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Symbolisme et temporalité bergsonnienne dans « Le Jour et la Nuit »

Symbolisme et temporalité bergsonnienne dans « Le Jour et la Nuit », de Bernard-Henri Levy



Par François-Xavier Ajavon.

« Là, c'est très intéressant comme cas [à propos du Jour et la Nuit de BHL]. C'était très mauvais. Je le connais un peu parce que nous étions ensemble à l'avance sur recettes. Il est loin d'être bête. Il est intelligent et même subtil. Mais il a fait le film le plus con de l'année. Le plus grave c'est que tout le monde le lui a dit mais il refuse de le croire. Il pense qu'il est en avance. L'auteur de L'Invasion des tomates géantes pensait peut-être qu'il était un génie mais il ne l'a jamais dit. »

Claude Chabrol, dans Le Figaro du 15/01/02



Les aventures de BHL au Mexique



Il était une fois un écrivain bavard, plus connu pour son décolleté que pour ses livres, aux indignations bruyantes et à l'omniprésence médiatique insupportable, qui a décidé un jour de faire du cinéma. L'affaire est très ancienne, bien antérieure au projet « Le Jour et la Nuit ». Une rencontre avec Louis Aragon en 1976 donne au jeune BHL, alors quasiment inconnu, de jouer un rôle dans l'adaptation télévisée du roman Aurélien par Michel Favart. On voyait notamment le philosophe nu, dans une scène d'amour avec Françoise Lebrun (1). BHL déclarait dans le Point en 1997 qu'il avait eu en projet peu de temps après – dans les années 80 – d'adapter au cinéma pour Daniel Auteuil son propre livre sur Baudelaire (Le sombre drame de Charles Baudelaire). Il revenait ainsi sur cette improbable carrière d'acteur avortée : « [un] projet que m'avaient mis dans la tête Albert Cohen et Daniel Toscan du Plantier, du temps qu'il dirigeait la Gaumont : jouer le rôle de Solal dans une adaptation de « Belle du seigneur ». Ça n'a pas pu se faire. C'est dommage. Parce que voilà une chose – jouer Solal – qui m'aurait réellement plu. » Acteur sur les plateaux de télé, acteur sur les plateaux de cinéma, même combat ? Se vivant certainement comme l'héritier d'un certain journalisme « de combat », celui d'Hemingway ou de Malraux lors de la guerre d'Espagne, BHL s'engage dans divers projets de documentaires au fil des années 90 afin de témoigner sur les douleurs du monde. En 1992 il tourne pour France 3 Un jour dans la mort de Sarajevo, autour de la guerre de Bosnie. Deux ans plus tard il récidive avec le long-métrage documentaire Bosna, qui sera sélectionné par Gilles Jacob, au Festival de Cannes, dans la section « Un certain regard ».

Quelques années plus tard germait l'idée de tourner une fiction. La genèse du projet semble assez obscure. Il semblerait que BHL ait d'abord eu envie de raconter cette épopée mexicaine sous la forme d'un roman, puis ait voulu (sous l'impulsion d'une Arielle Dombasle récemment épousée ?) en faire un film. Il évoque en ces termes l'écriture du scénario : « Eh bien, là, on a passé un été, avec Enthoven (2), à relire Hemingway, retrouver ses traces à Cuba, rêver sur un ou deux fétiches – et ça a donné le scénario de ce film. » Car, oui, pour écrire un scénario d'une telle bêtise, il fallait naturellement se mettre à plusieurs, et se délocaliser chez Fidel Castro. Nous verrons plus loin que la référence à Hemingway cache les ombres d'autres écrivains fantasmés.



Cette production franco-belgo-canado-espagnole fut coordonnée par « Les films du lendemain » (3) et bénéficia d'une avance sur recette de 3.5 M de francs (Tiens, en 1991, BHL était nommé président de la Commission des avances sur recettes… mais je dis ça, je dis rien…).

L'intrigue du film se passe dans un Mexique de fantaisie, plus proche de l'opérette Sous le soleil de Mexico de Francis Lopez, que du Mexique glauque, moite et touchant de Sam Peckinpah. On imagine que BHL a aussi songé au film inachevé du grand Serge Eisenstein Que viva Mexico… mais le compte n'y est pas. L'univers visuel de BHL est plus proche d'une série de l'été sur TF1 du genre « Les Cœurs brûlés », ou d'un téléfilm érotique du vendredi soir sur M6… Dans ce cadre d'une immense laideur, plusieurs personnages falots s'ébrouent autour d'Alexandre (joué par Alain Delon), écrivain français déchu, alcoolique, dépressif, qui vit un exil fanfaron dans une hacienda en carton dont la déco millimétrée, et complètement nase, exciterait certainement beaucoup les rédactrices pré-ménopausées de Elle Décoration. Alexandre, très marqué par un premier roman qui l'a fait connaître, mais sans plus d'inspiration, cherche à tromper son ennui en faisant de la… montgolfière. Et ce n'est pas une, pas deux, pas trois, mais pas moins de quatre montgolfières qui sont déployées sur la petite plage attenante à l'hacienda lorsque Alexandre invite ses amis à faire un petit tour en ballon… Il partage sa villa avec son ténébreux secrétaire/homme-de-main Lucien (Jean-Pierre Kalfon), avec une femme mûre énigmatique, Sonia (Lauren Bacall), et avec sa propre femme qu'il n'aime manifestement plus (Ariane interprétée par Marianne Denicourt) et qui le trompe avec un personnage parfaitement injustifiable dont on ne sait absolument pas ce qu'il vient foutre dans le scénario : le jeune Carlo (Xavier Beauvois), moitié vulcanologue pas crédible (il n'a ni barbe ni lunettes), moitié dandy-révolutionnaire…


L'acteur-réalisateur Xavier Beauvois dans le rôle du vulcanologue-dandy-révolutionnaire Carlo.



Mais un beau matin (en fait un matin très laid et très mal filmé…) se pointe un producteur de cinéma, Filippi (joué par Karl Zéro) et son actrice vedette, Laure, interprétée par… tenez-vous bien : Arielle Dombasle. Le producteur vient pour persuader Alexandre de céder les droits de son premier roman, afin d'en réaliser une adaptation cinématographique… En un jour et une nuit (mais on a l'impression – à l'écran – que cela dure des semaines et des semaines) tout va se nouer : Alexandre va retrouver confiance en son art, au contact de Laure dont il tombe amoureux. Une expédition en montgolfières (dont on dirait la présence au scénario faite de fonte brute), sera l'occasion de maintes crises : Alexandre croyant, un temps, que la « belle » actrice lui échappait au profit de l'ignoble Carlo, couchant déjà avec sa femme légitime… Le tout sur fond d'une improbable lutte des classes « de poche »… opposant une dizaine de picaros/pistolleros ridicules, réunis dans la « Cantina » du village du coin, sorte de bar interlope à l'hygiène douteuse et aux habitués inquiétants, au personnage de Cristobal, potentat local, grossier, cruel, fort en gueule et ami d'Alexandre, terrorisant les habitants du village avec ses employés de maison moustachus « à la mexicaine » armés de fusils automatiques en plastique. Cristobal est bien sûr, pour Alexandre, un ami de la « Guerre d'Espagne »… Mais tout rentre dans l'ordre, et après maints litres de whisky ingurgités, et un match de boxe entre Alexandre et l'immonde Carlo (le match de boxe le moins bien filmé de l'histoire du cinéma), l'écrivain déchu parvient finalement à mettre Arielle Dombasle, pardon… Laure, dans son lit. De là, Alexandre entrevoit une possible renaissance (thématique faustienne omniprésente dans le film), et reprend confiance en sa plume phallique. Il sera de nouveau un grand écrivain… ! Cependant, la « belle » Laure se fait tuer accidentellement lors d'un échange de tirs entre les picaros locaux et les hommes de Cristobal. Apprenant « l'horrible nouvelle », Alexandre décide d'en finir avec la vie, se jette dans l'une de ses montgolfières, lui fait atteindre une altitude conséquente et – dans un effet spécial qui ferait rire n'importe quel novice – fait « exploser » son ballon. Une explosion digne des pires heures digitales de la maison « Nu Image »…




Delon reluque les gonzesses du haut de sa montgolfière.



Avec 225.000 références à Orson Welles, Visconti, Renoir, John Huston, Goethe, Eschyle, Hemingway et Malcolm Lowry, le démiurge BHL n'arrive strictement à aucun résultat dans son long-métrage. Tout sonne « faux ». Le jeu des acteurs (nous y reviendrons), l'affiche mollement pompée sur Autant en emporte le vent (laissez-moi rire de cette comparaison…), les décors limites AB Prod, le scénario indigne d'un écrivain tel que BHL rompu à la construction narrative et à l'écriture de dialogues….

Parlons-en des dialogues… Nul ne reproche à BHL de n'être pas Michel Audiard ou Jacques Prévert, mais les dialogues du Jour et de la Nuit sont souvent en dessous des normes syndicales, et voguent entre pédanterie et expressions toutes faites. Exemples. Sur fond de commentaires oiseux sur le mythe de Faust, on peut entendre Alexandre pérorer : « une âme ça se vend contre des illusions » Et bam ! Découvrant l'un des picaros malodorant du village mexicain, Dombasle lâche : « Je viens de croiser le prêtre du village et il avait l'air si bizarre… pas comme les autres prêtres… » Le producteur Filippi (Karl Zéro), à l'écoute de son actrice, répondant simplement : « Qu'est-ce que vous voulez que ça me foute ? ». Et bam ! Alexandre/Delon, sur ses saloperies de montgolfières multicolores : « On est vraiment mieux dans le ciel que sur terre » Et Bam ! Xavier Beauvois, incarnant l'ignoble Carlo, échangeant sur la question des armes à feu avec le vieux Cristobal balance le définitif : « Moi je n'ai pas besoin de ça, je bande… » Et bam ! Le même Carlo, toujours aussi ignoble, parle à son amante en spécialiste de la tectonique des plaques : « Tout tremble tout le temps : la terre, les peuples, les hommes, les sentiments… Toi aussi tu trembles un peu » Et ce fameux Carlo – vulcanologue d'opérette – parvient même à séduire (à répétition) les femmes avec cette innocente formule : « Vous saviez qu'à Naples autrefois on utilisait de vieilles laves pour faire des philtres d'amour ? » J'ai essayé trois fois avec des copines travaillant dans l'Education Nationale, et ça n'a pas marché ! Pfui…

Le Jour et la Nuit n'a enregistré que 28.000 entrées en 13 jours pour une diffusion dans 15 salles (sur la région parisienne). Echec esthétique, commercial et critique sans appel…

Les médias entre louanges et sarcasmes



Le film a bénéficié d'une très importante couverture médiatique à sa sortie. Annoncé comme un « film événement », le long-métrage de BHL a été chroniqué par l'ensemble de la presse et des médias audiovisuels. BHL, Alain Delon et Arielle Dombasle ont été reçus dans de nombreuses émissions de télévision afin de faire la promo du Jour et la Nuit. Alain Delon étant même invité dans la très regardée et prescriptrice émission « 7/7 » d'Anne Sinclair. Dombasle étant reçue, quant à elle, dans un show grand public de Jean-Luc Delarue, et BHL lui-même, chemise ouverte, sur les plateaux de plusieurs JT. Radios et télévisions ont rendu compte du Jour et la Nuit avec une bienveillance assez incompréhensible au regard de la réalité de ce film qui est un vrai naufrage. Une bienveillance trouvant peut-être ses racines occultes dans le fait que les groupes de médias sont les principaux financeurs du cinéma, et que dans les investisseurs à l'origine du Jour et la Nuit il y avait notamment France 2, RTL TVI (pour la Belgique), M6 et Canal+…

La presse écrite, par contre, a livré des critiques particulièrement acerbes ; à l'exception notable de l'hebdomadaire Le Point dans lequel BHL tient depuis des années une chronique, et de Paris-Match qui ne pouvait rater une cover pseudo-glamour sur le couple BHL-Dombasle. Dans Le Point, Marie-Françoise Leclère s'enthousiasmait (en se bouchant le nez ?) : « Le Jour et la Nuit est une oeuvre ambitieuse, romantique et très personnelle. Séduisante ». Huummm….

L'Humanité titrait avec espièglerie « Le volcan accouche d'une souris », et poursuivait « Rien à sauver là-dedans. Débâcle absolue, d'autant plus qu'est patente la prétention. » Gérard Lefort, dans Libé, signait une chronique devenue légendaire (sur laquelle je reviendrai plus bas) : « BHL pédale dans le guacamole. Tourné au Mexique, le Jour et la nuit aborde quelques thèmes essentiels (l'Art, la Passion, la Politique), avec la légèreté d'un bulldozer. ». Frodon dans Le Monde était plus indulgent, mais notait tout de même : « La première séquence, scène de dispute en voiture entre une actrice sculpturale et son producteur retors, se veut burlesque, mais elle ne fait pas rire du tout. La suite, c'est-à-dire le générique de début, porte davantage à l'hilarité, bien que ce ne soit manifestement pas son objectif ».








Arielle et Karl, un zéro vraiment pointé à tous les deux.



L'Express décernant la « palme du grotesque » à Karl Zéro notait : « Un roman-photo où une actrice innocente comme l'agneau (Arielle Dombasle), flanquée d'un producteur en bermuda (Karl Zéro), débarque au Mexique chez un écrivain démiurge (Delon) et ses marionnettes : femme (Marianne Denicourt), amant de celle-ci (Xavier Beauvois), parrain local, etc. Tous les clichés sont respectés. ». Un déferlement de commentaires accablants qui avait conduit Françoise Giroud à prendre la défense de son poulain dans le Figaro à travers une tribune titrée « La cabale contre BHL », dénonçant la propension parfaitement fantasmée des journalistes à faire du réalisateur du Jour et la nuit un « diable ». Giroud osant cette sortie : « il y a aussi une ardeur, une chaleur, de la beauté [dans ce film]. Le public ne s'y est pas trompé qui, dès les premières séances, s'est empressé, et on a vu des spectatrices sortir de la salle les larmes aux yeux... » Et pourtant Dieu sait qu'il y a plusieurs manières de faire pleurer une femme, et le rire n'est pas la moins désagréable. Mme Giroud aura certainement vu des spectatrices hilares…




Marianne Denicourt, en train de consoler Delon qui tente d'oublier le film.



La critique la plus définitive fut certainement celle des Cahiers du Cinéma nous assurant qu'il s'agissait là du « plus mauvais film depuis 1945 ».

La malédiction des films d'écrivains



Les écrivains ne savent pas faire de cinéma. Comme les Américains ne savent pas faire de café et les jeunes-filles britanniques embrassent mal. Voilà qui devrait être gravé dans du marbre et enseigné dans les écoles. Malgré quelques exceptions notables (Cocteau ? Schoendoerffer ?), les écrivains ont toujours raté leurs films. Comment considérer, aujourd'hui, les films de Marguerite Duras ? Si ce n'est comme de pénibles pensums prétentieux, traversés par un air du temps germanopratin qui les rend difficilement regardables de nos jours. Comment appréhender les deux films réalisés par Romain Gary Les oiseaux vont mourir au Pérou (1968) et Kill (1970) ? Si ce n'est comme deux films parfaitement ratés (plus navets que nanars…), qui ont permis à Gary de filmer sa ravissante épouse, Jean Seberg, mais pas de transcrire à l'écran son génie comique et son souffle narratif habituel. Et que dire du long-métrage de Michel Houellebecq La Possibilité d'une île (2008), adapté de son roman éponyme ? La presse n'a pas hésité à comparer ce non-film à celui de BHL, d'autant que les deux écrivains préparaient alors un livre de correspondances croisées annoncé depuis fort longtemps, Ennemis publics, qui paraîtra en 2008. Houellebecq atteignant, avec toute son habituelle honnêteté et candeur, un niveau de nullité encore plus aberrant que Le Jour et la Nuit, par manque d'un véritable encadrement de la part de professionnels du cinéma (4). Houellebecq, à la manière de BHL, réalisant par ce film un rêve de gosse, mais sans l'expérience nécessaire à la coordination d'un tournage, ni le talent visuel propre aux véritables réalisateurs qui ont un « regard » sur le monde et les hommes.

Et que penser du triste Podium (2004) de Yann Moix, à l'humour électro-mécanisé, tout juste sauvé du naufrage par un Benoît Poelvoorde survolté – qui arriverait à garder n'importe quel film du ridicule ? Et que dire du long-métrage Odette Toulemonde (2007), réalisé par l'insupportable romancier Eric-Emmanuel Schmitt, que la présence de la ravissante Catherine Frot (si tu me lis Catherine : je t'aime !) ne parvient pas à sauver du néant… ?

Les films d'écrivains sont ainsi, bien souvent, de poussives tentatives de transposition d'un univers narratif mature et installé, sur une pellicule à jamais rétive… par des spécialistes des mots qui s'avèrent souvent de médiocres artisans de l'image. BHL évoquait son rapport à l'image dans le Nouvel Observateur en 2004 : « Une des choses qui ont dérouté, dans « Le Jour et la nuit », tient probablement au fait qu'il a été tourné et monté comme j'écris. Un écrivain, quelle que soit l'encre ou la fréquence sur laquelle il émet, c'est toujours la même musique, le même régime d'éloquence, la même rhétorique, les mêmes défauts aussi. » Oui, sauf que l'on ne conçoit pas un film comme l'on conçoit un livre… autant dire que les défauts d'un écrivain, lorsqu'il fait un film, ne s'additionnent pas mais se multiplient…

A l'image de deux des inspirateurs du personnage principal d'Alexandre, André Malraux et Romain Gary, BHL n'a pas fait exception à la malédiction… il a complètement raté son incursion dans le monde du cinéma…



Un symbolisme lourd comme du plomb



Le roman de jeunesse écrit par Alexandre (Delon), que le producteur Filippi cherche à adapter au cinéma, est présenté comme « l'histoire de cette Mathilde qui rejoint Anna Karénine et Andromaque au panthéon des créatures éternelles »… rien de moins… au fil de l'intrigue on découvre que dans ce premier roman d'Alexandre le héros offrait sa femme à un autre homme, peu avant de lui tirer dessus avec son revolver, et de la toucher à l'épaule… une épaule dénudée, celle de Laure (Arielle Dombasle) que frappe aussi le destin, dans le film de BHL cette fois-ci, sous la forme d'une guêpe piquant l'actrice. BHL en fait des caisses : on sent bien que, pour lui, cette épaule et cette foutue guêpe ont un sens… mais lequel ? Mouche du coche ou aiguillon de Cupidon ?

Parmi les autres « gros » symboles : les montgolfières, naturellement, permettant à BHL de mettre en scène des créatures géantes et inoffensives dont il est bien précisé qu'elles sont difficiles à piloter. Comme des actrices ? On peut les faire monter ou descendre, en gérant l'apport de gaz, mais il est impossible de les faire aller « à gauche ou à droite »… en somme elles sont l'instrument idéal des dérives… hi hi hi, le bon gros symbole… prétexte à de trop nombreux plans façon « La Terre vue du ciel » qui nous rappellent les pires heures de la France sous l'emprise dictatoriale de Yann Arthus-Bertrand…

Et que penser de l'alcool, thème omniprésent dans ce film ? Alcool attaché à la figure de l'écrivain vieillissant et quelque peu étranger au monde comme il va… mais aussi alcool de l'autodestruction bourgeoise, et d'une certaine virilité complètement surannée. BHL est certainement l'un des derniers cinéastes à avoir voulu suggérer la virilité de son personnage par son goût pour l'alcool…

Nudité. Arielle Dombasle et Marianne Denicourt apparaissent si souvent nues, dans des scènes à l'érotisme poisseux et absolument pas suggestif, que l'on pourrait se demander si BHL n'a pas vu dans ces corps humains dénudés une sorte de symbole grotesque de la pureté. Une pureté compromise et abusée chez Ariane, la femme de l'écrivain Alexandre, une nudité donc un peu « salie »… s'opposant à la pure nudité de la « belle » Laure… qui malgré son âge mûr semble donner sa virginité à l'écrivain, avant que ce dernier reprenne pied.

Révolution. Naturellement, chez BHL, la petite histoire (voire la toute petite) se devait de rencontrer la « grande ». L'intrigue, comme nous l'avons signalé ci-dessus, a pour contexte une sorte de guérilla mexicaine larvée, et implique d'anciens brigadistes de la Guerre d'Espagne. Cet arrière plan permet à BHL de souligner que les vies humaines, et les petites préoccupations individuelles (l'amour, la création, etc.), n'ont de sens que dans la perspective de l'Histoire. Encore un symbole aux semelles de plomb voulant faire de la Révolution un moment positif pour les pays et les populations.



Un hommage complètement foiré à Romain Gary



L'une des clés de ce film effroyable, et décomplexé de fatuité, est l'hommage que Bernard-Henri Levy rend à l'une de ses idoles, l'écrivain Romain Gary. Aucun critique de cinéma, à ma connaissance, n'a relevé cette dimension de l'œuvre à la sortie du film. Ce manque de culture garyenne a privé le public d'une sombre grille de lecture. Car oui, ce naufrage filmique ne cesse de rendre des hommages appuyés à l'auteur génial des Racines du ciel, qui ne méritait vraiment pas ça. Evidemment le personnage interprété par Alain Delon, cet écrivain vieillissant, alcoolique, neurasthénique, abandonné par l'inspiration et l'amour des femmes pourrait être n'importe quel écrivain de stéréotypes fictionnels. Rien de nouveau sous le soleil : dans la fiction, les écrivains sont tous des baroudeurs virils, revenus de tout, qui meurent de suicide ou de cirrhose. Pour le personnage d'Alexandre on a évoqué les figures d'Hemingway ou de Malraux (le récit fait des références nombreuses à la guerre d'Espagne), mais ces deux larrons ont eu le bon goût et le bon sens de ne pas épouser d'actrices… difficile, donc, pour notre BHL de s'identifier parfaitement. Tandis qu'avec Romain Gary c'était autre chose : non seulement ce génie de la duplicité avait une image d'aventurier, Compagnon de la Libération, pilote de chasse, fidèle à ses engagements ; mais il présentait l'avantage d'avoir épousé la sublime comédienne hollywoodienne Jean Seberg. Et l'arrivée de Laure (jouée par la femme de BHL, Mme Dombasle), dans l'hacienda en ruine de l'écrivain du Jour et la Nuit n'est pas sans rappeler l'intrusion de la jeune Jean dans la vie de Romain Gary. BHL n'y va pas avec le dos de la main morte : le personnage fantomatique de Sonia, interprété par une Lauren Bacall, qui déambule dans la villa en chantant du Cole Porter, est une référence à Lesley Blanch, la première femme de Romain Gary. Elle est d'ailleurs présentée dans le film sous le nom de Sonia Blanch. Femme mûre abandonnée par le grand écrivain, mais tolérée dans son ombre, et dans celle de sa nouvelle femme. La séparation de Lesley Blanch et de Gary fut nettement plus « franche », mais on retrouve certainement un peu de l'aigreur de la première femme de l'écrivain dans le personnage cynique et falot interprété par Bacall.


Lauren Bacall (c'était bien la peine de la sortir de sa maison de retraite pour faire ça…) et, derrière elle, la jeune première Julie Du Page.



Au détour d'une réplique, le personnage d'Alexandre fait mention de son adresse parisienne « Rue du Bac »… où Romain Gary habitait un bel appartement au 108, que BHL connaissait bien puisque les deux écrivains se sont un temps fréquentés dans les années 70. On pourrait compléter ce faisceau d'indices par l'amour passionnel qui va se nouer à la fin du film entre le personnage d'Alexandre et celui de l'actrice Laure… Une jeune actrice « présentée » à l'écrivain par un producteur (le grotesque Filippi interprété par le non moins grotesque Karl Zéro), comme Jean Seberg a été présentée à Gary par le jeune François Moreuil, alors époux de la comédienne et modeste producteur frenchy tentant sa chance à Hollywood.


Arielle et Karl, un zéro vraiment pointé à tous les deux.



Aussi, le Mexique de BHL n'est pas sans rappeler la Palma de Majorque sur laquelle la petite famille Gary allait passer les vacances d'été. Par ailleurs, et pour finir, le parallèle s'impose avec l'un des films tournés par Romain Gary Les oiseaux vont mourir au Pérou (1968), dans lequel l'écrivain filmait lui aussi sa femme, et traitait également – mais d'une autre manière – le thème de l'impuissance et de la frigidité. En 2004, BHL revenait dans le Nouvel Observateur sur ce parallèle : « Il y a un film qui n'était pas le contraire du mien : « Les oiseaux vont mourir au Pérou », de Romain Gary. Il fut traité, à l'époque, de manière assez semblable avec, notamment, la même façon incroyablement violente et vulgaire de reprocher à l'écrivain-cinéaste d'avoir mis en scène sa propre femme. » Justifier la laideur et l'insipidité de son nanar par la laideur d'un autre nanar d'écrivain, voilà une pirouette rhétorique digne des plus grands esprits !

Pour finir, le personnage d'Alexandre est hanté par son déclin artistique. Dans l'une des répliques immortelles de ce film, Delon lâche : « Les écrivains ne meurent pas comme tout le monde… ils meurent quand ils n'ont plus rien à dire… » Romain Gary a justifié son suicide par balle, dans une lettre, par l'épuisement de son inspiration. Et Delon de jouer, durant tout ce long et pénible nanar, avec un pistolet en plastique…

L'art du cabotinage poussé à son paroxysme



Outre le scénario complètement bidon, reposant sur des personnages caricaturaux, ce film souffre d'une distribution très approximative et peu harmonieuse… C'est un vrai métier, un véritable « art » de distribuer un film. Il faut qu'ils se complètent, les acteurs, qu'ils se comprennent, qu'ils soient sur la même longueur d'onde, qu'ils soient susceptibles d'adhérer à un projet artistique commun, que par moment ils s'aiment un peu, s'écoutent, se respectent… C'est précisément ce qui ne s'est pas passé sur le film de BHL, qui est un exemple de distribution parfaitement aléatoire.


Alain Delon, le nouvel Hemingway, et son regard qui pense.



Il y a deux races d'acteurs dans « Le Jour et la nuit », qui ne se rencontrent absolument jamais : ceux qui sont surinvestis dans le projet, et en font des caisses… et puis ceux qui semblent complètement s'en foutre, et récitent leur texte sans passion en attendant l'encaissement de leur chèque. Dans le groupe des acteurs « surinvestis », il y a naturellement Arielle Dombasle, la blonde et svelte épouse de l'écrivain, incarnant dans ce film la blonde et svelte Laure, amante d'un… écrivain. On sent bien qu'Arielle a mis le paquet pour soutenir son mari dans cette aventure cinématographique. Elle se « donne » sans retenue, à chaque plan, ne nous épargnant ni le cabotinage (elle porte cet art à son paroxysme), ni la nudité intégrale, dont on aurait très bien pu se passer. Bref, Arielle se donne à 200%. Elle fait des grimaces, des gesticulations inutiles, des effets de manche. Il faut la voir sortir de l'eau dans un maillot de bain jaune prétendument « sexy », sous le regard morne d'un Alain Delon qui, manifestement, s'ennuie. Il faut la voir forcer le trait avec son producteur, Filippi, incarné par un Karl Zéro parfaitement méconnaissable et clownesque. Il faut la voir, en ombres chinoises risibles, faire l'amour avec le personnage d'Alexandre, grand écrivain déchu et alcoolique anonyme. Sa voix, même, déclenche le rire… Qui a déjà vu une actrice qui « posait » davantage, qui était plus « fausse » ?


Arielle Dombasle, poupée barbante.



Dans le camp des acteurs « surinvestis », il y a évidemment Karl Zéro. Dès le début du film, ses grimaces et sa gestuelle outrée laissent entrevoir la possibilité d'un chef-d'œuvre au format nanar. Et Zéro confirme l'intuition de bout en bout… Omniprésent dans toute la première partie du long-métrage, il ne peut s'empêcher d'accompagner ses répliques de lourdes accentuations injustifiables, de grands gestes ridicules, et d'expressions faciales impardonnables. La créature de télé qu'est Karl Zéro pouvait encore être supportable dans le clip vidéo d'Alain Souchon Foule sentimentale (mais si, il faisait le speaker dans la télé…), mais elle devient physiquement, épidermiquement, intégralement allergène dans le film de BHL… Absolument jamais drôle, toujours aussi « lourd » qu'un tractopelle, aussi premier degré qu'une interview de Carla Bruni sur « mon mari »… Karl Zéro évolue dans l'univers de BHL comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, mais avec une sur-motivation qui fait peine à voir. A chaque plan, on a nerveusement envie de hurler « Coupez ! » et lui conseiller de prendre des cours de comédie, et faire un peu de théâtre, s'il tient si ardemment à faire du cinéma.


Karl Zéro, en roue libre.



Dans l'autre « clan » de ce film, il y a les acteurs qui semblent se foutre pas mal de se qui se joue autour d'eux. A commencer par Jean-Pierre Kalfon, incarnant le personnage de Lucien, secrétaire du grand écrivain, qui se sort honorablement de cette longue tragédie cinématographique en faisant semblant de ne pas remarquer ce qui est en train de se faire. Il faut dire que Kalfon a une très longue expérience du nanar français des années 80, et des seconds rôles obscurs et voués à l'oubli.


Jean-Pierre Kalfon dans le rôle du ténébreux secrétaire/homme-de-main Lucien.



Dans un registre légèrement différent, la ravissante Marianne Denicourt (si tu me lis, Marianne : je t'aime !), qui incarne le personnage d'Ariane, la jeune épouse légitime du grand écrivain, semble mortellement se morfondre d'ennui sur ce tournage. Estampillée « cinéma intello » et compagne à l'époque du brillant réalisateur Arnaud Desplechin (star du cinéma bobo-branché des années 90), on a le sentiment à chaque plan que la belle Marianne a bien conscience d'être tombée dans le « panneau » d'un illusoire cinéma philosophique de BHL qui n'a jamais existé et n'existera jamais… De fait, après nous avoir maintes fois montré son âme et son avantageuse anatomie avec autant de conviction qu'un poulet mort, elle s'installe dans l'absence propre aux grands acteurs qui ont compris qu'un rôle ne les grandirait pas, et qu'ils n'avaient plus qu'une chose à attendre : leur chèque…

L'expérience de la distorsion de toute temporalité



C'est un fragment de la chronique du grand Gérard Lefort, publiée dans le quotidien Libération à la sortie du film, qui a motivé la rédaction de ce papier.

« Le film avance comme un bulldozer dans un champ de navets... je suis allé à la séance de 18h... Deux heures plus tard, j'ai regardé ma montre : il était 18h20 ». (5)

Ravivant en moi l'enseignement de la pensée du philosophe Bergson par l'immortel Bernard Cousteix, légendaire maître de conférence à l'Université Paris XII, dont je fus l'une des victimes innocentes, cette phrase de Gérard Lefort me permis de comprendre à quel point l'extraordinaire impression d'ennui qui émanait d'un visionnage du Jour et la nuit de BHL, était en fait une brillante réflexion, de la part du mari d'Arielle Dombasle, sur la question de la temporalité et de sa perception subjective.

Une minute de temps « BHL » correspond à une quinzaine de minutes en temps « réel ». Au bas mot. Le temps s'allonge, se distend, se distord… Le temps « vécu », subjectif et intime, prend le pouvoir sur le temps factuel et impitoyable des horloges. Le Jour et la nuit nous permet ainsi de toucher du doigt la durée bergsonienne… La question est, pour Bergson, comment résoudre l'énigme de ce passage intime, non mesurable mais vécu par chacun, d'une émotion à l'autre ? Au tandem traditionnel espace-temps, Bergson substitue l'opposition subtile du temps conçu sur le modèle de l'espace (présenté comme une « ligne » décomposée en passé, présent, avenir) et de ce qu'il appelle la « durée », ou « multiplicité sans divisibilité et succession sans séparation », dont il fait l'un des axes de sa doctrine. Dans la « durée » bergsonienne, un film comme Le Jour et la nuit peut durer une éternité, ou même deux ou trois. On peut même voir le temps se distordre et faire des « boucles »… il est même probable que certaines personnes ne soient jamais vraiment sorties indemnes du visionnage de ce film, long, long, long… aussi long qu'un discours de Georges Marchais ou qu'un week-end en hiver à Houlgate avec un couple d'amis inscrits au Modem…

Qu'est venu faire Maurice Jarre dans cette galère ?



Bonne question. Qu'est-ce que le grand compositeur de musiques de films Maurice Jarre (qui nous a quitté en mars 2009) est venu faire dans cette galère ? (6) Pourquoi a t-il écrit une si bonne partition à ce nanar grotesque qui ne restera évidemment pas dans l'histoire du cinéma ? Pourquoi le compositeur de Lawrence d'Arabie, de Docteur Jivago, de Soleil Rouge, de Paris brûle t-il ? ou du Cercle des poètes disparus, a t-il accepté de se compromettre dans cette triste aventure ? Mystère. D'autant que la filmographie de Maurice Jarre ne fourmille pas de nanars, ni de navets. L'homme était économe de ses moyens. On peut certainement invoquer l'illusion d'optique, ayant fait croire à un homme déjà assez âgé, qu'un écrivain médiatique et reconnu, tel que BHL, pouvait faire un grand film ? La présence de Maurice Jarre au générique reste un détail qui me brise le cœur…

Devons-nous empêcher BHL de récidiver ?



La question que tout le monde se pose est… « Mais va t-il recommencer un jour ? » Pour un jeune réalisateur passé par le circuit « habituel », la question ne se poserait certainement pas. Personne ne viendrait plus le solliciter pour concrétiser un projet de long-métrage. Et d'ailleurs, personne n'aurait confié à un jeune réalisateur aussi dénué de talent et d'art le budget nécessaire à une telle entreprise… Mais pour BHL le schéma est, naturellement, bien différent. De par ses « amitiés » dans le monde de l'audiovisuel et des médias, il pourrait très bien récidiver. Et tout porte à penser qu'un nouvel opus pourrait bientôt voir le jour. L'écrivain déclarait en 2004 dans le Nouvel Observateur : « En tout cas, le tournage du « Jour et la nuit » a été parmi les moments les plus heureux de ma vie. Ne serait-ce que pour ce bonheur-là, je referais un film. Pas par défi, non. Pas par revanche. »

Nous voilà mis en garde… Nous ne sommes pas à l'abri d'un nouveau malheur. Après, personne ne pourra dire « Je ne savais pas ». La vigilance s'impose…


La griffe d'un auteur ! Au moins, pendant qu'il tourne, il n'écrit pas...



(1) Ref : http://www.bernard-henri-levy.com/1992-22.html

(2) Jean-Paul Enthoven.

(3) Société crée avec les fonds du père de BHL et de François Pinault.

(4) Mais ne nous attardons pas, ici, sur le cas du Houellebecq cinéaste… si le sujet vous intéresse j'ai chroniqué ici son film « Portrait de Michel Houellebecq en cinéaste » [Note de Nanarland : Si on ne contestera pas son statut de film maudit à La Possibilité d'une île, précisons tout de même que, contrairement aux écrivains précédemment cités, et notamment BHL, Michel Houellebecq peut malgré tout faire valoir quelques notions dans le champ du 7ème Art, comme n'oublie pas de le préciser l'article de François-Xavier Ajavon mis en lien : ancien élève de l'École nationale supérieure Louis Lumière, en section cinématographe, option prise de vues, on doit aussi à Houellebecq quelques courts et moyens métrages d'intérêts divers, tous antérieurs à La Possibilité d'une île (Cristal de souffrance en 1978, Déséquilibres en 1982 et La Rivière en 2001).

(5) Je remercie, ici, mon amie Mlle. Leila S. de m'avoir rappelé cette cruelle fulgurance.

(6) Note de Nanarland : Le très apprécié Rafik Djoumi a tenté de répondre à cette question lors de sa rencontre avec le compositeur, qu'il relate dans un article publié sur son blog : Jarre commença par me raconter comment, par un curieux hasard, il reçut à Los Angeles un appel de BHL, alors même qu'il venait de finir de lire une de ses chroniques dans un magazine. J'essayais d'emblée de cacher ma surprise, car je n'avais jamais songé au fait qu'un compositeur français travaillant à Hollywood garderait d'une certaine façon le contact, en se faisant par exemple livrer des magazines français. Il y avait immédiatement, dans cette déclaration anecdotique, quelque chose qui me renvoyait à une situation d'exil. Jarre enchaîna alors sur son admiration pour le philosophe français, ce sur quoi j'évitais de rebondir. Les règles de la bienséance imposaient que je garde pour moi mes réflexions sur BHL, qui était déjà à mes yeux l'un des simulacres les plus flagrants que d'autres philosophes des années 60 avaient prophétisé pour nos sociétés surmédiatisées. J'étais à vrai dire plus intéressé par le travail de Jarre et je l'obligeais discrètement à revenir sur sa composition. Aussi, il m'expliqua que ce projet de film, qui se déroulait au Mexique, lui avait surtout donné l'occasion de se frotter aux sonorités du pays, et que ceci était nouveau pour lui. Très étonné par cette déclaration, je lui rappelais sa partition pour le très chouette western de Richard Brooks, Les Professionnels, dans lequel la musique mexicaine jouait déjà un grand rôle. Jarre s'arrêta subitement; visiblement décontenancé. Après un court silence, il s'exclama sur un ton malicieux : "Ha mais dîtes donc, je vois que vous avez fait vos devoirs !" puis tourna son regard vers l'attachée de presse qui lui renvoya un sourire approbateur du genre "oui, oui, j'ai été en chercher un qui connaît la musique des Professionnels."




Addendum de Nanarland



Au-delà de leur truculence, les éclaircissements proposés par François-Xavier Ajavon concernant les références de BHL à Romain Gary nous paraissent pertinents. Ceci dit, les références à la vie et l'oeuvre d'un autre écrivain, Malcom Lowry, auraient sans doute pu elles aussi faire l'objet d'une analyse détaillée.

"L'intrigue du film se passe dans un Mexique de fantaisie [et met en scène] Alexandre (joué par Alain Delon), écrivain français déchu, alcoolique, dépressif, qui vit un exil fanfaron dans une hacienda"

"Et que penser de l'alcool, thème omniprésent dans ce film ?"


Le personnage d'Alexandre évoque volontiers celui du consul, qui est au coeur du roman "Au-dessous du volcan", personnage lui aussi alcoolique traînant sa déchéance dans un coin perdu du Mexique, alter ego évident de son auteur Malcom Lowry, parti s'installer dans ce même pays en 1936 avec son épouse Jan Gabrial dans l'espoir d'éviter une séparation définitive. Pour l'écrivain Lowry comme pour le consul, ce sera un échec (fin 1937, Lowry, qui est resté seul à Oaxaca après le départ de sa femme, entre dans une autre période sombre marquée par l'abus d'alcool), les relations complexes et involontairement destructrices au coeur de "Au-dessous du volcan" se faisant l'écho de celles, réelles, vécues par l'écrivain.

"Personnage parfaitement injustifiable, [...] le jeune Carlo (Xavier Beauvois), moitié vulcanologue pas crédible (il n'a ni barbe ni lunettes), moitié dandy-révolutionnaire…"

La fonction de volcanologue, référence pataude au roman "Au-dessous du volcan" de Malcom Lowry ? Cela semble évident.

"L'Humanité titrait avec espièglerie « Le volcan accouche d'une souris »"

Pourquoi "volcan" et pas "montagne" ? Là aussi la référence est limpide.

"Pour le personnage d'Alexandre on a évoqué les figures d'Hemingway ou de Malraux (le récit fait des références nombreuses à la guerre d'Espagne), mais ces deux larrons ont eu le bon goût et le bon sens de ne pas épouser d'actrices…"

Une fois prononcé son divorce d'avec Jan Gabrial, Malcom Lowry a lui épousé Margerie Bonner, ancienne starlette d'Hollywood.

"Le personnage d'Alexandre est hanté par son déclin artistique."

C'était aussi le cas de Lowry, hanté par la crainte de ne jamais parvenir à reproduire l'éclatant succès de "Au-dessous du volcan", qui se montrera incapable d'achever de nombreux manuscrits (avec pour conséquence une rupture de contrat de la part de son éditeur) et refusera aussi de publier ses manuscrits postérieurs à 1947.

« Parlerai-je de ceux qui sont partis pour le Mexique afin, notamment, de mettre leurs pieds dans les traces du Consul ? », écrivait Maurice Nadeau dans la préface à l'édition française du roman "Au-dessous du volcan". Nanar-Henry Lévy fait sans aucun doute partie de ces étranges pèlerins. Comme l'écrivait Alain Soral dans "Jusqu'où va t-on descendre ?" à propos de "BHL le touriste engagé" : "Ce rentier aux bras maigres se rêve depuis 30 ans : Malraux, Sartre, Lowry, Gary, Hemingway... N'est-ce pas la signature des médiocres de vouloir toujours vivre la vie des autres ?"