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Entretien avec
Bruce Baron

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Bruce Baron

Bruce Baron a longtemps été pour nous une énigme : cet acteur occidental, présent durant les années 80 dans un grand nombre de séries B asiatiques, eut le chic pour figurer dans les métrages les plus improbables qui soient. Héros de sous-Rambo philippins, ninja moustachu dans les escroqueries de Godfrey Ho, barbare apocalyptique dans Les Prédateurs du Futur de Ruggero Deodato, louche trafiquant dans Overdose de Jean-Marie Pallardy, Bruce Baron eut une filmographie des plus singulières avant de disparaître des écrans en 1989. Les légendes les plus contradictoires circulaient sur le net : un site le décrivait comme un karatéka anglais, un autre annonçait sa mort en Suède d'une overdose de produits amaigrissants (!) Nous ne savions rien de lui, sinon qu'il était encore en vie, comme en attestaient ses mails incendiaires adressés à divers sites qui relayaient prématurément l'information de son décès [Bruce Baron décèdera finalement d'un cancer en avril 2013, à l'âge de 63 ans].

Aussi, quelle ne fut pas notre joie quand « Bruce Porter Baron », francophone distingué, nous écrivit pour éclairer notre lanterne à son sujet ! La dent dure mais l'humour sûr, Bruce nous a apporté des informations passionnantes et inédites sur sa carrière d'acteur occidental en Asie et sur le monde de la série B extrême-orientale. N'attendez plus, et lisez donc l'intégrale Bruce Baron, garantie 100% sans langue de bois !

Interview menée en Mai 2005 par la Team Nanarland.


Nous connaissons assez mal votre début de carrière, ainsi que les raisons qui vous ont mené en Asie. Nous croyons savoir que vous avez débuté comme mannequin dans des publicités, puis sur L'Enfer des Armes de Tsui Hark. Comment tout cela a-t-il commencé ? Pourriez-vous nous éclairer ?

Je suis allé pour la première fois en Orient durant mon enfance, en 1960, à l'âge de 10 ans, quand mon père s'est établi à Hong Kong pour y travailler. J'ai fréquenté une école chinoise là-bas et y ai appris à parler le cantonais. J'ai été envoyé aux Etats-Unis pour mes deux dernières années de lycée et mes études supérieures, ne retournant à HK que pour les vacances d'été, de 1965 à 1971. On peut donc dire qu'à l'exception de mes années de lycée et de fac, j'ai grandi à HK.


Le 31 décembre 1972, j'avais alors 22 ans, mon père a été retrouvé assassiné dans son bureau à HK. On n'a jamais su par qui ni pourquoi. Je faisais partie des suspects ; HK était alors une petite ville, aussi dès que j'ai été innocenté, je me suis mis à voyager. Ma route m'a conduit à Hawaï, à Tahiti et sur la côte ouest des Etats-Unis. J'ai fait de nombreux petits boulots. Je suis retourné régulièrement à HK au cours des années 70 et j'ai fini par m'y établir à nouveau en janvier 1980. J'avais 30 ans.

Je ne faisais pas grand-chose de ma vie, et j'avais une petite amie chinoise qui m'a présenté à une agence de mannequins. J'avais tourné une pub ou deux à Hawaï et j'avais quelques photos en guise de « book » : j'ai rapidement trouvé du boulot comme "acteur" dans la pub. En tournant des publicités à HK, j'ai rencontré la majorité - sinon la totalité - des réalisateurs et caméramans qui travaillaient dans ce milieu. Quand l'un d'eux a été embauché sur L'Enfer des armes, il m'a conseillé à Tsui Hark en me présentant comme un acteur de pubs qui savait se placer et trouver ses marques devant la caméra. Tsui Hark m'a engagé pour jouer le chef des méchants gwei-lohs [NdlR : Blancs]. C'était un brave type, très intelligent, qui savait se vendre, mais qui ne parlait guère anglais à l'époque.

Bruce dans "L'Enfer des armes" (1980).

De fil en aiguille, j'ai commencé à être embauché par des réalisateurs chinois dès que ceux-ci avaient besoin d'un figurant gwei-loh qui pouvait dire quelques répliques en cantonais et qui était capable de traduire les indications aux autres figurants étrangers. Je refusais tous les rôles qui ne me garantissaient pas au moins quelques lignes de texte. Ca me permettait de gagner convenablement ma vie, et d'obtenir pas mal de petits rôles dans des films chinois. J'ai fini par cesser de me chercher un vrai boulot, car mon activité « artistique » me permettait de vivre [surtout grâce aux spots TV et à la pub magazine, qui payaient beaucoup mieux à la journée que les films]. Mais je suis devenu trop connu pour continuer à faire de la pub à HK ; d'un autre côté ma notoriété m'a rendu identifiable aux yeux des réalisateurs locaux, et cela m'a permis de trouver davantage de boulot au cinéma. D'une certaine manière, j'étais [sans doute] attiré par ce mode de vie : de l'argent facile, beaucoup de temps libre, des voyages et des petits culs à volonté. Je me suis plus ou moins « attaché » au métier d'acteur, dans la mesure où je me suis promis d'essayer au moins jusqu'à l'âge de 40 ans, à la condition d'arrêter à ce moment-là et de me trouver un vrai boulot si personne ne m'offrait un billet en première pour Hollywood. [C'est exactement ce qui s'est passé en 1990 : personne à Hollywood ne m'a jamais envoyé le ticket ! J'ai atteint la quarantaine, j'ai laissé tomber et j'ai refait ma vie avec un « vrai » boulot.]

Vous nous avez appris que vous aviez tenu de petits rôles dans des productions de la Shaw Brothers. Quels souvenirs gardez-vous de ces tournages ?

Un grand studio, avec des tas de décors merdiques de films d'époque chinois, une certaine recherche dans les costumes, du matériel hors d'âge, un mauvais éclairage, de mauvais acteurs, des conditions de travail dangereuses, de la mauvaise bouffe, des fractures dues à des protections inadéquates et des cascadeurs chinois incompétents, beaucoup de tournages de nuit car les acteurs principaux tournaient toujours quatre films à la fois, de nombreux retards, pas de scénario(s), aucune considération et un salaire de misère. Je n'ai jamais vu le moindre de ces films.


Quelle était l'ambiance sur ces tournages à Hong Kong dans les années 80 ? Etait-ce difficile pour un gweilo de trouver sa place ? Un autre « gweilo de service » a raconté qu'à Hong Kong, un acteur occidental est considéré comme un « élément de décor » [ ?]. Etes-vous d'accord avec cette définition ?

Globalement je suis d'accord avec ce point de vue. Mais au terme d'« élément de décor », j'ajouterais l'adjectif « moche » ! L'ambiance sur la plupart de ces productions n'était pas très bonne. Tout était fait à l'économie, tourné en muet, et l'essentiel du temps, les membres de l'équipe et les acteurs étaient des immigrés originaires de Chine continentale. Des gens de basse extraction, incultes, peu avenants, qui ne pouvaient prétendre à de meilleurs boulots ou qui s'en servaient comme couverture pour leur véritable activité d'hommes de main dans les Triades. Les Triades étaient profondément infiltrées dans l'industrie du cinéma de HK [et c'est probablement toujours le cas]. Tout ça ne garantissait pas une vie sociale très raffinée. Je faisais l'objet de moins de discrimination que la plupart des autres figurants, car je parlais chinois, et je comprenais donc ce qui se passait. Les Chinois, surtout ceux de la campagne, ne vous accorderont de « face » [= respect] que si vous êtes quelqu'un de riche, ou qui gagne très bien sa vie [que vous soyez bon ou pas dans ce que vous faites]. Nous, les figurants blancs, nous étions grosso modo les plus mal payés sur ce genre de production. La plupart des « acteurs » gwei-lohs étaient des routards, des gens de passage, qui travaillaient pour environ 50 $ US la journée. Je touchais environ le double, grâce à mes aptitudes pour les langues / mon rôle d'interprète, et le fait que je n'acceptais que les rôles avec un peu de dialogue, mais je n'étais pas "et de loin" assez haut dans la  hiérarchie pour avoir droit à une quelconque « face » de la part des gens.

Selon les informations dont nous disposons, vous auriez produit de nombreuses publicités à HK et êtes parfois crédité comme coproducteur et assistant réalisateur. N'avez-vous jamais été tenté de vous investir un peu plus dans la production ou la réalisation ?

Je n'ai produit aucune pub à HK. J'ai principalement tenu des emplois d'acteur, de régisseur, ou d'assistant de production. C'est dur de trouver du boulot derrière la caméra et de faire son trou, plus dur en tout cas que d'acquérir de la crédibilité comme acteur, car on était en compétition avec toute la main-d'oeuvre chinoise. N'oubliez pas qu'en tant qu' « acteur » gwei-loh en Asie, on pouvait être quelque chose de relativement rare, car peu d'Européens étaient disponibles ou disposés à faire ces boulots. Derrière la caméra, c'était autre chose. Je considère que le boulot le plus dur dans le cinéma est de produire son premier film. [Convaincre les gens de vous donner du fric pour faire des films est en effet quelque chose de très difficile. Vous devez pour ainsi dire vous faire pistonner, ou vous voir confier une somme d'argent à blanchir, afin de vous lancer et pouvoir gagner en crédibilité.]


Dragon Force est votre premier rôle en tête d'affiche, aux côtés de Bruce Li (Ho Chung Tao). Quels souvenirs gardez-vous de ce film ?

Des horaires à rallonge, un salaire médiocre, de la mauvaise bouffe, des courbatures, des costumes ridicules. Une journée de travail, 3 ou 4 de repos. Le temps que le tournage soit terminé [six mois], j'avais dépensé mon salaire. A l'époque, j'avais été assez déçu du résultat. J'avais vraiment essayé de faire quelque chose de bien, mais au final, c'était plutôt nul. Maintenant, quand je vois des films comme Kill Bill 2, je me dis que ce film, comme tous ceux que j'ai fait, est plus marrant à regarder aujourd'hui qu'à l'époque. Son niveau de kitsch est tel, maintenant, que la plupart des gens le trouvent très marrant [alors que si on essaie de le prendre au sérieux, comme nous lorsqu'on le tournait, c'est tout simplement naze]. Ce film devrait être remastérisé et ressortir sous un titre comme « Dragon Farce, la foire aux clichés du Kung-Fu ».

Ho Jung To [Bruce Li] était un mec bien, qui s'est efforcé de me servir de mentor. Michael Mak, le réalisateur, était une espèce d'enfant gâté. C'était le petit frère du producteur exécutif. Terrence, l'assistant de production, a travaillé ensuite sur de gros films hollywoodiens avec John Woo, Jet Li et Jackie Chan. Je crois que c'était son premier long-métrage.

Vous êtes parti faire plusieurs films aux Philippines. Comment vous êtes vous retrouvé là bas ? Un acteur américain, Max Thayer, qui a tourné comme vous avec les réalisateurs locaux Teddy Page et Jun Gallardo (John Gale), nous a récemment accordé une interview dans laquelle il décrit ces films comme faits par des gens passionnés luttant contre le manque d'argent et des producteurs peu scrupuleux. Quelles étaient l'atmosphère et les conditions de travail sur ces films ?

Pendant les années 80, il y avait pas mal de films étrangers qui se tournaient aux Philippines, essentiellement parce que Coppola avait tourné là-bas Apocalypse Now pendant deux ans, et laissé derrière lui beaucoup d'équipement, des décors et des techniciens locaux déjà formés. Dragon Force ayant été projeté au Festival de cinéma de Manille, je suis allé là-bas en faire la promotion, et on m'a invité à venir y travailler. La compagnie qui produisait les films que j'ai fait aux Philippines [comme acteur principal] s'appelait Kinavesa [NdlR : alias « Silver Star » pour l'exportation] et appartenait à K.Y. Lim [dit « Kim le fourbe »].

Je ne dirais pas que K.Y. était un homme sans scrupules. Il était simplement près de ses sous : c'était un homme d'affaires chinois coriace, guère aimable. Il était là pour le pognon et rien d'autre. Il ne mentait pas, ne vous prenait pas pour un con en vous faisant miroiter un avenir de star, il n'était pas dupe de ce qu'il faisait et de la qualité de ses films. Il vous donnait du boulot, définissait un salaire, et tournait le film en temps et en heure. Il payait rubis sur l'ongle, sans vous faire attendre, et sans essayer de vous enculer [au sens propre du terme : il y a un très grand nombre de pédés chez les producteurs philippins]. Comparé aux autres, ça faisait de lui un grand seigneur.

Ses films étaient tournés pour nettement moins de 50 000 $ US [tout compris], en moins de 28 jours, et vendus comme de la “"chair à Cannon"”. K.Y. les emmenait aux marchés du film de Cannes ou Milan et les vendait à Golan & Globus, les patrons de Cannon, qui les refourguaient avec leurs Rambos et autres grosses productions sous forme de gadgets marketing : [quand les distributeurs se plaignaient du prix de leurs gros films d'action, les gens de la Cannon leur fournissaient en prime deux ou trois bidules de Kinavesa, gratuitement, pour que l'achat de leurs gros films paraisse du coup plus avantageux].


A l'époque, la plupart de ces « quickies » [NdlR : film à faible budget tourné en peu de temps] de Kinavesa étaient réalisés par Teddy Page [de son vrai nom Teddy Chiu : un jeune Chinois des Philippines qui avait alors une petite vingtaine d'années] et Jun Gallardo, un réalisateur / caméraman local, âgé d'environ quarante ans. Dans mon souvenir, c'était des mecs bien, qui tentaient simplement de gagner leur vie et de nourrir leurs familles dans un pays du Tiers-monde. La plupart des acteurs que vous avez cités, moi compris, formaient une sorte de « troupe » bigarrée qu'ils rameutaient pour faire leurs films. J'ai tourné 4 de ces films et j'aurais pu en tourner davantage, car j'avais loué un chouette appartement sur le boulevard Roxas [avec vue sur la baie de Manille et la piscine du club Play-Boy] pour 100 $ US par mois et je guettais toujours le moindre prétexte pour m'y rendre. Mais malheureusement, chaque fois que Richard Harrison jouait dans un de leurs films, il mangeait 50 % du budget total, et il n'y avait plus assez d'argent pour me payer un salaire « décent ». K.Y. et Teddy appelaient l'un d'entre nous, parfois toute la bande, pour tenir des rôles dans ces films [dans mon cas, ils m'appelaient à HK et m'envoyaient un billet d'avion si j'étais OK]. Si mon planning et le salaire qu'ils proposaient le permettaient, je venais tourner. Mon tarif pour Kinavesa était de 2000 $ US, plus un aller-retour pour HK.

J'ai refusé plus de films que je n'en ai acceptés, parce qu'ils voulaient rarement débourser plus de 1500 $ US [Mike Monty et certains des autres gars que vous avez cités acceptaient des cachets inférieurs aux miens]. La conception de ces films ne dépassait jamais un mois, tout compris. Il y avait pas mal de camaraderie et d'esprit de corps, bien plus que sur les productions de HK. Les conditions étaient atroces. La bouffe était dégueulasse, les éclairages étaient une plaisanterie, les scénarios étaient caricaturaux et grotesques, mais il n'y avait pas d'entourloupes et c'était fait sans aucune prétention. Aucun d'entre nous n'avait rien de mieux à faire et je me suis beaucoup plus marré qu'à HK, à me promener à Pagsanjan, fumer du chanvre philippin, me balader en jeep ou aller baiser des nanas philippines.

Les équipes locales étaient beaucoup plus sympas que les chinoises, et, évidemment, ils parlaient anglais. C'est sur l'une de ces productions que j'ai rencontré Richard Harrison pour la première fois, mais je n'ai fait qu'un ou deux films avec lui parce qu'il était bien mieux payé que moi ou n'importe quel autre gars de la « troupe ». Il bouffait tellement sur le budget que K.Y. Lim pouvait rarement se permettre de nous avoir, lui et moi, sur le même film. Il venait d'Italie avec sa femme, était mieux payé et logé dans des hôtels convenables, parce que son nom avait plus de poids que les nôtres aux yeux de Golan & Globus. J'ai le sentiment qu'à part Richard, la plupart d'entre nous bouffaient de la vache enragée et faisaient les films pour survivre et pour s'amuser, plutôt que par amour de l'art. Soyons francs : il n'y avait pas grand-chose d'artistique là-dedans. Il s'agissait surtout de garder toute sa tête et de rester suffisamment sobre pour ne pas se blesser lors d'une scène de baston, d'effets pyrotechniques ou de cascade dans des bagnoles tellement déglinguées qu'elles auraient été recalées à n'importe quel contrôle technique, même philippin [mais les pneus dérapent mieux lorsqu'ils sont lisses].

Richard Harrison

Dans ces films philippins, on retrouve souvent les mêmes acteurs occidentaux (américains ?) comme Mike Monty, Jim Gaines ou Nick Nicholson. Etes-vous resté en contact avec certains d'entre eux ?

Non. N'oubliez pas qu'il n'y avait pas tant de boulot que ça. C'était à quitte ou double et on était en concurrence. Si Mike Monty acceptait un boulot pour 1000 ou 1500 $ US, ça signifiait que j'en aurais 2000 de moins en poche. Je pense que s'il prenait du boulot pour moins cher que moi, c'était tout simplement pour survivre. K.Y. alternait les rôles principaux selon les films sans prendre en compte les niveaux de salaire, parce qu'il ne pouvait pas se permettre d'avoir toujours les mêmes inconnus en tête d'affiche. Mais, plus d'une fois, Mike a fait des boulots qui m'avaient d'abord été proposés, simplement parce qu'il était moins cher, ou parce qu'il n'y avait pas à payer pour son billet d'avion. Je me suis basé à HK parce que c'était une économie plus évoluée, où il était possible de gagner assez pour mettre un peu d'argent de côté, et ça m'a évité d'être vu comme l'un de ces clodos des Philippines, ou de tomber complètement à la merci du producteur.

Je suis d'ailleurs surpris que vous n'ayez pas mentionné Don Gordon Bell ou Romano Kristoff, deux autres “acteurs” de Manille qui bossaient apparemment pas mal [peut-être parce qu'ils n'ont pas tiré comme moi leur notoriété de s'être fait entuber par IFD]. J'étais davantage copain avec eux qu'avec Mike Monty et nous avions fait un pacte informel de ne pas accepter de rôle principal pour moins de 2000 $ US dans un film de K.Y. Romano, notamment, était un mec sérieux. C'était un Espagnol, ancien de la Légion Etrangère, et un véritable artiste martial. Il se donnait du mal pour faire carrière dans le cinéma. Le fait qu'il ait réussi à survivre à plein temps à Manille, apparemment sans se retrouver dans la panade, m'a toujours stupéfait et émerveillé.

Mike Monty

La plupart des figurants blancs locaux aux Philippines étaient tout simplement des clodos. C'était souvent des alcooliques ou des camés qui étaient venus aux Philippines pour se payer des bières pas chères, du shit et des filles, et se retrouvaient échoués à Manille, trop fauchés pour pouvoir en repartir.

J'avais le sentiment que la plupart ne prenaient pas du tout le cinéma au sérieux : c'était simplement un point de chute, une façon de gagner sa croûte à défaut d'avoir les compétences requises et / ou le permis de travail pour un boulot normal. Ils avaient souvent engrossé une fille du cru et s'étaient retrouvés englués dans un cercle vicieux de responsabilités, dont ils ne pouvaient plus sortir faute de gagner assez d'argent. Il faut comprendre que les Philippines sont vraiment une économie du Tiers-monde. Quand on se retrouve dans un milieu comme ça, il est très difficile de s'en extraire, surtout si on s'est créé des responsabilités morales et financières, et qu'on a dépassé son temps de séjour.

L'un des principaux problèmes de ces mecs étaient qu'ils dépassaient souvent le temps imparti par leurs visas. Légalement, ça ne posait pas de problème, mais pour avoir un visa de sortie après avoir dépassé son temps, il fallait payer une amende de 100 Pesos [5 $ US] par jour de présence excédentaire. Les étrangers ne pouvaient obtenir de permis de travail qu'en fournissant beaucoup de documents avant même leur arrivée. Du coup, pas mal de ces gens étaient pris dans un cercle vicieux à la Catch 22 [NdlR : livre et film sur un aviateur qui pendant la Seconde Guerre mondiale se trouve piégé par les incohérences de la bureaucratie militaire] : ils ne pouvaient pas avoir de vrai boulot sans permis de travail, et ne pouvaient avoir de visas de sortie sans vrai boulot, et l'amende augmentait chaque jour. Les figurants sur ces films étaient payés 100 pesos par jour [5 $ US], nourris et logés sur place [c'est-à-dire, nourris avec du riz et du poisson à volonté plus une bouteille de San Miguel et logés à deux dans des huttes en bambou sans eau courante]. C'était le même salaire pour les Philippins, qui pouvaient aussi se faire embaucher si leur type ethnique leur permettait de ressembler à des Blancs. En conséquence, il y avait pas mal de gars à la ramasse qui apparaissaient sur ce genre de films comme figurants [le permis de travail n'était pas nécessaire] mais il ne gagnaient pas assez pour briser le cercle vicieux.

Romano Kristoff

Je me suis souvent amusé à compter combien de fois je tuais le même figurant, dans un costume différent, sur le même film. Mon record était de 41 fois. Il s'appelait « Mad » Mel [NdlR : Mel Davidson]. C'était un trafiquant professionnel, qui s'était fait expulser du Népal car c'était un pédophile homosexuel. Il amenait ses petits garçons avec lui sur les tournages à Manille. La dernière fois que j'ai entendu parler de lui, il tirait 15 ans au Japon pour avoir essayé de faire transiter du hasch vers Fukuoka depuis le ferry de Shanghaï. Il était typique du genre de gars qui faisaient de la figuration sur ces films.

Les gars que vous avez cités s'en tiraient mieux que ça, mais pas de beaucoup à ce que je voyais. Certains faisaient mine de prendre tout ça au sérieux, comme s'ils étaient sur le sentier de la gloire. Je pense que la plupart faisaient ça par paresse, pour s'amuser, pour les gonzesses, et pour la notoriété. Même les acteurs avec du texte ne gagnaient qu'environ 20 $ US par jour. C'est suffisant si vous vivez comme les populations du cru, à bouffer du riz et du poisson dans un taudis. Mais si vous ne pouvez pas vous trouver un autre boulot, là vous êtes baisé : il n'y avait pas de travail tous les jours ; quelques jours par mois, au mieux.


Mike Monty se donnait du mal et prenait ça [un peu trop] au sérieux, je trouve, si l'on considère à quel point les films étaient nuls. Je crois qu'il s'est marié avec une Philippine, en partie pour surmonter le problème du visa. Jim Gaines, il me semble, était mi-Philippin, mi-Américain, avec la double nationalité. Nick Nicholson était, je crois, dans la mouise. Romano Kristoff et Don Gordon, en plus de jouer, écrivaient des scénarios et tentaient de bosser dans la production. Ils y mettaient tous les deux beaucoup de coeur, mais ça ne semble guère leur avoir profité. Si on regarde leurs filmos sur le net, il semble que ça se soit arrêté net au début des années 1990. Est-ce qu'il y a encore des gens qui font ces films, d'ailleurs ?

J'avoue qu'à l'origine j'ai accepté ces boulots dans le [vain] espoir d'arriver à faire quelque chose de mieux [et pour avoir l'excuse de garder mon appart' à Manille], mais cet espoir a vite été déçu après le premier film de Kinavesa. C'était bien pire que ce que j'avais fait à HK. Quand j'ai arrêté de faire des films, je n'avais pas de raison de garder contact avec ces gens, dont je pensais qu'ils couraient à leur perte en poursuivant une chimère. D'autant qu'avec le temps, aucun ne rajeunissait. J'aimerais assez revoir Don ou Romano, mais je ne suis pas allé à Manille depuis 15 ans. Pour des raisons évidentes, ma femme n'aimerait pas que j'y aille et je n'ai pas de prétexte pour m'y rendre. Si vous avez leur contact, ça me ferait plaisir.

Sur Fireback, vous avez travaillé avec un de nos acteurs favoris, Richard Harrison, que vous avez peut-être aussi croisé sur les plateaux des films de ninja de Godfrey Ho. Quels souvenirs gardez-vous de lui ? Harrison nous a dit qu'il s'était senti manipulé par Ho et Lai et que ses films, distribués mondialement, salirent définitivement sa réputation et sa carrière. En fut-il de même pour vous ? Jusqu'à quel point ces films ont-ils nui à votre carrière ?

Comme je l'ai dit plus haut, j'ai rencontré Richard Harrison sous les auspices de Kinavesa, aux Philippines. Je n'ai jamais travaillé avec lui pour Ho & Lai [je crois qu'ils m'ont embauché après qu'ils l'aient arnaqué et qu'il n'ait plus voulu bosser pour eux]. Ce n'est que par votre site que j'ai appris qu'ils ont (bien plus tard) mélangé des scènes avec moi et des scènes avec lui dans le même film, Flic ou Ninja  [en français dans le texte, NdlR]. C'est, là encore, un bel exemple des méthodes d'IFD, qui consistaient à tripatouiller du métrage et à le ressortir comme un ‘nouveau' film [2 ou 3 ans après que lui et moi ayons définitivement cessé toute collaboration avec eux].


Richard était agréable à vivre, bien que d'une autre génération que moi [nettement plus vieux]. J'ai fait un ou deux films avec lui [pour Kinaseva] et quelques scènes seulement. Je crois que j'étais le gentil et lui le méchant dans un film, et le contraire dans l'autre [en fait, je ne suis plus trop sûr]. Je pense que nous avons tourné les scènes pour les deux films en une semaine, car les tournages se chevauchaient. Nous n'avions que 3 ou 4 scènes ensemble [généralement pour le combat final]. J'aimais bien écouter ses histoires sur le Hollywood d'autrefois, et sur Cinecittà à Rome. Nous n'avons pas traîné ensemble en dehors du tournage, car j'étais célibataire, et lui était toujours accompagné de sa femme.

Je n'ai fait qu'une seule session de tournage pour Ho & Lai. « Whore (Pute) & Lie (Mensonge) » conviendrait mieux. Quand j'ai découvert ce qui se tramait, j'ai proposé de renoncer à 50% de mon salaire s'ils ne mettaient pas mon vrai nom au générique, mais ils ont refusé. Je ne pense pas que ça ait nui à ma « carrière » [franchement, personne n'a jamais vu ces films], mais il est certain que ça ne lui a pas non plus bénéficié ! Et ils m'ont arnaqué en intercalant mes scènes dans Dieu sait combien de films ressortis sous différents titres, distribués et vendus avec nos noms sans nous verser un centime ni à moi ni aux autres. Cela m'aurait moins gêné s'ils nous avaient mieux payé, s'ils avaient essayé un tant soit peu de faire un film correct, ou s'ils nous avaient payés à la ressortie des films sous de nouveaux montages. Ma seule consolation, c'est qu'ils ont arnaqué tout le monde – et pas seulement moi – jusqu'au moindre abruti qui s'est risqué à distribuer une copie de leurs films [mais à qui ont-ils bien pu les vendre ?] en passant par tous ceux qui les ont jamais achetés ou loués. Richard a dû en souffrir plus que moi, car il était bien plus connu et qu'il avait une réputation à défendre. Je crois aussi qu'ils l'ont baisé sur le fric [ne lui ayant jamais payé ce qui était convenu] et l'ont menacé de le dénoncer au fisc de HK. S'il avait été mieux informé, il aurait vu qu'ils bluffaient. Il n'y a pas de règlement qui empêche des acteurs et techniciens étrangers de travailler à HK sans permis de travail [en fait, cette situation faire figure d'exception : cela sert à faire la promotion de HK comme lieu de tournage] et je pense que les taxes sur ce qu'il avait touché auraient été dérisoires.

Ce qui m'énerve, c'est de voir tous ces sites Internet sur les films de ninja accorder la moindre crédibilité au travail de Ho & Lai. C'était tout simplement des escrocs, de gros ringards dénués de la moindre éthique. Leur seule contribution au cinéma est d'avoir établi un mètre-étalon du niveau de bassesse auquel un producteur sans scrupules peut sombrer à force de paresse et de remontage de vieux films.


Nous aimerions être sûrs de comprendre parfaitement la chronologie de votre carrière. Apparemment, vous avez d'abord travaillé à HK (pour des pubs, la Shaw Brothers puis Tsui Hark), êtes ensuite allé aux Philippines puis revenu à Hong Kong pour faire ces affreux films de ninja. Est-ce bien cela ?

C'est plus ou moins ça. La filmo que je vous ai envoyée suit un ordre chronologique. Elle est aussi complète que ma mémoire le permettait. Mais l'essentiel est qu'il s'agit de films asiatiques, essentiellement originaires de HK, ainsi que des Philippines ou d'autres endroits selon les tournages. J'avais un appart à Manille, bien que je n'y passais que quelques mois par an, parce que c'était un chouette endroit et la vie y était extrêmement peu chère comparée à HK. J'ai tourné un certain nombre de pubs [TV] aux Philippines, en Thaïlande ainsi qu'en Indonésie. N'oubliez pas qu'à part la Chine continentale, l'Asie est un petit village, et Manille n'est qu'à quelques heures d'avion de HK. La filmo que vous présentiez [NdlR : dans la première version de la biographie, retouchée depuis cet entretien] [et la plupart des autres sur le net] me créditait comme apparaissant dans un film japonais des années 70, appelé Seishun No Mon [La Porte de la Jeunesse] par Kiriro Urayama. Je tiens à signaler que je n'ai rien à voir avec ce film, de près ou de loin. Je n'ai pas tourné de film avant les années 80, et n'ai jamais fait de film au Japon ni en japonais. Je vous prie de bien vouloir rectifier cette erreur. Quant aux films de IFD, je cite les titres dont ils m'avaient parlé.

Vous apparaissez ensuite dans Les Prédateurs du Futur alias Atlantis Interceptors, une production italienne tournée aux Philippines par Ruggero Deodato. Comment avez-vous été engagé ? Quelles furent vos relations avec Deodato, qui n'a pas la réputation d'être facile à vivre ?

J'étais aux Philippines en train de tourner autre chose, ou bien de me balader, et j'ai été envoyé à un casting par l'agent que j'avais sur place. Deodato était cool. Je tenais un petit rôle dans ce film, j'étais le chef des méchants. Le casting était composé d'acteurs américains de série B : d'illustres inconnus qui croyaient - à tort - être sur un gros coup ; Deodato s'est contenté de me faire porter ce maudit casque en plastique une semaine durant sous le soleil de Bataan. Notez bien qu'il ne me l'a pas fait porter parce qu'il m'avait trouvé mauvais acteur [comme il vous l'a déclaré] : l'idée du casque venait du scénario original, et ça servait pour la scène de la mort de mon personnage, dont la tête explosait lors du final [tourné à Cinecittà à Rome, sans que cela requière ma présence]. Avant le début du tournage, la première chose qu'ils ont faite fut de réaliser un moulage de ma tête pour l'utiliser dans la scène de la mort, mais la fausse tête n'était pas assez réussie pour apparaître directement à l'image.


Vous avez aussi travaillé avec Antonio Margheriti sur Nom de Code : Oies Sauvages (Arcobaleno Selvaggio), film au casting impressionnant. Quels souvenirs gardez-vous du travail avec des vétérans du cinéma de genre tels qu'Antonio Margheriti / Anthony Dawson, Lee Van Cleef, Klaus Kinski, Ernest Borgnine etc. ?

Ce tournage fut un vrai plaisir. L'une des rares fois où je me suis vraiment amusé à faire un film. Je me suis fait casser la clavicule par un connard d'acteur de la télé allemande, qui a sauté de son hélico à contre-temps et m'est tombé dessus : il devait attendre à la porte de l'hélico pendant que la première vague d'acteurs prenait position en bas, mais il a oublié les indications et a prétendu qu'il n'avait pu me voir car il portait un masque à gaz. Le zénith de ma carrière d'acteur a sans doute été de voir Ernest Borgnine [lauréat d'un Oscar] proposer de me faire mes lacets un matin sur le plateau, car je ne pouvais pas me baisser à cause de ma fracture. Kinski était un grand acteur, et un emmerdeur de première. Il était complètement explosé par la coke, et avait des caprices de diva. On ne pouvait l'emmener nulle part sans qu'il mette la main au cul des filles. Il causait pas mal de problèmes partout où il allait et il y avait des bagarres entre les Philippins et ses gardes du corps. Il s'est retrouvé pris dans une [vraie] fusillade à Manille. Il a fallu embaucher un Italien, un dénommé Mauricio, pour le garder le nez dans la coke, entouré de putes, et loin du plateau, pour qu'il ne cause pas de problèmes. On ne le faisait venir sur le plateau que lorsque sa présence était indispensable. Van Cleef était au trente-sixième dessous. Chaque jour, il s'enfilait un pack de bières avant le déjeuner et se retrouvait bourré à midi. Il fallait lui faire tourner toutes ses scènes le matin, sinon on ne pouvait rien en tirer. A l'opposé, Borgnine était un authentique pro quoiqu'il arrive, un type vraiment agréable à fréquenter. Pareil pour Margheriti, dont je me souviens avec plaisir qu'il savait créer une atmosphère fantastique, presque par magie, rien qu'en restant calme et maître de lui, même quand ça chiait dans le ventilo. Lewis Collins [NdlR : l'un des héros de la série britannique Les Professionnels] était lui aussi un type super sympa, sur le plateau comme en dehors. J'ai beaucoup appris en regardant ces gars [et Kinski, par contraste]. Nous avons tourné dans l'ancien décor d'Apocalypse Now sur le lac Caliraya, à Pagsanjan.

Klaus Kinski, Ernest Borgnine... et Bruce Baron !


Aux côtés de Lee Van Cleef.

En 1986, on vous retrouve dans La Légende de la Perle Sacrée, un film d'aventures à gros budget où vous tenez un rôle intéressant. Est-ce un film que vous appréciez ? Pensez-vous que ce genre de films dans la veine David Lean / Indiana Jones vous aurait mieux mis en valeur que les films d'action que vous aviez déjà tournés ?

Bien évidemment, c'est toujours mieux de bosser avec des pros, sur un gros budget, qu'avec des gens comme Ho & Lai. Et à partir du moment où ça ne parlait pas de kung-fu, ça avait plus de chances de me plaire [j'ai toujours dit que j'avais envie de jouer dans un film sans scènes de combat, avec un smoking du début à la fin, mais ça n'est jamais arrivé]. Ce film a été tourné dans les environs de Gizeh et Saqqara près des pyramides d'Egypte, dans une grande Mosquée au Caire, dans la Vallée Mustang à l'ouest du Népal et dans un studio à HK. Mais il y a eu de grosses galères sur ce film-là aussi. Un jour, durant le mois d'août à Saqqara [45° à l'ombre], l'assistant caméraman s'est débrouillé pour faire tomber la caméra Panavision [Une caméra louée, d'une valeur de 100 000 $ US], le magasin s'est fracassé et la pellicule s'est perdue dans le désert. C'aurait été presque drôle s'il n'y avait pas eu dessus mes scènes d'intro avec gros plans, et s'il n'avait fait tomber le lourd trépied métallique sur mon pied, en cherchant à rattraper la caméra avec l'énergie du désespoir. La partie métallique du trépied a traversé ma chaussure et m'a fracturé le pied. J'ai saigné à travers le trou de ma chaussure pendant le restant de la journée, tandis que nous retournions les scènes dans la lumière du couchant, avec une caméra de secours et sans le son direct.


Pardon d'insister sur le pénible épisode « ninja de Godfrey Ho », mais nous aimerions en savoir plus sur les méthodes utilisées sur ces productions. Qui semblait être le vrai « cerveau » derrière ces « ninjateries » : Godfrey Ho ou son producteur Joseph Lai ? Godfrey Ho vous donnait-il un script ? Comment était-il sur le plateau ? Quand vous êtes vous aperçu de ce qui se tramait ? Vous donnait-il de vrais dialogues ou improvisiez vous sur place avec les autres acteurs ? Vous êtes-vous post-synchronisé vous-même pour la version anglaise ?

Ca ne me pose aucun problème. Ces mecs ne méritent que d'être dénoncés pour qu'on sache bien à quel point ce sont d'infâmes ringards. Toutes mes scènes pour Ho & Lai ont été tournées sur une période de trois semaines, sans autorisation, à HK [essentiellement au parc de Kowloon, à 5 minutes à pied de leurs bureaux qui ont brûlé par la suite]. On préparait une chorégraphie, on enfilait un costume de ninja, on tournait, puis on faisait opérer à la caméra une rotation de 45 degrés pour avoir un décor différent, on mettait un costume d'une autre couleur et on retournait la même chorégraphie. Puis on refaisait pivoter la caméra de 45 degrés, on enfilait un troisième costume, et on tournait à nouveau une chorégraphie identique. Le même combat était ainsi tourné quatre fois, une fois par angle de prise de vue, avec un costume différent pour chacun. Je crois que c'était là la raison pour laquelle nos costumes avaient des couleurs aussi vives : ainsi, les scènes avaient l'air différentes quand on les montait dans des films différents [voire dans les mêmes]. Je ne suis même pas certain qu'ils les découpaient pour les intégrer dans des films différents : ils utilisaient parfois les mêmes montages, changeaient les titres et les sortaient sous de nouvelles jaquettes pour les vendre comme des films inédits d'une année sur l'autre. Ce qui était plus gênant, c'est qu'ils faisaient cela en ayant le culot de prétendre qu'ils tournaient des films de kung-fu à peu près décents. Je ne crois pas qu'il y ait jamais eu de vrai « cerveau » parmi eux. C'était tout simplement des opportunistes à la petite semaine, incapables de faire mieux [ou trop paresseux pour ça] : ils n'ont sûrement pas dû gagner beaucoup d'argent ! Leurs équipes étaient composées des pires racailles avec lesquelles j'ai jamais eu le malheur de travailler, avec pas mal de petites frappes des Triades qui utilisaient leur boulot de technicien comme couverture.


Je n'ai jamais vu le moindre scénario, à part les scènes d'introduction obligatoires, qui étaient écrites dans un mauvais anglais et que nous recevions le jour même, copiées à la main sur une feuille volante. Du coup, on improvisait pas mal, à cause de cet anglais de mauvaise qualité, et parce que c'était tourné en muet. Qui sait ce qu'ils ont fait dire aux doubleurs [?]... On ne m'a jamais appelé pour faire le doublage [à HK, c'est un truc assez particulier, avec des professionnels payés à la semaine pour faire du doublage dans le studio qui les emploie]. Ca ne me surprendrait même pas d'apprendre qu'ils aient recyclé les mêmes scènes en changeant les dialogues au doublage, afin de les insérer dans plusieurs films.

J'ai compris en partie ce qui se passait quand ils ont arrêté le tournage au bout de trois semaines. Je m'attendais à tourner au moins trois mois, car j'avais signé pour quatre films et j'étais payé à la semaine. Quand on a arrêté, j'ai demandé comment c'était possible de finir aussi tôt, car on avait tourné si peu de scènes. Godfrey Ho m'a alors expliqué sa « méthode ». C'est là que j'ai proposé de renoncer à 50% de mon salaire à condition qu'ils n'utilisent pas mon nom au générique. Ce n'est que des années plus tard que j'ai su plus ou moins combien de titres avaient été sortis en y intégrant mes scènes. C'était une arnaque particulièrement salée, car j'avais négocié mon salaire hebdomadaire à la baisse en pensant que j'aurais douze semaines de boulot au lieu de trois. C'est dur à dire car je n'ai ni acheté ni regardé l'intégralité de leur catalogue, mais je crois qu'ils ont sorti dix ou douze films avec moi dans le rôle principal, mélangeant mes scènes avec des stock-shots et des bouts de films extirpés frauduleusement d'autres productions.

Entre parenthèses, j'ai ma théorie personnelle sur l'incohérence de ces films [et ceux de Kinavesa], ça pourrait vous amuser : tous ces producteurs chinois parlaient un anglais plutôt rudimentaire. Quand ils allaient voir de vrais films d'action hollywoodiens, je pense qu'ils ne comprenaient pas trop les histoires faute de saisir les dialogues. Ce qui fait qu'ils attribuaient leur incompréhension à des incohérences dans les scénarios. Cela devait correspondre pour eux à une sorte de licence artistique de la part d'Hollywood et ils croyaient ainsi que ça faisait classe de négliger la continuité dans leurs scénars... J'ai tendance à croire ça car j'ai souvent demandé à tourner des scènes de coups de téléphone ou de conversations hors-champ pour tenter de combler certaines béances scénaristiques, et qu'ils me répondaient toujours « non, on n'en a pas besoin, ça va casser le rythme ! »

Les producteurs de ces films étaient souvent anonymes ou cachés derrière des pseudos. L'incendie des studios Filmark/IFD et la mort mystérieuse de la personne connue sous le nom de Tomas Tang ont alimenté l'idée que les affaires de Ho & Lai cachaient une réalité plus sordide que nous n'aurions pu l'imaginer. Avez-vous eu des soupçons à ce propos, et savez-vous quelque chose sur l'affaire « Tomas Tang » ?

Les "studios" Filmark / IFD étaient un petit bureau cradingue, avec des boxes pour les bureaux et une salle de montage, situés au 7ème étage d'un vieux building misérable, sur Nathan Road à Kowloon. Ca faisait moins de 40 mètres carrés en tout. On y tournait les scènes « d'introduction ». J'ai entendu parler de l'incendie dans ce building, car j'étais à HK quand ça s'est passé. C'est un sinistre qui a fait beaucoup de victimes. Le feu a pris au fond d'un ascenseur où des ouvriers faisaient des travaux ; il s'est vite répandu car les portes étaient gardées ouvertes sur plusieurs étages pour ventiler.

La plupart des victimes étaient aux 2ème, 3ème et 4ème étages. Je ne sais pas si qui que ce soit est mort à leur étage. Mais ça ne me surprendrait pas si Ho et Lai avaient essayé de tirer avantage de l'incendie pour arnaquer les assurances. Je ne serais guère surpris s'ils avaient affublé d'un de leurs pseudos habituels l'un de leurs employés mort dans l'incendie, afin d'obtenir des compensations. En tous cas, c'est plus probable que le fait qu'ils aient eu un rapport direct avec le sinistre, qui a fait l'objet d'une enquête minutieuse et de nombreux reportages dans les médias locaux.

Pouvez-vous brièvement nous éclairer sur les autres acteurs occidentaux avec lesquels vous avez travaillé à HK : Stuart Smith, Pierre Tremblay, etc. ? Etaient-ils des acteurs professionnels ? Avaient-ils conscience de ce qui se passait ou prenaient-ils leur travail au sérieux ? Etes-vous resté en contact avec certains d'entre eux ? Nous avons entendu dire que Pierre Tremblay était originaire du Québec et serait devenu producteur de disques là-bas, savez-vous si cela est exact ? Il semble aussi que Stuart Smith ait été Australien…

Je ne les connais pas, en fait [en tout cas, je ne m'en souviens pas]. J'ai eu l'impression qu'ils ne faisaient que passer par HK. Je crois que j'ai rencontré Stuart Smith une fois, et sans doute également Tremblay, quand je les ai tués l'un et l'autre à quatre reprises en une journée [il me semble qu'ils apparaissaient dans des scènes de combat durant mon expérience avec IFD]. Je suis à peu près sûr que ce n'était pas des acteurs professionnels, mais c'était peut-être de vrais artistes martiaux [contrairement à moi]. Ca ne veut rien dire, mais je ne les ai jamais vus dans aucune autre production et je ne pense pas qu'ils aient gagné plus de 50 $ US comme figurants pour IFD [et s'ils n'ont travaillé que pour IFD, je ne vois pas comment ils auraient pu prendre leur boulot d'acteurs au sérieux, à moins d'être totalement schizos]. Je pense qu'ils ont tiré leur notoriété de ces sites de ninja débiles [ainsi que de votre site] plus que d'autre chose, un peu comme moi. J'ai été vraiment stupéfait de découvrir l'an dernier sur Internet que qui que ce soit pouvait s'intéresser à ma « carrière » débile, même pour en rire.


Comment avez-vous été engagé sur Overdose ? Quels sont vos souvenirs de ce film, du réalisateur Jean-Marie Pallardy et des autres vedettes, Gordon Mitchell et Laura Albert ? Vous maîtrisez semble t-il le français et votre personnage parle dans la version française avec un accent à couper au couteau. Vous êtes-vous doublé vous-même ?

J'étais à Bruxelles, durant l'hiver 1988-89, pour faire des scènes de raccord pour mon dernier film, Cruel Horizon [produit et réalisé par Guy Lee Thys, l'une des rares personnes de ma carrière au cinéma avec qui je reste en contact à ce jour]. Nous avions tout le temps des problèmes de financement sur ce film, et je me suis retrouvé à devoir passer tout l'hiver en Belgique. Guy m'a trouvé ce boulot avec Pallardy, histoire de me convaincre de rester tout ce temps, nourri et logé mais sans salaire, et pour qu'on se retrouve tous en janvier à la Costa del Sol, en Espagne [où il a neigé, pour la première fois en 15 ans]. Je me souviens de Gordon Mitchell comme d'une vedette sur le déclin, avec une tête énorme et un visage étonnant ; il jouait le rôle du « Parrain ». Laura Albert était sans doute le nom de la nana américaine qui jouait l'héroïne [?]. C'était une jeune bimbo de Los Angeles qui croyait avoir décroché la timbale. Elle n'adressait pas la parole à de méprisables seconds rôles comme moi, je crois qu'elle ne savait même pas que je parlais anglais. Sinon, l'équipe était comme d'hab', avec une bande de techniciens espagnols alcoolos [ils buvaient de l'Armagnac à 5 heures du matin], des stagiaires français épatés d'être là qui travaillaient pour des nèfles, et quelques vieux pros [le premier assistant réalisateur, l'ingénieur du son, l'habilleur, et certains acteurs]. Je ne savais pas que Pallardy avait une telle réputation avant de voir votre site. Je le trouvais plutôt sympa. Le scénario était une merde racoleuse, mais au moins, il y en avait un, et même une copie en anglais ! Je m'en foutais un peu. L'hôtel était correct, la bouffe espagnole était bonne, j'ai bu du bon Sherry et fumé de l'herbe pas chère en provenance d'Algésiras [des vacances tous frais payés au sud de l'Espagne]. Je crois que j'ai joué mon rôle en partie en français, sans le son [je ne sais plus trop]. Je ne me suis pas doublé. Je parle souvent français avec un accent américain exagéré, pour embêter les Français, et parce que les Françaises semblent apprécier [de même que les Américaines aiment entendre des Français qui parlent anglais avec un fort accent français]. Je sais que Pallardy trouvait mon français amusant, il a donc pu demander à quelqu'un de doubler mon personnage comme ça exprès. Au moins, Pallardy avait le sens de l'humour et ne se prenait pas trop au sérieux, pour autant que je me souvienne.

Vous faites une apparition dans un épisode de la série Dallas, ce qui vous a semble t-il permis de vous inscrire à la Guilde des Acteurs. Comment vous êtes-vous retrouvé sur ce tournage ? Si vous avez si peu tourné dans votre pays d'origine, était-ce par choix ou par manque d'opportunités ?

J'ai été embauché pour ce tournage car j'étais alors quelque chose comme le cascadeur maison de Salon Films à HK. Salon était une filiale de Panavision à Hong Kong, aux Philippines et en Thaïlande, donc ils s'occupaient de tous les tournages qui utilisaient Panavision à HK. Ils faisaient pas mal de pub, donc j'avais du boulot quand ils avaient besoin d'un acteur pour faire une cascade ou porter un chouette costard dans une pub, ce qui fait que j'ai bossé plein de fois pour eux [mon visage était devenu trop connu à l'époque pour faire des pubs à HK, mais j'étais copain avec les réalisateurs et l'équipe de la boîte]. Ils m'ont appelé pour le casting, et j'ai eu le boulot car je savais imiter l‘accent texan. C'était un tournage syndiqué, et j'avais assez de dialogue pour pouvoir m'inscrire à la Screen Actors Guild [pour adhérer, vous devez avoir interprété un minimum de lignes de dialogue dans un tournage syndiqué, et la plupart du temps ils embauchent un non-syndiqué pour ces petits rôles, sauf en cas d'obligation].

Les tournages syndiqués sont très rares à HK [et partout ailleurs en dehors des USA]. Là, ça se trouvait être le cas. C'est la seule occasion de ce genre que j'ai jamais eu en Asie : je n'ai jamais tourné une seule journée sous le régime syndiqué, et je n'ai en fait jamais adhéré.


Le tournage de Cruel horizon semble avoir été très perturbé, au point que vous avez dû en réaliser une partie. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce film maudit ?

Ce film était financé par le Ministère belge de la culture. J'ai rencontré le réalisateur / producteur, Guy Lee Thys, dans une réception de l'Ambassade de Belgique à Manille, en 1984, où j'avais été emmené par une nénette philippine avec laquelle je sortais, et qui bossait comme mannequin dans un défilé prévu lors de la réception. Guy était à Manille pour les repérages et pour essayer de tirer un coup. Nous avons sympathisé et je me suis baladé avec lui, en l'aidant à s'encanailler à Manille ; tout ça se passait avant les années du Sida. Un an plus tard [1985], il a eu suffisamment de financement pour tourner des scènes, la plupart des sous venant de Stella Artois®. Il voulait en tirer une bande promotionnelle, afin d'obtenir plus de financements. Il m'a offert le rôle principal et a confié les autres à des acteurs philippins, dont une débutante nommée Jesse Elmido à qui il a offert le premier rôle féminin, et qui était disons la poulette la plus jolie qu'il ait réussi à tirer lors de son précédent séjour [il l'a plus tard épousée et a passé sa vie à le regretter, mais c'est une autre histoire]. Nous avons tourné pendant environ dix jours, en utilisant mon fameux appartement de Roxas Boulevard comme bureau de production et comme plateau pour les scènes d'intérieur.

Il est ensuite rentré en Europe pour trouver de l'argent, et n'est pas revenu avant l'automne 1988, où nous avons tourné 45 jours, essentiellement sur la côte de Batangas. A l'époque, il vivait avec Jesse et était continuellement bourré. Elle encourageait même son ivrognerie car comme ça, elle pouvait mieux le « gérer ». Plus d'une fois, il a dû aller dormir en plein tournage, et du coup quelqu'un devait le remplacer pour qu'on ne perde pas la journée. Il ne voulait pas tourner une scène d'amour car Jesse était nue au lit avec moi et je devais toucher ses seins. Il a piqué une crise de jalousie, s'est bourré la gueule, et s'est endormi. J'étais dans le studio, tout était prêt et il fallait bosser, du coup j'ai dirigé la scène. C'est comme ça que ça a commencé, je crois. Le petit assistant réalisateur belge n'était pas prêt à quitter son statut pour assumer les responsabilités, donc je l'ai fait. Le film en a sûrement souffert sur certaines scènes, car je n'étais pas dirigé, et je n'étais pas prêt à jouer et réaliser en même temps. Ca n'est arrivé que dans certaines occasions.


C'était un film compliqué : une sorte de docu-drama qui se passait en Thaïlande et parlait de réfugiés vietnamiens victimes de trafiquants d'esclaves en Thaïlande. Ca s'inspirait de reportages et de diverses histoires horribles qui circulaient en Thaïlande. Le film a été tourné en 35mm et en muet, avec une équipe entièrement belge. Il s'est avéré qu'on avait besoin de quelques scènes en plus, que nous n'avons pas pu tourner avant l'hiver 1989 en Belgique. Quand le film est sorti, il n'a eu que quelques jours de présence en salles en Belgique, avant de finir en vidéo. Voilà comment s'est achevée ma grandiose carrière cinématographique.

Dans deux productions différentes, il semble que vos connaissances du français vous aient été utiles : vous interprétez un ambassadeur français dans Lord of East China Sea (imaginez notre joie d'apprendre ça) et avez coproduit au moins un épisode de la série érotique Joy, avec Zara Whites. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces productions ? Avez-vous aussi joué un rôle dans Joy ?

Désolé, pour mon rôle d'ambassadeur français dans Lord of East China Sea, je disais mon texte en chinois, sans son direct sur le plateau. Pour Joy à Hong Kong, j'étais assistant de production et réalisateur de seconde équipe [ils m'ont laissé tourner les scènes de combat]. En gros, je ne faisais que traduire du français au chinois et inversement à l'intention de l'équipe et des acteurs. Il s'agissait d'une équipe majoritairement française venue tourner un film érotique à Macao. L'essentiel du casting venait lui aussi de l'étranger. A aucun moment je n'apparais devant la caméra. [NdlR : depuis cette interview, nous avons pu vérifier que Bruce Baron, contrairement à ses dires, tient bel et bien dans ce film un petit rôle de photographe de mode, dans lequel il cabotine sans vergogne. Précisons qu'il garde ses vêtements]


Bruce photographie Zara Whites dans "Joy à Hong Kong" alias "Joy in Love - Joy à Hong Kong" (1992), un de ses tous derniers rôles à l'écran.

Dans la notice biographique que vous avez rédigée à votre sujet sur l'IMDB, vous concluez par ces mots pour le moins ironiques : « Se retire [par manque de succès] du cinéma à l'âge tendre de 40 ans [avant qu'il ne soit trop tard], trouve un vrai métier et se fait un peu d'argent ». Où vivez-vous désormais, et quelles sont vos activités professionnelles ? Etes-vous resté en Asie ou rentré en Amérique ?

Je me suis lancé dans les affaires à Hong Kong, au début des années 90, et dirige depuis une petite société qui traite à travers toute l'Asie. Je vis essentiellement dans la grande île de Hawaï, mais j'ai gardé un petit appartement à Hong Kong, où je retourne 3, 4 fois dans l'année pour affaires – affaires qui n'ont rien à voir avec l'industrie du cinéma.

Sur Internet, beaucoup de légendes absurdes ont circulé sur votre compte, notamment l'annonce de votre décès en Suède en 1986 à la suite d'une overdose de produits amincissants ! Comment expliquez-vous pareilles rumeurs ?

Je n'ai pas la moindre idée de qui a pu lancer une telle rumeur. Godfrey Ho peut-être, dans le but de doper ses ventes [?] J'ai le sentiment que celui qui dans l'univers des sites sur les ninjas se fait appeler « Garaijan » [NdlR : webmaster du défunt site "Fist of wine" sur GeoCities, grand spécialiste de IFD et auteur d'une interview de Godfrey Ho qui s'est depuis avérée être bidon] pourrait être le responsable, et j'irai même jusqu'à suspecter ce Garaijan de n'être qu'un des nombreux pseudonymes de Godfrey Ho [phonétiquement, « Garaijan » correspond approximativement à un mot chinois qui signifie « fausse personne »]. La première fois que je suis tombé sur ces allégations, j'ai trouvé ça plutôt amusant [et j'ai eu l'occasion de reprendre la célèbre citation de Mark Twain « les rumeurs concernant ma mort sont exagérées et prématurées »] mais hélas, au fur et à mesure que cette rumeur se répandait sur toujours plus de ces sites Ninja ridicules, c'est devenu un peu ennuyeux, le fait de me présenter comme étant mort d'une overdose de drogues, de diurétiques et tout ça n'étant pas le moins gênant. Le fait est que je n'ai jamais formellement étudié les arts martiaux et que je n'ai jamais participé à aucun tournoi d'art martial d'aucun genre. Bien que je sois allé en Suède, je peux vous assurer que je n'y suis pas mort, et que je n'y ai pas plus concouru dans un tournoi d'arts martiaux. J'étais bien sûr en bonne condition physique, et dégrossi sur le plan martial par les quelques semaines de préparation au tournage de Dragon Force, et occasionnellement par celles de films ultérieurs, mais pour moi il s'agissait surtout de chorégraphies.


Avec le recul, quels sont vos meilleurs souvenirs de votre carrière cinématographique et les moments dont vous êtes le plus fier ? Quels genres de films aimez-vous ? Aviez-vous des acteurs de référence quand vous avez débuté ?

J'ai bien peur qu'il n'y ait aucun des films auxquels j'ai participé dont je sois vraiment fier, même si certains sont indiscutablement moins embarrassants que d'autres et bien qu'il y en ait beaucoup que je n'ai pas vus. Je pense que la seule chose dont je puisse être fier, c'est d'avoir survécu à cette période de ma vie en restant à peu près intact, et avoir trouvé les ressources pour passer à autre chose, sans séquelles graves sur le plan physique ou moral. J'ai aussi traversé cette période sans jamais vraiment me faire d'illusions. J'avais conscience d'être paresseux et de poursuivre un rêve irréalisable, c'est quelque chose que je n'ai jamais perdu de vue, je me suis laissé porter. Hé ! Je me disais qu'aussi longtemps qu'il y avait des gens assez bêtes pour continuer à faire appel à moi et à me proposer des rôles en y mettant le prix, j'avais envie de poursuivre mon petit bonhomme de chemin, comme ça ; mais je n'ai jamais vraiment crû, après Dragon Force, avoir la moindre chance que tout ça mène quelque part. C'était juste une solution de facilité.


Avec le recul, j'aime [à présent] Dragon Force pour sa ringardise purement idiote. Kill Bill 2 m'a ouvert les yeux et m'a aidé à dépasser ma déception initiale. En fait je le trouve chouette et amusant à regarder aujourd'hui, alors qu'à l'époque de sa sortie j'avais vraiment été très déçu. Les plus sympas à faire étaient probablement ces films stupides pour Kinavesa, à cause de l'esprit de camaraderie qui régnait sur le plateau [on se faisait tous baiser, et on ne pouvait pas y faire grand-chose à part encaisser en serrant les dents, et voir lequel d'entre nous pourrait se taper le plus d'« actrices », ou boire le plus de bière et être debout malgré tout le lendemain matin]. Même si à l'époque c'était frustrant de tourner de telles merdes, en ayant conscience que c'était de la merde, et de ne rien pouvoir y faire.

J'apprécie plein de genres de films différents. Mes réalisateurs préférés sont probablement Tarantino et Kurosawa. Mes films préférés, si je devais choisir, seraient probablement Pulp Fiction et Dersou Ouzala.

La première fois que j'ai travaillé avec des acteurs qui avaient le statut d'acteurs « modèles », c'était probablement sur Nom de Code : Oies Sauvages [Borgnine, à l'opposé de Kinski], et c'était déjà vers le milieu de ma « carrière ».

Plutôt triste, pas vrai ? Un récit consternant doublé d'une bonne mise en garde. Aussi, pour tous les gamins qui rêvent de devenir une star, voici mon conseil : [si vous le devez,] mettez-vous y sérieusement quand vous êtes ado, allez dans une bonne école d'art dramatique, décrochez un diplôme universitaire, et si vous ne gagnez toujours pas confortablement votre vie le jour de vos 30 ans, TROUVEZ AUTRE CHOSE A FAIRE.

- Interview menée par La Team Nanarland -