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Entretien avec
Brigitte Lahaie


Brigitte Lahaie

Comédienne, animatrice de radio, mais surtout star du X au temps de sa jeunesse, Brigitte Lahaie a sans nul doute marqué l'imaginaire du public français. On oublie pourtant trop souvent son apport incontestable à la noble cause du cinéma bis hexagonal. De Jean Rollin aux productions Eurociné, du polar à l'épouvante, Brigitte, dans les années 1980, a su se positionner en égérie d'un cinéma de genre français condamné par le mépris de la critique et l'anémie des budgets. Oubliez Brigitte l'actrice porno, voici Brigitte la sainte patronne du nanar !

Interview menée par Shimano en juillet 2005.


Votre nom d'origine est Brigitte Van Meeraeghe. Pour votre carrière, vous le changez et devenez Brigitte Lahaie...

Il me semblait normal à l'époque de ne pas garder mon vrai nom, tout d'abord parce qu'il est assez imprononçable mais surtout par respect pour ma famille. Faire du X en 1976, c'était tout de même jouer avec le diable. D'ailleurs dans cette période-là, certaines personnes de ma famille furent très choquées.


Dans certains films, vous êtes créditée sous le nom de Brigitte Simonin : pourquoi ce choix ?

Durant une certaine période, juste pendant et après ma carrière dans le X, je vivais avec un homme qui désirait vraiment m'épouser. Ce fut une manière pour moi de lui prouver mon affection. C'est par la suite, lorsque je vivais avec René Chateau, que j'ai repris mon pseudonyme Lahaie. Il me disait que c'était le seul moyen de montrer que j'assumais mon passé et il avait mille fois raison. D'ailleurs je lui dois beaucoup car il a une vraie connaissance des médias.

De gauche à droite : René Chateau, Telly Savalas, Brigitte Lahaie et Chris Mitchum.

Vous avez tourné avec Jean-Marie Pallardy, notamment dans Le journal érotique d'une Thaïlandaise. Votre collègue Florence Guérin le décrit comme une personne charismatique, qui a de la conviction, bien que ce ne soit pas un grand réalisateur. Partagez-vous cette description ?

Je n'ai pas du tout le même avis que Florence ! En fait Jean-Marie est un garçon sympathique mais il n'a aucune idée de ce qu'est le métier de réalisateur. J'ai toujours eu l'impression qu'il ne pensait qu'à une chose : me sauter ! Comme il ne parvenait pas à ses fins, il a fini par jouer un rôle dans un film dans lequel je tournais. Je fus donc sa partenaire à l'écran uniquement ! [Nanarland : cet épisode est relaté dans la biographie de Brigitte "Moi, la scandaleuse", au chapitre "Pour m'avoir, il devient comédien", sans que Pallardy soit nommément cité]

Jean-Marie Pallardy

Vous a-t-il contacté pour ses films suivants au cours des années 80 ?

Et non, pour comprendre, il suffit de lire la réponse précédente !

Jean Rollin et vous par contre, c'est une longue histoire...

Avec Jean, c'est une réelle histoire d'amitié. Je crois que Jean m'aime beaucoup. Il a tout de suite cru en mon talent, ou du moins en mon charisme et il m'a promis dès notre première rencontre de me donner un vrai rôle par la suite.

Jean Rollin et Brigitte Lahaie

En 1978, vous tournez dans Les Raisins de la Mort, sous la direction de Jean Rollin. Comment s'est déroulée la transition ?

Jean a donc tenu sa promesse et c'est sous sa direction que j'ai joué mon premier rôle. Ce fut pour moi une véritable joie car au fond, je rêvais d'être une vraie actrice. Ce fut une expérience douloureuse car les autres membres de l'équipe, techniciens et acteurs, me faisaient sentir que je ne faisais pas partie de leur famille mais Jean m'a toujours soutenue. De plus, il a su m'utiliser avec mes défauts et mes qualités. Je ne suis certes pas excellente mais je ne suis pas ridicule.

Vous apparaissez à l'affiche de 7 de ses films, avez-vous tous les titres en tête ?

Non certainement pas, mais je me souviens de mes rôles principaux. J'ai une affection pour Fascination qui est sûrement l'un de mes plus beaux rôles. Je garde également de bons souvenirs de ce tournage, il y avait la magie qui s'opère parfois sur un film.


A quoi attribuez-vous cette fidélité ? Savez-vous si Jean Rollin projette de tourner d'autres films, et auquel cas accepteriez-vous d'y participer ?

Je suis fidèle à Jean Rollin parce que j'ai la notion de la fidélité. Les personnes qui m'ont aidée à des moments difficiles, je ne les oublie pas. De plus, Jean sait respecter la femme médiatique que je suis devenue. Lorsqu'il me propose quelque chose, c'est toujours en adéquation avec ce que je suis. Il prépare ce qu'il pense être son dernier film, nous devons nous rencontrer prochainement pour en parler mais a priori, il peut déjà compter sur ma présence.

Et en ce qui concerne Jesus Franco, réalisateur au parcours à peu près comparable ?

C'est une toute autre histoire. Jess n'est pas un ami mais j'ai eu l'occasion de tourner plusieurs fois sous sa direction. Pour moi, il n'a pas le talent d'auteur de Jean Rollin car quoiqu'on en dise, Jean est un véritable auteur. Jess serait plutôt un bon ouvrier. Néanmoins, Jess a une grande qualité, il sait bien diriger les acteurs et c'est avec lui, à l'occasion du tournage de Dark Mission, les Fleurs du Mal, que j'ai sans doute eu la première fois l'impression que j'étais capable d'être une bonne comédienne.


Vous auriez déclaré que votre première rencontre ne s'était pas bien déroulée...

En fait, il y a eu un différent entre Jess et moi lors d'un tournage de film X. Je voulais rentrer à Paris pour des raisons personnelles et Jess n'a pas apprécié mon départ certes un peu précipité. Mais cela n'avait rien à voir avec notre travail.

Quel souvenir gardez-vous de Dark Mission, les Fleurs du Mal et Les Prédateurs de la Nuit, vos deux dernières collaborations avec Franco ?

Pour le premier, comme je vous le disais précédemment, ce fut plutôt une belle expérience. Pour Les Prédateurs de la Nuit, ce fut en revanche plus délicat car Jess n'était pas le seul maître à bord. Le film était produit par René Chateau, mon compagnon à l'époque, et ils n'avaient pas toujours le même point de vue. Mais dans l'ensemble, j'ai plutôt apprécié ce tournage qui fut sans doute pour moi mon meilleur rôle dans un film avec un budget un peu plus conséquent ! Et puis, j'ai eu la chance de très bien m'entendre avec Helmut Berger, qui est tout de même un acteur mythique.

Brigitte Lahaie, aux côtés d'Helmut Berger.

En 1979, vous incarnez Ursula Hoffman dans I comme Icare. Comment avez-vous obtenu ce rôle ?

Parce que la directrice de casting m'a choisie, personne à l'époque ne sachant que j'avais parallèlement une carrière dans le X !

Dans quelle mesure votre rencontre avec René Chateau a-t-elle facilité votre incursion dans le cinéma traditionnel ?

Tout d'abord parce qu'il a produit lui-même Les Prédateurs de la Nuit, mais aussi parce qu'il achetait les droits vidéo de certains films, comme Joy et JoanL'Exécutrice. Je ne dis pas que je n'aurai pas eu ces rôles mais disons que c'était une bonne aide à la décision.

Pourriez-vous nous parler de New Generation, film plutôt méconnu tourné la même année que I... comme Icare ?

Franchement, je ne m'en souviens plus très bien. J'avais juste une journée de tournage et ça ne m'a pas marqué plus que ça. D'ailleurs je n'ai jamais vu ce film.

J'aimerais que vous me donniez votre point de vue sur quelques acteurs avec qui vous avez tourné durant les années 80 :

Caroline Munro

Elle était très sympathique, mais j'ai eu très peu de scènes avec elle dans Les Prédateurs de la Nuit.

Gérard Zalcberg

C'était un comédien adorable, le contraire du personnage qu'il incarne !

Florence Guérin (qui confiait adorer tricoter avec vous sur les tournages, vous confirmez ?)

Oui je confirme ! Florence est une fille agréable mais à l'époque elle jouait un peu à la star, c'est du moins le sentiment que j'en garde. Nous sommes finalement assez différentes je crois.

Brigitte, Helmut Berger et Florence Guérin.

Christopher Mitchum

Nous nous sommes tout de suite plus, et ce fut très facile de jouer avec lui malgré la barrière de la langue (je ne parle pas très bien l'anglais). Il dégage un certain magnétisme, même si ce n'est pas son père. En tout cas, il est simple, ouvert et il est certainement meilleur comédien que bien des acteurs français.

Richard Harrison

Je n'ai pas eu l'occasion de le croiser sur le tournage de Dark Mission car nous n'avions pas de scènes ensemble.

Mike Monty

Je ne me souviens plus de qui il s'agit, je suis vraiment désolée de ne pas pouvoir vous en dire plus. [Nanarland : Mike Monty et Brigitte Lahaie ont une scène en commun dans Le journal érotique d'une Thaïlandaise, de Jean-Marie Pallardy, sorti en 1980]

Alexandre Sterling

Je n'ai aucune idée de ce qu'il devient, sans doute n'est-il plus dans le métier. Il y a malheureusement de nombreuses personnes qui tournent quelque temps puis qui disparaissent. Il faut certes du talent pour durer dans ce métier mais sans doute encore plus de persévérance ! Alexandre était adorable mais on ne peut pas dire qu'il perçait l'écran. J'ai eu l'occasion de croiser quelques "monstres sacrés" et on voit tout de suite la différence. Je pense par exemple à Richard Bohringer à l'époque du tournage de Diva, il avait une présence qui pouvait laisser penser qu'il ferait carrière.

Actuellement, on peut vous retrouver sur RMC, ou vous animez l'émission Lahaie, l'amour et vous...

Absolument, je suis tous les jours à la radio, en direct pour aider les auditeurs à mieux vivre leur sexualité. C'est mon combat depuis le début, aider à ce que la sexualité soit mieux acceptée en France. Je l'ai d'abord revendiqué avec mon corps en faisant du X, aujourd'hui je me sers d'autres armes. J'écris aussi des livres, j'ai d'autres projets, d'autres activités plus ponctuelles, bref, je n'ai jamais autant travaillé de ma vie !


Vous vous faites plus discrète dans le cinéma. On vous a vu dernièrement dans Calvaire de Fabrice Du Welz. Pourquoi cette prise de distance avec le cinéma, alors qu'au début de votre carrière vous tourniez jusqu'à vingt films par an, bien que ce fût tout autre chose ?

J'ai longtemps voulu, espéré devenir une actrice à part entière mais le cinéma français me boude. Afin de me prouver que j'étais capable de jouer, je suis même montée sur les planches pour des spectacles de cabaret. Ce fut une expérience difficile mais constructive. Aujourd'hui, j'ai fait le deuil de ma carrière cinématographique. Je pense être une comédienne au moins aussi bonne que la plupart mais le désir n'est plus tout à fait là. En fait, j'ai été victime de mon physique, je crois que je suis faite pour jouer des rôles différents de ce qu'on aurait pu me proposer.


Y a-t-il une chance de vous revoir dans un grand rôle ?

Je ne dis pas non définitivement mais j'y mets certaines conditions. J'ai la chance aujourd'hui d'exercer un métier que j'aime, de bien gagner ma vie tout en restant extrêmement libre, et cette liberté j'y tiens plus que tout. Donc il faut que le jeu en vaille la chandelle. Un rôle qui m'aille, un metteur en scène qui me convienne. Bref, je réagis en star alors que je n'en suis pas une dans ce domaine donc c'est compliqué et il y a peu de chances en effet qu'on me voit à nouveau dans un grand rôle au cinéma.

Avec quelles personnes avez-vous le plus aimé travailler ?

Finalement, je dirais peut-être bien Jean Rollin mais j'aimais aussi les tournages avec Burd Trambaree [Nanarland : Claude Ogrel, dit Claude Bernard-Aubert, alias Burd Trambaree pour son travail dans le porno].


Et de quel(s) film(s) êtes-vous la plus fière avec le recul ?

Sans aucun doute ma participation dans Henry and June de Phil Kaufman. Un tout petit petit rôle mais une grande rencontre. Il m'avait pris en sympathie et durant les six jours du tournage, je restais à ses côtés. Il m'expliquait pourquoi il faisait une prise supplémentaire par exemple. Et puis, je me souviendrai toute ma vie de son compliment le dernier jour du tournage. Il me compara à Jessica Lange qui était à l'époque ma comédienne préférée. Mais avec tout ce recul, je reconnais qu'il y a quelques films X dont je suis assez fière, comme par exemple Je Suis à Prendre de Francis Leroi ou Indécence 1930 de Gérard Kikoïne.

- Interview menée par Shimano -