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Entretien avec
Gordon Mitchell


Gordon Mitchell

Né le 29 juillet 1923 à Denver, Colorado, vétéran de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre de Corée, Gordon Mitchell a débuté avec son ami Mickey Hargitay dans des performances de strongman et de gigolo pour des spectacles de Mae West. Il répond un jour à l’annonce d’une société de production qui recherche des culturistes pour un tournage en Italie. Alors qu’il pense n’y travailler que quelques semaines, il y fera toute sa carrière.

Gordon Mitchell nous a quitté le 20 septembre 2003, à l'âge de 80 ans, cette interview ayant été réalisée quelques mois auparavant. Nanarland tient à souligner l'extrême gentillesse avec laquelle ce grand monsieur a bien voulu répondre à nos questions. Il nous parlait ici de ses premières expériences d'acteur, de ses nombreux rôles et de sa relation avec Jean-Marie Pallardy. Le tout avec passion… et un zeste de mauvaise foi !

Interview menée par Labroche en décembre 2002 (traduction de Stephen Baldridge & John Nada).


Vous n'avez véritablement commencé votre carrière qu'en Italie, en jouant dans une multitude de péplums. Vous êtes ainsi resté dans ce pays pendant 30 ans. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce début de carrière, et sur ce qui vous a amené à rester aussi longtemps en Europe ?

Vous connaissez sûrement mon ami Joe Gold [Nanarland : un pionnier du culturisme aux E.U. qui a lancé Gold Gym's, une grande chaîne de salles de muscu devenue depuis World Gym's], avec qui nous nous entraînions, moi et quelques autres champions. A l'issue d'un concours auquel nous avons participé tous ensemble, j'ai décidé de devenir prof de culturisme. Un jour, au mois de juillet 1960, j'ai vu une annonce dans mon club de gym : des producteurs étaient à la recherche du nouvel Hercule ! Je connaissais très bien Steve Reeves [Nanarland : le mythique interprète d'Hercule dans les années 50], qui s'était marié avec une de mes élèves. Arty Zeller, qui faisait lui-aussi partie de la bande, a réalisé quelques très chouettes photos de moi que j'ai envoyées à Rome à l'adresse indiquée dans l'annonce.



Au bout de quelques mois, j'ai fini par ne plus y penser, poursuivant mes cours au club. Finalement, en décembre 1960, j'ai reçu un coup de fil de Rome : apparemment, on voulait bien de moi pour jouer Hercule, Maciste ou le cyclope. En fait, je ne comprenais quasiment rien à ce qu'on me disait mais quoi qu'il en soit, ils m'envoyaient une avance et des billets aller-retour entre Rome et Los Angeles (rires). Je suis donc parti pour Rome en janvier 1961. Ce qui est assez amusant, c'est que la dernière chanson que j'ai entendue juste avant de décoller de l'aéroport de Los Angeles, c'était « Arrivederci Roma ! », et qu'en arrivant à Rome, j'ai précisément entendu la même chanson ! Du coup, j'ai senti que mon séjour en Italie serait un peu plus long que prévu...

Un jour, au mois de juillet 1960, j'ai vu une annonce dans mon club de gym : des producteurs étaient à la recherche du nouvel Hercule !

Justement, qu'est-ce qui vous a fait rester si longtemps en Europe ?

Je pensais ne rester que les 6 ou 7 semaines nécessaires au tournage avant de revenir sur Muscle Beach, à Santa Monica. Pourtant, deux jours après la fin du film, j'en commençais un nouveau. Ainsi, après Maciste Contre le Cyclope j'ai enchaîné avec Le Géant de Métropolis, La Bataille de Corinthe, Par le Fer et Par le Feu, Jules César Contre les Pirates... Du coup, j'ai travaillé toute l'année ! C'est parce que je n'avais aucun plan de carrière que je suis resté si longtemps à Rome, et c'est comme ça que tout a commencé.

Pour la petite histoire, mon vrai nom est Charles Allen Pendleton. L'origine de mon pseudonyme remonte à 1956 lorsque, sur les conseils d'un ami, je suis allé consulter une voyante de 80 ans. Alors que je me présentais de façon anonyme, celle-ci m'a appelé Gordon Mitchell et m'a prédit une grande carrière en Italie. Effectivement, en 1961, Maciste se révéla être un énorme succès et fit de moi une vedette.

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Je suis allé consulter une voyante (...) celle-ci m'a appelé Gordon Mitchell et m'a prédit une grande carrière en Italie...

Vous avez joué dans plus de 200 films. De quelle période voudriez-vous que les gens se souviennent ? Quels sont les films dont vous êtes le plus fier ?

Je suis fier des 200 et quelques films dans lesquels j'ai tourné, j'aime chacun d'entre eux ! Etant donné qu'il m'a conduit au succès, Maciste Contre le Cyclope compte évidemment parmi mes favoris. Sinon, Le Retour du Fils du Sheik et La Colère d'Achille font également partie de mes films préférés.

Vous savez, quand vous travaillez dans l'industrie du cinéma, vous ne faites que ça, vous n'allez pas batifoler à droite à gauche. Je suis un acteur sérieux : je ne fume pas, je ne bois pas, je ne suis jamais sorti avec les filles des producteurs, à tel point qu'à l'époque certains ont même cru que j'étais gay (rires). En fait, j'étais plutôt introverti, sur la défensive. Du coup, je ne me suis jamais fait d'ennemi dans le monde du cinéma.

Gordon Mitchell dans Diamond Connection (1981) de Sergio Bergonzelli.

Je suis un acteur sérieux : je ne fume pas, je ne bois pas, je ne suis jamais sorti avec les filles des producteurs...

Au contraire, quels films aimeriez-vous que les gens oublient ? Quelle est votre pire expérience ?

(Rires) La toute première année, j'ai fait Let's Dance and Twist [Nanarland : celui-là est inconnu au bataillon], mais je ne m'en souviens pas très bien. En fait, j'ai tourné dans des films que j'aimais et que le public n'aimait pas et inversement. Finalement, pour qu'un film me plaise vraiment aujourd'hui, il faut qu'il plaise au gens.

Gordon Mitchell, impérial dans She (1985) d'Avi Nesher.

En fait, j'ai tourné dans des films que j'aimais et que le public n'aimait pas et inversement...

Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs ce qu'est Western Town ?

Western town est une petite ville typique du far west que j'ai fait construire en Italie, pour y tourner des westerns. A l'époque, tous mes amis italiens me disaient que j'étais fou de faire un tel studio de cinéma, en dépit de la concurrence mais au bout du compte, ce fut un nouveau succès !

A l'époque, tous mes amis me disaient que j'étais fou de faire un tel studio de cinéma...

Comment réagissez-vous en voyant que les films italiens de Série B sont de plus en plus cultes, et que certains vont même jusqu'à les collectionner amoureusement ? Ayant joué dans certains d'entre eux, quel regard portez-vous sur ces films aujourd'hui ?

Les premiers films dans lesquels j'ai tourné en Italie, en 1961, 1962, 1963, 1964, c'était quasiment que des histoires de gladiateurs, des Maciste, Jules César Contre les Pirates, Brenno le tyran etc. Pourtant, durant cette période, j'ai également joué dans des productions comme Le Géant de Métropolis, que j'aime beaucoup et qu'on a un peu trop vite assimilé à mes autres films. Plusieurs années se sont écoulées avant que les gens ne commencent à reconnaître que c'était vraiment un très bon film de science-fiction, un film qui a sans doute eu plus d'influence qu'on ne le croit.

Pourriez-vous nous parler un peu de Rush de Tonino Ricci, alias Anthony Richmond ?

Anthony Richmond, je le connais un peu mais Rush, je ne l'ai jamais vu ! Pour être honnête avec vous... il faut que je vous avoue qu'il y a beaucoup de mes films que je n'ai jamais eu l'occasion de regarder, parmi mes B-Movies essentiellement...

...Il y a beaucoup de mes films que je n'ai jamais eu l'occasion de regarder...

Vous avez joué dans White Fire de Jean-Marie Pallardy, qui est à nos yeux l'un des films les plus fous jamais réalisés. Pouvez-vous nous parler un peu du making of de ce film ? Combien de temps a duré le tournage ? Quelle était l'humeur sur le plateau ? Etait-ce un tournage classique (car le film, lui, ne l'est pas vraiment !) ?

Ah, c'est pareil pour celui-ci, je ne l'ai jamais vu ! J'étais sur le tournage d'un autre film lorsque Jean-Marie m'a appelé au sujet de White Fire et m'a demandé de le dépanner. En fait, on se connaissait bien depuis que j'avais joué dans un de ses premiers films, Le Ricain. Quant à savoir si White Fire est un film fou ou non, je ne peux pas vous répondre car comme je vous l'ai dis, je ne l'ai jamais vu (rires). Concernant la durée du tournage, l'ambiance... là aussi il m'est difficile de vous répondre du fait que je n'ai été présent sur le plateau que 3 ou 4 jours. Vous savez, Jean-Marie est un bon ami à moi, quelqu'un que j'essaie d'aider quand il en a besoin.

Dans quel contexte s'est déroulée votre première rencontre ?

Vers la fin des années 70, Jean-Marie est venu me voir parce qu'il souhaitait réaliser un western. Le problème, c'est que le genre n'avait plus du tout la cote à l'époque. Néanmoins, j'ai trouvé que l'idée de départ de son scénario, celle d'un enfant qui se fait kidnapper, n'était pas mauvaise. Du coup, je l'ai mis en relation avec de bons producteurs à Istanbul et c'est ainsi que The Man From Chicago aliasLe Ricain est né... un très bon film. La dernière fois qu'on a tourné ensemble, Jean-Marie et moi, c'était en Espagne à la fin des années 80, un film sur la drogue [Nanarland : Overdose]. Pour en revenir à White Fire... Vous savez, quand je fais un film, je le fais sérieusement, puis je le quitte et je l'oublie pour passer à autre chose. Une fois qu'on a quitté le plateau de tournage, il reste encore le montage, et là les films deviennent souvent très différents de ce qu'on pouvait imaginer !

Jean-Marie est un bon ami à moi, quelqu'un que j'essaie d'aider quand il en a besoin.

En France vous êtes surtout connu pour votre rôle de tueur dans Le Coup du parapluie (1980). Vous avez aussi tourné avec Jean Yanne, dans Le Saut de l'Ange (1971). Quels souvenirs garderez-vous de la France ?

J'ai adoré jouer avec Jean Yanne et j'adore tourner dans des comédies. D'ailleurs, Le Coup du parapluie est un de mes films préférés, et je ne dis pas ça parce que vous êtes français ! Le tournage a débuté en janvier 1980 et on s'est vraiment éclaté avec toute l'équipe, c'était un super film...

Gordon face à Jean Yanne dans Le Saut de l'Ange (1971) d'Yves Boisset.

Les films deviennent souvent très différents de ce qu'on pouvait imaginer...

Pouvez-vous nous parler de Das Musikill, votre prochain projet ?

C'est un film du réalisateur allemand Clemens Keiffenheim, quelqu'un que j'ai connu tout jeune alors que je montais mon studio dans les années 70. Aujourd'hui, Clem est quelqu'un d'important. Lorsqu'il m'a annoncé qu'il souhaitait tourner une comédie, j'ai accepté de l'aider. A chaque fois que je le peux, j'aide les gens à travailler. Moi-même, ça me permet de rester actif. Le problème dans notre société en général, c'est que la plupart des gens travaillent comme des dingues pendant 40 ans et qu'après ils ne font plus rien. Moi je ne veux pas que ça m'arrive !

Chaque fois que je le peux, j'aide les gens à travailler. Moi-même, ça me permet de rester actif.

Que projetez-vous de faire maintenant ?

Je continue de m'investir dans mon club de gym. Actuellement, on est en train de mettre au point une méthode d'exercices pour les femmes. J'aime toujours le culturisme, mais quand je vois tous ces individus musclés qui ressemblent à des gorilles difformes... je m'inquiète pour ces gens-là ! Moi, j'étais un « natural-blooded gorilla », tous les acteurs qui interprétaient Maciste à l'époque étaient naturels. Ce que je m'efforce de faire comprendre aux gens, c'est de faire plus attention à la façon dont ils s'y prennent pour muscler et entretenir leur corps. C'est une question de juste mesure. Moi-même je fais ce qu'il faut pour me maintenir en forme. Comme je vous le disais, je pense qu'il ne faut jamais s'arrêter de travailler. Si on laisse sa voiture quelques années dans la rue sans s'en servir, après elle ne démarre plus. Pour l'homme c'est pareil : il ne faut jamais laisser son corps ni son cerveau inactifs. Une fois à la retraite, certaines personnes ne savent plus quoi faire ; du coup elles commencent à boire et à fumer. C'est ça le message qu'on essaie de faire passer dans Das Musikill : "older people can do things", les personnes âgées peuvent faire des choses ! Il faut s'occuper ! Il y a toujours quelque chose à faire, du bénévolat dans un hôpital, un musée, trouver un job à mi-temps, ne serait-ce que quelques heures par semaine, se dégotter un hobby, aller en forêt, les entretenir pour les garder propres, en ramassant les branches mortes sur les chemins par exemple, le tout c'est que les gens restent actifs ! Je vous parle à vous les jeunes : keep yourself busy ! Travaillez, faites fonctionner votre cerveau, mangez équilibré, faites de l'exercice, ne serait-ce que faire le tour du pâté de maison en marchant... Ne vous laissez jamais aller à ne rien faire !

Je vous parle à vous les jeunes : keep yourself busy !

- Interview menée par La Team Nanarland -