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Entretien avec
Pierre Tremblay

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Pierre Tremblay

Parmi les nombreux gweilos qui se sont illustrés dans les ninjateries d'IFD mises en boîte par Godfrey Ho, Pierre Tremblay tient une place à part. Jouant avec détachement les méchants machiavéliques au sourire goguenard, ce Québécois est devenu pour nous une sorte d'icône de ce cinéma décalé, où des guerriers de la nuit en combinaison jaune poussin s'affrontent à grands coups de bombinettes à fumée dans les jardins publics. Après de nombreuses recherches, nous avons découvert qu'il n'avait pas quitté Hong Kong et qu'il officiait désormais comme animateur sur RTHK, une station de radio locale. Nous avions pris contact avec lui en 2006 pour lui poser quelques questions. Surpris, il accepta le principe de l'interview... Puis plus rien. Silence radio. Imaginez notre surprise quand quatre ans plus tard, Pierre Tremblay reprit contact avec nous pour nous livrer ce long texte reprenant son histoire. Les confessions d'un homme au parcours étonnant qui jette un regard amusé sur son passé. Un texte où transparaît parfois, au détour d'une formulation, l'accent québécois de ce hongkongais de coeur. La riche et belle vie d'un gweilo heureux !

Interview menée par Rico en février 2010.


Je vous remercie pour votre patience, j'avoue que 4 ans c'est un peu long pour répondre mais j'avais mes raisons. Pour paraphraser Jacques Higelin : la vie c'est ce qui nous arrive quand on est occupé à essayer de faire autre chose. La facette de ma carrière médiatique avec le moins de succès est celle qui reçoit le plus d'attention, grâce à vous. Alors je réponds.

J'ai décidé de répondre à la plupart de vos quelques trente questions (!) par un résumé de mon parcours, et d'approfondir certains points d'intérêt en cours de route.

J'ai quitté Montréal à mes 21 ans pour faire un tour du monde avec un petit héritage qui m'a quand même permis deux ans et demi de voyages presque ininterrompus. De fait, j'ai pu connaître ma première moitié de planète, c'est-à-dire les Amériques (Nord, Centrale, Sud), certaines îles du Pacifique, et je remontais l'Asie de l'Est quand j'ai dû m'arrêter à Hong Kong pour me refaire un pécule de voyage.

J'ai commencé par errer d'emploi en emploi, surtout l'enseignement de l'anglais, de l'espagnol. J'ai aussi été prof à l'Alliance Française de Hong Kong pendant six mois, avant d'être introduit aux agences de casting. Ça m'a valu des petits boulots de figuration au début, dans des pubs à la télé, puis ensuite des petits rôles dans les feuilletons de télé cantonaise. C'était invariablement des rôles de "méchant blanc" (des marins saouls et bagarreurs), ou de blancs "un peu naïfs" (tels des prêtres-missionnaires en province chinoise qui se faisaient battre et/ou tuer quelques minutes après leur apparition dans le feuilleton).

Pierre Tremblay, grimaçant à souhait dans "L'enfer des armes" (1980) de Tsui Hark.

Je parlais déjà un peu le cantonais, car j'avais pris un trimestre d'immersion en mandarin au Asia-Yale-In-China, géré alors par un ex-militaire taïwanais, à la solde de la CIA disait-on. Ça m'a permis de me mettre au dialecte cantonais avec beaucoup plus de facilité. Je suivais aussi des cours de Taï-chi avec le maître hongkongais de mon maître de Montréal, avec qui j'avais commencé à étudier le Wu Jia quelques années auparavant. Bref, je possédais des rudiments modestes de la langue et des arts martiaux, assez pour me valoir ces premières embauches. Je décidais alors de m'installer à Hong Kong un peu plus longtemps.

Puis en 1980 Madeleina Chan (agence et agente) me contacta pour un rôle dans "Dangerous Encounters of the 1st Kind", de Tsui Hark, que vous appelez en France "L'enfer des armes" ("Don't play with fire"). Elle me promettait un salaire "professionnel" de 150$US par jour, pour un total d'environ 7 jours tout au long du mois. Elle a tenu promesse. Il n'y avait qu'une scène avec Bruce Baron, celle de la torture dans le parc de stationnement, on ne s'est pas parlés. Je n'étais que le tueur no 3, Bruce le no 2, et le no 1 était un authentique détective du corps policier de Hong Kong nommé "Nigel", qui travaillait dans le film "sans permission officielle". C'est notamment la raison pour laquelle on ne voit jamais son visage à l'écran.

Ce dont je me souviens clairement c'est ma dernière scène où je me faisais abattre par les étudiants dans le cimetière. On avait répété 2-3 fois : je reçois une balle en pleine poitrine et sous la force de l'impact je me jette en arrière pour atterrir, sur le dos, sur un matelas par terre hors-champ. Arrive le moment de tourner, coup de feu, impact à la poitrine, je me jette en arrière sur... le sol dur. Le matelas avait été retiré ! Je crie de douleur, puis j'aperçois le visage de Tsui Hark sur sa chaise haute de metteur en scène. Ai-je bien vu un petit sourire poindre au coin de ses lèvres ? Il avait tout planifié ! Puis il se retourne et dit à un assistant de s'occuper de moi. Du coup je réclame à haute voix un supplément de salaire pour "douleur non prévue", et je montre mon coude en sang. Je l'ai obtenu.

Tsui Hark.

C'est dommage que votre site ne soit dédié qu'au cinéma, vous manquez une dimension importante : la télévision ! Un peu après ce tournage, toujours en 1980, TVB-Jade m'invita à jouer un rôle dans un nouveau feuilleton qui allait lancer la carrière du très jeune Chow Yun-fat. La série s'appelait "Le Bund" et je devais jouer le rôle du consul français à Shanghaï dans les années 30, corrompu et à la solde des triades. Vu que dans le feuilleton ils avaient nommé ce consul "Mister Pierre", comment pouvais-je refuser ? Alors on a commencé. J'avoue qu'avec mon cantonais de débutant et leur scénario de diplomate sinologue, j'apprenais un nouveau vocabulaire cantonais avec mon dialogue. Je faisais toutes les fautes de prononciation au début et conséquemment je peinais à me rappeler mon texte. Bref, un petit massacre.

Toujours est-il que Fat-zai ou "jeune Fat", comme on l'appelait à l'époque, commençait à me poser des questions durant nos poses communes au sujet de Hollywood, et comment un acteur y trouve du travail. Je n'en avais absolument aucune idée, je n'y avais encore jamais été, alors je lui répondais tant bien que mal par les quelques lieux communs que je connaissais. Lui avait une idée bien précise en tête qui s'est confirmée un peu plus tard quand il a disparu du plateau pendant quelques semaines, presqu'un mois, sans que personne sache où il était. C'est seulement à son retour que j'appris que sa fugue l'avait amené à... Hollywood. Il avait essayé d'y trouver du travail, seul. Évidemment il est revenu bredouille, me disant que "sans connections" on ne pouvait rien là-bas. Ça lui aura donc pris presque 20 ans pour finalement trouver ce succès à Hollywood, un succès bien mérité. J'ai par la suite pu rencontrer Fat-zai, devenu Fat-goh ou "grand frère Fat", dans des situations parfois étonnantes que je décrirai plus loin.

Chow Yun-fat.

1982 apporta un grand changement dans ma vie professionnelle : je fus recruté comme doubleur de films. C'était du doublage "à casquette" pour les initiés, et c'était à temps plein. Six, parfois sept jours par semaine, huit à dix heures par jour, on dormait des fois dans les studios ! On se faisait tous un bon salaire à la fin du mois. J'ai pu économiser assez de sous pour me payer mon premier tour du monde en 1983-1984 : retour à Montréal, puis l'Europe, Asie du sud, et rentrée au travail à Hong Kong après. Notre groupe de doublage travaillait pour les grands studios de ciné de l'époque : Shaw Brothers, Golden Harvest et... IFD et Godfrey Ho. Petit détail que très peu de gens savaient : moi, Stuart Onslow-Smith et d'autres acteurs blancs qui sont restés plutôt anonymes, avions travaillé pour Godfrey Ho comme doubleurs bien avant de figurer dans ses films. Dans les années 80, tous les films chinois de Shaw Bros, Golden Harvest, IFD et autres, étaient doublés en anglais pour le marché indonésien, parce que la langue chinoise y était alors illégale. Et en plus des films, on doublait les séries télévisées, c'était vraiment du doublage de masse !

Stuart Smith.

Godfrey était toujours présent sur ses plateaux de doublage, sourire amusé, distant, mais sachant très exactement ce qu'il voulait, et surtout il payait réglo. Bref, bonne réputation. Alors quand il commença à inviter les doubleurs à jouer dans ses films en 1986-1987, c'était pas de refus. Et vu qu'on nous disait que ça partait pour l'Indonésie, loin des yeux de nos proches en Amérique du Nord, Europe ou Australie, on était d'accord. C'est seulement en 1992 qu'un ami de Los Angeles me dit qu'il avait acheté un VHS avec moi comme ninja au magasin du coin ! J'ai bien ri et il m'en envoya une copie.

Godfrey Ho.

À Hong Kong, même aujourd'hui, il y a rarement de contrats, on est payé une fois, et après les propriétaires peuvent faire ce qu'ils veulent de notre travail. Les unions et syndicats à Hong Kong, soit n'existent pas, soit sont sans pouvoir. Je pensais donc que Godfrey avait par la suite trouvé moyen de vendre ces films aux Etats-Unis, et à Hong Kong c'était son droit. Je dois aussi préciser que je n'envisageais alors pas sérieusement de faire carrière au cinéma. J'étais ouvert à toute nouvelle expérience, si on m'invitait j'acceptais le travail, mais je ne recherchais pas activement du travail comme acteur. À la différence d'autres doubleurs, de ces autres 'blancs inconnus' dans les films de Godfrey qui faisaient du théâtre à Hong Kong comme comédiens professionnels, ou de Stuart Onslow-Smith, qui a quand même pu dégotter quelques bons rôles par la suite dans des films réputés. Pour moi ça a été 2 jours de tournage environ pour chacun des trois films avec Godfrey. On les doublait, alors Godfrey filmait sans son, dans des parcs publics ou chez des particuliers pour limiter les frais (tout un art à Hong Kong).

Pierre Tremblay et Bruce Baron dans Flic ou Ninja.

J'ai ainsi tourné 2 jours avec Bruce Baron dans un coin que j'ignorais du "Kowloon Park" à Tsim Sha Tsui. Évidemment nous n'avons exécuté nous-mêmes les mouvements de kung-fu que dans les scènes où on voit nos visages, dans les autres c'étaient les cascadeurs chinois. On s'est un peu parlé durant nos pauses, le réglage de l'éclairage prenait toujours le plus de temps. Il aimait parler de sexe (il aimait ça "chaud et mouillé"), de fric (s'assurer que Godfrey ne me payait pas plus que lui), et répéter le dialogue. Après fini. Je l'ai entendu parler son chinois mais j'avoue ne pas avoir compris grand chose. J'étais à une certaine distance de lui lors du brouhaha avec les cascadeurs chinois, Godfrey avait dû intervenir physiquement pour le séparer des 2 autres. Une chose est sûre, c'est qu'à ce moment-là M. Baron les prononçait très bien les gros mots cantonais.

Aussi un autre tournage de 2-3 jours avec Richard Harrison, professionnel, gentleman et avec qui j'ai très peu parlé. Il s'entendait très bien avec Godfrey durant ces quelques jours de tournage, on peut même dire qu'il était traité avec le plus grand respect.

Vous me demandiez aussi pour Filmark, je ne les ai jamais connus ; vous mentionniez Alphonse Beni, Grant Temple, jamais connu ni vu ; et votre clip de moi doublé par Mark Malloy (autre membre de notre groupe), ça a été fait parce que j'étais absent de Hong Kong au moment du doublage et Godfrey a donc demandé à Mark de faire ma voix. On ne voyait le grand patron M. Lai que très rarement.

Voilà pour ma carrière d'acteur qui va se reposer jusqu'à mes deux derniers films en 2001 et 2003, et les feuilletons télévisés quelques années auparavant.

Richard Harrison et Pierre Tremblay dans Ninja Dragon.

En 1986 j'ai commencé à travailler à la radio comme animateur, et aussi à faire des voix off pour les pubs télé. Deux activités que je continue à faire aujourd'hui. C'est aussi la période où j'ai revu "Fat Goh". Il venait de se remarier et ce jour-là est entré avec sa nouvelle femme au studio en plein coeur de Mongkok, où moi je travaillais sur un Steenbeck 35mm, en train de mettre au point les sous-titres pour son nouveau film (j'oublie lequel, désolé). Après toutes ces années il m'a tout de suite reconnu, me salue, me demande comment j'allais. Il était déjà une grande vedette à Hong Kong, mais sa notoriété l'avait plutôt converti en saint ! Super gentil avec tout le monde, il a même fait du massage de pied au gardien de porte (!), pour ensuite nous inviter à un nouveau restaurant qui venait d'ouvrir pas loin de l'ancien aéroport. Vrai bon gars !

Dans les années 1980 j'ai surtout fait l'apprentissage du côté "audio" des médias avec le doublage, la radio et les voix off. Mais les années 1990 m'ont permis d'approfondir mes connaissances en m'initiant au côté "production" de la télévision, comme animateur devant la caméra et réalisateur derrière, ainsi que le reportage et la chronique.

Ça a débuté en 1991 quand j'ai été animateur sur ATV-World d'une série de 13 émissions hebdomadaires de 30 minutes chacunne appelée "L'Art de Vivre", mal traduit en anglais par "Good Living the French Way". L'émission était parrainée par le consulat français, et voulait illustrer la présence française à Hong Kong par ses produits de luxe et ses activités culturelles. Ce fût l'émission la plus critiquée par les journalistes anglais de l'époque, et la plus regardée par le public chinois. Je ne faisais pas qu'animer, j'étais rédacteur, chargé de production, et vu la quantité de français dans l'émission, assistant monteur et réalisateur. C'est aussi l'année où j'ai commencé à interviewer les vedettes rock de Beijing de passage à Hong Kong pour la radio locale, et on m'a invité à écrire une chronique sur le marché chinois pour une revue qui n'existe plus. Ça m'a valu d'être invité par MTV-Asia pour aller à Beijing interviewer les vedettes en 1993, puis après 1995 comme 'stringer' (journaliste indépendant) régulier, c'est-à-dire réalisateur-intervieweur pigiste. J'indiquais au caméraman les prises que je voulais, l'éclairage et tout, je menais l'interview avec les vedettes derrière la caméra (ni mon visage ni ma voix n'étaient diffusés), bref je faisais tout sauf le montage, fait à Singapour.

Pierre et le groupe OTO (photo RTHK).

En 1994 j'ai été invité à jouer un rôle dans le feuilleton "All in a Family". C'était chez RTHK, la radio télévision gouvernementale où j'animais et réalisais déjà mes émissions radio de musique spécialisée depuis 1989. Mon cantonais était meilleur, je me sentais beaucoup plus à l'aise devant la caméra, et ça a été bien reçu par le public cantonais. Si bien reçu qu'on a fait une deuxième série en 1996, dont une émission tournée à Shanghaï. Cette fois-ci j'ai même fait un effort pour apprendre à mieux jouer mon rôle, mais la série s'est terminée beaucoup trop tôt.

Entre temps je continuais à travailler comme "stringer" pour MTV-Asia, mais seulement à Hong Kong jusqu'en 1997 ; j'ai travaillé un certain temps comme correspondant à Hong Kong pour la télévision de Manille ; j'ai filmé un mini-documentaire sur VHS pour accompagner un livre ; j'ai même écrit un article sur le marché rock en Chine pour Billboard, édition spéciale Chine novembre 1998 ; et en même temps j'ai commencé à présenter-réaliser pour la radio RTHK des reportages sur l'actualité quotidienne à Hong Kong, aussi bien dans le domaine de la politique, de l'économie, de la sécurité ou de la santé.

C'est aussi à cette période, vers l'an 2000 je crois, que j'ai rencontré Chow Yun-fat dans le métro de Hong Kong. C'était dans la station "Central", à la sortie D2, qui donne sur un magasin de fringues chinoises rétros haut-de-gamme du nom de "Shanghai Tang", donc référence au "Bund" de Shanghaï des années 1930 par son propriétaire David Tang, qui y appose son nom en anglais (Tang au lieu de Tan), et référence à la série des années 1980 qui avait comme vedette principale Chow Yun-fat.

Le magasin Shanghai Tang à Hong Kong.

À cette époque, c'était vraiment une vedette internationale avec déjà une renommée à Hollywood. Lui descendait les marches, moi je les montais. Il me reconnaît et me salue, me demandant ce que je devenais ! Surpris, je lui résume vite fait mes activités et je le remercie de m'avoir donné "tant de face". On se quitta sous les yeux amusés de la foule. Six mois ou un an plus tard, toujours dans la station "Central" à la sortie D2, je le croise de nouveau. Seulement cette fois-ci c'était l'inverse : je descendais, lui montait, en plus il portait une casquette de baseball, inclinée de façon à dissimuler son visage. Je l'ai néanmoins reconnu immédiatement mais j'ai respecté son désir évident d'anonymat. J'ai continué mon chemin sans rien dire.

Pour clore ce thème du "Bund", voici un élément peu flatteur que je tiens à vous communiquer moi-même. Au courant de l'an 2000, TVB mis sur le marché une collection VCD "intégrale" de cette série "The Bund". Quelle fut ma surprise quand je découvris que toutes mes scènes avaient été coupées ! À peine restait-il quelques références verbales par d'autres acteurs à propos du consul français "Mister Pierre". Puis je me rappelai mes scènes avec mon cantonais de débutant d'alors, et une scène en particulier où mon expression faciale était similaire à celle que j'avais dans cette scène de torture dans le film de Tsui Hark, avec mes yeux exorbités. J'ai dû me rendre à l'évidence, j'aurais fait pareil. Mais pas vous.

Est-ce que votre site me dérange ? Au début oui. Qui aime qu'on rit de lui ? Puis avec le temps je m'y suis fait et je dois reconnaître que mes photos sont drôles. Alors je ris aussi.

Aussi avec le temps j'ai acquis la conviction que pour bien jouer un rôle, un comédien doit bien connaître l'émotion qu'il ressent et surtout l'expression de son visage. Je savais maintenant ce que je voulais, mais est-ce que je saurai le faire ?

En 2001 on m'invita à jouer un rôle dans le premier film du metteur en scène Lam Wah Chuen. Le film s'appelait "Accidental Fire" alias "The Runaway Pistol",  et remporta plusieurs prix au Festival du Cheval D'Or de Taïwan. Ma performance n'y était pour rien. J'avais décidé de montrer le moins d'émotions possible, puisque ça avait bien marché dans le film de Tsui Hark en 1981, mais le résultat s'avéra décevant. Vide d'expression, mon visage semblait hors du coup. J'ai été d'un extrême à l'autre : surjouer à pas assez.

En 2003 j'ai été invité à jouer un rôle dans le tout premier film d'un jeune metteur en scène qui s'est révélé avoir beaucoup de talent. Le film s'appelait "You Shoot, I Shoot", et le metteur en scène était Pang Ho Cheung. Mon rôle ne tînt qu'à une seule scène, je jouais la voix du poster du jeune... Alain Delon. Rarement me suis-je autant amusé ! Mon "poster" conversait en français avec le héros du film, Eric Kot, qui me répondait en cantonais. Évidemment j'avais aussi écris mon dialogue, étant le seul francophone de l'équipe, et suivant les indications du metteur en scène j'ai dû délayer mon texte au point de presque me répéter pour remplir les délais de temps qu'il voulait. Et même si ma voix ne ressemble en rien à celle de M. Delon, j'avais suffisamment "standardisé" mon accent québécois pour la rendre au moins crédible auprès du public hong-kongais. Bref, j'avais temporairement trouvé un juste milieu : je joue avec la voix et pas avec le visage...

Mon interview avec Radio-Canada de 2003 que vous avez repérée m'a valu quelques chroniques d'été à la 1ère Chaîne pendant quelques années ; ensuite j'ai de nouveau été "stringer" chez MTV-Asia pour d'autres années ; et mon travail à la radio et comme artiste de voix off en anglais, cantonais et français continue. J'ose espérer qu'un jour je pourrai enfin bien jouer un rôle, qui sait, avant mes 70 ans ? Je ne vous conseille pas d'attendre.

Je vais répondre à vos deux dernières questions comme une seule : mes conseils et mon regard sur mon parcours. À celles et ceux qui s'intéressent à une carrière de comédien/ne : ne faites pas comme moi ! Prenez des cours, entraînez-vous. À ceux et celles qui sentent qu'ils/elles ont un talent pour quelque chose d'indéfini : seuls l'expérience, la patience et le dévouement peuvent préciser ce don.

Bonne chance.

Pierre recevant le groupe malais Pesawat (photo RTHK).

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