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Entretien avec
Suzanne Donahue et Mikael Sovijarvi - Gods in spandex - Gods In Polyester

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Suzanne Donahue et Mikael Sovijarvi - Gods in spandex - Gods In Polyester

Suzanne Donahue et Mikael Sovijarvi sont les auteurs de Gods In Polyester et Gods In Spandex, deux ouvrages qui proposent un panorama sans précédent sur le cinéma obscur que nous chérissons ici, en donnant directement la parole aux principaux intéressés, à savoir les acteurs et réalisateurs de l'époque. Pas d'analyse ni de critiques au vitriole donc, mais une foultitude de témoignages qui offrent un éclairage inédit et souvent passionnant. Séduits par la masse de travail fournie par ces passionnés venus de Finlande, nous avons voulu en savoir plus : où, quand, comment, pourquoi, qui ? Toutes les réponses à ces questions figurent dans cette interview, émaillée de références parfois ultra-pointues.

Interview menée par Labroche et traduite par Nikita en janvier 2008.


Pourriez-vous vous présenter tous deux en quelques mots ?

MIKAEL : Je suis moi. J'ai 33 ans et je suis un artiste dans la mouise qui essaie de gagner sa croûte en vendant par téléphone des abonnements pour des journaux. Techniquement, je devrais être graphiste dans une agence de pub, mais il vaut mieux pour l'humanité que ce ne soit pas le cas. J'ai un passeport finlandais. J'ai vécu un peu partout. Je suis un bavard, nomade, soupe-au-lait, caractériel et bougon. C'est facile de me détester mais presque impossible de m'adorer. J'aime mon chat, mes amis, l'art marginal, la musique marginale, les films marginaux. Mon unique qualité est de ne jamais renoncer à ce que j'ai vraiment envie de faire. Je suis un bulldozer. Mais je ne suis pas vraiment intéressant. Ce que je suis n'a aucune importance, au contraire de ce que je fais.

SUZANNE : Je me situe à l'opposé de la plupart des être humains de cette planète, et ce depuis que je suis née il y a une trentaine d'années. Je n'aime pas les autres. Je ne m'exprime pas comme les autres. Je ne m'habille pas comme les autres. Je refuse de grandir. Je ne me conformerai sûrement pas. Et je n'ai jamais cru à la notion de « plaisirs coupables ». Ce qui est important pour moi ne l'est généralement pas pour la plupart des gens que je rencontre, et vice-versa. Les choses que je collectionne et qui me passionnent n'intéressent généralement pas les gens. Ce qui m'a permis de vivre de ma plume et me laisse le loisir très agréable d'être payée pour parler des films, musiques, livres, BD et jouets que j'aime. Evidemment, on m'a souvent qualifiée de « personne à problèmes » pour les raisons évoquées plus haut, mais ceux qui comptent pour moi (y compris mon chat noir amateur de films) peuvent eux aussi être plus ou moins définis comme tels. Mais de toutes façons, il vaut mieux être une personne à problèmes qu'une personne ennuyeuse. Donc, alors que d'autres passent leurs après-midi à manger des Big Macs, à essayer les nouvelles Nikes et à télécharger des sonneries sur leurs portables, je fais des choses comme créer une page hommage à Hy Pyke sur MySpace et regarder tous les films philippins jamais tournés par Richard Harrison. Vive la différence [en français dans le texte].

 

Pouvez-vous nous parler de vos goûts cinématographiques ?

MIKAEL : J'ai grandi en regardant les films hollywoodiens classiques des années 1930 et 40 et les films finlandais de la même époque, que mes grand-parents regardaient, et je les aime toujours. Bogart, Bacall, Ida Lupino, Boris Karloff, Tauno Palo, Ansa Ikonen, Regina Linnanheimo. Les trois derniers noms n'évoquent absolument rien pour la plupart d'entre vous. Sinon, je fais une fixation sur les films expérimentaux et d'art et d'essai des années 1960-70 (citons par exemple Kenneth Anger), le psychédélisme hippie, la S-F d'anticipation et la plupart des films d'horreur marginaux à petits budgets tournés aux USA et en Europe. Les films comme « Death Bed : The Bed that Eats » ont un style particulier, complètement imprévisible, que je ne retrouve nulle part ailleurs. Maya Deren et Anger s'en approchent, mais pas complètement. Et, oui, je prends mon pied avec les films Kinavesa/Silver Star pour leur absurdité totale.


SUZANNE : J'ai passé tous les week-ends de mon enfance au drive-in près de chez moi, où j'ai vu beaucoup de films d'horreur et de S-F américains, les films de blaxploitation dont nous parlons dans « Gods in Polyester », durant leur première exploitation en salles. On peut parler d'un coup de foudre. Puis un vidéo-club assez incroyable a ouvert pas loin de chez moi, et le propriétaire m'a fait découvrir les films européens et asiatiques. Je revenais à la maison avec des sacs pleins de post-nuke italiens, de westerns spaghetti, de films de kung fu de toutes sortes, des aventures de jungle, des giallos, tout ce que vous voulez. A peu près au même moment, la station de télé locale a commencé à diffuser quotidiennement des films de Godzilla, des films d'horreur gothiques avec Vincent Price ou Barbara Steele, et des films de monstres en noir et blanc. Donc inutile de vous dire que ma collection s'est rapidement transformée en un monstre dévoreur d'appartement. J'ai appris à tout aimer, de Hitchcock au cinéma muet, et je me fixe pour règle de voir tous les films possibles, car je cherche à me faire ma propre opinion. Mais je garde une tendresse particulière pour les films indépendants des années 1960, 70 et 80, pour leur folie, leur noirceur et leur énergie sans compromissions. Ce sont des films dont je ne me lasserai jamais.

Barbara Steele.

Comment avez-vous eu l'idée d'écrire ces livres sur le cinéma bis ?

MIKAEL : J'étais à un point de mon existence où j'avais passé environ dix ans de ma vie à faire des boulots inutiles à temps partiel, tout en me livrant occasionnellement à des projets « artistiques » tout aussi inutiles (qui se résumaient au final à faire une affiche ou deux, pour des gens que je connaissais, une fois ou deux par an, quasiment pour des prunes). Comme je m'approchais à grands pas d'une crise de la trentaine et que j'avais de plus en plus le sentiment d'être un parfait raté, cela m'a poussé à faire quelque chose de complètement mégalomane et délirant, et bien au-delà de mes capacités, et ce afin d'avoir quelque valeur en tant qu'être humain. Le résultat a été « Gods in Polyester ». « Gods in Spandex » a été sa suite naturelle. Le sujet en a été les films de série B les plus obscurs et oubliés, car personne d'autre n'avait alors publié de livre pareil et que nous en étions tous deux des fans.



SUZANNE : Cela faisait une éternité que nous parlions de ces films avec enthousiasme, et nous avons fini par nous dire que ce serait chouette de retrouver les gens qui y avaient participé — de découvrir ce que ça faisait de tourner des films comme « Lemora: A Child's Tale Of The Supernatural », « Lorna la lionne du désert », « Lovely But Deadly », « Disco Godfather » ou « Satan's children ». Comme ni lui ni moi ne sommes timides, nous avons décidé un soir de nous attaquer aux années 1970 et nous nous sommes jetés sur Google. Au tout début, nous ne savions guère combien de ces acteurs et réalisateurs nous pourrions retrouver, ni qui allait prendre la peine de nous répondre. Mais quand Richard Harrison, Leo Fond, Ed Adlum, Don Dohler et Carol Speed nous ont tous répondu en moins de 48 heures, « Gods in Polyester » a commencé à voir le jour. C'était tout naturel de faire ensuite « Gods in Spandex », car les années 1980 comptaient elles aussi un grand nombre de films aussi précieux que méconnus, dont nous pensions qu'ils méritaient que l'on en parle.

Richard Harrison.

Vos deux livres traitent d'acteurs et réalisateurs très moyennement connus. Nous savons qu'il est parfois compliqué de les contacter. Etait-ce le cas pour vous ? Y-a-t-il une personne en particulier qui s'est révélée très difficile à retrouver ?

MIKAEL : Pas du tout. La plupart de nos contributeurs ont été trouvés grâce à Google et contactés par e-mail. Certains contributeurs nous ont parfois mis en contact avec d'autres. William Shatner a ainsi été contacté grâce à William Grefe, Richard Harrison grâce à John P. Dulaney, et ainsi de suite. Cela nous a pris environ un an pour retrouver Hy Pyke, en appelant plusieurs maisons de retraite où il avait donné des spectacles, mais pour tous les autres, cela a été facile.

SUZANNE : Presque tous les gens que nous voulions retrouver avaient un lien sur Internet que nous pouvions facilement suivre — qu'il s'agisse d'un site personnel ou professionnel, d'une interview ou de traces laissées sur un forum quelque part. Nous avons donc contacté assez vite la plupart des contributeurs de « Gods in Polyester » et « Gods in Spandex ». C'est toute la beauté du web. Notre principal outil a été l'Internet, sans aucun doute. Il n'y a eu que quelques exceptions à cette règle pour « Polyester ». Bruce Glover et John Phillip Law ont dû d'abord être contactés par courrier postal, puis par téléphone, car aucun des deux ne passe beaucoup de temps sur le net. Hy Pyke, George « Buck » Flower, Norman J. Warren, Laurel Barnett et Felton Perry ont tous été contactés d'abord par téléphone parce que nous avions eu leur numéro avant leur adresse e-mail. Mais ça voulait dire que nous avons commencé par parler de vive voix à ces personnes, ce qui restera un grand souvenir pour moi. Ce sont vraiment des gens drôles, intelligents et intéressants. La seule personne que nous ayons pu contacter par réseau était Alan Scarfe : un peu par hasard, j'ai contacté un monsieur qui avait le même nom de famille et travaillait dans une université canadienne ; il s'est avéré qu'il était le frère d'Alan. C'était un gros coup de chance.

Dans quelle mesure Internet a t-il rendu possible la réalisation de ces ouvrages ?

MIKAEL : Sans Google, il n'y aurait ni « Gods in Polyester » ni « Gods in Spandex », point barre. Ou alors, les livres n'auraient pas été faits par des gens comme nous sans contacts ni argent.

SUZANNE : Avec le net, on peut trouver en quelques minutes presque tous ceux qui ont participé au cinéma indépendant des années 1970-80, donc l'usage de l'Internet est très précieux pour ce genre de projet. Quand j'essaie d'imaginer ce que cela aurait été de faire Polyester et Spandex sans le net — tenter de trouver des adresses postales et des numéros de téléphone privés sans avoir de contacts à Hollywood, et se baser sur les vieilles infos inexactes des fanzines — ça me donne le vertige. C'est tout simplement impossible. Ces livres seraient demeurés à l'état d'idée dans nos têtes et rien de plus.

Comment ont réagi ces gens quand vous les avez contactés ? Je vous demande cela car nous sommes parfois tombés sur des gens qui étaient stupéfaits de découvrir que, quelque part sur Terre, quelqu'un s'intéressait à leur carrière (Mike Abbott et Stuart Smith, par exemple).

MIKAEL : La plupart étaient réellement surpris que des gens s'intéressent à leur carrière, voire que l'on se souvienne d'eux. C'était surtout le cas pour « Polyester », où nous traitions de nombreux acteurs et réalisateurs qui avaient fait entre un et trois films, comme Laurel Barnett, Robert S. Fiveson et George Barry.

Hy Pyke.

SUZANNE : En gros, il y a eu trois types de réactions. Tout d'abord, des gens qui avaient l'air complètement stupéfaits que quelqu'un les contacte. Hy Pyke et George « Buck » Flower tombent dans cette catégorie, car tous deux ont dit la même chose quand je leur ai parlé : « Merci de savoir qui je suis ». J'ai du mal à voir comment on pourrait oublier Hy ou Buck, mais j'ai eu les larmes aux yeux en entendant ça. Ensuite, il y avait des gens qui avaient presque tout oublié de leurs films, ou qui n'avaient jamais eu l'occasion d'en parler. Par exemple, Daphne Rubin-Vega était vraiment ravie qu'on se souvienne de son rôle dans « Occultist, Terreur Vaudoue » et Gary Graver a avoué qu'il attendait depuis trente ans l'occasion de raconter à quelqu'un l'histoire de « Texas Lightning ». Enfin, des gens que nous avions contactés au débotté pour parler de leurs films mais ne se lassaient jamais d'en parler. Dans les mails de gens comme T.G. Finkbinder (« The Redeemer ») et Kenneth J. Hall (« Evil Spawn" target="_blank" rel="noopener" class="autoDetect">Spawn »), on trouve le même sentiment : « De temps à autres, quelqu'un surgit qui me pose des questions sur ce film, et ça me fait toujours sourire... » Toutes ces réponses nous ont confirmé que nous étions sur la bonne voie pour obtenir le contenu du livre.

Des gens ont-ils refusé de participer au livre ?

MIKAEL : Je crois que la seule personne à avoir refusé de participer à « Spandex » était G. Gordon Liddy [NDLR : ancien espion américain, compromis dans l'affaire du Watergate, et devenu animateur de radio et acteur occasionnel] que nous avons approché à propos du film « Street Asylum ». Dommage, vraiment : ç'aurait été un événement historique. D'autres étaient intéressés mais voulaient de l'argent, et de très nombreuses personnes ne nous ont jamais répondu. « Polyester » a été fait il y a si longtemps que j'ai oublié si quelqu'un avait refusé. Je crois qu'un acteur américain connu comme chanteur en Allemagne [NDLR : David Hasselhoff] n'a pas voulu parler de son rôle de « Boner » dans « Revenge of the Cheerleaders », mais je me trompe peut-être.



SUZANNE : En effet, certains n'ont tout simplement pas répondu à nos mails, et un ou deux n'ont pas fini leur contribution à temps pour la deadline de « Gods in Spandex ». Une personne à avoir refusé de collaborer à « Gods in Polyester » (à part le fameux « Boner ») est l'ex-star du porno Harry Reems. Je lui ai brièvement parlé au téléphone, en espérant le convaincre d'écrire sur certaines de ses séries B des années 1970. Malheureusement, bien que Harry Reems ait l'air assez sympa, il n'était pas intéressé. Donc je crois qu'il faudra nous contenter du documentaire « Inside Deep Throat ».

Y-a-t-il des gens que vous vouliez interviewer et que vous n'avez pas retrouvés ?

MIKAEL : Robert Voskanian, le réalisateur de « The Child », pour « Polyester ». L'un des films d'horreur américains oubliés des années 1970 que je préfère. Un film avec une esthétique amateur et fauchée, mais avec une ambiance très malsaine. Nous n'avons pas pu le contacter, mais nous avons réussi à obtenir la contribution de Laurel Barnett ; Stephen Trower a réussi à obtenir le témoignage de Voskanian pour « Nightmare USA », donc je pense que tout ce qui pouvait être dit sur « The Child » a maintenant été dit. Pour « Spandex », nous aurions aimé contacter les acteurs de Silver Star/Kinavesa. Romano Kristoff, Jim Gaines, Bruce Baron, Mike Monty, Ronnie Patterson. N'importe lequel. A part les témoignages que vous avez recueillis sur Nanarland et les témoignages dans « Spandex » de Richard et Sebastian Harrison, comme de John P. Dulaney, ce chapitre de l'histoire des séries B philippines demeure une énigme [Nanarland : dans les années qui sont suivi cet entretien, nous avons pu interviewer Romano Kristoff, Nick Nicholson, Bruce Baron, Mike Monty, Don Gordon Bell et quelques autres]. Le peu que j'en sais me donne envie d'en savoir plus. Les gens qui faisaient ces films étaient vraiment particuliers. Sur www.fearzone.com, on peut lire gratuitement le texte de Sebastian Harrison sur « Fireback ». C'est ce qu'on pouvait espérer de mieux, de plus drôle et de plus absurde.



SUZANNE : A part les gens que Mikael a cités, j'espérais pouvoir obtenir le témoignage de feu Jack Creley pour nous parler du tournage de « Réincarnation » (1971). Très peu de gens en ont entendu parler, mais c'est un de mes films préférés des années 1970, et il y a une coiffure à voir pour y croire. Nous avons réussi à retrouver Gene Tyburn, le partenaire de Creley dans ce film, mais il ne se souvenait même pas de sa participation. Nous aurions aimé avoir les impressions de Rip Torn sur sa contribution à « Scarab » (1984), un film très méconnu. Son monologue délirant au début du film est quelque chose de légendaire. J'ajouterai à ma liste les regrettés Aldo Ray et Cameron Mitchell. Ces gentlemen ont tourné tant de films dans les domaines qui nous intéressent que je ne doute pas que leurs histoires auraient dépassé nos rêves les plus fous. Et enfin, il me faut citer Andrew Prine. « Simon : King of the Witches » (1971) fait partie de mon top 3 de films et bien que le réalisateur Bruce Kessler ait eu la gentillesse de nous apporter de nombreuses informations pour « Polyester », je serai toujours curieuse de connaître la vision d'Andrew Prine. Sa prestation méritait largement de recevoir tous les prix imaginables.

Combien de temps vous a demandé la réalisation de ces projets ? Quelles en furent les étapes ?

MIKAEL : Pour avoir un nombre raisonnable de contributeurs et de contributions, cela peut prendre de six mois à trois ans. Ensuite, de deux semaines à trois mois de nuits blanches, de stress et de jeûne pour terminer la mise en page. Plus un temps indéfini, afin de trouver un imprimeur aux prix suffisamment dérisoires, et qui ne fera pas n'importe quoi avec les livres. Les braves gens de Headpress au Royaume-Uni avaient déjà vendu « Polyester », donc cela n'a pas été trop long de trouver un magasin disponible pour « Spandex ». Les livres sont imprimés en Finlande, et le lectorat se trouve essentiellement au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Il est donc nécessaire d'avoir un distributeur à l'étranger.

SUZANNE : C'est comme d'assembler un grand puzzle. Une fois que vous avez votre idée de départ, vous seriez surpris de savoir combien la liste de films potentiels et de personnalités à traiter se définit rapidement. Commencez par vos films préférés pour chaque genre, et les opportunités sont rapidement établies à partir de ça. De plus, vous pouvez toujours faire un truc relatif au projet tout en attendant qu'un autre se concrétise, ce qui permet de gagner pas mal de temps. Par exemple, pendant que les contributeurs écrivent leurs textes, vous pouvez toujours trouver des idées pour la couverture et la maquette. Quand vous recevez de nouveaux articles, vous pouvez vous occuper de les éditer et de les corriger tout de suite au lieu d'attendre de les avoir tous reçus. Quand tout est parti chez l'imprimeur, vous pouvez vous occuper de voir où les spécimens vont partir et quelles boutiques sont intéressées par le livre. Et je ne saurais dire combien il est important d'avoir des retombées dans des magazines (sur support papier ou sur le web) ou sur des sites internet. C'est une étape essentielle si vous voulez vendre votre travail. Les gens ont tout simplement besoin d'en entendre parler avant de l'acheter.

Avez-vous rencontré des difficultés liées au sujet que vous aviez choisi ? En d'autres termes, comment les éditeurs, ou bien vos proches, ont-ils réagi quand vous avez parlé de votre projet de livre sur les films obscurs ?

MIKAEL : Non, je ne parle pas de mes, heu... « projets artistiques » avec les autres, c'est une partie de ma vie que je garde entièrement pour moi. Il y a des amis que je connais depuis des années et qui ignorent tout de ces choses. Des gens qui ne sont pas mes amis me croient complètement fou. Des amis pensent que je n'ai pas toute ma tête. La vie est comme ça, et vous vous terminez avec elle. Ce qu'il y a de plus dur, c'est de trouver l'argent pour payer l'imprimeur. Des projets comme « Spandex » n'apportent pas spécialement la gloire et la fortune, et ce n'est pas mon boulot de tous les jours. Je préfère faire les choses plutôt que d'en parler. C'est tout bête.

SUZANNE : En général, ma philosophie est de passer le plus de temps possible avec des gens qui sont dans le même trip que moi et le moins de temps possible avec les autres. Bien que je n'aime pas claironner mes projets partout, mes amis et collègues qui ont entendu parler de « Gods in Polyester » et « Gods in Spandex » m'ont toujours soutenue à 100%. Certains partagent mes goûts en matière de cinéma, et les autres ont la courtoisie de les respecter, mais tous savent à quel point je suis passionnée par le sujet et que je donne tout dans mes livres. Donc ça ne m'a jamais posé de problèmes. Quant à la difficulté, ce n'est pas bien grave quand vous pouvez créer quelque chose à partir de ce que vous aimez. Il n'y a qu'à s'y mettre, ensuite ça va tout seul.

Il y a dans vos livres de très nombreuses anecdotes sur le côté obscur du cinéma. Y en a-t-il qui vous tiennent particulièrement à coeur ?

MIKAEL : Tout ce que Hy Pyke a écrit pour Polyester et Spandex. C'était un véritable original en tant qu'homme et en tant qu'acteur, et une incarnation de la contre-culture des années 1960-70, qui est très chère à mon coeur. J'ai vraiment été touché par la conclusion de son texte dans « Gods in Polyester » : « Les spectateurs français ont adoré l'idée d'une histoire vue à travers les yeux d'une enfant amoureuse de son pasteur. Alors que je chantais Rock of Ages, je l'ai ressenti aussi. Cheryl, repose en paix ». C'est ce que j'ai pu lire de plus beau comme épitaphe pour Cheryl « Rainbeaux » Smith. J'ai aussi été très étonné d'apprendre que « Killpoint » n'avait pas de scénario. « Fireback » non plus. « Killpoint » n'est peut-être pas le « Citizen Kane » des films d'action à petit budget, mais il est à « Fireback » ce qu' « Orange mécanique » est à « Glen or Glenda ».



SUZANNE : Dans « Gods in Polyester », j'ai une affection particulière pour le texte de Gary Graver sur « Texas Lighting ». C'est un récit franc du collier sur la manière dont le film qu'il voulait tourner a été transformé en tout autre chose par les ronds-de-cuir et à la fin, on ressent une vraie empathie pour ce gars. Bizarrement, la version voulue par Gary Graver a eu une petite sortie vidéo en Europe, et j'ai eu la chance de pouvoir la visionner : par rapport à la version que tout le monde a pu voir, c'est le jour et la nuit. Ca ne m'étonne pas qu'il soit aigri. Dans « Gods in Spandex », j'aime beaucoup la contribution de Kenneth J. Hall sur « Evil Spawn" target="_blank" rel="noopener" class="autoDetect">Spawn ». C'est hilarant et rempli d'anecdotes de tournage inoubliables. Quand il se met à parler de la contribution d'un pornographe auteur de titres aussi mémorables que « Return to Anal Castle » et « Boot-licking Pony Boy », je vous jure que c'est à se rouler par terre.

Gary Graver.

Parfois, en rencontrant des gens que nous ne connaissions que via leurs films, on découvre une personnalité inattendue, dont on ne prévoyait pas la gentillesse ou la franchise. Cela a été notre cas quand nous avons interviewé Max Thayer ou rencontré Richard Harrison, par exemple. Parmi vos intervenants, qui vous a le plus surpris et pourquoi ?

MIKAEL : John P. Dulaney. Avant nos livres, on le voyait seulement comme « le barbu qui jouait dans les films de Nico Giraldi » [NDLR : comédies policières italiennes des années 1970 où Tomas Milian interprète un flic à la Serpico]. Il s'est révélé être une vraie encyclopédie sur les séries B italiennes et philippines, avec un humour à froid que j'ai trouvé très amusant. A mon avis, ses contributions sur les films de Silver Star/Kinavesa et « Robowar » sont parmi les passages les plus drôles de « Spandex ». Depuis que Gordon Mitchell nous a quittés, il est le seul acteur vivant à avoir travaillé pour Federico Fellini et K.Y. Lim ce qui est, pour le moins, assez original. Jerry Ciccoritti était « le gars qui a fait Graveyard Shift ». Je ne savais pas quoi en attendre. Ses textes sont finalement dans mon top 5 personnel. Un homme irrévérencieux et méchamment drôle.

John P. Dulaney.

SUZANNE : Parmi les contributeurs de « Gods in Spandex », Jerry Ciccoritti m'a étonnée moi aussi. Et il est aussi drôle dans sa correspondance par mail que quand il discute de ses films. Un gars génial à tous les égards. J'ai aussi été surprise par Rold de Heer. En dehors du fait que j'étais fan de « Incident at Raven's Gate », je ne savais presque rien de l'homme à part qu'il vivait en Australie. Mais son intelligence et son humour m'ont vraiment conquise. Dans « Gods in Polyester », Ed Adlum et Jeff Lieberman ont attiré mon attention ; Adlum pour sa lucidité sur ses films et Lieberman pour son humour.

Jeff Lieberman.

Dans l'avant-propos de « Gods in Spandex », vous écrivez que « l'époque des films indépendants à petit budget est née à la fin des années 1960, s'est épanouie dans les années 1970, est lentement morte dans les années 1980 et ne renaîtra probablement jamais ». Pourriez-vous développer ce point de vue ?

MIKAEL : L'âge d'or des films d'exploitation indépendants aux Etats-Unis est fini depuis longtemps. Les drive-ins sont morts et les indépendants ont été avalés par de grands studios, ou bien se sont transformés en usines qui sortent à la chaîne des imitations sans âme des merdes produites par les majors. Il n'y a pas de film de genre européen en dehors de l'Espagne. Il y a bien des exceptions occasionnelles mais généralement, il n'y a pas de visionnaires fous ou de commerçants folkloriques derrière ces merveilles à petit budget. Les excentriques qui ont fait des films comme « The Toy Box » ou « Carnival of Blood » ne font plus rien qui relève du film de genre. Surtout en ce qui concerne le film d'horreur : les hommages sans originalité à Fulci, Romero ou Hooper que j'ai eu le malheur de voir ces dernières années ont presque entièrement tué mon intérêt pour le genre. Les films ne sont pas intéressants et ceux qui les font non plus.

SUZANNE : Le cinéma indépendant n'a plus rien à voir avec son équivalent des années 1960 à 80. D'un côté, on a des gens qui se prétendent « indépendants », mais qui ont en fait des millions à leur disposition, un flouze qu'ils n'ont pas à sortir de leur propre poche ou à soutirer à leurs amis ou bien à des commerçants locaux comme leurs prédécesseurs. D'un autre côté, on a accès à un équipement numérique à des prix de plus en plus abordables, ce qui veut dire que n'importe qui peut aller au supermarché du coin, acheter le micro le moins cher possible (en général un micro qui rend le dialogue totalement inaudible à force de capter tous les bruits environnants) et, avec le moins d'enthousiasme et de créativité possible, bidouiller ce que j'appelle des « non-films ». Ces « non-films » n'ont ni personnalité, ni style, ni substance... pas grand-chose. En toute honnêteté, ce serait plus intéressant de regarder de la peinture sécher. Par contraste, avec les films indépendants des années 1960-80, on avait le sentiment que les gens derrière la caméra essayaient de leur mieux de faire un VRAI film. Ce n'était pas un projet du week-end pour tuer le temps entre deux matchs de foot, ou simplement parce qu'on pouvait se permettre d'acheter les gadgets en solde. En fait, c'était quelque chose en quoi ils croyaient et qu'ils essayaient de rendre aussi unique que possible, souvent avec du sang et des larmes. C'est une grosse différence.

Pourriez-vous nous parler de vos prochains projets ?

MIKAEL : Je préfère ne pas faire la promotion de quelque chose qui n'est pas terminé et prêt à être publié. Parler de projets qui tombent à l'eau ou qui traînent pendant des années, c'est assez gênant. Si « Spandex » se vend bien, « Polyester » sera retravaillé et réédité avec une nouvelle maquette et peut-être quelques contributions en plus. Tant qu'il y a une demande et assez d'argent pour imprimer ces livres, ils demeureront disponibles selon toute vraisemblance. Rien n'est définitif. A part ça, je ne sais ni où je vais ni ce que je ferai à l'avenir.

SUZANNE : Il y a un nouveau projet de livre sur l'un des contributeurs de « Polyester » et « Spandex » ; mais il vaut mieux ne pas donner de détails tant que tout ceci n'est pas terminé. A part ça, on ne sait jamais ce qui nous attend. Mais vous pouvez être sûr d'une chose : personne n'aura jamais fait un truc pareil. Je vous le promets.

- Interview menée par La Team Nanarland -