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Tarzan Korkusuz Adam

(1ère publication de cette chronique : 2013)
Tarzan Korkusuz Adam

Titre original : Tarzan Korkusuz Adam

Titre(s) alternatif(s) :Tarzan the Mighty Man

Réalisateur(s) :Kunt Tulgar

Année : 1974

Nationalité : Turquie

Durée : 1h10

Genre : Greystock-shot, la légende de Tarnaze seigneur des singeries

Acteurs principaux :Altan Günbay, Yavuz Selekman, Yesim Yükselem, Kudret Karadag, Gülgün Erdem, Yasar Sener, Arap Celal, Hakki Kurt, Ali Ardiç

Jack Tillman
NOTE
3.5/ 5

Tarzan est indéniablement l'un des personnages de fiction les plus ancrés dans l'imaginaire populaire mondial. Pourtant, le personnage créé par Edgar Rice Burroughs dans le roman "Tarzan of the Apes" en 1912, premier d'une série de 24 volumes, était assez différent du héros qu'a retenu la mémoire collective : à l'origine Tarzan était un personnage à la fois réaliste et surhumain, un être sauvage, parfois franchement cruel, tiraillé par des questions identitaires, animé par une perpétuelle volonté de comprendre le monde qui l'entoure et de se comprendre lui-même, et qui effectuera une éducation inversée puisqu'il apprendra de lui-même à lire bien avant d'apprendre à parler et de rencontrer d'autres hommes. Jamais John Clayton, comte de Greystoke, n'a parlé en petit nègre dans les romans, il portait avec élégance le costume trois pièces dans les rues de Paris, faisait des discours à la Chambre des Lords et fut même officier de la Royal Air Force pendant la Seconde Guerre mondiale, Jane et lui ne vécurent pas dans une cabane dans un arbre en pleine jungle mais partagèrent leur vie commune entre son domaine familial en Grande-Bretagne et son ranch d'Afrique orientale, et Cheetah n'était pas un chimpanzé mais une panthère. Mais qu'importe.

 


Les romans étaient riches en action et en péripéties, parfaitement adaptés au rythme du cinéma d'aventures, et c'est Burroughs lui-même qui amena, non sans difficultés, son héros à être porté à l'écran où il connut le succès dès 1918 sous les traits du musculeux Elmo Lincoln. Après cela les adaptations muettes puis parlantes se succédèrent ainsi que les interprètes de l'homme-singe, jusqu'à celui qui allait devenir en 1932 LE Tarzan définitif : Johnny Weissmuller, un champion de natation qui incarna la nouvelle image de Tarzan, à la fois très proche et éloignée du personnage des romans. Doté d'un charisme et d'une animalité naturelle rares, Johnny Weissmuller transcenda les exigences des producteurs qui lui imposaient un torse et un visage glabre - ce qui pour un homme ayant passé sa vie dans la jungle élevé par des singes était un peu à côté de la plaque - et livra une performance qui en fit sans conteste le Tarzan le plus iconique du cinéma, accompagné par une Jane/Maureen O'Sullivan adorable, et magnifié par le charme inaltérable de la réalisation. Après ce vif succès (Johnny Weissmuller jouera le rôle de Tarzan dans 12 films), un nombre incalculable de seigneurs de la jungle allaient déferler sur les écrans : Buster Crabbe, Glenn Morris, Lex Barker, Gordon Scott, Jock Mahoney, Ron Ely, etc.

 


"Tarzan the Mighty" (1928), de Jack Nelson & Ray Taylor, avec l'impavide Frank Merrill dans le rôle-titre.


S'éloignant toujours un peu plus du sauvage farouche décrit par Burroughs et sombrant parfois dans un infantilisme complet, la série des Tarzan conservait néanmoins un charme kitsch certain. Cependant, face au "Tarzan l'homme-singe" (1981) de John Derek, dans lequel Miles O'Keeffe se faisait voler la vedette par une Bo Derek plus cruche que jamais, il apparut clairement que la déconnade devait connaître une fin et que le héros devait retrouver sa noblesse. C'est ainsi que l'on se pencha de nouveau sur les écrits de Burroughs qui prenaient la poussière depuis un bon moment pour réaliser l'excellent "Greystoke" (1984), qui offrit à Christophe Lambert son meilleur rôle. Mais ce retour aux sources ne devait pas empêcher le roi de la jungle de revenir sous les traits de Joe Lara et de Casper Van Dien dans des adaptations un peu moins glorieuses...

 


Quand on parle du singe...


Souvent kitsch mais de bonne tenue, le fils de la brousse connut tout de même quelques aventures hautement nanaresques au fil d'adaptations moins officielles à travers le monde entier, comme l'italien "Karzan, maître de la jungle" et son T bricolé pour former en catastrophe un K au générique et son énigmatique Johnny Kissmuller Jr. au brushing indestructible combattant un intermittent déguisé en gorille, ou encore la comédie "Tar-San", pastiche affligeant comme les Philippins semblent les affectionner, pour reprendre des exemples déjà chroniqués en ces lieux. Les Turcs, mus par leur traditionnel mépris du copyright, ont également produit quelques Tarzan, et c'est l'un d'eux qui nous intéresse aujourd'hui.

 


Roulement de tam-tam, après un long prologue, cette chronique va enfin parler de "Turkish Tarzan".


"Tarzan Korkusuz Adam" a ceci de particulier qu'il constitue un véritable festival de stock-shots, tant l'emploi d'images empruntées à d'autres productions ou à des documentaires est ici conséquent et particulièrement grossier. Pourtant, comme le film a été tourné en noir-et-blanc afin d'utiliser le plus possible d'images de Johnny Weissmuller et de ses collègues des années 30/40, il est moins facile de distinguer les stock-shots des scènes tournées par le réalisateur et c'est surtout grâce aux différences de luminosité que la supercherie nous apparait voyante. Mais j'aurai l'occasion de revenir sur ce point après vous avoir exposé l'intrigue mise en scène par Kunt Tulgar.

 



Le talent de ce réalisateur consiste essentiellement à relier les stock-shots entre eux par une histoire qui reprend scrupuleusement le cahier des charges et l'imagerie des Tarzan de papy Weissmuller. Inutile de parler le Turc pour comprendre tous les tenants et aboutissants du scénario : trois aventuriers accompagnés de trois guides douteux et de leurs porteurs noirs à coupes afro-américaines explorent le Congo à la recherche d'un (stock-shot de) trésor, et tombent bientôt nez à nez avec un grand costaud à rouflaquettes, vêtu d'un pagne et affichant un sourire béat : Turkish Tarzan. Tourné pour une poignée de lires (en gros de quoi acheter six casques coloniaux et quelques fusils en plastique dans un magasin de farces-et-attrapes) dans la campagne aux alentours d'Istanbul, avec une quinzaine d'acteurs faisant ici leurs armes dans le cabotinage avant de postuler au casting de "Turkish Star Wars", ces péripéties exotiques baignent dans une non-crédibilité constante et donnent l'impression d'un hommage amateur torché par une bande de potes nostalgiques des sérials coloniaux de l'entre-deux-guerres.

 




Ooooohh, quels stock-shots enchanteurs ! C'est follement excitant !

Scoop ! Les Turcs ont colonisé le Congo !



Alors, ils n'inspirent pas la confiance nos guides touristiques ?


Riches ! Nous sommes riches !
T'excite pas coco, c'est qu'un stock-shot...


Parlons un peu des acteurs et de leurs personnages. Tarzan est interprété par Yavuz Selekman, qui connut une carrière bien remplie, surtout durant les années 70 (on le vit par la suite dans "En Büyük Yumruk"). Entre un "Battal Gazi" et un "Kara Murat" dans l'ombre de Cüneyt Arkin, le voilà qui se voit confier le rôle de Tarzan en personne. Du sur mesure pour ce comédien qui se lance dans un festival de sourires neuneux et d'airs satisfaits dignes d'un type content d'avoir lâché une caisse en public (clin d'oeil appuyé à "F.A.R.T : The Movie"). Le reste du temps, il fait le réveil-matin pour les z'animaux de la forêt et sert de plan de coupe entre deux stock-shots de Weissmuller.

 


Stunt double to Mister Yavuz Selekman : Johnny Weissmuller.

Dans la jungle, les stock-shots rôdent mais Tarzan veille.

COCORICOOO !!!


Jane est jouée par Yesim Yükselen, une Turkish playmate vue dans "3 Supermen and Mad Girl", qui hurle au secours dès qu'un stock-shot de mouche se met à péter. Il y a aussi Altan Günbay qui joue l'archéologue moustachu, et dont la fonction se réduit à jouer le chef de l'expédition, à part ça sa personnalité n'est pas plus étoffée que ça. Et il y a également le personnage comiquo-désopilo-hilarant, Yasar Sener, qui constitue l'archétype du sidekick énervant, aussi vantard que pétochard, aussi grotesque qu'affligeant. Notons qu'il effectue également des tours de magie à base de pièce de lire tirée de l'oreille qui impressionnent vivement les Noirs rigolards et superstitieux. Ca c'est pour les gentils. Quant aux méchants, ce sont les trois guides louches. Le cerveau, Kudret Karadag, un moustachu chevelu fourbe, et ses sbires, deux Turkish Dupont & Dupond qui se retrouveront séparés du reste de l'équipe sans que les autres s'inquiètent un instant de leur sort. Ce qu'il y a de bien avec le nanar turc, c'est que par delà la barrière de la langue, on voit tout de suite où sont le Bien et le Mal.

 


Turkish Jane (dans la jungle, personne ne vous entend crier...)

Turkish, euh... Turkish Le Chef.

Turkish Le Boulet.

Turkish Le Méchant.

Je t'avais dit de prendre à gauche à Albuquerque !


Reprenant tous les temps forts du classique de W. S. Van Dyke et de ses suites, le film ne se limite pas à la fonction de simple ersatz puisqu'il plagie carrément les scènes cultes au plan près, tel un Nono Mattei en pleine inspiration. Difficile également de ne pas remarquer que l'Afrique noire ressemble à s'y méprendre à un sous-bois quelconque, et que la tribu des sauvages jetant leurs victimes dans un stock-shot de fosse aux lions doit être jouée par les mêmes figurants noirs qui incarnaient les porteurs auparavant. L'indigence budgétaire se fait particulièrement ressentir lors de la magnifique chute d'un mannequin en mousse admirable de franchise. Ce coup d'éclat reste pourtant une exception : en fait ce Turkish Tarzan est tellement fauché que la majorité des scènes nécessitant le moindre effet spécial proviennent d'un nombre incalculable de stock-shots.

 




Quand il n'est pas doublé par Weissmuller, Turkish Tarzan est doublé par un mannequin en mousse.


Vous avez été capturés par des sauvages africains à peine bronzés ? Appelez SOS Cheetah, son stock-shot se chargera d'aller chercher l'aide de Tarzan.


Car comme dit plus haut, ce "film" est un déluge de stock-shots, issus de sources diverses (documentaires animaliers, vieux Tarzan des années 30) mais tous très mal intégrés à un récit bricolé, comme le ferait un gamin avec des briques lego de couleurs différentes. Pour pallier un manque carentiel de moyens, le réalisateur effectue son montage au rythme effréné d'un stock-shot tous les trois plans, sans pour autant qu'aucun d'eux ne fasse illusion. Déjà impliqué au générique d'un "Tarzan Istanbulda" également bien cheapos mais moins ridicule datant de 1952, Kunt Tulgar n'hésite pas à recycler le même stock-shot d'attaque de rhinocéros ainsi qu'un stock-shot de tigre (en Afrique !) issus du film pré-cité. Il ne craint pas non plus d'utiliser des dizaines de plans de Johnny Weissmuller où l'on distingue très bien le célèbre acteur, ainsi que des séquences de "Tarzan's revenge" avec Glenn Morris sautant d'arbre en arbre, entre deux plans de Turkish Tarzan serrant sa liane et s'étirant pour pousser son cri de la mort. D'ailleurs, c'est évidemment le fameux cri poussé par Weissmuller, propriété de la MGM, qui est repris à toutes les sauces.

Chercher l'intrus : une de ces images n'est pas un stock-shot, sauras-tu la retrouver ?

 





Comme le scénario est au service des stock-shots disponibles, disons qu'il manque un peu d'épaisseur et se révèle même con comme la lune. Ainsi Turkish Jane part se baigner dans la rivière (plan soutien-gorge offert) et est attaquée par des stock-shots de crocodiles, Turkish Tarzan arrive alors à la rescousse, est doublé par Johnny Weissmuller pour affronter le croco, puis Turkish Tarzan embarque Turkish Jane sur son arbre pour une séance de "Moi Tarzan, toi Jane". Aussitôt Turkish Tarzan parti chercher des bananes pour sa compagne, Turkish Jane essaye de s'enfuir et tombe dans les sables mouvants. Secourue une nouvelle fois, Turkish Jane tente de nouveau de se barrer et est attaquée par un stock-shot de lionne. Elle court alors se réfugier dans les bras de son chimpanzé servant et c'est parti pour un concours de natation piqué à "Tarzan l'homme-singe", puis une scène sous-marine chipée au "Trésor de Tarzan" de Richard Thorpe. Résumé : Jane se fait sauver trois fois en moins de dix minutes et même pas par Turkish Tarzan lui-même mais par des stock-shots de Johnny Weissmuller. Après Miles O'Keeffe qui refile tout le boulot à son sidekick, les Turcs ont inventé un nouveau concept : le héros qui refile tout le boulot à son stock-shot !

 



Aucun croco en mousse ne résiste au stock-shot de Turkish Tarzan !

Sale exploiteur de stock-shots ! (Et il est content de lui en plus !)

Remarquez, Turkish Jane, elle, laisse Maureen O'Sullivan prendre tous les risques.


Outre ses "emprunts" à la série des Tarzan, le film va également piller "One Million B.C" alias "Tumak fils de la jungle", un film de dinosaures de 1940 qui a l'insigne honneur d'avoir eu ses scènes "recyclées" dans des dizaines d'autres films (parmi lesquels "Robot Monster") sur près de quatre décennies. Ici, alors que nos héros partent explorer un plateau (gros plans des acteurs gravissant un rocher et plans larges volés à "Tarzan l'homme-singe"), ils découvrent le classique stock-shot du combat entre un iguane et un crocodile nain affublé d'une crête dorsale dans un décor de carton-pâte, puis tentent d'échapper à un stock-shot d'éruption volcanique (plans larges de la maquette en éruption et des éboulis de roches fumantes made in "One Million B.C", suivis de plans grotesques des acteurs fuyant la pauvre dégringolade de deux-trois cailloux tombant le long de la paroi). Enfin, la musique de Turkish Tarzan va elle braconner les BO de "La planète des singes" et de "Ben Hur".

 


Des dinosaures surgissent, sans surprendre outre-mesure les membres du safari.

En haut, le volcan rugit, la montagne s'écroule...

En contrebas, trois graviers dévalent la pente mais, miracle ! il n'y a aucun blessé !


Voilà donc un bien bon nanar, attendrissant par son manque de moyens et son incapacité totale à le camoufler, qui vous replongera avec délices dans l'univers si kitsch et désuet des bobines d'aventures en mousse d'antan, avec son exotisme de pacotille, sa jungle en pots et son quota de morceaux de bravoure et de romance surannée. Lord Greystoke y a certes perdu un peu de sa prestance, mais quand on a été élevé par une guenon, il ne faut pas s'étonner si l'on se fait singer. Umgawah !

 


Un Tarzan, ça trompe énormément.



- Jack Tillman -

Cote de rareté - 7/ Jamais Sorti

Barème de notation

Le film a été un temps disponible sur Youtube, en turc non sous-titré, ce qui a permis de faire cette chronique. Hélas, depuis il a complètement disparu. On attend toujours que quelqu'un se dévoue pour une résurrection...