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Purana Mandir

(1ère publication de cette chronique : 2009)
Purana Mandir

Titre original : Purana Mandir

Titre(s) alternatif(s) :The Old Temple

Réalisateur(s) :Shyam & Tulsi Ramsay

Année : 1984

Nationalité : Inde

Durée : 2h24

Genre : Nuit d'effroi à Bijapur !

Acteurs principaux :Puneet Issar, Mohnish Bahl, Aarti Gupta, Sadashiv Amrapurkar, Sadhna Khote, Satish Shah, Trilok Kapoor, Dr. Satish Chopra, Rajinder Nath, Visakha & Alka Noopur, Binny Rai, Pradeep Kumar, Dheeraj Kumar

John Nada
NOTE
3.5/ 5

Titre culte du cinéma d'exploitation bollywoodien des années 80, Purana Mandir, alias The Old Temple, constitue l'archétype de ce pour quoi un site comme Nanarland a été créé : un film brouillon, fauché, maladroit, excessif et malgré tout monstrueusement sympathique, vibrant témoignage de la vitalité d'une industrie populaire qui, à défaut d'idées neuves et de gros moyens, savait faire preuve d'opportunisme et d'un admirable sens de la débrouille.

Même s'il s'agit d'une situation qui tend doucement à évoluer, les productions nous venant d'Inde demeurent régies par des codes culturels si spécifiques que pour le public occidental, le terme "bollywood" est souvent perçu à tort comme synonyme d'un genre à part entière, plutôt que comme une industrie. Ainsi, un film bollywoodien évoque immanquablement une romance naïve et tourmentée entre deux jeunes êtres beaux et purs, entrecoupée de chants et de danses venant ponctuer un récit s'étirant sur 3h en moyenne. Certes, ces éléments sont évidemment présents dans Purana Mandir, mais le film qui nous intéresse présente une singulière particularité pour l'époque : il s'agit avant tout d'un film d'horreur.







L'histoire de Purana Mandir a pour héros Sanjay et Suman. Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils s'aiment éperdument mais son père à elle, Ranbir Singh, s'oppose violemment à leur union. En partie parce que Sanjay est pauvre, argument classique dans une société de castes, mais surtout parce qu'une terrible malédiction plane sur leur famille.


Nos deux tourtereaux de service, Sanjay (Mohnish Behl) et Suman (Aarti Gupta), pris en flagrant délit d'amourette nanarde sur la plage.



Ranbir Singh alias Ranvir Ajit Singh, père de Suman et honorable Thakur local (interprété par le vétéran Pradeep Kumar).

En effet, 200 ans plus tôt, le raja Hari Man Singh, arrière-arrière grand-père de Ranbir Singh, fit décapiter un certain Saamri, méchant démon au rire sonore n'aimant rien tant qu'à déshonorer ces dames et dévorer quelques cadavres pour accroître sa puissance. Le corps de Saamri fut enterré derrière le vieux temple qui donne son titre au film, tandis que sa tête fut placée dans un coffre solidement enchaîné, surmonté du trident sacré du dieu Shiva, le tout placé dans le donjon du château que Singh décida en outre de faire murer.


Saamri (Ajay Agarwal), un démon un peu louche.



Le détail qui tue : à quoi reconnaît-on que Saamri est bien un démon de la pire engeance ? Parce qu'il arbore ce magnifique motif sur sa tunique, sans doute brodé un soir d'ennui au coin du feu.





Spécificité culturelle : en Inde, ça n'est pas avec un crucifix qu'on combat les démons mais avec le trident sacré de Shiva.

L'embrouille, c'est que Saamri lança juste avant de mourir une redoutable malédiction sur Hari Man Singh : dussent-elles tomber enceintes, toutes les femmes de la famille Singh et leurs descendantes seraient condamnées à mourir en couches, et ce aussi longtemps que la tête et le corps du démon resteraient séparés. Dernier descendant de Hari Man Singh, le vénérable Ranbir Singh raconte ainsi aux amoureux comment son épouse est morte dans d'horribles souffrances après avoir accouché de Suman, et pourquoi ils ne doivent plus se voir.


Cette femme souffre. Derrière elle, deux infirmières qui n'ont pas l'air de se sentir plus concernées que ça.



Le bébé se porte bien. Par contre, la maman...

Histoire de prouver que l'amour est plus fort que tout (et, accessoirement, de satisfaire les spectateurs venus voir un film d'horreur), le jeune couple décide de retourner dans le château ancestral des Singh pour tenter de mettre un terme à la malédiction de Saamri. Ils seront accompagnés du viril Anand, meilleur ami de Sanjay toujours prêt à faire le coup de poing, et de sa voluptueuse fiancée Sapna.


Anand, ami du héros d'une indéfectible loyauté. Faut pas venir lui baver sur les rouleaux ! Il est interprété par Puneet Issar, acteur régulier des productions bollywoodiennes qui passera plus tard à la réalisation pour nous offrir le délicat Garv : pride and honour.







Sanjay et Suman : de la godiche et du godelureau de compétition !

Dire que Purana Mandir est un film sous influence relève de l'euphémisme grossier. A Rome, Manille ou Mexico, les industries de cinéma d'exploitation ont certes toujours eu l'habitude de lorgner sur la copie du premier de la classe, celui récoltant les meilleures notes au box office. Mais là où la plupart des productions bis se contentent de copier le dernier gros succès en date, Purana Mandir se distingue en procédant carrément au recyclage iconique sauvage de 30 ans de cinéma d'horreur occidental !


Quelque part, à des centaines de bornes au Sud-Est de la Transylvanie...

Château lugubre avec ses serviteurs inquiétants (l'un est défiguré, une autre muette), sol recouvert d'une brume épaisse, spectre dans son cercueil, éclairage bleu nuit entrecoupé d'éclairs, bougies soufflées par des bourrasques surnaturelles, fenêtres qui claquent et autres portes qui se referment toutes seules, possessions démoniaques, zooms répétés sur des trophées de chasse et des portraits au regard inquiétant, déambulations nocturnes dans des couloirs bruissant du bestiaire habituel : chauve-souris, rats, et l'inévitable chat noir surgissant de façon inopportune pour le jump scare de rigueur... On a même crû bon ajouter des hurlements de loups aux abords du château !






Des tableaux inquiétants !



Des trophées de chasse inquiétants !



Des couloirs inquiétants !







Des serviteurs inquiétants !

C'est ainsi tout un pan de l'imagerie horrifique du cinéma occidental qui est ici réassaisonnée à la sauce masala, faisant de Purana Mandir un film fortement métissé (qui a dit "bâtard" ?), sorte de production gothique de la Hammer transposée à Bollywood. Le mélange des esthétiques et l'adaptation au folklore local produisent un résultat pour le moins surprenant, donnant à un palais historique de Bijapur de faux airs de château transylvanien, où l'on combat les démons avec non pas un crucifix mais le trident de Shiva.


Purana Mandir, un film où l'on passe en 2 secondes d'une atmosphère gothique à la Mario Bava période Le Masque du démon (ou presque)...



...à une ambiance très tralala façon Can't Stop the Music.



Shiva, l'arme absolue contre les méchants.

Montrant des possessions plus ou moins inspirées de L'Exorciste et des esprits maléfiques filmés en caméra subjective à la Evil Dead, Purana Mandir puise ses idées à droite à gauche, et pourtant le plagiat le plus flagrant du film n'emprunte pas au cinéma d'horreur mais au... western spaghetti !




Une redoutable attaque d'Indiens ! (en même temps c'est normal, on est en Inde...)

En effet, prérogative propre aux masses de spectateurs indiens, un film bollywoodien doit constituer un spectacle total, c'est-à-dire respecter sur une durée conséquente un épais cahier des charges comprenant de l'action et du mélodrame, de la violence et de l'amour, des chansons et aussi... de l'humour ! D'où la présence de quelques sous-intrigues satellitaires, gravitant très loin autour du noyau central du récit.


Le bandit Machar et ses hommes, affublés de masques de Dracula et de Frankenstein ! (Note : les tigres ayant pour habitude d'attaquer leurs proies par derrière, les hommes qui vivent dans des zones où l'on peut croiser cet animal portent parfois des masques sur leur nuque)

La dimension "comique" de Purana Mandir est assurée par le personnage de Machar, bandit gaffeur et violeur de grand-mère (hu hu hu...). Il est interprété par l'hallucinant Jagdeep, fanatique du surjeu, extrémiste de la grimace couinant ses répliques dans les aiguës comme pouvait le faire Eddy Murphy à la même époque. On croirait voir le meneur d'une troupe de théâtre de rue, haranguant le badaud en roulant des yeux pour impressionner les enfants !


Daku Machhar Singh alias Machar (Jagdeep), Grand Maître du cabotinage.

Ce personnage fait son incursion dans le récit lorsque Anand, ami du héros Sanjay et costaud de service, se porte au secours de sa fiancée Sapna, capturée par une bande de gredins d'opérette menée par Machar. Découvrant que la tête de Machar est mise à prix pour divers forfaits (incluant moult vols, le viol répété d'une septuagénaire nommée Basanti et la mutilation du chef de village Sardar Murtar Singh, manchot assoiffé de vengeance), Anand entreprend un cycle de capture-livraison-libération de Machar, afin de percevoir plusieurs fois de suite le montant de la récompense. On assiste ainsi ni plus ni moins qu'à une réincarnation du duo Blondie / Tuco que campaient respectivement Clint Eastwood et Eli Wallach dans Le Bon, la brute et le truand de Sergio Leone ! Comme quoi l'Inde ne recycle pas que nos déchets nucléaires... Les amateurs y reconnaîtront aussi une parodie pataude de Sholay, grand classique du cinéma bollywoodien avec les dieux vivants Dharmendra Deol et Amitabh Bachchan, le personnage de Machar étant calqué sur celui de Gabbar Singh.






Sergio Leone version tandoori, avec Anand qui joue les Clint Eastwood et un Tuco local qui cabotine comme un diable sorti de sa boîte.

Cette parenthèse burlesque, succession de gags inopérants qui n'ont jamais été drôles que dans la cervelle des metteurs en scène, plombe quelque peu un récit horrifique qui retenait jusque-là toute notre attention. Elle sera heureusement assez vite refermée.

Si, de par ses nombreux emprunts tant esthétiques que scénaristiques au cinéma occidental, Purana Mandir s'avère une production bollywoodienne un peu moins exotique qu'à l'ordinaire, elle reste bien entendu une oeuvre fortement marquée par son identité d'origine. Respectant les canons les plus élémentaires du cinéma bollywoodien, avec sa durée de 2h30 et son lot de danses et de chants survenant dans le récit avec une régularité de métronome, Purana Mandir offre également des dialogues et une gestuelle hyper-théâtralisés, un montage énergique et rugueux, et les outrances visuelles et narratives caractéristiques des cinématographies du sous-continent indien - avec une fascination certaine pour l'emploi répété du zoom/dé-zoom brutal, des éclairages dont la gamme chromatique se limite au bleu électrique et au rouge sang, et autres délices propres à un univers où l'excès est la norme.


De la castagne avec des bruitages tonitruants qui donnent mal à la tête !



D'accortes bayadères à la cuisse mutine, avec des plumes et des bulles de savon !



Des duels au fleuret sous le regard de figurants apathiques !



Des villageois superstitieux en colère et qui veulent tout brûler comme dans Frankenstein !



Des armes en carton avec du vrai faux-sang dessus !



Des donzelles dénudées ! (Le maximum d'érotisme qu'une production bollywoodienne pouvait alors se permettre, les baisers sur la bouche constituant toujours un tabou prégnant à ce jour)




Des personnages principaux qui changent de coiffure d'une scène à l'autre !

Une tambouille épicée que viennent encore relever, grand spectacle bollywoodien oblige, un luxe d'ingrédients scénaristiques n'entretenant pourtant qu'un lointain rapport avec la recette horrifique d'origine : combats de kung-fu, bandits indiens déguisés en Indiens d'Amérique, soupçon d'érotisme gratuit, duel à l'épée, gag à base de femme chauve... adeptes du sucré ou du salé, il y en a pour tous les goûts. Suprême nappage, une bonne dose de cette naïveté propre au cinéma de genre populaire couvre d'une patine supplémentaire une oeuvre déjà copieusement kitsch pour le public d'aujourd'hui.


Bijli, la pouf de la jungle, vient semer la zizanie entre Sanjay et Suman.



Sanjay saura t-il résister à la tentation ?

Evoquer Purana Mandir en ces lieux nous permet, ô joie, d'aborder le cas de ses instigateurs : la famille Ramsay, dont le patronyme revient une bonne douzaine de fois au générique. A la base, il y a le patriarche F. U. Ramsay, producteur basé à Bombay et fondateur de Ramsay Films. Pour donner du boulot à sa famille et faire des économies sur les frais de tournage, le père Ramsay a eu une idée lumineuse : former chacun de ses rejetons à un poste technique. Au générique de Purana Mandir, on trouve ainsi son fils Tulsi Ramsay (crédité comme co-réalisateur et production designer), son autre fils Shyam Ramsay (co-réalisateur et monteur), Arjun Ramsay comme réalisateur associé, Gangu Ramsay au poste de directeur photo, Kiran Ramsay au son, Kumar Ramsay au scénario et Kanta Ramsay à la production. Le clan compte également Keshu, Reshma, Anita, Kavita, Gopal, Chander, Anjali et Deepak, crédités aux génériques d'autres productions Ramsay Films.


La traditionnelle scène de douche... en maillot !





Ha ha ! Tu t'y attendais pas, hein ma belle !

Purana Mandir est parfois considéré à tort comme le premier film d'horreur bollywoodien. L'assertion est fausse dans la mesure où le genre horrifique existe en Inde depuis le début des années 70, avec notamment des titres comme Nagin (1976), de Rajkumar Kohli, qui adapte un mythe local prêtant aux serpents des pouvoirs d'anthropomorphie, Jadu Tona (1977), de Raveekant Naigach, ou le film de possession Jaani Dushman alias Beloved Enemy (1979), à nouveau de Rajkumar Kohli. Cependant, c'est bien Purana Mandir qui sortit de l'ombre ce genre jusqu'alors ultra-marginal, le film des frères Ramsay rencontrant un tel succès en Inde qu'il engendra une flopée de clones et fit de l'horreur bollywoodienne un genre plébiscité pendant les années qui suivirent.

Capitalisant sur son succès, le clan Ramsay remit ainsi le couvert en 1985 avec (carrément) Saamri 3D, alias Purana Mandir 2, tentative un peu grotesque de faire de leur Saamri l'équivalent indien d'un Jason Voorhees ou d'un Freddy Kruger. La franchise du démon de Bijapur n'ira guère plus loin, mais les titres horrifiques s'enchaîneront : Tahkhana alias The Dungeon (1986), Veerana alias Loneliness (1988), Purani Haveli (1989), Bandh Darwaza alias The Closed Door (1990), qui voit Saamri sévir à nouveau, ou encore le décalque de Freddy Mahakaal alias Time of Death (1993), tous actuellement ou bientôt disponibles chez l'éditeur Mondo Macabro.



La seconde moitié des années 80 constitue de fait une sorte de mini âge d'or pour le cinéma d'horreur bollywoodien. Parmi les rivaux du clan Ramsay, on compte notamment le madré producteur Mohan Bhakri, lui aussi responsable de quelques bandes crapoteuses telles que Cheekh alias The Scream (1985), Khooni Mahal (1987), Kabrastan alias The Graveyard (1988), Khooni Murdaa alias Deadly Corpse (1989), Roohani Taaqat (1991) ou Insaan Bana Shaitan (1992), et qu'il nous faudra absolument évoquer un jour plus en détail sur ce site. Déclinable à l'infini, la formule du film d'horreur made in Bombay reste grosso modo toujours la même : des thèmes et gimmicks du cinéma d'épouvante occidental conformés aux standards bollywoodiens, et doucettement assaisonnés d'une pincée de sexe et de comédie. Chefs de file de ce cinéma qui fait peur, les Ramsay et Bhakri abandonneront plus ou moins le créneau à partir de 1992, les tombereaux d'ersatz répétitifs et d'imitations bâclées par des opportunistes à la petite semaine ayant fini par tuer l'intérêt du public pour le genre. Un genre riche d'une flopée de titres hauts en couleur qu'on s'enthousiasme aujourd'hui à l'idée de redécouvrir !

- John Nada -
Moyenne : 3.25 / 5
John Nada
NOTE
3.5/ 5
Drexl
NOTE
3.5/ 5
Kobal
NOTE
2.75/ 5

Cote de rareté - 3/ Rare

Barème de notation


On ne remerciera jamais assez l'éditeur américain Mondo Macabro de nous ressortir de telles gemmes du cinéma d'exploitation du bout du monde. Proposé en double-DVD, Purana Mandir accompagne Bandh Darwaza, resucée du mythe de Dracula également réalisée par les Ramsay, l'ensemble constituant un roboratif double-programme qui inaugure une collection "Bollywood Horror" de bonne augure pour vos soirées nanarophiles.


Les deux films sont proposés en VO avec sous-titres anglais, au format 4/3 (leur format d'origine), dans une copie d'une qualité dépassant nos espérances et accompagnés de quelques bonus didactiques, dont le plus intéressant reste de loin un documentaire sur le cinéma d'horreur bollywoodien et Lollywood (avec notamment des extraits de Haseena Atom Bomb mais aussi des interviews de Mohan Bhakri et de Omar Ali Khan, le très apprécié critique du site The Hot Spot Cafe). Ce premier volume de la collection sera suivi en 2009 d'autres films de la famille Ramsay, à savoir Veerana alias Loneliness (1988) + Purani Haveli (1989) (Volume 2) et Mahakaal alias Time of Death (1993) + Tahkhana alias The Dungeon (1986) (Volume 3). Encore un peu de patience...