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La Filière Chinoise

(1ère publication de cette chronique : 2004)
La Filière Chinoise

Titre original : La Filière Chinoise

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Bruce Le, André Koob

Année : 1989

Nationalité : France / Hong Kong

Durée : 1h20

Genre : Bruce Lee est mort, vive Bruce Le !

Acteurs principaux :Bruce Le, André Koob, Bepe Chierici, Fanny Aubertin, Kong Tao

John Nada
NOTE
3/ 5


Après le fantastique Bruce Contre-Attaque (où il tatannait entre autres Jean-Marie Pallardy et Hwang Jang Lee) et le franco-camerounais Cameroun Connection (dans lequel il affrontait Alphonse Beni), voici un avatar tardif et délicieusement bis de "French bruceploitation" mettant en vedette l'hyper-tonique Bruce Le, alias Huang Kin Lung. Co-écrit, co-réalisé, interprété par André Koob (déjà co-producteur de Bruce Contre-Attaque), qui le distribuera via sa Cie Eurogroup Films, et co-produit par sa sœur Janine Koob (par ailleurs comptable d'Eurogroup) via sa firme à elle Cinemagroup, La Filière Chinoise alias Black Spot est un charmant mélange de kung-fu à la française et de mauvais polar de Hong Kong conduit par une intrigue qui semble prendre soin, jusque dans ses moindres détails, ses moindres répliques, de n’éviter aucun des clichés les plus gentiment éculés.


André Koob, qui joue ici les chefs de la police.

Bruce et son beau sweat-shirt siglé "Eurogroup Films" : l'art délicat de l'autopromotion.


Comme cela s’entend, acteurs et dialogues sont à l’avenant, les doubleurs eux-mêmes ânonnant laborieusement leur texte, et un érotisme soft et le plus souvent complètement gratuit vient joyeusement compléter le tout (première paire de seins nus après 2 mn 19 sec. de métrage).


Autant de complaisance dans le plan nichon, même Bruce n'en revient pas !


Recyclant les poncifs les plus convenus, l’histoire en est la suivante : Wong travaille pour Marcos, un puissant chef mafieux grâce auquel il a gagné beaucoup d’argent, notamment par le biais de combats organisés clandestinement. Comme on peut le constater au début du film, Wong a les moyens de vivre heureux désormais : il a une plantureuse petite amie et donne des cours d’arts martiaux, sa clientèle étant exclusivement composée de belles et jeunes demoiselles.


La Côte d'Azur et Paris, ça se vend toujours bien à l'international.


Un petit côté "Miami Vice" meets "Le Parrain" à la sauce franchouillarde.


Mais quand il annonce au parrain qu’il souhaite se retirer, estimant en avoir fait assez pour mériter sa liberté, ce dernier refuse, l’oblige à combattre une nouvelle fois, puis le nomme à un poste clé de l’organisation, à Taïwan. Mais ce que Marcos ignore, c’est que Wong collabore désormais avec la police, après avoir été arrêté par un inspecteur parisien ayant su le prendre par les sentiments au cours d’un interrogatoire musclé : « Bien, écoute-moi... donc, tu ne veux pas travailler pour nous, c’est bien ça ?! Mais... tu oublies que pendant TROIS ANS tu as passé de la DROGUE pour Marcos. Par ta faute, des MILLIERS de JEUNES sont MORTS !! Tout est là ! (avec agacement, il agite sous les yeux tuméfiés de Wong une feuille de cahier d'écolier pliée en quatre qu’il vient de tirer de sa poche) Choisis bien ton destin... ».


L'interrogatoire assuré par Jean-René Gossart, un habitué de chez Eurociné.


Ainsi, la police française, finaude quoi qu’on en pense, fait croire à son évasion pour lui permettre de rejoindre l’organisation comme si de rien n’était (speaker radio : « Nous apprenons que Bong Wang s’est évadé cette nuit des locaux d’Interpol à Paris. Il est connu comme étant fou »). Il va maintenant devoir démanteler la filière chinoise, à savoir un important réseau d’héroïne en provenance d’Asie.


Une superbe affiche thaïlandaise.


Principal intérêt du film : le fait que Wong soit interprété, comme nous l'avons dit, par Bruce Le, un des innombrables clones de Bruce Lee (et sans doute le plus populaire avec Bruce Li). Comme d'habitude celui-ci ne démérite pas et assure parfaitement sur le plan martial, même s’il s’avère malheureusement beaucoup moins expansif que dans certains de ses précédents films. On imagine qu'à ce stade de sa carrière, Bruce Le ressentait le besoin de se démarquer de son modèle (la vague de la bruceploitation était passée depuis plusieurs années déjà), et son jeu semble avoir un peu gagné en sobriété... D'ailleurs il ne se fait plus créditer "Bruce Le" mais simplement "Bruce", et semble avoir largement mis la main à la pâte pour la réalisation, notamment dans la seconde partie du film tournée en Chine continentale.
 



Bruce la joue plus sobre que d'habitude... heureusement les mauvaises habitudes ne sont jamais bien loin quand même.


Réglés comme souvent par Bruce lui-même, les combats, parfois légèrement accélérés, sont basiques mais pas trop mal exécutés, invariablement ponctués cependant par deux bruitages récurrents (coup de pied / coup de poing). Les scènes de fusillades s’avèrent elles plus cheap mais restent malgré tout fonctionnelles. A noter quand même l'utilisation de vrais chars, sans doute mis à disposition par l'armée chinoise.


Niveau action, la partie chinoise du film ne lésine pas sur les moyens et se donne des allures bondiennes.


Comme tout nanar qui se respecte, La Filière Chinoise offre quelques scènes mémorables, notamment un combat dans une arène improvisée avec un géant asiatique extrêmement laid et réellement impressionnant (Bruce Le – qui pourtant n’est pas un nain – arrive au nombril de la brute, interprétée selon les souvenirs d'André Koob par un basketteur chinois). Au cours de cette séquence, qu'on devine inspirée par la scène d'intro de Rambo 3, de savoureux rugissements de fauve ont été ajoutés sur la bande-son, probablement pour mieux retranscrire toute la sauvagerie de l'affrontement et la fièvre de la foule hystérique qui s’accroche aux grilles branlantes.

Après avoir brisé l’échine d’un adversaire, le géant éventre cruellement un mouton et se délecte de son sang tout chaud sous le regard désapprobateur de Wong. S’improvisant justicier de la cause animale, ce dernier fait bientôt subir les pires outrages à la brute, lui arrachant du torse une pleine poignée de poils bien velus (tel Bruce Lee dans Le Jeu de la mort) avant de lui crever les yeux d’une judicieuse fourchette de ses petits doigts crochus et de le mettre KO en trois coups de poings (quelque part dans la foule des parieurs, il m’a semblé distinguer Brigitte Bardot applaudissant à tout rompre).




Le combat le plus impressionnant mais aussi le plus ridicule du film.


A celles et ceux qui en veulent toujours plus, voici encore un exemple de dialogue bidonnant entre des gangsters pas vraiment crédibles (n’oubliez-pas, ces gars-là sont censés être de vrais pros) :
- Gangster N°1 (il a des trous de mémoire) : « Dites-moi, le chemin par Bangkok est aujourd’hui impossible... Mmmh... c’est pourquoi... euh... [son texte lui revient enfin] nous devons choisir une autre route !
- Gangster N°2 (rassurant) : J’ai prévu tout ça, nous passerons à travers la Chine.
- Gangster N°1 (incrédule) : La Chine ???
- Gangster N°2 (moyennement convainquant) : C’est ça... Cette route est a priori très dangereuse, c’est vrai... mais, euh... c’est aussi la plus sûre ! »


Aux deux tiers du métrage, observant les paysans chinois trimer dans les champs sur fond de musique orientale sereine, Bruce prend des poses de philosophe post-moderne à la BHL, mains dans les poches et lunettes de soleil sur le nez. Il soliloque, accouchant de la première réplique pertinente du film : « Le pavot pousse partout sur ces montagnes et tous ces gens qui le cultivent n’imaginent pas que ces fleurs peuvent ruiner la vie de tant d’hommes... ». Une bonne pensée en amenant une autre, cette réflexion le conduit bientôt à un douloureux dilemme : « Ma tâche est d’éliminer une bande de trafiquants de drogue, pas de mettre en péril la vie de ces paysans... Comment vont-ils vivre sans la récolte du pavot ? ». Et paf, en plus d’être chinois, le casse-tête de la filière devient carrément aporétique. Pour ne pas trop perturber le public ciblé, momentanément déboussolé par ce rejet soudain du manichéisme (mais… mais… zut ! Bruce y peut donc pas leur latter la gueule à tous ces sales niakoués qui font rien qu’à faire pousser de la drogue pour tuer des pauvres gens innocents ???), cette interrogation déchirante prendra bientôt fin avec la mort de Wong, au terme d’une séquence finale un peu foutraque.

Un mot sur l'actrice qui incarne la copine de Bruce, et qui ne semble pas vraiment concernée par ce qu'elle tourne. Elle traverse le film (son seul film d'ailleurs) avec un manque d'entrain effarant.


En femme d'action, ne maîtrisant pas vraiment son arme.


Inquiète, puis molestée par un méchant.


Soutenant Bruce lors d'un combat clandestin face au géant qui éventre un mouton.

 



ADDENDUM


Quelques précisions apportées par André Koob, personnage lucide et plein d'humilité qui raconte qu'il est venu au cinéma par hasard mais a eu l'intelligence de très vite comprendre ses limites, à la fois comme comédien ("j'ai tout de suite la voix blanche et je ne sais pas me post-synchroniser...") que comme réalisateur (il s'est d'ailleurs concentré sur la distribution de films par la suite). André Koob nous a expliqué avoir fait ce film "pour rendre service à Bruce Le, mais sans grande conviction, parce qu'à l'époque les films de kung-fu ne marchaient déjà plus très bien". Le film s'est monté pour quelques dizaines de milliers d'euros à peine, sans l'aide du CNC "parce qu'il n'y avait qu'une dizaine de pages de script en chinois" (!) mais avec un visa d'exploitation en bonne et due forme malgré tout.

Les scènes "françaises" de La Filière Chinoise ont été tournées par André Koob en moins de dix jours, à Paris et dans une villa que le réalisateur possédait à Hyères. C'est le prolifique Max Monteillet qui est crédité comme directeur photo ou caméraman sur des productions Eurociné (L'Abîme des morts-vivants,Le Lac des morts vivants, Panther Squad), des films de Jean Rollin (La morte vivante, Perdues dans New York, Killing Car) mais aussi sur le mondo Saint-Tropez interdit, Ardeurs perverses de Michel Lemoine, Touch' pas à mon biniou, Les chômeurs en folie, et surtout chef op' ou caméraman sur de nombreux films de Jean-Marie Pallardy (L'insatisfaite, Trois filles dans le vent, Body-body à Bangkok, Une femme spéciale, White Fire / Vivre pour survivre ou encore Overdose). Quant aux scènes asiatiques, elles ont bien été tournées en Chine, avec le soutien de l'armée. Bruce Le aurait lui même tourné ces scènes (à moins que ce ne soit son associé Joseph Kong alias Joseph Velasco qui s'en soit chargé, Le ne s'occupant comme souvent que de la mise en scène des combats).



André Koob nous a notamment narré cette anecdote : lors des prises de vue en Chine, Bruce Le tourne notamment "avec une actrice blonde, fille de l'ambassadeur d'Espagne dans ce pays". Puis surviennent les évènements de Tian'anmen (avril-Juin 1989), le tournage en Chine se bloque, cette actrice blonde quitte le pays comme beaucoup d'autres ressortissants étrangers. Du coup, André Koob se met à la recherche d'une actrice qui lui ressemble et dégotte... Fanny Aubertin, qui deviendra l'épouse de Koob mais ne finira pas le tournage, amenant ce dernier à devoir dégotter une 3ème actrice blonde pour pouvoir boucler le film ! Il y a donc trois actrices différentes qui jouent le même personnage, mais selon Koob ça ne se voit pas, et nous ne l'avons effectivement pas remarqué.

Fanny Aubertin, future épouse d'André Koob, apparaît sur l'affiche le fusil en main. La photo a été prise dans leur jardin, juste avant la conception de cette affiche, et assez mal détourée (on peut voir des bouts de pelouse au dessus de sa main gauche).

- John Nada -
Moyenne : 2.08 / 5
John Nada
NOTE
3/ 5
Rico
NOTE
2/ 5
Kobal
NOTE
1.25/ 5

Cote de rareté - 6/ Introuvable

Barème de notation

Sorti en salle puis en VHS chez "CBS Fox", le film, malgré un passage télé, a été depuis totalement oublié. Sorti en 1991 sous le titre "Black Spot" dans les pays anglo-saxons. C'est le dernier film de la veine Bruceploitation pour Le, qui s'est, dit-on, cassé la jambe pendant le tournage.