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Wonder of Frontier

(1ère publication de cette chronique : 2023)
Wonder of Frontier

Titre original :Super Titan 15

Titre(s) alternatif(s) :Fronteira Do Mal, Falcon 7, Ronin Mecha 4 Wonder of Frontier

Réalisateur(s) :Seung-cheol Park (crédité Roy Thomas)

Producteur(s) :Joseph Lai

Année : 1983

Nationalité : Corée du sud / Hong Kong

Durée : 1h06

Genre : Braquage à la coréenne

John Nada
NOTE
3.5/ 5

Un visuel qui braconne du côté de Gundam Wing :  le robot rouge à gauche est un copier-coller du Zeong, et le mecha à droite s'inspire très fortement du Re-GZ.

Le MSN-02 Zeong, vu dans la série Mobile Suit Gundam.

Le Re-GZ (Refined Zeta Gundam) issu du film Gundam Char's Counter Attack.


Wonder of Frontier
fait partie de ces redoutables films d’animation coréens produits à très bas coût au début des années 1980, rachetés par la firme hongkongaise IFD, doublés en anglais dans un cagibi, repackagés et vendus dans les supermarchés du monde entier (on les trouvait en DVD à 1$ pièce dans les supermarchés Walmart américains).



Dans les premières années d’existence de Nanarland, on a d’abord découvert de façon fortuite un de ces produits sino-coréens (Le Crépuscule de la liberté), puis un deuxième (Les Aventuriers du système solaire), puis… ce fut la ruée. A l’époque, il fallait écumer les éditions de cassettes vidéo les plus miteuses pour espérer tomber sur une de ces perles, cachées sous des titres turbo-débiles comme Robotor, Formator, Johnny Ranger de l'espace ou Megaman. Souvent les visuels de la jaquette vidéo ne correspondaient pas au contenu, ce qui fait qu’on ne savait jamais sur quoi on allait tomber. En ce temps-là, les VHS pour enfants c’était de vraies pochettes-surprises. Avec souvent de belles escroqueries.


On notera que ce "Johnny Destiny", ranger de l'espace de son état, est surtout une belle fripouille...

...puisqu'il usurpe un personnage similaire dans la série animée nippone Mobile Suit Gundam (1979).

Avec un enthousiasme pur et la fraîcheur de nos vingt ans, on s’est ainsi jetés avec gourmandise sur ces dessins animés dont la laideur et le cynisme nous ravissaient. Mater ces horribles merveilles, c’était plonger dans un univers parallèle où la contrefaçon règne en toute impunité, un monde peuplé de sous-Transformers et de pseudo-Goldorak, d’ersatz du Capitaine Flam et de clones d’Albator, pilotant des vaisseaux et engins pompés à droite à gauche. Les bas-fonds des enfers du Club Dorothée, le fonds de la poubelle de l’arrière-cour de Récré A2. Ô Splendeurs ! Et le fait que ces films d’animation aient été distribués par Joseph Lai, margoulin XXL à qui l’on doit tant de « deux-en-un » ninjas, ne faisait évidemment qu’exciter notre intérêt.

Ces dessins animés ont été distribués sous la bannière ADDA Audio Visual Limited, la branche doublage d’IFD, dont Joseph Lai était le patron.

Entre 2003 et 2006, grâce aux fins limiers du site et à la communauté de notre forum, dix de ces dessins animés ont été exhumés, avec leur doublage français d’époque. En 2008, un onzième titre, Space Thunder Kids, a été découvert : il s’agit en fait d’un remontage frappadingue mixant des morceaux de huit autres dessins animés (!). Tous ces titres ont évidemment été dûment chroniqués, et figurent en bonne place dans la rubrique Enfants du site.

Ne cherchez pas ce joli vaisseau araignée : comme toutes les images du générique, vous ne le verrez jamais dans le film.

Et pour cause : il s'agit des peintures d'un artiste japonais (on songeait à Shusei Nagaoka mais il semble que ce soit l'œuvre de Jinsei Choh). On arrive à les trouver via Google avec des requêtes comme "japanese retro futurism" ou "japanese 80s sci fi art".

Et donc pendant quinze années on en était restés là : un joli pan du cinéma débile avait été défriché et on s’était alors tournés vers d’autres contrées à explorer. Jusqu’à ce mois de mai 2023 où, au hasard d’un énième épluchage du catalogue d’IFD (certains préfèrent La Redoute, mais j’assume mes lubies sans rougir), je tombe sur ce Wonder of Frontier, demeuré jusqu’alors inconnu au bataillon nanarlandais, et au titre fleurant bon l’Engrish.


Ô Joie ! Ô Louanges !
Ô Visionnage ! Ô Rires !
Ô Chronique !


Avec David Brown, le fameux Direcotr…

…et Roy Thomas (pseudonyme visant à américaniser le produit, et qui dissimule en fait le Coréen Seung-cheol Park, par ailleurs réalisateur des Aventuriers du système solaire).


Wonder of Frontier débute dans un registre familier. Je veux dire par là que les images sont familières. En fait le générique d’intro et les noms qui défilent sont un quasi copier-coller de celui des Aventuriers du système solaire. Les plans fixes de vaisseaux et de planètes sont les mêmes, enchaînés dans le même ordre, et les crédits farcis de noms anglo-saxons complètement bidons varient à peine. La musique aussi est familière, mais ce n’est pas celle des Aventuriers du système solaire. Après vérification, il s’agit du morceau Tatakau Kenryuu composé par Michiaki "Chumei" Watanabe pour le manga Leina-Stol in Wolf Sword Legend II (merci Shazam).


Dès la fin du générique, le sentiment de déjà-vu et déjà-entendu laisse place à la stupeur : un train à vapeur tout pourri fend les noires profondeurs de l’espace intersidéral. Un peu exactement comme dans Galaxy Express 999, oui. Simple coïncidence ? Mmmh, alors ça pourrait peut-être se plaider, mais c’est quand même mal barré. Même avec un avocat véreux et un juge corrompu. Parce qu’au niveau des pièces à conviction, à l’avant de la locomotive il est écrit « 999 ». Et le contrôleur et conducteur du train est également un complet décalque de celui du manga culte de Leiji Matsumoto.

Galaxy Express 999, l’original japonais.

Et sa copie coréenne…

…qui fait tchou-tchou en 2 images / seconde (avec la plaque "C 62 48" à l'avant comme sur son modèle nippon).

Surgit un vaisseau spatial non identifié qui balance deux roquettes sur le train et boum, c’en est fini du Galaxy Express 999. L’outrage aura été brutal mais de courte durée. Bon, à qui le tour à présent ? Quelle franchise nos amis coréens vont-ils maintenant souiller de leurs pinceaux indignes ? Tiens, voilà un robot géant qui s’en vient et… Ah les truands, ils ont osé !

Un robot aux tibias jaunes et rouges.

Pardon, jaunes et bleus.

Le robot agite une épée quand l’envie lui en prend, son torse se transforme en engin volant, son bassin et ses jambes en engin aquatique et ses pieds en engins roulants… aucun doute, il s’agit d’un plagiat éhonté de Armored Fleet Dairugger XV, une série animée japonaise de 1982 mettant en scène un mecha pouvant se scinder en quinze éléments (d’où son nom de Dairugger 15).

J’ai compté, il y en a bien 15.



Après recherches, Wonder of Frontier s’avère être à l’origine un dessin animé coréen de 1983, sorti dans son pays sous le titre Super Titan 15. Ce n’est qu’après son acquisition par Joseph Lai en 1990 qu’il a été adapté en anglais et re-titré, avec une nouvelle affiche et un nouveau générique ciblant le marché occidental. Au passage, le robot s’y voit rebaptisé Superior Falcon 7, ce qui fait que le « T » qu’il arbore fièrement comme emblème n’a plus aucun sens. Par moments, certains personnages semblent s’en souvenir et le nomment Titan 7, même si le chiffre sept ne correspond à rien non plus.

Armored Fleet Dairugger XV, l’original japonais.

Super Titan 15, sa copie coréenne.

Aux Etats-Unis, la série Armored Fleet Dairugger XV est connue sous le titre « Vehicle Force Voltron ».

Quinze éléments pilotés par quinze personnages, qui composent trois équipes pour trois engins pouvant agir sur terre, dans les airs et dans les mers.
Et tout ça mélangé ensemble, ça fait un super robot géant avec une épée. Le high concept qui te retourne le cerveau d'un petit garçon de cinq ans.


Nous voilà donc avec un beau mecha qui, certes, se cherche parfois un peu au niveau des couleurs (ses pieds passent du bleu au jaune, puis au noir en l’espace de trois plans !), au niveau du look aussi (en fait il n’existe pas deux plans dans le film où il soit identique), mais qui assume crânement son plagiat, avec tout l’aplomb du cancre qui rend fièrement sa copie après avoir entièrement pompé sur son voisin de droite. Et de gauche. Et après avoir tout mélangé un peu n’importe comment, en espérant sans trop y croire que le prof n’y verra que du feu.

Depuis sa première apparition (voir captures d'écran plus haut), les épaules bleues et l’abdomen rouge du robot sont devenus noirs.

Puis ses épaules deviennent rouges, le torse devient bleu et change d’aspect, le front aussi…

Sur ce plan, Titan 15 / Falcon 7 possède six doigts à chaque main.

Et on parle bien d'un plagiat multiple car notre Dairugger 15 du pauvre possède encore un maigre atout dans sa manche : sa tête peut aller se fixer à l’avant d’une locomotive estampillée 777, pour se transformer en un super train intergalactique que les personnages subjugués s’empressent d’appeler… le Galaxy Express 777 ! Ô Délices ! Ô Forfaiture ! Qu’ajouter de plus, sinon saluer bien bas le sournois génie à l’œuvre…

Admirez aussi le calque du quai de gare, en bas à droite de l'image, qui part complètement en sucette.

Il faut se représenter que pour un Japonais amateur de mangas, un tel combo dans le plagiat, un si vil crossover dans la contrefaçon, c’est un peu comme si un Américain voyait Luke Skywalker enfiler le costume de Spiderman et se battre à coups de sabre laser et de lance-toiles, en se faisant appeler Arachno-Luke ou Spiderwalker. Ou si Batman fusionnait avec Superman en portant un pyjama doré (ah, on me dit que ça les Coréens l’ont déjà fait, même que ça s’appelle Black Star and the Golden Batman).

Pour le plaisir des yeux, voici un hybride coréen entre Albator et Capitaine Flam, nommé... "Le Capitaine borgne de l'espace", et sorti en 1980.

En vrai « transformeur », notre robot change sans arrêt de forme. Si vous aimez jouer au jeu des différences...

...comparez notamment les « oreilles » et la base du cou.

Les commandes de pilotage high tech de Titan 15 / Falcon 7 (avec l’indispensable touche # pour hashtaguer les ennemis).

Évidemment le nombre de wagons du Galaxy Express 777 et leur couleur changent d’un plan à l'autre, les perspectives sont aberrantes, tout est merveilleusement laid. On retrouve ainsi avec bonheur toutes les scories qui faisaient le charme des autres dessins animés coréens distribués par IFD, avec des personnages difformes, de récurrents problèmes de proportions, des calques qui défilent dans le mauvais sens, ou qui apparaissent et disparaissent de façon impromptue, et une avalanche de faux-raccords.

Une bouteille sur la table…

…qui disparaît comme par magie.

Le sol et le ciel en arrière-plan qui défilent dans le mauvais sens, donnant l’impression que ces chars qui donnent l’assaut reculent au lieu d'avancer.

Des proportions hasardeuses : l’homme qui sort du blindé est plus grand que l’engin.

Petite trogne mais grosses pognes.

Certains personnages sont à peine reconnaissables tant ils varient d’un plan à l’autre, qui changeant de couleur, qui gagnant ou perdant des cheveux. A l’inverse, des personnages distincts ont un look très similaire. C’est par exemple le cas du contrôleur du Galaxy Express 777, vague sosie de l’Inspecteur Gadget, qui a le même character design que le bras droit du méchant.

Mis sur la touche par Sophie et Finot, l’Inspecteur Gadget est devenu contrôleur du Galaxy Express 777.

A son air, on devine tout de suite que c’est pas le couteau le plus affûté du tiroir…

Le bras droit du méchant, sorte de jumeau maléfique et rouge.

Un troisième personnage avec la même tête (on lui a juste ajouté de petites moustaches). Ça sent la cousinade à plein nez cette histoire...

Si certains dessins peuvent vaguement faire illusion en plan fixe (un protagoniste qui parle avec juste la bouche qui s’ouvre et se ferme), tout devient catastrophique quand il s’agit de faire se mouvoir les personnages : courir, se battre, se lever d’une chaise en deux images secondes confine alors au freak show graphique. Du coup, on a souvent droit à des dessins non animés, avec juste un panotage de caméra ou un lent zoom dans l’image pour donner du mouvement. Des plans durent parfois à n’en plus finir… Et bien entendu le recyclage bat son plein : les mêmes animations tournent en boucle, certains plans servent jusqu’à sept ou huit fois, de nombreuses poses et mouvements sont repris en changeant juste le décor en arrière-plan, bref tout est vraiment fait à l’économie.

Notre robot dans le ciel...

...et dans l’espace. Parce que le recyclage c’est bon pour la planète, mais surtout pour le porte-monnaie.

Des soldats qui apparaissent et disparaissent, comme un bug de sprite dans un jeu vidéo.

Un petit problème de calque.

Les inévitables méchants qu’affronte Titan 15 / Falcon 7 / Galaxy Express 777 sont particulièrement réjouissants. Il s’agit d’extraterrestres cruels à souhait, mais le fait qu’ils soient désignés comme la ''Red Star Army'' et arborent une étoile rouge sur leurs uniformes au look très nord-coréen ne laisse guère place au doute : il s’agit bien d’infâmes communistes qui n’ont rien à envier à ceux des Aventuriers du système solaire !

Des cocos de l'espace, qui conquièrent des planètes entières pour réduire leurs habitants à la servitude.

Leur vénéré Leader Suprême...

...tellement communiste qu'il est littéralement rouge.

Des aliens réduits à l’esclavage convertis aux joies du collectivisme dans un riant kolkhoze bolchévique de la Red Star Army.

On regrette évidemment qu’il n’existe pas de version française, qui aurait pu ajouter un charme supplémentaire à ce Wonder of Frontier. Mais croyez-moi, le doublage anglais est très drôle : on reconnaît tout du long les mêmes deux ou trois doubleurs, qui usent et abusent de tous les stratagèmes possibles pour déguiser leur voix. On parle dans sa barbe, on parle du nez, on parle en prenant une voix de fausset, on parle en chevrotant, on parle dans un pot de yaourt… les doubleurs en font des tonnes, et on touche au sublime quand l’un d’eux doit doubler un jeune garçon, adoptant un ton nasillard en geignant chaque réplique.

Personnage coup de coeur, personnage douleur.

Le futur.

Avec des robots géants transformables, des trains de l'espace et AUSSI des téléphones orange des années 1980, parfaitement.

Wonder of Frontier est un beau nanar, dans la plus pleine acception du terme. Un nouveau titre de référence à l’attention de tous ceux qu’un voyage idiot mais drôle à bord du Galaxy Express 777 pourra tenter. Remercions Joseph Lai et IFD d'enrichir encore une fois notre site d'un si beau spécimen !



Nous remercions aussi bien chaleureusement Art Pas Net, qui a très gentiment accepté de nous traduire les paroles de la chanson en coréen qui sert de thème musical tout au long du film (en écoute sur notre playlist).


Super, Super, Super Titan !
Super, Super, Super Titan !
Au combat il n'y a que la victoire, pas de retraite !
Qui oserait arrêter Super Titan, guerrier de la liberté ?
Voyageons dans l'espace à bord du Train Galactique 777 !
Traversons la Voie Lactée à la recherche de planètes !
Courons à en perdre haleine, courons, courons !
Courons après nos rêves dans l'univers sans fin !

Ce qui, après une fine analyse sémantique et en lisant bien entre les lignes, donne à peu près ça :

Vers l'infini et au-delà, le communisme on vaincra !
Et en copiant les Japonais, on gagnera un peu de monnaie...


On nous signale que les changements visuels du robot pourraient venir du fait que les dessinateurs coréens ne savaient pas faire la différence entre Dairugger XV et le Goggle Robo de Dai Sentai Goggle Five, une série animée japonaise de 1982.


Ça semble tout à fait possible quand on observe les premières apparitions de Super Titan : les tibias, la tête...


... et les épaules correspondent plutôt au Goggle Robo. Faire une copie qui reprenne des éléments des deux robots aurait pu être une bonne idée pour rendre le plagiat moins visible. A condition de ne pas changer de look tous les deux plans !

- John Nada -

Entretiens

Cote de rareté - 4/ Exotique

Barème de notation

Inédit en France (à moins qu’on découvre un jour une hypothétique édition VHS qui serait passée entre les mailles de nos filets), Wonder of Frontier est sorti en DVD aux Etats-Unis chez l’éditeur "Digiview Entertainment", dans une édition basique.


Super Titan 15, la version originale coréenne, est elle aussi sortie en DVD, mais uniquement au Pays du Matin calme, et il semble qu’elle soit épuisée.


On a également trouvé quelques éditions VHS de Wonder of Frontier, notamment en Pologne (sous le titre Falcon 7) et en portugais (sous le titre Fronteira Do Mal).