Recherche...

Fatal Deviation

(1ère publication de cette chronique : 2010)
Fatal Deviation

Titre original : Fatal Deviation

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :James P. Bennett

Année : 1998

Nationalité : Irlande

Durée : 1h30

Genre : Rural, voire rupestre

Acteurs principaux :James P. Bennett, Paudie Greene, Mattie Finnegan, Mikey Graham

Hermanniwy
NOTE
3.5/ 5


Un jour, vous roulez tranquillement en voiture de location dans la verte campagne irlandaise. Trop occupé à essayer de rouler à gauche sans finir avec un mouton empalé sur le pare-choc, vous vous gourez d'embranchement à un carrefour. Et là, c'est fini. Vous venez d'emprunter la....

FATAL DEVIATION !

Bienvenue à Trim, you fecker.

Trim, sa supérette, sa fête foraine, son parrain trafiquant de... de trucs, sa réalité parallèle. Vous êtes coincé pour une heure trente de plongée dans les confins des abîmes de la beauferie, là où même un redneck texan électeur de Pierre Poujade et tanné à la bière additionnée d'huile à camion hésiterait à s'aventurer.


Les monuments de Trim : la supérette.


Vends-moi du rêve !


Long story short, Fatal Deviation est le premier (et, à notre connaissance, le seul) film de tatane irlandais. Et là vous vous dites : chic, une grande première, on va avoir droit à des environnements, des motifs, des idées totalement nouvelles, ça va être James Joyce meets Bruce Lee au son des violons, sortez la bière, je me repeins en vert et j'arrive, nom d'un arbre à fées. Las, las, trente fois las. Les films de kung-fu irlandais, visiblement, c'est comme les crêpes. Au début la poêle n'est pas chaude et ça se termine à moitié cuit avec des trous partout.

Commençons par le scénario. A ceux qui se demandent pourquoi certains films prennent le soin de préciser "scénario original : X", on a maintenant la réponse. C'est pour se démarquer du scénario de films comme Fatal Deviation. Vous connaissez ce genre de cliché énervant qui revient partout depuis l'Illiade et l'Odyssée en passant par Luke je suis ton père, non John laisse-moi mourir ici et dites à ma femme que je l'aime, mon vieux co-équipier noir est mort à deux jours de la retraite, ciel mon mari cache-toi dans le placard ? Eh bien Fatal Deviation, ce n'est QUE ça. D'habitude, même dans les repompes les plus osées, on retrouve au moins un bout d'idée originale quelque part, ne serait-ce qu'un costume ou un dialogue. Ici, absolument tout est recyclé. Tout. Jugeons sur pièces :

Jimmy est un jeune gaillard avenant (enfin on le suppose) mais orphelin (c'est aussi une supposition), qui sort juste de maison de correction. Athlète confirmé, il fut entraîné par son défunt père, un grand maître en arts martiaux qui a fini lâchement assassiné en pleine prière rituelle pour des motifs obscurs. Alors qu'il tente de se réinsérer en jouant au justicier urbain (enfin urbain... on y reviendra), il tombe soudainement amoureux d'une jeune fille en détresse. Stupeur, la jeune fille est convoitée par le fils du parrain du coin et kidnappée ! Jimmy défie les sbires de ce mafieux au cours d'un tournoi de lutte. Les mafieux veulent en effet faire gagner le tournoi à leur mystérieux champion pour régner sur la région. Jim, aidé par un vieux moine-entraîneur qui eut son père comme premier élève, parviendra-t-il à faire jouer ses biscotos assez fort pour gagner le tournoi, récupérer sa gonzesse, défaire les méchants et faire régner l'ordre ? Saura-t-il ce qui a causé la mort tragique de son père ? Oui. Fin.

Si vous trouvez une seule idée neuve là-dedans, vous gagnez une photocopieuse à scripts. Oh, il y a bien quelques fulgurances nanardes : l'entraînement au son harmonieux de la cornemuse, un cowboy qui sort de nulle part, enlève son slip et prend son bain, ou un flash backo-forward (ou flash back de ce qui n'est pas encore arrivé, mais pas flash forward, ou peut-être que c'est arrivé, enfin ca aurait pu arriver, a moins que ce ne soit qu'un rêve, ou que Di Caprio ait fait une inception en douce).

Pour vous, nanardeuses, strip-tease intégral d'un bad boy, là sous vos yeux !






Le bain-mystère. Mais pourquoi ? Qui ? Quand ? Par où ?


Hormis ce genre de pétage de plombs complètement gratuit, le scénario se déroule de façon archi-prévisible, pour le plus grand bonheur du nanardeur prévoyant qui a amené sa check-list des clichés et en profite pour faire un bingo.

Pour ceux qui tenteraient de relativiser en se disant qu'après tout, si c'est bien joué, ca peut passer, il est temps de vous présenter l'acteur principal/metteur en scène/égérie de ce film : James Bennett. Pour le définir clairement, Bennett ressemble, au moral, à un mix de Jalal Merhi et Tommy Wiseau, et au physique à un Dany Boon péquenot qui se serait mal remis de son sketch de Jean-Pierre le culturiste. Zéro charisme, un physique trapu et au final pas très impressionnant, la gamme de jeu du gnou moyen. Le présenter en héros irréprochable, bon, brave, fidèle, invincible, beau, intègre et sobre, relève de la tommywisite aigüe. Sans être mufle, on a aussi du mal à croire que deux hommes puissent tomber amoureux de l'héroïne au point de se friter pour elle. Les rôles sont également très fouillés, puisque nous avons (jusque sur la jaquette) : un Héros sans peur et sans reproche, une Héroïne type Princess Peach, un vil parrain, son vil fils amoureux de l'héroïne, des sbires brutaux, des moines sages et mutiques. Dans le genre unidimensionnel, les personnages se posent là. Pas un état d'âme, pas une interrogation ontologique, pas un développement complet. On trouve des personnalités plus fouillées dans les jeux de bornes d'arcades, "Pong" compris. C'est du Bauhaus de rôle : fonctionnel, lisse, économique.


Mo guile mear.


Le retour du maillot trop grand, décidément tendance chez les tatanneurs.


A vrai dire, le casting dans son ensemble est assez peu convaincant, et c'est peu de le dire. La belle héroïne, les lutteurs, le parrain, les sbires ont tous des têtes à figurer dans un film de Ken Loach, ou au musée des Arts et Métiers, section « Gros culs-terreux mal démoulés, 1700-1900 ». Ce n'est pas pour se moquer des personnes vivant en dehors des zones urbaines, mais l'ensemble ferait sangloter d'émotion Raymond Depardon. Cerise sur le gâteau, le fils du Parrain est interprété, tenez-vous bien, par Mike Graham, le moins connu des Boyzone. Eh oui. Voilà voilà voilà. Hem.


L'Irlande d'en bas. Voire d'en dessous.


Celle par qui tout arrive (et qui arrive surtout à pousser le non-jeu jusqu'au fond des cheveux).


Mikey Graham, le fils de le Parrain (et Boyzone, donc).


Question acting, le curseur est le plus souvent bloqué sur « surjeu amateur » pour tout ce petit monde, avec des pics en « surjeu extrême », en particulier pour l'ami Bennett qui s'est dit que quitte à avoir le premier rôle, autant en profiter. Le Parrain est également réjouissant d'amateurisme et profondément désarmant, tant il ressemble plus à un papi gâteau qu'à un malfrat sanguinaire dirigeant d'une main de fer le secteur entier de Trim, y compris le fruitier et le bureau de poste. Quant à la fille, eh bien elle fait la fille. Ca revient à rester plantée comme un poteau, sans esquisser le moindre geste ni un début de commencement d'expression, alors qu'un inconnu se bat devant vos yeux avec deux types qui essaient de vous enlever.

Mike Graham peut être considéré par défaut comme le meilleur acteur du film, même si on espère qu'il est plus convaincant sur scène que devant une caméra.

Précisons que la moitié des dialogues se résume à « Beuaaarg » ou équivalent (les scènes de baston sont un régal de finesse et de subtilité, avec une gamme comprenant plus de douze nuances de hurlements) ou sont purement informatifs et minimalistes, tout en arrivant à être à côté de la plaque, ce qui est très fort.

On verra ainsi Bennett et sa dulcinée s'adresser à un vieux barbu en robe de bure qui sort d'un bâtiment ancien surplombé d'une croix pour lui demander qui il est. L'idée que ce puisse éventuellement être un des moines qui placardent des affiches partout pour annoncer un tournoi à l'abbaye ne les a visiblement pas effleurés.

Autre exemple d'une direction d'acteurs sans faille : au cours de la scène de l'attaque de la supérette, deux voyous visiblement trentenaires font tomber des packs de lait et piquent des petits pains. Déjà, on se dit que la menace est terrible et l'ambiance particulièrement étouffante. Cette scène déjà boiteuse sur le papier termine en fauteuil roulant quand nos deux neuneus piquent le chariot d'un petit vieux... qui rit ostensiblement, en plein devant la caméra, alors qu'il reste seul à l'écran et qu'on ne voit donc que lui. Elle est bonne, on la garde.


Circonstance atténuante : ils sont tout de même très drôles.


On aboutit à des scènes assez surréalistes de non-crédibilité.


Les stakhanovistes du film de tatane objecteront : on s'en fout, on est là pour les bastons. Oui, mais non ! Soyons honnêtes, les talents d'artiste martial de Bennett, même s'il est un peu trop massif et court sur pattes, sont sans doute réels. C'est son talent de chorégraphe et de réalisateur qui est en cause. On se fade d'abord des quantités astronomiques de scènes d'entraînement, parfois sur fond de soleil couchant ou en face d'un punching ball. Ces scènes sont sans doutes réalistes, mais elles ne sont ni spectaculaires, ni cinégéniques, ni rien du tout. Juste un petit nerveux qui sautille sur place en faisant des mouvements très techniques mais ridicules. Ca passerait si Bennett disposait d'un physique de rêve et d'une réelle capacité à filmer, mais nooooon. On en arrive à regarder un homme réellement souple (il fait le grand écart Vandamme-style en équilibre comme ça, hop), contrôlant chacun de ses mouvements au picopoil, mais qui donne l'air d'un quartier de boeuf empoté faute de savoir se filmer. Une brave vidéo de démo de karaté comme il s'en trouve des fournées serait plus convaincante, alors pour égaler Bruce Lee, on repassera.


Des katas, hein. Pas des chorégraphies.


Entraînement avec un vieux moine (pas Shaolin).


Ensuite, la plupart des bastons sont dans le plus pur style « j'te touche, t'es mort », un pain par personne, faites la queue s'il vous plaît. A l'écran, on voit ainsi deux boeufs se rentrer dedans à la manière de deux trains coincés sur la même voie, l'un des deux taper un grand coup (beuaarg ! blam !) et le deuxième se faire propulser dans le décor (ouaargh ! wham !). La bagarre du pub est ainsi particulièrement... particulière, tant on a l'impression d'assister à une vraie baston pas du tout prévue à même le plateau du tournage.




Choose your fighter !


Le sommet du pompon est atteint avec le tournoi. Sans rentrer dans les détails, ca rappelle un peu le match « Bourreau de Béthune contre L'ange blanc » de 1954, en moins gracieux. Le fameux tournoi des champions (qui a lieu régulièrement depuis deux cent ans mais dont le héros, natif du coin, artiste martial et fils d'artiste martial, ignore l'existence jusqu'à ce qu'un moine vienne planter un poignard portant une convocation écrite sur sa porte) est sans doute parmi les pires jamais porté à l'écran. On voit à peu près quel intérêt pousse un ordre religieux à sponsoriser un tournoi réunissant les plus grands guerriers autour des valeurs que sont l'honneur, le sport loyal, le courage et la bravoure. On voit beaucoup moins comment des religieux sensés peuvent prendre part à l'alpaguage généralisé arrosé de bière et suintant des aisselles qui se déroule devant eux. Ils ont pourtant l'air de prendre beaucoup de plaisir à regarder deux amazones se friter sous les hurlements de la foule. Question ordre religieux, quelque chose me dit que les trappistes sont légèrement plus dignes de confiance.

On aura aussi droit à un gunfight épique qui n'est pas sans rappeler les plus belles scènes des Tontons flingueurs. Ca ne coûte pourtant pas cher, un bruitage de pistolet, même les Turcs en ont ! Même les Pakistanais qui s'attaquent à la seringue ! Et quitte à sacrifier une voiture, autant s'assurer qu'elle explose par le moteur plutôt que par le coffre, surtout si c'est l'avant qui est allé s'encastrer dans le bas côté.


Un combattant d'élite. Bang !


Les irréductibles protesteront en disant que peut-être Bennett n'est pas un réalisateur si mauvais que ça, quand même. On leur fera remarquer que Fatal Deviation est horriblement filmé. Foire aux meubles, couleurs délavées (la verte Irlande, mon c**, les couleurs vont du vert bouteille au brun, en passant par une noria de beiges, gris, marrons absolument pas croyable), direction d'acteurs inexistante, musique platounette (le moine nous gratifie d'un solo de biniou absolument impardonnable), action flacide : tout est là, il n'y a qu'à se baisser pour éviter les projections.

Le meublage, même s'il reste très distrayant par sa médiocrité, est présent à tous les étages. Outre le pur remplissage de métrage (des plans sur le boucher de la supérette en train de découper un steak, sur une famille à la fête foraine...), c'est le délayage des scènes qui est particulièrement flagrant. La technique est simple : un oubli total du cerveau du spectateur. Un téléphone sonne ? Montrer le héros décrocher directement est bien complexe à suivre. Montrons plutôt le téléphone en gros plan de cinq secondes, puis une main qui décroche, puis le héros. Résultat : on ne peut pas dire exactement quelles scènes sont en trop (si : les scènes d'entraînement) mais le métrage est rempli de séquences de trois, cinq, dix secondes de vide total épisodiques.

La bande-son se paie aussi le luxe de partir régulièrement en pause café. La musique d'ambiance de la supérette ou de la fête foraine, le cuicui des oiseaux, le vent dans les arbres (ou entre les oreilles du héros), les cris du public se taillent la part du lion entre des morceaux plats comme une limande compressée.


Couiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin (en plus c'est vraisemblablement du playback).


Le dernier carré de ceux qui meurent mais ne se rendent pas diront que de toute façon, on peut espérer un produit certes un peu balourd, mais qui ait une ambiance sympa, décalée et bon enfant. Nous nous contenterons de leur lançer un « mouhahaha » dédaigneux. Fatal Deviation, c'est le film qui vous fait prendre conscience que la campagne, en particulier autour de Trim, ça peut être très moche. Une faille spatio-temporelle impromptue a ramené tout le film en 1970, et le budget « décor » est celui d'un film de potes tourné à l'improviste. La somptueuse demeure du Parrain est à hurler d'horreur, et son fils en est réduit à loger dans une caravane (sans eau courante). On se demande si la maison du héros est meublée d'autre chose que de bottes de paille. Les costumes apportent eux aussi leur lot de fous-rires, entre les cravates du Parrain, qui a décidément des goûts très sûrs, et le maillot délavé du héros avec ses bretelles trop grandes.

La Maison de Le Parrain :


Extérieur.


Tendance zen, calme, sobriété.


Tendance luxe et volupté.


Le Parrain est déception. Il est également mauvais acteur. En fait la palette de son jeu est au diapason du motif de ses cravates : improbable.


Et c'est là, dans l'ambiance, que se cachent des trésors de nanardise nirvanesques : on est en plein dans le jeu de grands gamins qui tentent de nous convaincre, en dépit d'une réalité désespérément solide, que nous sommes dans un vrai film, et pas au Groland. Comment décrire l'impossible foutage de gueule, comment mesurer les kilomètres qui séparent les intentions évidentes de Bennett du résultat final ? Le mot glauque a été inventé pour ça. On vogue d'une fête foraine cauchemardesque à des coins de forêt qui ont du voir passer plus de tueurs en série que d'amoureux transis, de Mercedes miraculeusement échappées de la casse en caravanes inaptes au service, d'une grange où Marie, l'âne et le boeuf n'auraient pas foutu les pieds à des intérieurs d'un vide sidéral. On se prend Fatal Deviation en pleine face comme un face-hugger alien avant de pouvoir l'arracher et le finir à coup de chaise.


Oui, un peu comme ça.


On saluera bien bas les louables efforts de James P. Bennett, son pugilat artistique déroutant, et sa brillante réussite à nous démontrer que l'herbe n'est pas toujours plus verte dans le pré du voisin. Merci à toi de nous avoir fait découvrir le kickboxing celte... à quand le kung-fu alsacien, le wu xia pian basque ou le chambara savoyard ?

- Hermanniwy -
Moyenne : 3.33 / 5
Hermanniwy
NOTE
3.5/ 5
Barracuda
NOTE
3/ 5
Jack Tillman
NOTE
3.5/ 5

Cote de rareté - 3/ Rare

Barème de notation

Un DVD zone 1 (NTSC) est sorti en 2003 chez l'éditeur "Rising Sun Video". Il est malheureusement indisponible jusqu'à nouvel ordre, tous les exemplaires ayant semble t-il été vendus.