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Entretien avec
Henry Strzalkowski

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Henry Strzalkowski

Henry Strzalkowski a promené son allure bonhomme dans de nombreuses séries B tournées aux Philippines durant les années 1980-90. Traître, policier, mercenaire, notre homme a été l'un des seconds rôles les plus récurrents des films de Cirio H. Santiago. Très actif devant et derrière la caméra, Henry Strzalkowski a bien voulu revenir pour nous sur son passé et nous révéler quelques arcanes du show-biz philippin.

Interview menée par John Nada en août 2005.


Pour commencer, pourriez-vous nous parler de vous ? Comment êtes-vous entré dans le monde du cinéma ?

Une brève apparition le temps d'un coup de fil dans "Blood Chase" (1989), une production Kinavesa réalisée par Teddy Page.

Ma scolarité a été surtout américaine. J'ai étudié dans ce que l'on appelait l'Ecole Américaine, et qui a depuis été rebaptisée l'Ecole Internationale, pour des raisons politiques. C'était en 1971. J'ai donc eu ce que l'on pourrait appeler une éducation très cosmopolite. La plupart des médias philippins sont en anglais, ce qui fait qu'en grandissant j'avais un physique et un accent plus étranger que philippin. Je considère pourtant que j'ai une mentalité et une personnalité plutôt philippines. Mais ça ne m'a pas empêché d'utiliser cette dualité comme un atout. Je suis complètement bilingue, bien que je sois plus à l'aise en anglais.

 

J'ai fait la fac aux Philippines. Assez jeune, je me suis intéressé au cinéma mais j'ai vu qu'il n'y avait pas d'école de cinéma, bien qu'il y ait eu une industrie du cinéma très active. J'ai intégré l'Université d'Etat des Philippines pour faire des études de communication. Il y avait dans ce département un cours de cinéma. Quand j'ai compris que je devrais ronger mon frein en faisant des années de journalisme radio et télé, j'ai pris des cours de comédie, où je pensais pouvoir acquérir au moins un peu de formation dramatique. J'ai aussi pris des cours de littérature anglaise qui m'ont été très utiles. Je pensais à l'époque partir faire une école de cinéma à l'étranger après mon diplôme.

Une figuration en soldat nazi pour Henry, dans « Les Nouveaux Conquérants » (« Future Hunters » aka « Deadly Quest » aka « Spear of Destiny », 1986) de Cirio H. Santiago.

Et puis d'un seul coup, en 1975, on m'a proposé un boulot de figurant sur « Apocalypse Now » de Francis Ford Coppola. J'ai accepté et ça a changé ma vie. Je me suis rendu compte que c'était le monde où je voulais vivre. J'ai ensuite fait d'autres figurations, à la fois pour le pognon et pour mon expérience personnelle. J'ai travaillé sur « Les Boys de la Compagnie C » de Sidney J. Furie, puis j'ai été figurant sur pas mal de films produits par Kinavesa et Cinex Films. Sidney Furie est revenu quelques années plus tard pour faire le film « Au Coeur de l'Enfer » (« Purple hearts »), avec Ken Wahl et Cheryl Ladd, et j'ai encore travaillé comme figurant sur ce film.

 

Note de Henry : « C'est la seule photo d'Apocalypse Now où je figure que j'ai pu trouver. Même si on ne peut me voir que de dos, c'est bien moi là à droite. »

 

Ensuite, j'ai quitté le milieu du cinéma pour un temps quand je me suis installé à Baguio, un joli endroit touristique de montagne au nord de Luçon. J'y ai géré un bar appelé l'Harlequin, qui est devenu un rendez-vous pour les peintres, musiciens et cinéastes qui menaient un peu la vie de bohème sur place. Là, j'ai rencontré Cirio H. Santiago qui tournait un film appelé « Mission Finale ». J'y ai encore été figurant. Puis quelques mois plus tard, quand je suis revenu à Manille, j'ai eu vent d'un casting pour un film appelé « Vindicator » aka «Les Roues de Feu», un post-apocalyptique à la Mad Max. Je m'y suis inscrit et, comme j'avais travaillé avec Cirio et que j'avais une formation théâtrale de comédien, j'ai obtenu un petit rôle.

Les Roues de Feu (1985).

Par ailleurs, j'ai oublié de signaler que pendant ce temps-là, je travaillais aussi comme acteur au Metropolitan Theatre de Manille, et j'ai joué des rôles dans « Beckett » de Jean Anouilh, quelques comédies musicales de Broadway et le rôle de Pickering dans « My Fair Lady ». C'était de grosses productions, car elles étaient réalisées par Lincoln Clark, directeur de l'Opéra de Seattle, avec le concours de l'orchestre symphonique de Manille.

Note de Henry : « Une vieille photo de moi, en costard très formel, à l'époque où je faisais du théâtre et que je jouais le personnage de Pickering dans "My Fair Lady" ».

J'ai donc commencé mes aventures avec Mr Cirio H. Santiago. Je suis devenu suffisamment proche de lui et de son équipe pour obtenir un boulot d'assistant directeur de casting. Je devais surtout m'occuper de gérer les figurants blancs et j'ai contribué à l'embauche de quelques très bons « acteurs instinctifs ». Parmi eux, Nick Nicholson, qui est devenu avec les années l'un de mes meilleurs amis. En plus d'avoir été deux des trois acteurs restants à avoir travaillé sur « Apocalypse Now », le troisième étant James Gaines, on a dû travailler sur probablement plus de quarante films devant et derrière la caméra, à des postes divers comme directeur de casting, troisième, deuxième et premier assistant réalisateur. Mes fonctions sur les films de Cirio Santiago sont toutes créditées sur IMDB. A part ça, Nick et moi avons travaillé sur des films internationaux comme « Platoon », « Né un 4 Juillet » et « Le Dernier Assaut » (« The Siege of Firebase Gloria »).

La plupart de vos films ont donc été réalisés ou produits par Cirio H. Santiago. Quels souvenirs gardez-vous de cette icône du cinéma philippin ? Pourriez-vous décrire votre travail avec lui, que ce soit comme acteur ou assistant réalisateur, et l'atmosphère qui régnait sur les tournages ?

Je peux à peine vous dire combien j'ai appris de cet homme. C'est un pilier de l'industrie du cinéma philippin, et il est vraiment dommage que si peu de Philippins se rendent compte qu'il est de loin le cinéaste philippin qui a le mieux réussi dans son domaine. C'est sans doute parce que ses films sont distribués à l'étranger et pas ici.
En passant du statut de directeur de casting à celui d'assistant réalisateur, j'ai appris l'art de la débrouille et de la « guérilla filmique ». N'oubliez pas que nous travaillions avec de tous petits budgets, 300 000 $, parfois un peu plus. Nous avions des plannings TRES serrés, et en tant qu'assistant réalisateur je devais veiller à ce que ces plannings soient respectés. Tout ça n'avait rien d'évident.

Ce que je respectais le plus chez Cirio, c'était qu'il maîtrisait tout sur le plateau. C'est un « général ». S'il fallait être à 7 heures du matin sur le plateau, ça voulait dire qu'on prenait le petit déjeuner jusqu'à 7 :30. A 7 :20 lui était déjà au boulot et on se dépêchait de finir car à 7 :30 les caméras ronronnaient déjà. Une heure de pause-repas à midi et ensuite rebelote. Il faisait bosser dur son équipe, mais ne perdait jamais le sens de l'humour et je peux vous dire, pour avoir travaillé avec de nombreux cinéastes, israéliens (Cannon), japonais et américains, que les tournages de Cirio étaient les plus sympas. Il plaisantait sans arrêt avec les acteurs et l'équipe, et savait rire de lui-même. J'ai le plus profond respect pour cet homme.

Equalizer 2000 (1986).

Concernant sa collaboration avec Roger Corman, pensez-vous que Santiago avait du champ libre ou bien qu'il était purement un subordonné du producteur américain ?

La relation entre Cirio et Roger Corman va bien plus loin que celle de producteur à réalisateur. Ce sont deux vieux amis qui partagent une même vision, celle qui consiste à tirer le maximum du peu que vous avez. Une équipe spartiate et motivée qui comprend les tenants et les aboutissants du cinéma, est capable de tourner vite et bien et sait au bout du compte ce qui fait vendre. Ils sont toujours amis à ce jour.

Il y avait toute une clique d'acteurs occidentaux à Manille (parmi lesquels Nick Nicholson, Romano Kristoff, Don Gordon, James Gaines, etc.) dont certains avaient fondé une sorte de troupe de comédiens appelée « Pigs in Space ». Etiez-vous proches d'eux et les voyez-vous toujours ?

Les « Pigs in Space », oui… Hé hé ! C'était une petite clique d'acteurs de cinéma expatriés qui ont vécu quelques aventures intéressantes. Souvenez-vous, la situation politique dans les années 80 était très instable, et ça a affecté tous ceux d'entre nous qui vivions ici. Quand a éclaté la révolution anti-Marcos, nous y avons pris part et avons été sous le feu de vraies armes, avec de vraies balles. Nous avons vu du vrai sang, pas du sirop de grenadine. Ca a créé entre nous un lien qui ne s'est pas brisé. Le nom de notre groupe venait d'un sketch du Muppet Show, qui était populaire dans les années 80. On fumait pas mal d'herbe à l'époque et si je me souviens bien, le nom du groupe est né durant une de ces soirées enfumées. A ce jour, je compte mes tout meilleurs amis parmi ce petit groupe de cinglés. Certains sont partis, d'autres restent, certains ont réussi dans d'autres sphères, d'autres non, mais nous restons amis malgré tout.

 

 

Nick Nicholson et Eric Hahn nous ont dit que le travail des cascadeurs, et plus généralement les conditions de tournage elles-mêmes, étaient souvent très risqués dans les films d'action philippins. Etes-vous d'accord, et avez-vous des souvenirs à ce sujet ?

Rappelez-vous que beaucoup d'entre nous avaient des formations bien différentes de celles de nos collègues à Hollywood : parfois nous étions plus intrépides que nous aurions dû l'être. Il y a eu des accidents, certains marrants, d'autres graves. On utilisait parfois de vraies balles, comme dans les vieux films. J'ai moi-même été brûlé par une explosion mal réglée. Rien de sérieux, mais ça m'a convaincu d'être un peu plus prudent. Vous avez sans doute entendu parler de certains accidents sur des tournages. La Cannon a perdu une partie de son équipe dans un accident d'hélicoptère sur un film de Chuck Norris. Heureusement, je n'ai jamais été blessé, ni moi ni mes amis qui avaient vécu suffisamment de temps en Asie pour faire attention à ce qui se passait autour d'eux.

Aux côtés de Robert Patrick, qui a débuté sur les tournages de Cirio H. Santiago avant de se faire connaître du grand public dans « Terminator 2 ».

Des souvenirs de Richard Norton ?

Richard Norton est un gentleman charmant et un artiste martial très professionnel. J'ai eu la chance de travailler avec lui sur « Equalizer 2000 », « Raiders of the Sun », et un film appelé « Rage », produit par Anthony Maharaj. Nous étions amis et nous avons apprécié de travailler ensemble.

[Ils apparaissent également tous deux dans « Les Nouveaux Conquérants » (« Future Hunters » aka « Deadly Quest » aka « Spear of Destiny », 1986), ainsi que dans « Mission Accomplie » (« Mission Terminate » aka « Return of the Kickfighter », 1987).]

« Mission Accomplie » (« Mission Terminate » aka « Return of the Kickfighter », 1987), réalisé par Anthony Maharaj.

« Angelfist » et feu Cat Sassoon ?

La fille de Vidal Sassoon était une espèce de diva et je suis content de n'avoir eu qu'un boulot d'acteur sur celui-là. Rien d'autre à dire.

« Silk 2 » et la pulpeuse Monique Gabrielle ?

Encore une fois… pas de commentaires !

« American ninja » et Shô Kosugi ?

Sans doute le premier film de ninja. J'avais une scène avec l'acteur de seconds rôles Blackie Dammett, qui est par ailleurs le père d'Anthony Kiedis, le chanteur des Red Hot Chili Peppers. Son interprétation du terroriste fou, homosexuel et en chaise roulante est l'une des prestations les plus bizarres et sans doutes des plus dérangeantes que j'aie jamais vu.

David Carradine ?

J'ai travaillé avec lui sur quatre films, « Behind Enemy Lines », « Dune Warriors », « Field of Fire » et « Firehawk ». C'était un acteur très pro mais il avait ses humeurs. J'imagine que c'était lié au fait que sa carrière n'allait pas fort à l'époque. C'est super de le voir faire son come-back avec « Kill Bill ».

Behind Enemy Lines (1986).

Une question un peu triviale : dans certains de vos films vous avez une moustache, dans d'autres non. Est-ce qu'il était conseillé ou demandé de changer de look d'un film à l'autre pour ne pas être reconnu ? [La question peut sembler idiote mais Bruce Baron nous a dit que le patron de Kinavesa, K.Y. Lim, travaillait en rotation avec ses acteurs principaux, pour ne pas avoir toujours les mêmes inconnus en tête d'affiche]

J'ai rasé ma moustache de temps en temps pour avoir l'air plus jeune, mais je l'ai gardée depuis 1991.

Est-ce que votre travail au cinéma était à l'époque votre seule activité professionnelle ?

Entre 1983 et 1994, j'ai principalement travaillé pour le cinéma. J'ai travaillé à la fois sur la pré-production, bien évidemment en production sur les tournages (devant et derrière la caméra) et en post-prod, je m'occupais du doublage et de la post-synchro. C'est d'ailleurs une compétence que j'avais développée à la fac. Mon premier vrai boulot consistait à doubler des dessins animés japonais avec des robots au milieu des années 70. J'étais doué pour changer ma voix d'un personnage à l'autre. Aujourd'hui, je continue à faire du doublage avec une boîte qui s'appelle Digilink et double du chinois vers l'anglais. On travaille sur la post-synchro et aussi sur la bande-son pour adoucir les effets sonores ou la musique. J'ai travaillé pour cette société de 1994 à 1999 comme monteur. Je m'étais mis à m'intéresser au montage car je commençais à me faire trop vieux pour les efforts physiques des films d'action.

« Fatal Mission » (« Mission Manila », 1987).

Avez-vous envisagé de quitter les Philippines, avec le déclin de l'industrie du cinéma et le départ de plusieurs de vos amis occidentaux ? Qu'est-ce qui vous a décidé à rester ici ?

Je vis toujours aux Philippines, tout simplement parce que c'est mon pays. Ma petite famille vit ici. Mon ex-femme et moi ne vivons plus ensemble mais nous restons en très bons termes et nous occupons de notre jeune fils.

Note de Henry : « Une photo de moi récente, en plein boulot dans le Handlebar. »

Avec le recul, quel regard portez-vous sur votre expérience dans le cinéma philippin ? Quels sont vos meilleurs ou pires souvenirs ? Avez-vous des films préférés dans votre filmographie ?

En y repensant, je n'ai aucun regret quant à ma participation au business du cinéma. Je pense que j'aurais pu choisir une profession plus lucrative et plus stable, mais je n'aurais pas vécu toutes ces expériences et je ne me serais sûrement pas autant amusé. J'ai pu rencontrer et travailler avec – ou du moins les voir – des acteurs célèbres comme Marlon Brando, Martin Sheen, Robert Duvall, Lawrence Fishburne, David Carradine, Jan Michael Vincent, Charlie Sheen, Willem Dafoe, Tom Cruise, Tom Berenger, Robert Patrick, Lee Ermey, et bien d'autres. Combien de gens peuvent en dire autant ?

 

Henry Strzalkowski et Nick Nicholson, dans « Eye of the Eagle » (1986).

 

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur vos activités actuelles ? Vous avez apparemment retravaillé sur un film dernièrement, pouvez-vous nous en dire plus ? Avez-vous des projets ?

Il y a quelques mois, après un hiatus de dix ans, j'ai travaillé sur une co-production de Cirio H. Santiago et Roger Corman intitulée « Opération Eagle One » (« Crashpoint »). Le fils de Corman était là comme producteur adjoint et Cirio supervisait en tant que producteur exécutif. C'est un film avec Theresa Randle, Mark Dacascos et Jeff Fahey. Le réalisateur était un américain nommé Henry Crum et j'ai tenu un petit rôle avec deux jours de tournage. Je me suis bien amusé.

 

Ces dernières années, j'ai travaillé dans la restauration. Je gère un bar-grill à Manille, fréquenté par pas mal d'expatriés, et je garde d'agréables souvenirs de mon travail au cinéma dans les années 80. Mais j'ai récemment fondé une petite société de production appelée BulletTooth Productions [renommée depuis Abstract Ranch NdlR], qui s'occupe de télé. Avec quelques amis, nous produisons une émission de télé-réalité sur l'univers des night-clubs de Manille et des Philippines. C'est pêchu, plein d'humour et nous avons foi en son succès. Je contribue en tant que producteur associé et je me suis occupé d'écrire, de tourner et de monter. C'était une expérience très excitante, essentiellement parce qu'elle a réveillé mon esprit créatif, si je puis dire.

 

Pour conclure, et au nom de notre équipe, j'aimerais vous remercier chaleureusement pour nous avoir si gentiment accordé du temps pour partager vos souvenirs, Mr Strzalkowski. Bonne chance pour l'avenir !

J'espère que ça vous a donné une idée des expériences intéressantes que j'ai vécues dans le cinéma philippin, et que vous avez apprécié mon témoignage autant que j'ai eu de plaisir à l'écrire. Bonne chance ! [en français dans le texte].

- Interview menée par La Team Nanarland -