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Entretien avec
Jean Rollin


Jean Rollin

Jean Rollin, né en 1938 à Neuilly-sur-Seine, est l'un des rares cinéastes français à avoir essentiellement oeuvré dans le fantastique et l'épouvante. Souvent décrié dans son propre pays, il n'en a pas moins tracé sa propre route dans le paysage cinématographique hexagonal. Mais comme il faut bien vivre et que les vampires ne nourrissent pas toujours leur homme, Jean Rollin a également signé des films alimentaires, dont l'impensable Le Lac des Morts-Vivants pour la firme Eurociné. Peu avant son décès, survenu le 15 décembre 2010 des suites d'une longue maladie, il avait bien voulu revenir pour nous sur les errements de sa filmographie.

Interview menée en 2010 par Painkiller.


Votre film de commande le plus connu, Le Lac des Morts-Vivants, a été tourné pour le compte d'Eurociné, célèbre compagnie de production française, connue pour ses tournages à l'économie. Pouvez-vous avant toutes choses nous parler de Marius Lesoeur, le patron d'Eurociné ?

C'était un enfant de la balle, un ancien forain, qui avait dirigé un cirque. Il avait cet état d'esprit très particulier, propre à ce genre de personnage. Il était venu au cinéma un peu en dilettante... Et puis il a fondé [Nanarland : en fait racheté]Eurociné, qui se trouve être probablement la plus ancienne société de production française. Je crois que le registre de commerce date de 1938, année de ma naissance. Il avait été, je pense, très traumatisé par l'Occupation. Pratiquement tous ses films se passaient pendant cette période-là, y a des soldats allemands, des résistants, toujours le même genre de choses. Pour lui la vie s'était arrêtée en 1942-43. Alors bon, il y a eu ça dans Le Lac des Morts-Vivants, le film que j'ai fait pour lui. Ce qu'il aimait particulièrement, son grand truc, était d'insérer des scènes de ses anciens films dans les nouveaux ! Personnellement, je n'aimais pas ça... Personne n'aime ça, mais pour lui, ça allait très bien. Il m'a fait tourner des scènes avec des gens qui avaient déjà tourné dix ans auparavant dans des films du même genre : on voyait un personnage traverser le champ, et dans le contre-champ il avait quinze ans de plus ! Mais bon, pour lui, ça n'avait pas d'importance, ça ne se voyait pas. Je trouvais ça impossible, hein. J'ai fait comme ça des raccords pour lui, il faisait des films avec des bouts de films anciens qu'il mélangeait avec des nouveaux. Par exemple, ce que j'ai tourné pour Le Lac des Morts-Vivants, il s'en est servi pour le mettre dans un film de Franco, et ça ne collait pas du tout, évidemment. C'était pour un film que je ne connaissais pas, que je n'avais pas vu... Donc, heu... Tout ça était incohérent... Mais enfin bon, voilà. Sans ça, c'était quelqu'un de très sympathique, on s'entendait très bien.

Venons-en au Lac des Morts-Vivants : comment êtes-vous arrivé sur le projet ?

Je l'ai déjà raconté plein de fois pour des interviews, mais c'est assez amusant, donc je peux vous le raconter ! J'allais partir en vacances, aux alentours du quinze juillet, j'avais ma valise à la main, et je me préparais à aller prendre le train, quand le téléphone sonne. C'était Marius Lesoeur, très exubérant, qui me dit « Ecoute, on prépare un film de morts-vivants, c'est ta spécialité, celui-là sera exceptionnel, il aura le prix d'Avoriaz, il aura tous les prix, est-ce que tu veux le faire ? » Evidemment, il n'avait pas dit la vérité. Je lui ai répondu « Là je pars en vacances, donne-moi les dates. » « On commence lundi ». On était vendredi. C'était tellement fou - je n'avais pas lu le scénario, je ne savais rien du film - que je lui ai dit « Pourquoi pas ? ». C'était une gageure, ça m'amusait. J'ai reposé ma valise, il m'a donné l'adresse du premier jour de tournage, et le lundi, j'étais sur le plateau sans savoir du tout ce que nous allions faire ! Il y avait seulement deux exemplaires du script, que gardaient avec eux Marius Lesoeur et son fils, Daniel, ce qui fait que ni moi ni personne n'avons jamais eu le script entre les mains. Ca s'est tourné dans une joyeuse ambiance de folie ! Pour vous dire à quel degré de pauvreté on était, on déjeunait dans les voitures, assis sur le siège, avec du poulet froid et un tube de mayonnaise. C'était tout à fait fou ! Il y avait un seul projecteur. C'était Daniel Lesoeur qui s'en occupait, et il est resté collé plusieurs fois à cause de court-jus ! Sans arrêt. C'était assez amusant, pour moi c'était une expérience nouvelle. J'ai toujours tourné pour pas cher, mais là c'était complètement misérabiliste. Il y avait aussi cette caméra, qu'on était allés chercher rue de la Goutte d'or dans une cave, et qui était pleine de poussière. Elle ne tournait pas à la bonne vitesse ! Le cinéma, comme vous savez, c'est vingt-quatre images par seconde, mais elle ne tournait pas à vingt-quatre images, c'était à plus, ou à moins selon son humeur. J'ai vu cette chose inouïe : Howard Vernon tenait le rôle principal, et Marius Lesoeur lui demandait de jouer plus lentement pour compenser le fait que la caméra tourne trop vite. Et il l'a fait, d'ailleurs ! Les acteurs ont joué au ralenti ou en accéléré, selon la vitesse à laquelle tournait la caméra. Quand on y pense, c'est tout à fait fou ! Tout le monde a joué le jeu, puis on a tourné ce film.

Où le film a t-il été tourné ? Les figurants étaient-ils des gens du cru, et combien d'acteurs professionnels y avait-il sur le tournage ?

Il y avait Howard Vernon, c'est tout ! Il y avait Daniel Lesoeur, la petite-fille de Marius... Tout le monde a joué là dedans. Par contre je ne me souviens pas où le film a été tourné. Pas loin de Paris, évidemment, mais où exactement ? Je ne sais pas. Il y avait des gens du cru, la scripte... On était très peu nombreux dans l'équipe technique.

Howard Vernon dans Le Lac des Morts-Vivants.

Dans une scène, on peut voir une figurante en pleine hilarité : aviez-vous des difficultés à diriger tous les comédiens, du fait des conditions de tournage ?

Je ne me souviens pas de ça... On ne pouvait pas y faire grand-chose : on disposait de tellement peu de temps pour tourner les scènes qu'il n'y avait pas de direction d'acteur... Et ils n'étaient pour la plupart pas professionnels.

Quels sont vos souvenirs de Howard Vernon, Pierre-Marie Escourrou, Anouchka Lesoeur ?

Howard Vernon était très sympathique, on s'est bien entendu. Je ne le connaissais pas avant, et il y a eu une très grande complicité entre nous. Pierre-Marie Escourrou, je ne me souviens pas de lui... Anouchka, c'était la petite-fille de Marius, elle était comme toutes les petites filles et faisait très sérieusement ce qu'on lui demandait de faire.

Anouchka Lesoeur et Pierre-Marie Escourrou.

Savez-vous comment s'est passé le doublage du film, qui est parfois atypique, comme souvent sur les films Eurociné ?

Je n'ai pas participé à la post-production du film, ni par conséquent à sa post-synchronisation.

Vous avez, dans la plupart de vos films, une démarche d'auteur. Intégreriez-vous Le Lac des Morts-Vivants dans votre filmographie ?

Si j'avais eu l'intention de l'intégrer, je l'aurais signé ! Les films alimentaires que j'ai tournés n'ont rien à voir avec moi : je les ai faits, mais c'est tout.

Pouvez-vous nous parler des scènes que vous auriez retournées à la demande de Marius Lesoeur pour transformer le film de Jesus FrancoChristina princesse de l'érotisme en un film de zombies, ce qui aurait mis Franco en fureur ? Certains sites prétendent qu'il s'agit juste de chutes du Lac des morts-vivants, d'autres de scènes tournées spécialement pour l'occasion.

Ce n'est pas tout à fait exact. J'ai tourné deux ou trois scènes de morts-vivants pour Marius Lesoeur, mais je ne savais pas ce qu'il allait en faire : il était hors de question de les mettre dans un film de Jess.

Que pouvez-vous dire sur le dernier projet jamais abouti d'Eurociné qui lui est attribué, Chasing Barbara, qui daterait de 1991 ?

J'ai tourné des séquences dont il avait soi-disant besoin : c'était destiné à monter un film à lui, probablement de Jess Franco, et on voyait des personnages... c'était assez incohérent. C'était censé se marier avec ce qu'on appelait Chasing Barbara. Pour moi c'était in-montable avec le vieux film de Franco qu'il avait, qui était une histoire de cannibales. Lui-même a dû reconnaître que c'était injouable et ce que nous avons tourné est resté dans les tiroirs.

Les Trottoirs de Bangkok, un polar exotique, fait également figure d'exception dans votre filmographie : pouvez-vous nous parler de ce film ? Est-il vrai que le producteur vous avait ramené des images de ses vacances en Thaïlande, en vous demandant de faire un film autour de ça ?

Oui, c'est vrai. André Samar avait passé ses vacances en Thaïlande, et il m'a dit "J'ai plein d'images, y'a de quoi faire un film !" Il a montré des heures de rushes à tout le monde, Alain Payet, etc. Et tout le monde a dit qu'on ne pouvait rien faire de tout ça, et moi pareillement. Pratiquement tout ce que l'on voyait, c'est sa femme sur une chaise longue en train de lire ! Il n'y avait rien du tout, et la caméra bougeait tellement que c'était inutilisable. Alors je lui ai dit "Bon, je veux bien essayer", et j'ai réussi à sortir quatre images où l'on voit des pousse-pousses... Il n'avait même pas filmé la vie nocturne de Bangkok, tout ça était éclairé comme en plein jour... C'était absolument nul... On en a sorti deux ou trois minutes comme ça, et j'ai écrit autour de ça un scénario, que l'on a tourné en huit jours. C'était très amusant, nous avons fait cela avec plaisir, et c'est pour cela que je l'ai signé et intégré dans ma filmographie. Ca a été un exemple de série B que j'ai apprécié de réaliser : il y avait des copains, comme le critique de cinéma Jean-Pierre Bouyxou, que j'avais aimé filmer sous un drapeau tricolore, et plein de choses de cet ordre-là. Et il y avait cette petite asiatique qui aurait pu être une découverte, mais elle se fichait un peu du cinéma, ça ne l'intéressait pas. Elle jouait à l'instinct et était un peu acrobate : elle a fait des choses dangereuses, on a fait des prises de vue très osées et on a failli la tuer deux fois ! Ca s'est fait dans la plus grande folie et avec grand plaisir, et on a pu mettre dedans des choses que j'avais envie de filmer, telles que les gares de triage... C'est un film que je revendique parfaitement, bien que ce soit un tout petit budget et un tout petit tournage. Et puis ça a très bien marché en plus.

Jean-Claude Benhamou, l'un des comédiens des "Trottoirs de Bangkok"  (dont il était également scénariste), a par ailleurs produit et joué dans "Ne prends pas les poulets pour des pigeons", une comédie de commande que Rollin a réalisée sous le pseudo de Michel Gentil. 

On remarque notamment dans ce film les présences de Brigitte Borghese et Françoise Blanchard, deux actrices récurrentes dans le cinéma bis français.

Je les connaissais toutes deux depuis longtemps, bien avant Les Trottoirs de Bangkok. J'ai notamment travaillé avec Françoise Blanchard sur La Morte-Vivante, dont elle était l'héroïne. J'ai revu Brigitte Borghese il n'y a pas si longtemps, et Françoise Blanchard a tourné dans mon dernier film. Ce sont de bonnes comédiennes, très disponibles toutes les deux.

Brigitte Borghese et Françoise Blanchard.

"Michel Gentil" est apparemment le nom que vous avez employé pour vos films de commande : pourquoi ne pas l'avoir employé aussi sur Le Lac des Morts-Vivants, et d'où vient le pseudonyme "J.A. Lazer", dont vous avez signé ce dernier film ?

Il se trouve que je n'ai pas pu employer mon pseudonyme parce que J.A. Lazer existe réellement. Il fallait, pour d'obscures raisons de coproduction, qu'il y ait un nom espagnol au générique. Je me souviens que quand on a tourné chez Marius Lesoeur, dans sa maison de campagne, à un moment donné, il me montre un type qui balayait le plateau et me dit "Tiens, regarde, c'est J.A. Lazer". (rires) C'était vraiment le nom de quelqu'un, mais qui n'était absolument pas réalisateur.

Des commentaires sur les films érotiques, puis pornographiques (Tout le monde il en a 2, Vibrations sexuelles, Douces pénétrations, etc.) que vous avez tournés sous votre pseudonyme de Michel Gentil ? Comment vit-on le passage d'une démarche d'auteur à ce genre de films éloignés de vos préoccupations ?

Passer du film « traditionnel », ou tout du moins du film fantastique ou de série B, à un cinéma X, c'était passer d'une chose à l'autre : dans mes films de vampires, ce qui comptait, c'était le film. Par contre, quand on en est venus à la période X, le film ne comptait plus du tout. Ce qui comptait, c'était le tournage, c'était de prendre un plaisir qui existait à tourner avec des gens sympathiques, qui n'étaient pas du milieu du cinéma, mais du milieu de l'érotisme. Je dois dire qu'on avait constitué une petite équipe extrêmement sympa et on se retrouvait avec grand plaisir. Je me souviens qu'à la fin d'un tournage où l'on avait fait deux films X l'un derrière l'autre, avec les mêmes acteurs, qui avait duré cinq jours dans une maison près de Courtenay, tout le monde pleurait. C'était très particulier comme ambiance, il y avait vraiment une amitié solide entre tous les gens qui participaient à ça. C'était un vrai plaisir. On faisait de la merde, on le savait bien, mais c'était un plaisir. On se retrouvait ensemble, c'était un petit peu comme une famille. J'irai même jusqu'à dire que c'était un petit peu boy-scout comme ambiance ! (rires) Il m'arrive de regretter cette période-là : on tournait vraiment dans une atmosphère d'enthousiasme. Si cela avait pu exister sur le tournage de vrais films, cela aurait été merveilleux.

Quels souvenirs avez-vous de Tania Busselier, l'actrice principale de Douces pénétrations (elle avait joué auparavant chez Marcel Carné et dans des films grand public avant de se retrouver dans des Eurociné, puis dans le X) ?

Tania Busselier a fait plusieurs X, oui. C'était l'amie d'un des acteurs favoris de Marcel Carné [Nanarland : Roland Lesaffre]. Par lui, elle a pu faire du vrai cinéma et a tourné dans les derniers films de Carné, mais bon... Elle était assez sympathique, mais je ne sais pas ce qu'elle est devenue, je n'ai fait que ce film-là avec elle.

Vous êtes apparu comme comédien dans des films réalisés par Norbert Moutier : Alien Platoon, Trepanator, Dinosaur from the Deep. Avez-vous des commentaires et des souvenirs sur ces films ? Quelle est votre opinion sur la démarche de Norbert Moutier et ses méthodes de tournage ?

Norbert Moutier est un vieux copain, il a été le premier à faire des articles sur moi, dans des magazines maintenant disparus. Il était en tout cas un des premiers à me défendre, alors qu'à cette époque j'étais insulté de toutes parts. J'ai accepté de tourner avec lui, ce que je ne ferais probablement pas pour d'autres, ou difficilement. Bon, c'était des films à très petit budget : ils étaient presque tous tournés dans sa cave ! J'aimais bien ça... Simplement, il arrivait que nous ne soyons pas d'accord sur la façon dont se passaient les choses. J'ai essayé de ne pas intervenir sur ses tournages, je le laissais faire ce qu'il voulait, même si cela ne me paraissait pas très bon. Il s'est toujours donné beaucoup de mal pour faire ses films, et son travail, quoi qu'on puisse penser du résultat, a toujours été très honorable, parce qu'il a réalisé un de ses rêves d'enfant, et pour ça je l'admire beaucoup. Il a toujours voulu faire du cinéma, et il a fini par en faire, avec ses moyens, et ce qu'il pouvait faire, mais il en a fait, il a fait des longs métrages, plein de films, et je trouve ça très estimable.

Comment un cinéaste indépendant comme vous a-t-il vécu l'évolution du marché en matière de distribution des films, avec l'apparition de la VHS, puis du DVD ?

Je ne l'ai pas vécu particulièrement, ça s'est trouvé comme ça : il y a eu un nouveau marché qui s'est ouvert, tout petit ! On vendait les DVD une poignée de cerises, ça ne valait pas grand-chose. Ca a peu servi pour la distribution de mes films et leur commercialisation. Ce qui a servi, c'est le besoin de films des chaînes de télévision, dans lesquelles on a essayé tant bien que mal de s'insérer.

Vous avez le chic pour trouver de très beaux décors de châteaux que vous savez magnifier par votre lumière. Comment faisiez-vous pour trouver ces lieux de tournages ? :

Cela dépend. Si le scénario nécessitait un décor précis, je faisais des recherches. Mais souvent, je cherchais des décors avant le scénario : j'avais un gros dossier de décors dans lesquels je m'étais dit que j'aimerais tourner, et je piochais dedans.


Pour Le Frisson des Vampires, sur le Donjon de Sémont, nous avions décidé de faire saigner le château en lançant cinquante litres de peinture par une petite fenêtre, et c'est resté... la pierre était poreuse, et même les pompiers n'ont pas pu la faire partir ! La peinture se voit probablement encore.

Vous avez régulièrement travaillé avec Brigitte Lahaie, avec qui vous semblez être ami. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec elle ?

C'est une copine. Elle était très douce, très pro, elle arrivait en sachant son texte. Il n'y avait jamais de problèmes avec elle, elle était très disponible, faisait ce qu'on lui demandait. C'était un plaisir de travailler avec elle.

Brigitte Lahaie dans "Fascination".

Savez-vous ce que sont devenues vos égéries comme Mireille Dargent (Requiem pour un vampire) et surtout Joëlle Coeur (Les Démoniaques) ?

Je ne sais pas ce qu'est devenue Mireille Dargent. Elle tenait naguère une parfumerie dans la galerie du Lido et a disparu depuis. Si elle lit cette interview, j'aimerais bien qu'elle se manifeste, cela me ferait plaisir. Joëlle Coeur s'est mariée avec un kinésithérapeute et, aux dernières nouvelles, l'a suivi en Amérique.

Mireille Dargent et Joëlle Coeur.

Pouvez-vous nous parler d'Avia Films, qui a produit La Fiancée de Dracula ?

Il ne l'a pas produit, mais uniquement coproduit à hauteur de dix pour cent. Avia Films, c'est, si je puis dire, un copain de toujours ! Il m'a aidé pour mon premier film, me prêtait sa salle de montage... Il faisait partie de la bande, si vous voulez ! J'avais toujours les crédits auditorium nécessaires chez lui ; il m'a toujours soutenu, c'était un auditorium.

Comment voyez-vous le fait que vous soyez plus reconnu par le milieu fantasticophile anglo-saxon que par les cinéphiles français ?

Je ne saurais vraiment répondre à cette question : je n'en sais rien ! Peut-être que les Anglais aiment mieux mon travail que les Français. En tout cas je suis le premier surpris de ces diffusions sur le câble.

Pouvez-vous nous parler de votre dernier film en date, La Nuit des horloges ?

Je ne sais pas quoi vous en dire, comme ça... J'en parle longuement dans le coffret DVD qu'a sorti Encore, une société hollandaise, qui fait une série de DVD d'après mes films, et le dernier est Le Viol du vampire, et je raconte tous les souvenirs du tournage de La Nuit des Horloges dans les bonus. Enfin, pour résumer un petit peu, je n'ai pas trouvé la possibilité d'avoir un partenaire financier. Je n'ai pu avoir ni distributeur, ni pré-vente, rien du tout. Alors j'ai dû le produire tout seul. Mais comme je ne suis pas riche, on tournait dès que j'avais quatre sous... Le tournage s'est échelonné sur deux ans. De temps en temps on tournait une semaine, de temps en temps quinze jours, etc. Avec tous les problèmes que posent ce genre de tournages fragmentés, notamment avec les comédiens... Un jour une comédienne était brune, et le lendemain, elle était blonde ! Ca posait des problèmes de raccords insolubles, mais on s'est toujours arrangés pour palier à ça et le film, vu d'un seul tenant, à mon avis, se tient. Je pense même que c'est mon meilleur film à ce jour.

Quel est votre meilleur souvenir de tournage ?

J'ai tellement de souvenirs de tournage que je ne peux pas vous dire quel est le meilleur ou le pire. Ce qui me vient à l'esprit immédiatement, c'est quand on a terminé La Nuit des Horloges car pendant tout le temps qu'a duré le tournage épisodique, j'ai cru que jamais je ne le finirai, et que ce serait un film inachevé, comme Une Partie de Campagne de Jean Renoir, toutes proportions gardées évidemment. Quand enfin on a fait le dernier tournage et qu'on a terminé le film, j'ai eu un espèce de passage à vide, je n'arrivais plus à penser à quoi que ce soit et je me suis dit : « C'est fini. Est-ce qu'on a un film ? J'en sais rien. Est-ce que c'est montable, j'en sais rien non plus. C'est fait, c'est tourné, on est arrivés au bout. » Et le deuxième meilleur souvenir, c'est quand on a vu au montage que tout collait ensemble. Il y avait dans le film de nombreux inserts de mes vieux films qui intervenaient, et on ne savait pas si ça allait passer au montage. On a tout collé « cut » sans amener ça par un fondu ou n'importe quoi, et ça a fonctionné merveilleusement bien. C'est vraiment un film qui tient du miracle. J'en garde un souvenir très étonnant.

Quels conseils auriez-vous à donner aux jeunes qui veulent faire du cinéma ?

Tournez. N'importe quoi, mais tournez. Certains disent "on veut faire de la réalisation, pas n'importe quoi, on ne fera jamais de porno, de ci, de ça." Moi, je leur dis "Tournez n'importe quoi, mais tournez. Tournez jusqu'à ce que vous ayez l'expérience nécessaire pour faire ce que vous voulez faire". Je ne crois pas qu'on apprenne à réaliser dans une école. On apprend sur le tas, en s'intégrant dans une équipe, en faisant tous les boulots, même les plus désagréables, mais il faut acquérir la connaissance d'un plateau, savoir comment se comporter pendant un tournage. Il faut avant tout avoir déjà assisté à des tournages, apprendre le vocabulaire, etc. Et après vient tout le reste.

- Interview menée par La Team Nanarland -