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Ne Réveillez Pas un Flic Qui Dort


Ne Réveillez Pas un Flic Qui Dort

Titre original : Ne Réveillez Pas un Flic Qui Dort

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :José Pinheiro

Producteur(s) :Alain Delon

Année : 1988

Nationalité : France

Durée : 1h37

Genre : En France on n'a ni pétrole ni idées, mais on a Alain Delon

Acteurs principaux :Alain Delon, Michel Serrault, Xavier Deluc, Patrick Catalifo

Nikita
NOTE
2.5/ 5

Les nanars hexagonaux sont un aspect très particulier du génie français : ça passe ou ça casse, on aime ou on déteste. Qu’il s’agisse de comédies (mais ce filon a tout de même pas mal de fans) ou de films d’action, les mauvais films de genre français ont un aspect un peu plus « brut de décoffrage » que leurs équivalents américains ou italiens. Est-ce l’absence de distance culturelle qui nous empêche souvent de rire des nanars français, et nous amène à les ranger d’emblée dans la catégorie des navets tristouilles ? Et pourtant le nanar de chez nous, c’est souvent du gras, du lourd, du violent, bref de la bêtise pure qui n’a même pas pour alibi de s’étaler dans un décor post-apocalyptique.



Ainsi, la capilotade du cinéma grand public français dans les années 80 nous a offert quelques catastrophes tout à fait réjouissantes, qui ne demandent qu’à être redécouvertes. Le polar français notamment, jadis fer de lance de nos réussites commerciales, s’est vautré sur la mode du « néo-polar » clip, chic et choc (« Rue Barbare », « Bleu comme l’enfer »), qui a horriblement vieilli aujourd’hui. Parallèlement, le cinéma français d’action moins « branché » entamait lui aussi sa descente aux enfers, avec le déclin commercial de ses deux plus grandes vedettes, Jean-Paul Belmondo et Alain Delon. Si « Le Solitaire » avait enterré en 1986 la carrière du Belmondo justicier dans la ville, Delon allait attendre deux ans pour le suivre dans les oubliettes des héros de cinéma, grâce à ce « Ne Réveillez pas un flic qui dort » totalement grotesque.



Jadis partagée très intelligemment entre films de divertissement et films d’ « auteur », la carrière de Delon allait connaître à partir des années 70 un glissement de plus en plus perceptible vers le commercial bas de gamme, au fur et à mesure que la personnalité de Delon se faisait plus envahissante, produisant les films dont il tenait la vedette et ne tolérant plus que des réalisateurs à ses ordres. Edouard Molinaro, metteur en scène de « L’Homme pressé », se souvenait ainsi de rapports de force « dramatiques » avec un Delon dont l’image publique se ressentait de plus en plus de son arrogance manifeste. Les films de Delon, parfois mis en scène par lui-même, viraient ouvertement à l’écrin tout à la gloire de leur vedette, figée dans une attitude de samouraï justicier toujours plus hiératique et ombrageux. L’image de Delon justicier phagocytait rapidement l’image de Delon acteur de composition, les titres de ses films se ressentant de cette évolution : « Un Flic », « Flic story », « Pour la peau d’un flic », « Parole de flic », et enfin cette cata mirifique.


Y a t-il besoin d'une autre ouverture ? Delon, simplement Delon et tout est dit...



« Ne Réveillez pas un flic qui dort » réalisé par José Pinheiro, quasi-majordome de Delon, est une tentative de concilier le Delon héros de polar avec la vogue du « néo-polar » littéraire né dans les années 70. A ne pas confondre avec le « néo-polar » clipesque qui sévissait au cinéma, ce courant disparate, illustré notamment par des auteurs comme Jean-Patrick Manchette, A.D.G., Pierre Siniac ou Frédéric H. Fajardie, se distinguait par une violence souvent nihiliste, mâtinée de critique sociale parfois gauchiste, et un style littéraire innovant. Alain Delon s’était déjà emparé de cette nouvelle vogue de la Série Noire en adaptant « La Position du tireur couché », chef-d’oeuvre de J.P. Manchette, qui était devenu « Le Choc », le jeune tueur loser de Manchette étant changé en un super-pro imbattable.


L'affiche russe



C’est cette fois à Frédéric H. Fajardie et à son roman « Clause de style » que s’attaque Delon, pour un véritable massacre en règle. Il est vrai que Fajardie s’y prêtait tant son univers regorge de violence gore et « hénaurme » et de thèmes anarcho-pouet-pouet d’un extrêmisme à la limite du canular (lire notamment « Tueurs de flic » ou « Sniper » ; Fajardie est un ancien maoïste à l’humour plus noir que noir). Traité avec des moufles, son univers outrancier se prête très facilement à la parodie involontaire, pour aboutir à une pure beauferie gauchisante. Or, cette beauferie potentielle se heurte à une autre idiotie, celle qui sous-tend l’univers de Delon superflic. Construit tout à la gloire d’Alain Delon le justicier-imbattable-révolté-par-la-corruption-et-la-décadence-mais-qui-va-secouer-tout-ça, le monde « Delonien » pourrait être catalogué comme un univers nanar « de droite ». Quand un beauf de droite rencontre un beauf de gauche, qu’est-ce qu’ils se racontent ? Des histoires de beauf. C’est donc à la rencontre explosive de deux idioties parallèles que nous assistons : pour caricaturer, le Delon justicier « de droite » se trouve ici projeté dans l’univers « de gauche », axé à 100% sur la dénonciation du « fascisme rampant », de Fajardie.


"-Dis Alain, ne vois-tu rien venir ?
- Si, je vois la suite de ma carrière... "Dancing Machine", "Le Jour et la Nuit", "Une Chance sur Deux"... et soudain j'ai peur..."



Au cours des années 80, Alain Delon avait suscité quelques polémiques en proclamant sa sympathie (plus personnelle que politique) pour Jean-Marie Le Pen. A-t-il voulu corriger cette image (tel Eastwood affrontant les fachos dans « Magnum Force ») en adaptant un auteur « gauchiste » ? C’est possible, mais il n’a pas choisi le plus subtil de la bande, et l’adaptation a manifestement empiré un discours engagé déjà bâti à la truelle !

Le récit du film s’inspire en partie d’événements du début des années 80. Un groupuscule néo-nazi, la FANE, s’était avéré avoir quelques adhérents dans la police. L’ancien soixante-huitard devenu braqueur Pierre Goldman (frère de Jean-Jacques Goldman) avait été assassiné par un mystérieux groupe « Honneur de la police ». Peu importe que la FANE n’ait été qu’un petit club de cinglés ou que Honneur de la police ne se soit plus manifesté, une psychose était née sur l’infiltration de la police par un énigmatique ordre noir.


Tu verras petite, grâce à moi un jour tu auras ta photo dans Cinédestin...



Le récit de Fajardie est tout entier bâti sur cette peur : des gangsters, puis un ancien terroriste d’extrême-gauche, sont assassinés par un groupe de justice expéditive nommé « Fidélité de la police », dirigé par le fanatique Commissaire Scatti (Michel Serrault). Le Commissaire Divisionnaire Grindel (Alain Delon) va évidemment leur botter le cul, non sans avoir donné de grands coups de pied rageurs dans la fourmilière. Ce point de départ pouvait donner un navet sinistre et il n’en est pas toujours très loin, tant la violence est complaisante, les dialogues mauvais, les personnages clichetonneux ou inexistants. Mais nous sommes au contraire – à mon humble avis – face à un somptueux nanar à la connerie atomique.

Alain Delon est un superflic invincible aux sourcils éternellement froncés et au regard d’acier, qui ne s’exprime que par aphorismes et formules à l’emporte-pièce : « Un con tout-terrain reste un con », « Arrête ton cinéma et joue-là plutôt Paramount », « Le Brigadier Alvarez ne se nourrit que de merguez avariées, c’est un transfuge de la macrobiotique ! », « Mais je ne ressens aucune douleur, j’ai juste envie de dégueuler partout et de lui enfiler mon flingue dans les couilles ! », autant de répliques qui nous font regretter que Michel Audiard ait été indisponible pour raison de force majeure. Alain Delon identifie tout de suite les méchants ; Alain Delon se tape une top-model moulée dans une robe scintillante comme une boule de discothèque ; Alain Delon habite à Saint-Cloud car c’est un gagnant ; Alain Delon vise toujours juste alors que les méchants le ratent tout le temps ; Alain Delon n’est pas une tarlouze, nom de Dieu !


"Tu sais qu'en japonais "Alain Delon" veut dire "puissance sexuelle illimitée ?"



Mais le vrai atout nanar du film, c’est Michel Serrault. Le grand acteur, visiblement peu convaincu par un rôle d’une totale absence de subtilité, surjoue comme un malade, tout en regards féroces et grimaces haineuses, et aboie ses répliques tandis qu’il passe son temps à faire assassiner quiconque lui déplaît, à coups de fusils, de couteaux, de tenailles, de lance-flammes ou de bazookas. Son personnage est une espèce de sous-caricature caricaturale de caricature de fasciste comme le militant le plus primaire de Ras L’Front doit le concevoir dans ses cauchemars éthyliques : Serrault en réussit presque à être plus drôle que dans « La Cage aux folles » !


"Oh ben qu'est-ce que vous voulez, quand je m'emmerde sur un tournage, je cabotine... je peux pas m'en empêcher !"



Le scénario évolue au rythme d’assassinats tous plus brutaux et sadiques les uns que les autres, et réussit à être totalement désopilant à force d’absence d’humour et de rebondissements téléphonés. A noter aussi que le récit montre une indulgence tout à fait nauséeuse pour l’ancien terroriste (Féodor Atkine) qu’assassinent les sbires de Serrault. Une scorie de Fajardie, je suppose…

L’échec complet du film à bâtir une histoire policière crédible ne laisse au spectateur que la possibilité de s’esbaudir devant tant d’âneries. Le pompon se trouve quand même dans la scène située dans le QG de « Fidélité de la police », où Serrault, entouré de drapeaux français et d’insignes fascisantes, trône au milieu d’une assemblée de vieilles barbes pétainistes à béret basque. On se croirait presque dans le pire des pastiches de Karl Zéro…


La qualité made in France, ça fait tout de suite la différence...



Nous sommes là en présence d’une nanardise bien grasse et épaisse, d’une beauferie gras-double typiquement française, que tous ne peuvent pas supporter, mais qui pour l’auteur de ces lignes représente un véritable délice. La série Z française possède un charme vénéneux et décadent que connaissent ceux qui ont vu « Overdose », et qui contamine ici un cinéma grand public en pleine débandade. Catastrophique pour l’image de Delon, dernier clou dans le cercueil du polar français, « Ne Réveillez pas un flic qui dort » est aujourd’hui presque plus connu par la parodie que lui consacrèrent les Inconnus (« Ne réveillez pas les couilles d’un flic qui dort »). L’heure est venue de lui rendre justice : Alain Delon n’est pas seulement un demi-Dieu en Asie du Sud-Est, c’est aussi, quand il veut, un super king du nanar !


"Bande de petits cons... Oser me faire ça à moi... Vraiment la France ne mérite pas Alain Delon !"


- Nikita -
Moyenne : 2.38 / 5
Nikita
NOTE
2.5/ 5
Rico
NOTE
3/ 5
LeRôdeur
NOTE
0/ 5
MrKlaus
NOTE
4/ 5
Jack Tillman
NOTE
1.75/ 5
Drexl
NOTE
3/ 5

Cote de rareté - 1/ Courant

Barème de notation
"Fox Pathé Europa" a édité le film en DVD dans sa collection "Alain Delon". On pourra quand même regretter que pour le prix (minimum 20 €) on doive se contenter d'une bande annonce pour tout bonus.

Mais Alain Delon ne se vend pas au rabais, monsieur... c'est un article de luxe !