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Saint-Tropez interdit


Saint-Tropez interdit

Titre original : Saint-Tropez interdit

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Georges Cachoux & José Bénazéraf

Année : 1985

Nationalité : France

Durée : 1h11

Genre : Mondo pour la citta del peccato

La Team Nanarland
NOTE
4/ 5


Quand Jean-Luc Godard a dit « le cinéma, c'est la vérité 24 fois par seconde », il ne savait certainement pas ce qu'était un Mondo. Car qu'est-ce que le Mondo sinon la distorsion du réel ? Présentant son film sous la forme d'un documentaire type "connaissance du monde", un réalisateur de Mondo va sélectionner tous les aspects crapoteux d'une ville ou d'un pays et, sous couvert d'en dénoncer la sauvagerie et la dépravation via le commentaire en voix-off, encourager à l'image le voyeurisme du spectateur. Ainsi, dans un Mondo, l'Afrique est peuplée de cannibales se livrant nus à d'étranges rituels de fertilité, la Suède est un dangereux repère de nudistes sodomites, et les Etats-Unis un pays où chaque homme est un serial killer et chaque femme une strip-teaseuse. Comment reconnaître un Mondo ? Si la plupart contiennent le mot "Mondo" dans leur titre, on peut aussi y retrouver des termes accrocheurs comme "secret", ou "interdit". Ce qui nous amène à notre objet : "Saint-Tropez interdit".


Saint-Tropez, son petit port, ses villas avec piscine et ses plages sises sous le soleil de Satan. Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance...


On a parfois donné à José Bénazéraf, co-auteur de ce film, les surnoms d'Antonioni de Pigalle ou de Godard du porno. Rétablissons la vérité et reconnaissons d'emblée que, contrairement au Suisse, Bénazéraf connaît la vérité du cinéma et nous le prouve ici de façon magistrale. Si vous êtes naïfs comme nous l'étions, Saint-Tropez évoque sans doute pour vous Brigitte Bardot dans "Et Dieu... créa la femme", un repère de nudistes pourchassés par Louis de Funès dans "Le Gendarme de Saint-Tropez", de pollueurs combattus par Paul Préboist dans "Le Facteur de Saint-Tropez", quelques navets de Max Pécas mais peut-être aussi un havre pour gentilles comédies porno 70's tel "Dans la chaleur de Saint-Tropez". Et bien détrompez-vous, braves gens !


Saint-Tropez la scandaleuse, où la femme, prêtresse du temple d'Aphrodite, peut bronzer les seins nus sur un bateau, cheveux au vent, sans craindre de voir débarquer Robert Ginty avec une tronçonneuse.


Car la mythique Saint-Tropez n'est pas seulement cette destination enivrante, où en 1985 on pouvait espérer apercevoir des jeunes femmes (mais aussi des vieilles) seins nus sur la plage (comme partout) tandis qu'Eddie Barclay jouait aux boules avec Henri Salvador. Non ! Avec ce courage et cette intégrité propres au grand journalisme d'investigation, Bénazéraf nous ouvre les yeux sur une bien triste vérité : Saint-Tropez est la nouvelle Sodome, une ténébreuse cité de débauche qui ferait passer Rio, Bangkok et la Vice City de GTA pour de paisibles villages de l'Aveyron ! Et "Saint-Tropez interdit" est le document-choc qui est là pour nous le prouver...


Des exemples de cette luxure tropézienne ? On trouve là-bas des... gulp, je n'ose l'écrire... des GAYS ! Si, si, de vrais homosexuels qui, sans honte aucune, se déguisent en Claude François et chantent sur la scène d'un cabaret ! Aussi vrai que je vous vois ! Et si ce n'était que cela... car Saint-Tropez, ce sont aussi des femmes qu... QUI VOLENT DES T-SHIRTS DANS LES MAGASINS ! Si, je vous jure, c'est vrai ! Et d'autres encore qui, pour récupérer leur véhicule emmené à la fourrière, tentent de corrompre le gardien en montrant leurs seins ! Même les campings ne sont pas épargnés ! L'adultère, l'alcoolisme et le vol de voitures s'y pratiquent avec constance. Le vice est partout à Saint-Trop', et je ne vous parle même pas des proxénètes contraints par les lois scélérates des socialistes à se faire photographes de charme pour survivre ! Fuyez Saint-Tropez, braves gens ! Devant tant de vice, la colère de Dieu ne pourra que frapper ce lieu de stupre et de luxure dans lequel même les pizzaïolos se transforment en bêtes libidineuses et lubriques !


Saint-Tropez interdit : un véritable brûlot où l'on apprend qu'à Saint-Tropez, l'homosexualité est si présente qu'un industriel lyonnais ou bordelais pourrait y vivre ses penchants sans retenue.


Vous l'aurez compris, "Saint-Tropez interdit" est l'exemple type du Mondo qui survend honteusement son sujet à grands coups de déclarations grandiloquentes et peu inspirées. Jean-Luc Godard reprochait aux cinéastes de son époque de ne faire finalement que de la radio avec de l'image, n'interrogeant jamais le rapport entre le son et l'image. Dans "Saint-Tropez interdit", cette problématique est brillamment mise en valeur par le fait que jamais rien de ce qui est dit ne correspond à aucun moment à ce qui est montré. Entendre comparer Saint-Trop' aux bacchanales dionysiaques de jadis alors que, dans le même temps, la caméra fait un travelling sur de sympathiques touristes en train de choisir des cartes postales, c'est bien entendu à la limite de l'escroquerie, mais c'est surtout monstrueusement drôle. On ne peut en effet que rire devant un décalage aussi éhonté entre la forme (fort laide) et le fond (un joli ramassis de fadaises déblatérées en voix-off), faisant de "Saint-Tropez interdit" le tout premier Mondo jugé à la fois assez mauvais et assez sympathique pour figurer sur Nanarland.


Motos, voitures dans l'eau, caravanes à sabots, scooters pas beaux : Saint-Tropez parano !


La forme de "Saint-Tropez interdit" aspire donc à s'approcher de celle d'un documentaire, mais se résume dans les faits à un mélange sans queue ni tête entre des scènes érotiques orientées saphisme SM crétin, des scénettes comiques grivoises indignes d'un Richard Balducci ou d'un Philippe Clair, et des prises de vues de Saint-Tropez façon film de vacances amateur. Pour illustrer ces images, on a droit tantôt à une musique très easy listening furieusement datée (ainsi qu'une autre empruntée à "Mon curé chez les Thaïlandaises"), tantôt à un discours intello-prétentieux sur la sexualité selon Jung, les prêtresses de Dionysos, les prophéties du Livre de Daniel, l'hystérie féminine, l'adaptation darwinienne, les mucosités muco-palpables (sic) et autres aberrations. En somme, "Saint-Tropez interdit", c'est le film de vacances de Tata Micheline en super 8 avec quelques inserts lesbiens joués par de mauvaises comédiennes sur lequel une espèce de Fabrice Lucchini mal inspiré serait en train de faire une exégèse de l'œuvre de Sade à grands renforts de citations psycho-socio-mes couilles. C'est une arnaque totale en termes de note d'intention (Ouuuuh, on est à Saint-Tropez, la ville de toutes les démences ! La preuve, regardez : Eddy Barclay va serrer la main à quelqu'un en boîte de nuit !) mais c'est tellement fendard qu'on en redemande.


Eddie Barclay éméché, Véronique et Davina en train de cloper : Saint Tropez caché !


Pour réussir un tel exploit, il fallait bien deux génies agissant de pair, un binôme de Tintin reporters de l'extrême, un tandem intrépide qui soit à la France ce que Prosperi & Jacopetti, les initiateurs du Mondo avec "Mondo Cane", sont à l'Italie. Ce duo de choc est formé de José Bénazéraf (crédité comme "enquêteur") et de Georges Cachoux (à qui le générique attribue la "réalisation technique"), véritables Don Quichotte de la pellicule ayant respectivement oeuvré dans le porno et la comédie régressive. De quoi titiller l'intérêt du spectateur averti, immanquablement intrigué par l'alliance des réalisateurs de "Le Désirable et le sublime", et de "Chômeurs en folie".


Une redoutable menace plane sur Saint-Tropez : le vol de tee-shirts !

 


Pourquoi appeler la police quand on peut s'arranger ? Fléau du vol et fléau du sexe : à Saint-Tropez, on combat le mal par le mal !


De fait, on louera le savoureux mélange de registres de "Saint-Tropez interdit", film schizophrène qu'on sent parfois tiraillé entre les personnalités de ses deux auteurs (comédie salace à la Max Pécas impliquant des campeurs et des merguez à trente balles le kilo ? Du pur Georges Cachoux ! Séquences érotiques S-M vulgos et frelatées ? La patte de José Bénazéraf !), où s'enchaînent danses homosexuelles, tentative de corruption les seins à l'air, faux témoignages, parade en string sur la plage, transformation d'un éphèbe en raisin, papouilles sur un yacht et rituels païens dans une ambiance hautement psychotronique. Certes, le contenu du film de Cachoux et Bénazéraf est avant tout érotoche, mais même quand il se contente de montrer de la fesse, "Saint-Tropez interdit" suscite plus d'amusement que d'ennui par l'étalage impudique de ses scories formelles. D'une laideur redoutable, filmées avec les pieds, les scènes érotiques se surpassent en effet dans le ridicule, le spectateur ayant plus l'impression de voir des danseurs contemporains s'adonner à une drôle de chorégraphie que des pervers avides de satisfaire leur goût du vice. Dès lors, s'il y a bien quelque chose de scandaleux dans "Saint-Tropez interdit", ce n'est pas tant le sujet que son traitement.


La saga des merguez à 30 francs le kilo et qu'on oublie de piquer. Scandaleux !


Sans détailler de façon fastidieuse toutes les scènes (ménageons un peu le plaisir de la découverte pour les futurs spectateurs victimes de ce concentré de stupidité), on évoquera tout de même quelques séquences absurdes, comme celle nous montrant des femmes maquillées en félin et feulant devant un chasseur qui, au détour d'un plan, aura bientôt le visage grimé en zombie digne du "Lac des morts-vivants". Une scène soutenue par moult slaps de basse fleurant bon les années 80, et dont la ringardise n'a d'égal que le risque pris par les actrices. Celles-ci montent en effet sur une verrière qui semble abandonnée et prête à s'effondrer à tout moment !


Les cosmocats derrière à l'air, chassées par un zombie vénère, se réfugient sur une verrière : Saint-Tropez galère !


Plus le film avance, plus la perversion visqueuse de Saint-Tropez encrasse chaque centimètre carré de la pellicule et, ce faisant, plus l'atmosphère de n'importe quoi général gagne en intensité surréaliste. Le comble semble atteint lors de la scène de la vie dans les villas. Dans un effort de montage digne d'un Godfrey Ho, le duo Cachoux / Bénazéraf juxtapose, via une audacieuse utilisation du champ / contre-champ, des images vraisemblablement prises dans une véritable soirée tropézienne et des images érotiques propres à émoustiller le beauf de base. Le raccord est habile : il fait nuit dans les deux cas, les scènes avec de vrais gens étant filmées à l'intérieur, tandis que les séquences érotiques avec des acteurs le sont à l'extérieur. Alors, pourquoi est-ce drôle me demanderez-vous peut-être ? Tout simplement à cause du décalage, encore une fois, magnifié par la roublardise décomplexée du procédé.


Ennui poli, escrime nudie, donzelle alanguie, Dracula ébahi : Saint-Tropez interdit !


Le Mondo de Cachoux et Bénazéraf se présentant, rappelons-le pour les étourdis, comme une enquête sulfureuse sur les dessous peu reluisants de Saint-Tropez la catin, leur procédé implique la prise de parole régulière d'intervenants, invités à témoigner sur les turpitudes qui ont cours dans l'enceinte de la Sodome française. Des témoignages parfaitement bidons, comme le reste, et qui apportent une délectable plus-value nanarde à l'ensemble. On retiendra notamment :
- Le commissaire de Saint-Tropez, qui nous explique qu'une stricte application de la loi est impossible dans la ville, et qu'il faut donc l'appliquer à la mode tropicale, que la police sait ce qui se passe dans les villas mais n'a pas à juger la morale de ses habitants tant que cela ne déborde pas sur la voie publique, que de grands truands internationaux habitent à Saint-Tropez mais sont les plus discrets des citoyens, et que les cocus sont nombreux à Saint-Tropez, surtout du fait des touristes, mais ne se plaignent pas trop.
- Deux poufs qui racontent leur quotidien à Saint-Tropez, gloussent, boivent du vin rouge au cubi, sous-entendent que la police a la meilleure drogue, re-gloussent, veulent mourir jeunes, et on ne voudra pas les en empêcher.
- Des actrices porno qui se demandent ce qu'elles foutent là, mais qui apprécient le fait d'être sur un yacht et donc ne se plaignent pas. Un moment de distanciation brechtienne où Bénazéraf nous dit : hé, vous regardez un film, ne l'oubliez pas. Mais on ne l'avait pas oublié.
- Des femmes sur la plage qui hallucinent sur les rayures des maillots de bain (alors qu'à l'écran on voit un homme en string avec marqué "Budé" sur le dos, ce qui rappellera de bons souvenirs aux étudiants de Lettres classiques).
- Une femme qui veut rendre fou un restaurateur italien (« sa peinture, c'est de la merde, mais qu'est-ce qu'il m'excite ! »).
- Un proxénète qui, poussé par la politique fiscale des Socialistes (« Il y a tellement d'impôts depuis que Fabius est là ! »), est obligé de prendre et de vendre des photos érotiques de la fille de la boulangère qui a eu un accident de voiture.


Détail qui ne trompe pas : la présence de mimes à Saint-Tropez, annonciateurs comme chacun sait d'une apocalypse prochaine.


Un gros dossier à charge donc, qui permet à Cachoux et Bénazéraf d'alerter l'opinion publique sur les dérives d'un lieu de villégiature jusqu'alors naïvement associé à une jet set ridée et brunie par le soleil méditerranéen. Le Saint-Tropez que les documentaristes nous dévoilent est un dépotoir de perversité à ciel ouvert où même l'Inspecteur Gadget (si si) ne peut rétablir la Loi et l'Ordre face aux hordes de voleuses de sous-vêtements, aux voitures mal garées et aux succubes adultères qui se laissent séduire par leurs voisins de caravanes. Grâce à leur travail d'investigation, vous ne pourrez plus voir la mine placide de Massimo Gargia, ni songer à ses fêtes people un peu ringardes, sans imaginer quelques âmes pures corrompues, souillées sur l'autel de la démence tropézienne !


Beauf à bob rageux, boulanger moustacheux, restaurant italien pseudo luxueux, maquillage monstrueux : Saint-Tropez scandaleux !


N'en jetons plus et résumons-nous : on tient là un objet filmique des plus singuliers, qui transcende sa nature première de Mondo crapoteux par la grâce de ses géniteurs, parvenus au faîte de la nullité dans leurs domaines respectifs. A Georges Cachoux, obscure figure de la comédie pouet-pouet franchouillarde, on doit sans doute cette vénération pour les merguez, et ces scènes de cocufiage de camping renvoyant au néant d'où elles venaient les pires turlupinades tropéziennes de Max Pécas. A José Bénazéraf, le philosophe du porno, le Audiard des pissotières, on doit ce discours en voix off qui, à grands coups de citations absconses, de soupirs exaltés et de références culturelles mal digérées, tente de faire accroire au spectateur qu'il regarde une version moderne du Satyricon ou d'autres films traitant de la décadence de l'Empire romain. A Georges Cachoux on doit la forme, laide comme pouvaient l'être les images de "Chômeurs en folie". A José Bénazéraf on doit le fond, péroraison vaguement arty façon philo de comptoir, dans la lignée de son précédent "Le Désirable et le sublime", et de son futur "Acteurs porno en analyse", pensums erotico-pompeux stupéfiants de prétention et de ridicule. A José Bénazéraf on doit le n'importe quoi, à Georges Cachoux le n'importe comment. L'un sans l'autre pourrait être insupportable, les deux réunis sont irrésistibles, le rire naissant le plus souvent du décalage total entre la philo épicuro-dandyesque du commentaire et la beauferie profonde des images.


Yeux bandés, fauve tacheté, surprise à l'arrivée, actrices pas motivées : Saint-Tropez dépravée !


Fruit contre nature de cette double paternité, "Saint-Tropez interdit" réunit ainsi le meilleur du pire de l'érotisme et le meilleur du pire de la philosophie, saupoudré du meilleur du pire de la comédie. Un solo de pipeau aussi irrésistible que grossièrement racoleur, un nanar d'une débilité mystico-sulfureuse où Dionysos côtoie Eddy Barclay et l'Inspecteur Gadget dans une folle bacchanale de vice et de lucre. Voilà, pour résumer, les nobles vertus ludiques dont se pare à nos yeux ce réjouissant "Saint-Tropez interdit" !


Au revoir, les copains !


Un grand merci à ROTOR pour avoir déniché cet incunable !
Ont notamment participé à la rédaction de cette chronique : Gatman, John Nada, Kevo42, Zord...


 

- La Team Nanarland -
Moyenne : 2.83 / 5
La Team Nanarland
NOTE
4/ 5
John Nada
NOTE
3.5/ 5
MrKlaus
NOTE
3/ 5
Rico
NOTE
2/ 5
Wallflowers
NOTE
1.5/ 5
Drexl
NOTE
3/ 5

Cote de rareté - 5/ Pièce de Collection

Barème de notation

Ce singulier concentré de n'importe-quoi est sorti en VHS en France chez "Proserpine". Il semble également exister une édition VHS québécoise chez "Mustang Video Distribution". Bon courage pour trouver l'une ou l'autre, mais qui sait : avec un peu de chance, peut-être pourrez-vous vous aussi découvrir Saint-Tropez la dévergondée, carrefour du monde grec ancien et des paradis fiscaux actuels, pays interlope où se croisent les désirs et les corps enfin libérés du carcan répressif de la société bourgeoise, où le mâle moderne (y compris et surtout dans ses instincts les plus dionysiaques) habituellement confiné dans un corset castrateur peut enfin vivre au grand jour ses pulsions de vie et de vit, loin de la dictature policière et oppressante de l'état socialiste, symbolisé par la figure liberticide de son bras armé, l'inspecteur Gadget...