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Önce Vatan

(1ère publication de cette chronique : 2005)
Önce Vatan

Titre original : Önce Vatan

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Duygu Sagiroglu

Année : 1974

Nationalité : Turquie

Durée : 1h29

Genre : Qu'Allah foudroie les Grecs et leurs popes sodomites !

Acteurs principaux :Cüneyt Arkın, Fatma Girik, Renan Fosforoglu, Ihsan Gedik

Francis
NOTE
2/ 5


Avec un peu d’avance, le Père Nanar a glissé dans ma cheminée un petit Cüneyt Arkın. Une valeur sûre qui ne devrait pas me décevoir, me dis-je. Resituons d'abord les choses dans leur contexte : « Önce Vatan » signifie en turc « la Patrie d'abord », ou « la Patrie avant toute chose ». C'est également le nom d'un journal local, à tendance nationaliste et d'extrême-droite (vous savez, ceux qui préféreraient crever plutôt que de voir leur pays entrer dans l'Europe). Ouh là ! Ca s'annonce mal, me direz-vous. Et en effet, c'est ce que je me suis dit en voyant le début du film, qui consiste en un diaporama de photos de charniers en noir et blanc, d'un effet des plus nauséeux.


Ca ne se voit pas très bien, mais c'est bien Chypre derrière.


Nous assistons ensuite à une réunion de silhouettes autoritaires devant une carte de l'île de Chypre. C'est là que le déclic se fait dans mon esprit. Un film turc ? Chypre ? Et la date du film : 1974 ? Bon sang, mais c'est bien sûr !

1974, c'est l'année où la junte militaire grecque organise un putsch, pour tenter de rattacher de force la république de Chypre à la Grèce. Ce qui pousse l'armée d'Ankara à débarquer là-bas, pour protéger les Chypriotes d'ethnie turque contre des exactions, éventuelles ou effectives, de la part des Grecs. Une situation qui a bien failli dégénérer en véritable conflit ouvert entre les deux pays.

On le voit, le réalisateur Duygu Sağıroğlu, à qui l'on doit notamment l'un des volets de la saga « Battal Gazi », colle de près à l'actualité ! S'agit-il d'une pure initiative patriote de la part de sa production, ou d'un film commandité par le gouvernement lui-même ? Mystère. En tout cas, comme on le devine, le réalisateur va passer son temps à nous montrer des Turcs nobles et héroïques, luttant contre des Grecs fourbes et lâches.


Alors, allons-nous assister à un film de grossière propagande guerrière de type nanar ? Oui. Allons-nous assister à un film de propagande dégueulasse et déprimant de type navet ? Non ! Ce serait oublier la présence de Cüneyt Arkın et les capacités nanardisantes du cinéma turc, dont les forces conjuguées suffisent à transformer une bouse haineuse et manichéenne en un film authentiquement rigolo !

Voici ce que j'ai pu saisir de l'histoire : Cüneyt joue un officier qui, au début du film, est en visite chez sa fiancée et la famille de celle-ci. On voit Cüneyt pester et rouspéter contre (on le devine) les habitudes fâcheusement occidentales de cette famille, qui nuisent au respect de l'identité turque et de ses traditions.


NDLR : dans le film, notre héros est un militaire qui ne veut pas devenir
patron d'une usine de Whisky comme son futur beau-père, car l'alcool c'est haram.

J'ai beau ne pas comprendre le turc, je crois deviner que Cüneyt n'aime pas qu'on badine avec les coutumes musulmanes !

Puis un message lui parvient, lui ordonnant de prendre part au débarquement à Chypre. Après avoir embrassé sur le front sa vieille maman (qui a le bon goût de porter le hijab, contrairement à certaines garces tentatrices qui ont l’outrecuidance de se teindre en blondes), Cüneyt répond à l'appel du devoir.

Vient alors le débarquement proprement dit : trois pelés et un tondu sur un petit chalutier (j'espère pour eux que des renforts sont prévus). C'est là qu'on se rend compte de la capacité de ces réalisateurs turcs à nanardiser la moindre scène… D'abord, des figurants soulèvent un canot pneumatique pour le jeter à l'eau : ils le font de telle façon qu'il ne peut qu'atterrir à l'envers, avec un petit "floc" fait en studio avec une bassine d'eau. Ensuite, si on filme des pagayeurs, il faut en choisir qui n'ont jamais touché une rame de leur vie : l'un va deux fois plus vite que l'autre tout au long du plan. Ensuite, quand on descend du canot sur la plage, il faut manquer visiblement de se casser la gueule : « On la refait ? » « Nan, pas grave. »







A noter que Cüneyt et les autres acteurs paient de leur personne : à en juger par les épais filets de buée qui sortent de leur bouche, la scène a réellement été tournée de nuit, par un froid glacial ! Allez donc mettre les pieds dans l'eau sans tomber, avec ça !

Au petit jour, les commandos turcs se réunissent et Cüneyt passe à l'attaque. Le premier objectif consiste à prendre d'assaut un camp militaire grec, afin de s'approprier leur stock d'armement. Et c'est là que se révèle, sous nos yeux ébahis, l'aspect du film qui contribue à 75 % à son quota nanar : les figurants qui meurent en faisant « WAAAAAAAAARGH !!!! »

Et des figurants, le film en consomme beaucoup. Je ne crois pas exagérer en disant que le nombre de morts à l'écran, dans ce film, dépasse largement la centaine (remarquez, ce sont sans doute toujours les mêmes avec un roulement). Et ils meurent TOUS de la même façon.


Cüneyt se déchaîne, et fonce à découvert en mitraillant tout ce qui bouge. John Matrix n'a qu'à bien se tenir.


J'imagine le réalisateur face à une armée de figurants sous-payés, ramenés de l'équivalent local de l'ANPE, et qu'il se voit chargé de former en cinq minutes :
- Bon les gars, voici le topo : vous arrivez en courant et, dès que vous entendez le bruit de la mitrailleuse, vous vous secouez le bassin comme si vous aviez la danse de Saint-Guy, vous levez les bras au ciel en criant « WAAAARGH ! », et enfin, vous vous projetez au sol d'un mouvement souple des jambes ! Des questions ?
Une main se lève dans l'assistance.
- Est-ce que je pourrais faire « YARGLAAAA ! » au lieu de « WAAAARGH » ? Je le sens mieux !
- Bien sûr, c'est toi qui vois.

Et là, parmi les figurants, c'est un déchaînement. Un festival. Un concours permanent. On a l'impression qu'ils rivalisent les uns avec les autres pour savoir qui mourra de la plus belle manière ! Et le doubleur qui, au cours du montage, a été chargé de faire les « WAAARGH » (apparemment un seul pour les dizaines d'agonies à l'écran) n'est pas en reste, et sait faire montre de créativité en variant les « WAAAARGH » sur une gamme infinie de syllabes. A noter que certains y mettent un tel enthousiasme qu'ils continuent à se secouer dans tous les sens comme s'ils étaient hachés par la mitrailleuse, alors même que le bruit de celle-ci a cessé !

Après s'être emparé d'un convoi d'armes, nos héros offrent celles-ci à de vaillants Chypriotes turcs, qui vont tenter de les rapporter dans leur village. Hélas, ces glorieux résistants se voient interceptés par de méchants... Casques Bleus !

Oui, vous avez bien lu. Je ne voulais pas y croire moi-même, mais, suite aux précisions de plusieurs Nanarlandais, je dois me rendre à l'évidence : les villageois turcs sont bel et bien rançonnés, menacés, humiliés, terrorisés par les soldats des Nations Unies ! L'explication de ce parti pris curieux vient probablement du fait qu'en 74, les Nations Unies avaient eu l'audace de s'interposer entre les deux pays durant la crise. Aux yeux des nationalistes turcs, les Casques Bleus sont des empêcheurs de tuer du Grec en rond et, par conséquent, ne peuvent être que complices objectifs de l'ennemi ! C'est pourquoi vous verrez apparaître, sous vos yeux ébahis, des Casques Bleus ignobles et cruels qui font « Mouahahahaha ». Ils combattent en effet au côté des Grecs, ces derniers étant reconnaissables à leur drapeau [NDLR : Vu que l'auteur de la chronique avait vu le film en VO sans sous-titres, la déduction était hasardeuse. Depuis, nous savons qu'
il s'agit bel et bien de soldats grecs et nullement de l'ONU].


MOUAHAHAHAHA !!!


J'ouvre ici une petite parenthèse : pour une raison que j'ignore, les deux tiers des figurants qui jouent les soldats portent la moustache, et la totalité ont les cheveux longs. Cela donne la curieuse impression que les méchants débarquent d'une pochette de musique folklorique des seventies…




Festival de moustaches et de cheveux longs dans l'armée !


Dans le village, c'est le drame. Le chef des résistants turcs est suspendu la tête en bas, et torturé par un méchant à la moustache assassine.




Notons cependant le tortionnaire qui, à la fin, manque de se faire écraser par sa victime. « On refait la prise ? » « Nan, pas grave. »
Les villageois, accusés de trahison, voient se pointer vers eux les canons des fusils onusiens. Sur le point d'être fusillés, ils entonnent alors l'hymne turc
[NDLR : en réalité un chant patriote sur la guerre de Chypre] ! C'est tellement émouvant que j'en ai la larme à l'oeil !


Vont-ils mourir ? Non ! Car, attiré par cette clameur de patriotisme tel un Superdupont du Bosphore, Cüneyt Arkın débarque sur les toits pour faire retentir le tonnerre de sa mitrailleuse vengeresse !


Vite ! Allons délivrer de ses liens cette demoiselle en détresse !


A-HA ! Tu espérais m'avoir par derrière, gredin !


Bon ! Où en étais-je, avant cette si grossière interruption ?


Mis en déroute par le grand Cüneyt à lui tout seul, les odieux Casques Bleus et leurs complices grecs se replient pour réclamer du renfort. Les villageois décident de charger sur des ânes leurs maigres paquetages, et de s'enfuir dans la montagne. C'est alors qu'on signale qu'un détachement de Grecs est sur le point d'attaquer la colonne de réfugiés (Les vils ! Qu'Allah leur fouaille les tripes !!).

A cette nouvelle, Cüneyt, héros pur et éternel protecteur des faibles face à l'oppresseur chrétien occidental, décide de s'arrêter pour assurer, à lui tout seul, la protection des civils, quitte à se sacrifier ! Quel noble héros ! Quel exemple !

 


Cüneyt est-il mort ? Non ! Il n'est que blessé, et sera heureusement secouru par la fille du chef des résistants, qui, émue par son sacrifice, a décidé de rebrousser chemin pour lui porter secours. Elle arrive à le transporter sur son dos pour l'amener en pleine montagne (apparemment, sans décors ni lumière artificielle, quand je vous dis qu'ils paient de leur personne), et lui confectionne amoureusement quelques bandages et une attelle.


Encore une fois, notre Alain Delon d'Anatolie manque de se casser la gueule pour de vrai sur des cailloux.


Secouru, Cüneyt rentre au pays se faire soigner. Il retrouve sa vieille maman, ainsi que sa belle-famille avec qui il s'engueule, et à qui il rend sa bague de fiançailles, pour une raison qui m'échappe.

Puis douze années passent. Notre héros revient combattre à Chypre.

Oui, oui, vous avez bien lu : les évènements de 74 n'ont duré que quelques mois, mais le réalisateur, en une audacieuse projection de politique-fiction, décide qu'ils vont s'étaler sur 12 ans. Comment je le sais ? Facile : Cüneyt a eu une fille avec la jolie brunette qui l'a secouru sur la montagne, et on voit cette enfant grandir pour atteindre l'âge approximatif de douze ans. Nous arrivons à la deuxième partie du film, encore plus couillue que la première. Elle est inaugurée par un montage de stock-shots censés illustrer les tensions politiques entre la Turquie et la Grèce. On y voit notamment Bülent Ecevit, Premier Ministre turc lors de l'invasion de Chypre (merci au forumeur Juan Piquer de l'avoir remarqué pour nous).


Je sais, on n'y voit que dalle, mais je crois deviner les silhouettes de plusieurs popes orthodoxes grecs (sans doute l'archevêque Markarios).


Je sais, c'est indescriptible, et je serais bien en peine de vous dire quoi que ce soit sur ce schmilblick.


Ces stock-shots, abondamment diffusés durant d'interminables minutes, présentent une intéressante particularité : ils sont TOUS dégueulasses et d'une qualité apocalyptique, la limite du montrable étant allègrement franchie. Mais le plus fort, c'est qu'ils sont à chaque fois immondes pour des raisons différentes : qui une petite télé en noir et blanc filmée de loin, qui une bande 8mm stockée un demi-siècle dans une cave humide pleine de champignons et de rats, qui des bandes vidéos visiblement plongées dans un bain d'acide... Sans exagérer, on se croirait vraiment dans un musée d'art contemporain !

D'autres stock-shots, de meilleure qualité cette fois-ci, serviront à illustrer l'arrivée de la gigantesque armée turque à Chypre. Ils semblent aussi bien provenir de films hollywoodiens genre Le Jour le plus long que d'archives télés sur la Guerre du Viêt-Nam. Sans parler de thèmes musicaux connus pompés sans vergogne (et que mes oreilles reconnaissent sans pouvoir mettre un nom dessus).


S'il s'agit de les tuer, qu'est-ce qu'ils attendent pour leur tirer dessus ?


Entre deux stock-shots, on assiste à une nouvelle tripotée d'horribles exactions commises par l'armée grecque envers les civils turcs : massacres, viols, pillages, réclamation de copyrights (non, je plaisante)... Heureusement, Cüneyt Arkın et ses vaillants soldats interviennent pour protéger les Turcs innocents, et c'est un nouveau festival de figurants qui meurent en faisant : « FGLEEEEEUWAAAAOAAAAARGH ! »






Capturée par de démoniaques soldats aux cheveux longs et gras, la copine de Cüneyt parvient à s'échapper en leur distribuant des baffes (quelle femme !).


Lui, c'est le méchant que je préfère. Même quand il ne meurt pas, il n'y a pas un seul plan
où il n'est pas en train de faire « GWEEUAAAAARR ! » On se croirait dans la pub wazaa !



« GWEEUAAAAARR ! »


« GWEEUAAAAAAAARR ! »


« GWEEUAAAAAAAAAAAAARR ! »


«- Qu'est-ce qu'il y a, ma chérie ? Tu n'aimes pas ton repas servi dans la boîte de conserve avec l'ouvre-boîte à côté ?
- C'est pas ça, Papa, mais à table, tu pourrais AU MOINS enlever ton casque ! »



La Victoire Finale ! Allez, un petit stock-shot pour fêter ça.


Sans vous en révéler plus, vous aurez compris que Önce Vatan, sans être un grand Cüneyt Arkın, n'en est pas moins la preuve que l'on peut faire d'un vilain film de propagande, une réjouissante somme de naïveté, de nanardise et de franche rigolade. Et surtout, que vous soyez bon ou méchant, n'oubliez pas : « GEUGEULAAAAAAWAAAZAAAAOUAAAAARGHHH !!!!!!!!! »

- Francis -
Moyenne : 3.00 / 5
Francis
NOTE
2/ 5
Rico
NOTE
3/ 5
Jack Tillman
NOTE
4.5/ 5
Wallflowers
NOTE
2.5/ 5

Cote de rareté - 4/ Exotique

Barème de notation

Malgré le patriotisme toujours fervent de nos amis turcs, il n'y a pas eu pendant longtemps de véritable réédition de ce film en dehors d'une VHS locale aujourd'hui introuvable. Ce n'est que très récemment que "Fanatik Vidéo" l'a ressorti en DVD zone 2 avec seulement la version turque. Hélàs une galette très vite épuisée qui se trouve encore mais avec difficulté sur des sites de vente en ligne turcs.

Et en bonus, le matériel publicitaire d'époque qui n'hésite jamais à en rajouter dans le bellicisme flamboyant.



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