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Evelyne Kraft

(1ère publication de cette bio : 2010)

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Début 2009, certains lecteurs attentifs de la presse suisse en langue allemande ont pu tomber sur un étrange entrefilet. "La fiancée suisse de King Kong est morte". Terrassée par une crise cardiaque, Evelyne Kraft s'en est allée à 57 ans, le 13 janvier 2009, dans l'anonymat le plus complet. Son nom n'évoquera rien, ni en Suisse, ni ailleurs, pour 99% des cinéphiles. Mais pour nous, à Nanarland, elle restera à tout jamais Samantha : la tarzanne blonde en bikini peau de chamois qui court au ralenti dans les forêts himalayennes et fait tourner des léopards sur ses épaules dans Le Colosse de Hong Kong. Sa beauté et son enthousiasme illuminent littéralement ce pseudo King Kong chinois qui est devenu l'un des must de notre site.

C'est seulement un an et demi plus tard que nous avons découvert la mort de la belle Evelyne, alertés par une mention de Christophe Lemaire dans ses "cahiers du cinéphage" du numéro d'été 2010 de "Brazil". Attristés par cette nouvelle, nous avons tenu à lui rendre hommage au travers de cette biographie, forcément incomplète et parcellaire, tant la trajectoire de la blonde suissesse a été à la fois brève et discrète. Et pourtant, en huit ans de carrière et une dizaine de films, elle va traverser une bonne partie du cinéma bis mondial.



Ses débuts demeurent pour nous encore assez mystérieux. Ainsi, ses dates et lieux de naissance exacts restent incertains. Sans citer la moindre source, IMDB avance le 11 avril 1951 en Union Soviétique, info reprise telle quelle sur de nombreux sites, notamment anglophones. Pourtant, la plupart des nécrologies officielles ayant parues dans les journaux en allemand parlent eux de la date du 22 septembre de la même année à Zürich. Nous n'en savons de toute façon pas plus sur sa jeunesse.

Toujours est il que la belle fait sa première apparition en 1972 dans "Maison de Rendez-vous" alias "French Sex Murders", une de ces coproductions italo-germano-françaises comme le cinéma bis européen de l'époque en a le secret. Toutes les fées Carabosse du cinoche d'exploitation semblent se pencher sur les débuts de la suissesse : produit par Dick Randall, distribué en France par Eurociné, ce giallo pur jus où un tueur décime les prostituées parisiennes réunit, au côté d'une vieillissante Anita Ekberg, la fine fleur du cinéma de quartier du début des années 70. Howard Vernon, Barbara Bouchet, Rosalba Neri. Et même, en quasi figurants au détour d'une scène de night club, Gordon Mitchell et Mike Monty. A vrai dire, Evelyne n'y tient qu'un rôle secondaire, jouant la fille d'Howard Vernon, tout en candeur et en innocence virginale. Curiosité du film, l'enquête est menée par Robert Sacchi, un Américain qui a la particularité d'être le sosie d'Humphrey Bogart. Un giallo un peu cheap qui, d'après toutes les critiques, se laisse regarder si on aime le genre.





Après cela, Evelyne fait essentiellement carrière à la télé, en Suisse alémanique ou en Allemagne. Des petits rôles dans des téléfilms ou des séries télés comme "Ein Fall für Männdli", "Der Komissar" ou des shows comiques comme "Klimbin". Elle ne revient au cinéma qu'au milieu des années 70, grâce à une série de films familiaux pompant sans vergogne la Coccinelle de Walt Disney : les aventures de "Superbug" alias "Dudu", la Volkswagen jaune bourrée de gadgets.



Cette série de cinq films tournés entre 71 et 78 raconte les aventures d'une coccinelle Volkswagen intelligente qui peut voler, nager ou grimper aux murs, dans une atmosphère bon enfant à mi chemin entre les films Disney et les Terrence Hill-Bud Spencer. Un concept imaginé et réalisé par l'Autrichien Robert Mark (de son vrai nom Rudolf Zehetgruber) qui en profite pour incarner Jimmy Bondi, le pilote de cette drôle de machine. Autre personnage récurrent : l'acteur et cascadeur italien Sal Borghese, très populaire en Allemagne, qui joua entre autres les supermen en collant rouge bondissant et qui incarne ici Aldo, le copilote de la Cox.


Sal Borghese et Evelyne Kraft dans le grand monde.



Si la plupart des aventures de Dudu ne sortirent pas en salle chez nous, nous eûment quand même l'occasion de les voir en France lorsque quatre de ces films furent remontés pour former une série télé qui, sous le nom de "Superbug", fit le bonheur des mercredis après-midi jeunesse sur Antenne 2. Retrouvez ici le générique d'époque où l'on aperçoit furtivement Evelyne



La Suisse possède alors un petit secteur de la série B florissant, principalement tourné vers le marché germanophone. Bénéficiant de décors naturels magnifiques, elle fait le lien entre le savoir faire italien et le marché allemand. (D'autant que les différences linguistiques entre Allemands et Suisses allemands semblent être une source de quiproquos et de gags inépuisables pour les germanophones). Deux des films de la série sont tournés dans les Alpes. Evelyne apparaît dans deux rôles différents : une mécano futée dans "Ein Käfer für Extratour" et... une bonne sœur en 2CV dans "Das verrückteste Auto der Welt".





Après cela, profitant d'une superbe opportunité de carrière, elle décroche un nouveau contrat et s'envole pour Hong Kong. Au milieu des années 70, la célèbre compagnie Shaw Brothers, qui régnait jusqu'alors en maîtresse sur le cinéma de la colonie, est un peu en perte de vitesse. Le phénomène Bruce Lee et l'émergence de la Golden Harvest a donné un coup de vieux à ses films de sabre et ses sagas historiques. Les frères Shaw cherchent à donner un second souffle à leurs studios et, pourquoi pas, en s'ouvrant davantage au marché occidental. D'où la nécessité de trouver des gweilos, des acteurs qui pourront à la fois apporter une touche d'exotisme pour le public local et internationaliser davantage leurs productions. Par quel miracle la photo d'Evelyne a-t-elle atterrit sur le bureau des directeurs de castings hongkongais ? Mystère, auquel seul son agent de l'époque pourrait sûrement nous répondre. Elle n'est d'ailleurs pas la première, d'autres starlettes du cinéma bis européen se sont vues offrir des contrats en Asie par la Shaw, qui cherche alors des actrices très typées et qui n'ont pas peur de montrer leur anatomie dans des films d'exploitation racoleurs. Ainsi la Danoise Birte Tove, qui a participé à quelques sexy comedies en Scandinavie et qui vient offrir sa blondeur à des productions aux titres évocateurs : "Camp d'amour pour chiens jaunes", "Karateka au pays de l'érotisme" et "The Mini Skirt Gang", ou encore l'Autrichienne Sonja Jeannine, qui apparaît dans "Les vierges des mers chaudes" et dont la carrière va des "Schulmädchen Report" (une série de films érotiques allemands à prétexte sociologique) aux films de pirates italiens.


"3 Deadly Angels", un démarquage de la série à succès "Drôles de Dames" ("Charlie's Angels" en VO). Sur certaines affiches figure même l’accroche « Look out, Charlie! Here comes... the DEADLY ANGELS ». En Grèce, le film est carrément sorti sous le titre "Oi kitrinoi angeloi tou Charlie", ce qui signifie "Les Anges jaunes de Charlie" !



Toujours est-il qu'Evelyne débarque à Hong Kong en 1977 et se voit offrir un contrat de deux films. Tout d'abord "Les Anges de la Mort" / "3 Deadly Angels", polar d'action qui lorgne lourdement sur "Charlie et ses drôles de dames", où un commando de 3 fliquettes de choc (une Chinoise, une Coréenne et une Japonaise) mettent à bas un gang de voleur de bijoux sévissant dans toute l'Asie. Evelyne incarne leur patronne, une inspectrice britannique en poste à Hong Kong qui recrute ce trio d'agents d'élite. Hélas, malgré une affiche mensongère qui la place délibérément au premier plan, elle intervient peu dans l'action, si ce n'est dans le final où, après quelques combats, elle démastique les malfaisants au bazooka !



Et puis c'est Le Colosse de Hong Kong, où elle peut enfin donner toute la mesure de son talent. Un an plus tôt, Dino de Laurentiis avaient fait sensation avec son remake de King Kong. Les Shaw se sont aussitôt dit qu'ils pouvaient sûrement faire mieux. Raté. Acteur engoncé dans un costume de singe qui réduit en miettes des maquettes de buildings, effets spéciaux sur fond bleu à la limite de l'amateurisme, clichés coloniaux, exotisme de bazar et sentimentalisme sirupeux : le projet prend l'eau de tous les côtés pour le plus grand bonheur du nanardeur. Et pourtant, au milieu de tout cela, Evelyne Kraft irradie littéralement la pellicule. Elle joue complètement au premier degré son rôle d'orpheline, recueillie enfant par un gorille géant après le crash d'un avion dans la jungle, et devenue dès lors une tarzanne accomplie. Naturellement sportive, elle grimpe aux arbres, saute de lianes en lianes, multiplie les mamours à des tigres et des panthères. Son naturel et sa sensualité font le reste.



Vêtue de façon minimaliste pendant toute l'aventure, Evelyne n'a aucun problème avec la nudité. Autant dire que lorsqu'elle court au ralenti dans la jungle, son soutien-gorge en peau de bête a du mal à contenir sa poitrine, au grand désarroi du pauvre Danny Lee qui a visiblement du mal à suivre lors des scènes d'amour. Il faut dire que contrairement aux actrices chinoises qui demandent double salaire pour le moindre plan nichon, Evelyne sidère toute l'équipe technique en acceptant sans problème d'apparaître nue dans certains plans. D'après les rumeurs, il existerait d'ailleurs des scènes un peu plus dénudées du film qui ont été finalement retirées du montage final de ce qui est avant tout un film familial. Etonnement, certains plans de la poitrine d'Evelyne subsistent dans la bande-annonce internationale d'époque, mais pas dans le film. Pour tous les exégètes du plan nichon voici la bande-annonce hongkongaise où apparaissent quelques nudités et la bande-annonce de la version américaine, beaucoup plus prude.

Non ce n'est pas du voyeurisme, c'est de l'exactitude cinéphilique. C'est différent.


Evelyne sur une photo promo avec ce gros veinard de Danny Lee.



Pour la Shaw Brothers, ce film est un gros projet, avec un budget conséquent et un tournage de 6 mois. Il existerait d'ailleurs deux versions du film, dont une pour l'Inde où le Singe Géant ne meurt pas à la fin. Pour Evelyne, c'est surtout un bon souvenir où elle s'est beaucoup amusée, notamment à tourner avec les animaux.

Retour en Europe. Evelyne change totalement de genre avec "Arrête ton char… bidasse" (en Allemagne "Oh la la - Die kleinen Blonden sind da", faut il vraiment traduire ? Oui ? Et ben non ça vous apprendra à avoir choisi espagnol en deuxième langue). Une gaudriole militaire comme la France en produit fièrement des dizaines à l'époque. Darry Cowl, Pierre Tornade et Robert Castel sont censés faire régner la discipline dans une base militaire française en Allemagne (rappelons pour les plus jeunes que depuis l'armistice de 45 et jusqu'à la chute du Mur de Berlin, l'armée française possédait des troupes stationnées en Allemagne de l'Ouest et que de nombreux jeunes français partaient faire leur service militaire de l'autre côté du Rhin.) Evidemment, nos pious pious sont plus intéressés par l'idée de faire le mur pour aller dragouiller les petites fräulein des environs, dont Evelyne, que par le strict respect de l'autorité militaire. D'où une bonne grosse pelletée de gags fins et délicats...



Evelyne tourne encore deux films en 78. Elle tient le rôle principal de "Lady Dracula" où elle incarne la comtesse von Weiderborn, séductrice assoiffée de sang après avoir été mordue par le Prince des vampires en personne, cent ans plus tôt. Elle sillonne Vienne en laissant traîner ses vêtements et des cadavres exsangues un peu partout... L'ex Samson Brad Harris mène l'enquête. Le film a hélas la réputation d'être plus ennuyeux que vraiment drôle.






Non, à gauche, ce n'est pas Michel Constantin mais bien Brad Harris.



On la voit encore toute nue dans "Le crépuscule des faux Dieux" sorti en 79. Traduction wagnérienne mais à côté de la plaque de "L'alba dei falsi dei" (sorti aussi en vidéo sous le titre "L'aube des faux Dieux"), elle quitte le bis pur et dur pour une coproduction italo-allemande de standing. Ce drame réalisé par Duccio Tessari et où elle côtoie Helmut Berger et Udo Kier, nous raconte l'ascension puis la chute de deux frères magouilleurs dans l'Allemagne des années 30, entre traumatismes de la Première Guerre mondiale et montée du nazisme...





A la fin des années 70, elle quitte définitivement le petit monde du cinéma. Sa toute dernière apparition, en 1981, est un rôle secondaire de secrétaire traîtresse qui se fait assassiner dans "Téhéran 43", un énorme kouglof sovieto-helvéto-français profondément ennuyeux où viennent s'égarer Alain Delon ou Curd Jurgens.

Il faut dire qu'entre temps elle épouse Felix Matthys, héritier d'une énorme société d'immobilier et de travaux publics suisse. Elle déserte logiquement les plateaux qui ne lui proposent de toute façon pas grand-chose et se consacre désormais à sa famille. La société de son époux étant un gros investisseur en Afrique, notamment au Nigeria, elle ne reste pas à la maison et s'investit dans de nombreuses œuvres de bienfaisance, dont la construction d'écoles et de logements sociaux dans ce pays. Elle se passionne aussi beaucoup pour la défense des animaux (il faut dire qu'après Le Colosse de Hong Kong, elle a beaucoup à se faire pardonner en matière d'humiliation de grands fauves sans défense...). Très active, elle crée d'ailleurs sa propre société en 1995 spécialisée dans le bois de construction : "Evelyne Matthys Baumaterialen". Elle ne renie pas pour autant son passé d'actrice, comme le prouve cette photo prise pour un journal suisse.



Evelyne nous a quittés le 13 Janvier 2009. Triste de voir cette femme belle et épanouie fauchée par une crise cardiaque à 57 ans. Adieu Evelyne, s'il y a un paradis, nul doute que tu es partie rejoindre ton ami le colosse pour retourner t'ébaudir et gambader librement au milieu des animaux…


Et oui, le colosse de Hong Kong en Blu-ray... C'est bien le minimum pour pouvoir rendre justice à la beauté d'Evelyne.



Sources :
classic horror film board
aucoeurdelanuit.unblog.fr (site désormais disparu)
blick.ch

- Rico -

Films chroniqués

Filmographie



1981 - Téhéran 43

1979 - Le Crépuscule des faux dieux / L'aube des faux dieux (L'alba dei falsi dei)

1978 - Lady Dracula

1977 - Arrête ton char... bidasse

1977 - Le Colosse de Hong Kong (Xing xing wang)

1977 - Les Anges de la mort (3 Deadly Angels / Qiao tan nu jiao wa)



1975 - Das verrückteste Auto der Welt

1973 - Ein Käfer auf Extratour

1972 - Maison de rendez-vous / Meurtre dans la 17ème avenue (Casa d'appuntamento)