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Le glossaire du Pr. Ryback

Y comme …

France



Bien qu'acteur important du cinéma mondial, la France a toujours été un producteur modéré de nanar mais fait de gros efforts au début des années 2000 pour rattraper son retard.



La France a toujours eu un rapport passionnel et compliqué avec le cinéma. Intellectualisant le cinéma très vite y compris dans ses franges les plus marginales ou faisant de la critique un véritable genre littéraire à part entière. Cela peut peut-être expliquer qu'il a toujours manqué à notre cinéma le grain de folie naïve qui ouvre la porte au nanar. Pourtant étonnamment, même si le concept semble assez universel, le mot même de nanar n'existe qu'en français et n'a pas, par exemple, d'équivalent en anglais.


"Un film d'Emile Couzinet! On y rit...on ira!" Notez la ressemblance très étudiée entre Duvallès et Fernandel...



Cette puissance normative de la critique a aussi longtemps entraîné un mépris affiché pour tout cinéma dit populaire renvoyé au rang de production vulgaire pour les masses. Toutefois, il convient de se rappeler que l'un des premiers films tournés par les frères Lumière fut un gag navrant à base de tuyau d’arrosage bouché. Cela entraîna une étrange schizophrénie du cinéma français qui oscilla longtemps de façon caricaturale entre film intello prise de tête et comédie bas de plafond. Le premier faisant chic mais se ramassant au box office, le deuxième rapportant pleins de sous mais foutant la honte à tout le monde.





Tout le cinéma dit de genre, gros pourvoyeur de nanars dans d'autres contrées, vivota assez mal entre ces deux extrêmes, les producteurs partant du principe que non décidément, la science fiction, l’héroïc fantasy, le western, le fantastique… laissez ça aux Américains, c’est pas pour nous. Seuls genres véritablement indigènes qui réussirent à sortir leurs épingles du jeu, le film de cape et d’épée grâce à des Jean Marais et des Gérard Philipe (et sur la fin Gérard Barray mais qui s’en souvient encore ?) et le polar, grâce à Jean Gabin, Lino Ventura, puis plus tard Jean-Paul Belmondo ou Alain Delon. Dans ces deux genres des films bien calibrés et réalisés professionnellement (la célèbre qualité française tant décriée par la Nouvelle Vague) qui ont rarement produit des ratages spectaculaires.

Jusqu’à la fin des années 1960, il y eut bien quelques tentatives de films fantastiques, d’espionnage ou d’aventure mais la faiblesse de leur budget et hélas la fréquente nullité du résultat les condamnèrent vite à la disparition face à la domination de la concurrence anglo-saxonne ou italienne. Seul Marius Lesoeur, l’halluciné patron de la société Eurociné, s’entêta à produire des films de zombies ou d’amazones jusqu’aux années 1980. 

Quelques artistes tels Cocteau, Demy ou Franju créèrent un cinéma poétique ou fantastique de qualité, dont le retentissement fut souvent plus grand à l'étranger que dans notre propre pays, mais ils eurent peu de suiveurs moins doués nous offrant des oeuvres déviantes. Faute d'une véritable industrie de la série B comme en Italie, en Espagne ou en Grande-Bretagne, le film bis français fut cantonné à des tentatives isolées de Jean Rollin à Bernard Launois

D’où une relative faiblesse en nanardise, les films d’auteur, quand ils sont mauvais, se contentant juste d’être chiants et évitant souvent de passer au stade kitsch et sympa par la nanardisation. C’est pourquoi les productions comiques prirent le relais et le nanar français devint assez vite synonyme de comique lourdingue.




Jusqu'aux années 70, en matière de nanars, on assista surtout à la domination de la comédie plus ou moins grasse particulièrement destinée au marché juteux des petites salles de province. En effet la distribution en France étant très segmentée, beaucoup de films ne sortaient pas à Paris et dans les grandes villes mais étaient destinées à un public moins sophistiqué avide de plaisirs simples. Emile Couzinet, propriétaire de salles sur la côte Atlantique monta ainsi ses propres studio sortant à la chaîne des comédies de boulevard jusqu'aux années 60. On a tendance à l'oublier mais les films de Max Pécas ou des Charlots dépassaient allègrement le million d'entrée jusqu'à l'orée des années 80. Des stéréotypes, un peu de nichons, des comédiens familiers, des gags faciles, une atmosphère bon enfant... Tant que le filon marchait, on l’essorait jusqu'à la corde.




Héritiers du vaudeville de boulevard, tout un tas de petits réalisateurs médiocres se jetèrent sur le film qui fait rire avec plus ou moins de succès et de talent en exploitant tous les ressorts des gags les plus éculés (quiproquos, amants dans le placard, folles tordues, flics ridicules). Chaque période vit se multiplier des niches comiques spécifiques qui connurent leur apogée dans les années 70 et qu’il conviendrait de détailler dans une étude ultérieure qui disséquerait les différentes formes du comique franchouillard : le comique troupier puis de bidasses, basé sur la vie de caserne, quasiment inchangé depuis le XIXème siècle - les films avec Les Charlots nous viennent naturellement à l’esprit -, le comique de dragueur qui connut son sommet avec Aldo Maccione dit "la classe" et les fantaisies tropéziennes de Max Pécas, le comique juif pied-noir (qui succède au comique marseillais très années 1930) dont le fond du fond est atteint par Philippe Clair, le comique d’ados au lycée (même quand ces ados sont joués par des trentenaires) etc…

Le genre est loin d’être mort puisque les films comiques pas drôles photocopiés continuent de proliférer sur les écrans. Les thèmes ont légèrement été actualisés mais pas le fond : films de comiques télé, comique gay, comique des cités, comique bobo, les recettes changent à peine (comparez « Pedale Dure » d’Aghion et « T’es folle ou quoi » de Michel Gérard avec Aldo Maccione ou encore un film des Charlots et un film des Robins des Bois et vous devriez être convaincu). Vous les reconnaîtrez facilement, leurs affiches obéissant à des codes marketing moutonniers. Dans les années 2000 l'affiche à fond blanc, lettrage rouge est reine, avant d'être détrônée par le fond ciel bleu lettrage jaune dans les années 2010. Le fond jaune lettrage bleu ou orange hérité de la comédie américaine faisant le forcing ces dernières années. Nous vous renvoyons au Stagiaire des Affiches pour en savoir plus sur les tendances à la mode.

 

 

Autre bizarrerie française, le culte de la personnalité des réalisateurs nommés désormais auteurs est monté à la tête de quelques cinéastes francs-tireurs qui font leurs films dans leur coin dans le plus total mépris des conventions classiques du cinéma. Pour un Jean-Pierre Mocky, un Alain Jessua ou un Yves Boisset, comptez aussi un Jean-Marie Pallardy, un Jean Rollin ou un Sergio Gobbi qui tournent des films de dingues dans des conditions quasi amateur mais avec la certitude de révolutionner le cinéma. Ces films étranges et souvent confidentiels ont leurs amateurs mais les bonnes intentions ne suffisent pas toujours et ces louables efforts sont souvent rattrapés par le ridicule… 

Une courageuse tentative de polar nanar français (co-produit par le RPR !!).


Jean Rollin : un réalisateur de films d'horreur qualité France, pas toujours aidé par ses affiches...


Dans les années 1990 le cinéma français connait une crise en voyant ses entrées s'éroder face au cinéma américain. Les cinémas de quartiers disparaissent au profit des grands multiplexes et globalement le public devient plus exigent. Les recettes traditionnelles ronronnantes ne marchent plus et une nouvelle génération de producteurs finissent par comprendre que si les Américains cartonnent au box office et que si personne dans le monde ne va voir nos films c’est qu’il y a sûrement un problème. Ils donnent enfin de l’argent pour produire des films fantastiques ou d’aventures. De plus les lois Lang, s'appuyant sur l'arrivée du mastodonte Canal Plus, permettent de financer la production française en obligeant les chaînes de télé à reverser une part de leur production pour soutenir le cinéma hexagonal.  En contrepartie, celles-ci ont aussi des exigences et on assiste à la fin des années 1990 et surtout dans la première décennie 2000 à un renouveau du cinéma de genre en France.

Manque de bol, malgré quelques vraies réussites ils confièrent aux premiers venus des gros moyens, pour peu qu’ils sortent d’une FEMIS quelconque ou qu’ils aient fait un peu d’esbroufe en tournant un joli clip ou une belle pub. Gavés d’effets spéciaux (ce qui évite d’avoir à payer un scénariste), écrasés par des castings de vedettes qui se demandent ce qu’elles font là (une fois sur deux, il y a Depardieu ou Eric et Ramzy), tournés par des débutants dépassés par les exigences de leurs financiers, ces nouveaux films de genre se révèlent trop souvent être des ratages qui prennent instantanément un tour risible. Deux cas : soit le réalisateur, laissé sans contrôle, pète un fusible et fait n’importe quoi (Blueberry, Atomik Circus, Vidocq…), soit, englouti par l’inanité du projet et/ou les exigences d’édulcoration des chaînes qui cofinancent, il livre une nazerie:  Belphegor le Fantôme du Louvre, Bloody Mallory, les Daltons... Evidemment la carrière de certains de ces nouveaux yes-men ne dépassera pas un film, même s’ils ne sont pas toujours entièrement responsables du désastre final. 

Dans les années 2000, un autre phénomène a redonné un sérieux coup de fouet à la production nanarde française, faisant de Paris l’une des nouvelles capitales du cinéma ringard. L’arrivée sur le marché du bulldozer Luc Besson. Les bessonneries (terme qui sera aussi défini), productions clinquantes et navrantes fortement marquées par l’héritage bien français de l’humour gras lifté à coup de hip hop et de jeunes de banlieue, font un carton mais cachent mal leur vacuité ou leur vulgarité et surtout stylistiquement vieillissent à vitesse grand V.

Si le cinéma français n’a pas toujours été à la hauteur de sa mission dans la production nanarde par le passé, il a su redresser la barre au début du millénaire en générant quelques-uns des films les plus jouissivement honteux dans la décennie 2000. Vingt ans après, on en reparle avec émotion comme d’un âge d’or du nanar.

Effet pervers, ces désastres à répétition finissent par rendre le public frileux à l'idée d'aller voir un film fantastique ou d'action français même quand celui-ci est bon. Résultat à partir des années 2010 le cinéma français s'assagit. Les films de genre sont beaucoup moins nombreux mais gagnent en qualité même s'il ne rencontrent pas toujours leur public. La comédie navrante qui est fédératrice à la télévision revient en force de Fabien Onteniente à Franck Gastambide.

Bien sûr nous n'avons pas encore le recul suffisant pour juger de la qualité nanarde des années 2010 mais celle-ci semble faible. Heureusement, ponctuellement, un accident industriel tels Le Baltringue, Doutes, Fleuve Noir ou Alien Crystal Palace, vient encore égayer ce morne horizon.