sur ce site.


Si vous voulez bénéficier de l'hallucinante V.F., traquez les derniers endroits où on trouve encore des cassettes vidéo. Si vous tombez un jour sur la V.H.S. du micro éditeur "U.S. Vidéo" (avec son atroce jaquette jaune sur laquelle Mick Jagger semble avoir été dessiné par un enfant de 5 ans), n'hésitez plus. Il n'existe pas autrement chez nous.

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