Interview de Bruce Baron

Bruce Baron
Bruce Baron a longtemps été pour nous une énigme : cet acteur occidental, présent durant les années 80 dans un grand nombre de séries B asiatiques, eut le chic pour figurer dans les métrages les plus improbables qui soient. Héros de sous-Rambo philippins, ninja moustachu dans les escroqueries de Godfrey Ho, barbare apocalyptique dans « Les Prédateurs du Futur » de Ruggero Deodato, louche trafiquant dans « Overdose » de Jean-Marie Pallardy, Bruce Baron eut une filmographie des plus singulières avant de disparaître des écrans en 1989. Les légendes les plus contradictoires circulaient sur le net : un site le décrivait comme un karatéka anglais, un autre annonçait sa mort en Suède d'une overdose de produits amaigrissants (!) Nous ne savions rien de lui, sinon qu'il était encore en vie, comme en attestaient ses mails incendiaires adressés à divers sites qui relayaient l'information de son décès.
Aussi, quelle ne fut pas notre joie quand « Bruce Porter Baron », francophone distingué, nous écrivit pour éclairer notre lanterne à son sujet ! La dent dure mais l'humour sûr, Bruce nous a apporté des informations passionnantes et inédites sur sa carrière d'acteur occidental en Asie et sur le monde de la série B extrême-orientale. N'attendez plus, et lisez donc l'intégrale Bruce Baron, garantie 100% sans langue de bois !
Nous connaissons assez mal votre début de carrière, ainsi que les raisons qui vous ont mené en Asie. Nous croyons savoir que vous avez débuté comme mannequin dans des publicités, puis sur « L'Enfer des Armes » de Tsui Hark. Comment tout cela a-t-il commencé ? Pourriez-vous nous éclairer ?
Je suis allé pour la première fois en Orient durant mon enfance, en 1960, à l'âge de 10 ans, quand mon père s'est établi à Hong Kong pour y travailler. J'ai fréquenté une école chinoise là-bas et y ai appris à parler le cantonais. J'ai été envoyé aux Etats-Unis pour mes deux dernières années de lycée et mes études supérieures, ne retournant à HK que pour les vacances d'été, de 1965 à 1971. On peut donc dire qu'à l'exception de mes années de lycée et de fac, j'ai grandi à HK. |
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Vous nous avez appris que vous aviez tenu de petits rôles dans des productions de la Shaw Brothers. Quels souvenirs gardez-vous de ces tournages ? Un grand studio, avec des tas de décors merdiques de films d'époque chinois, une certaine recherche dans les costumes, du matériel hors d'âge, un mauvais éclairage, de mauvais acteurs, des conditions de travail dangereuses, de la mauvaise bouffe, des fractures dues à des protections inadéquates et des cascadeurs chinois incompétents, beaucoup de tournages de nuit car les acteurs principaux tournaient toujours quatre films à la fois, de nombreux retards, pas de scénario(s), aucune considération et un salaire de misère. Je n'ai jamais vu le moindre de ces films. |
Quelle était l'ambiance sur ces tournages à Hong Kong dans les années 80 ? Etait-ce difficile pour un gweilo de trouver sa place ? Un autre « gweilo de service » a raconté qu'à Hong Kong, un acteur occidental est considéré comme un « meuble qu'on doit nourrir » [ ?]. Etes-vous d'accord avec cette définition ? Globalement je suis d'accord avec ce point de vue. Mais au terme de "meuble", j'ajouterais l'adjectif « moche » ! L'ambiance sur la plupart de ces productions n'était pas très bonne. Tout était fait à l'économie, tourné en muet, et l'essentiel du temps, les membres de l'équipe et les acteurs étaient des immigrés originaires de Chine continentale. Des gens de basse extraction, incultes, peu avenants,qui ne pouvaient prétendre à de meilleurs boulots ou qui s'en servaient comme couverture pour leur véritable activité d'hommes de main dans les Triades. Les Triades étaient profondément infiltrées dans l'industrie du cinéma de HK [et c'est probablement toujours le cas]. Tout ça ne garantissait pas une vie sociale très raffinée. Je faisais l'objet de moins de discrimination que la plupart des autres figurants, car je parlais chinois, et je comprenais donc ce qui se passait. Les Chinois, surtout ceux de la campagne, ne vous accorderont de « face » [=respect] que si vous êtes quelqu'un de riche, ou qui gagne très bien sa vie [que vous soyez bon ou pas dans ce que vous faites]. Nous, les figurants blancs, nous étions grosso modo les plus mal payés sur ce genre de production. La plupart des « acteurs » gwei-lohs étaient des routards, des gens de passage, qui travaillaient pour environ 50 $ US la journée. Je touchais environ le double, grâce à mes dons pour les langues et mon rôle de traducteur, mais je n'étais pas "et de loin" assez riche pour avoir droit à une quelconque « face » de la part des gens. |
Selon les informations dont nous disposons, vous auriez produit de nombreuses publicités à HK et êtes parfois crédité comme coproducteur et assistant réalisateur. N'avez-vous jamais été tenté de vous investir un peu plus dans la production ou la réalisation ? Je n'ai produit aucune pub à HK. J'ai principalement tenu des emplois d'acteur, de régisseur, ou d'assistant de production. C'est dur de trouver du boulot derrière la caméra et de faire son trou, plus dur en tout cas que d'acquérir de la crédibilité comme acteur, car on était en compétition avec toute la main-d'oeuvre chinoise. N'oubliez pas qu'en tant qu' « acteur » gwei-loh en Asie, on pouvait être quelque chose de relativement rare, car peu d'Européens étaient disponibles ou disposés à faire ces boulots. Derrière la caméra, c'était autre chose. Je considère que le boulot le plus dur dans le cinéma est de produire son premier film. [Convaincre les gens de vous donner du fric pour faire des films est en effet quelque chose de très difficile. Vous devez pour ainsi dire vous faire pistonner, ou vous voir confier une somme d'argent à blanchir, afin de vous lancer et pouvoir gagner en crédibilité.] |
« Dragon Force » est votre premier rôle en tête d'affiche. Vous jouez dans ce film avec Bruce Li. Quels en sont vos souvenirs ?
Des horaires à rallonge, un salaire médiocre, de la mauvaise bouffe, des courbatures, des costumes ridicules. Une journée de travail, 3 ou 4 de repos. Le temps que le tournage soit terminé [six mois], j'avais dépensé mon salaire. A l'époque, j'avais été assez déçu du résultat. J'avais vraiment essayé de faire quelque chose de bien, mais au final, c'était plutôt nul. Maintenant, quand je vois des films comme « Kill Bill 2 », je me dis que ce film, comme tous ceux que j'ai fait, est plus marrant à regarder aujourd'hui qu'à l'époque. Son niveau de kitsch est tel, maintenant, que la plupart des gens le trouvent très marrant [alors que si on essaie de le prendre au sérieux, comme nous lorsqu'on le tournait, c'est tout simplement naze]. Ce film devrait être remastérisé et ressortir sous un titre comme « Dragon Farce, la foire aux clichés du Kung-Fu ». |
Vous êtes parti faire plusieurs films aux Philippines. Comment vous êtes vous retrouvé là bas ? Un acteur américain, Max Thayer, qui a tourné comme vous avec les réalisateurs locaux Teddy Page et Jun Gallardo (John Gale), nous a récemment accordé une interview dans laquelle il décrit ces films comme faits par des gens passionnés luttant contre le manque d'argent et des producteurs peu scrupuleux. Quelles étaient l'atmosphère et les conditions de travail sur ces films ? Pendant les années 80, il y avait pas mal de films étrangers qui se tournaient aux Philippines, essentiellement parce que Coppola avait tourné là-bas « Apocalypse Now » pendant deux ans, et laissé derrière lui beaucoup d'équipement, des décors et des techniciens locaux déjà formés. Dragon Force ayant été projeté au Festival de cinéma de Manille, je suis allé là-bas en faire la promotion, et on m'a invité à venir y travailler. La compagnie qui produisait les films que j'ai fait aux Philippines [comme acteur principal] s'appelait Kinavesa [NdlR : « Silver Star » pour l'exportation] et appartenait à K.Y. Lim [dit « Kim le fourbe »]. |
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