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Entretien avec
Richard Harrison

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Richard Harrison

Au cours d'une carrière menée sur tous les fronts, il a croisé la route de grands noms du cinéma en général (Vincent Price, Charles Bronson, Errol Flynn, Klaus Kinski, Christopher Lee, Isabella Rossellini...) et du nanar en particulier (Vampira, Umberto Lenzi, Alberto De Martino, Gordon Mitchell, Antonio Margheriti, Enzo G. Castellari, Joe D'Amato, Bruno Mattei, Jesus Franco, Teddy Page, Fred Olen Ray, Godfrey Ho...).

Si l'image du grand Richard Harrison est si profondément ancrée dans le B-Movie, c'est que l'acteur est incontestablement un pilier du genre. En bonne grosse exclu pour Nanarland, il revient sur sa carrière avec beaucoup de lucidité et un franc-parler exemplaires.

Voir aussi le documentaire Hey Cowboy ! que nous avons consacré à Richard Harrison dans notre rubrique Nanarland TV.


A l'origine, vous faites partie de cette génération d'acteurs américains qui s'est fait un nom au début des années 60 dans les séries B produites en Italie, notamment dans le péplum, à l'instar des Steve Reeves, Gordon Scott, Ed Fury, Mark Forrest, Reg Park et surtout Gordon Mitchell. Le climat qui pouvait régner entre vous et les autres acteurs américains de la Cinecitta tenait-il plutôt d'une solidarité complice ou d'une farouche rivalité ? Sauriez-vous expliquer pourquoi la carrière de Gordon Mitchell et la vôtre sont les seules à avoir survécu au déclin du genre ?

Avant d'aller en Europe, j'étais sous contrat avec deux studios différents : en fait, j'étais toujours sous contrat avec American Int. quand j'ai accepté un contrat avec Italo Zingarelli en Italie.

Ca faisait déjà six ans que je gagnais ma vie comme acteur, et je n'étais pas culturiste, juste quelqu'un qui travaillait son corps pour le maintenir en forme. Les gens que vous mentionnez étaient choisis pour leur physique. La plupart d'entre-eux ne connaissait rien au métier d'acteur.

Moi, j'étais capable de jouer dans de nombreux registres et ne me reposait pas uniquement sur mes muscles.

A l'exception de Gordon Mitchell, presque tous mes amis étaient Européens. Je préfère la culture européenne, et même aujourd'hui la plupart de mes amis sont originaires d'Europe.

Moi, j'étais capable de jouer dans de nombreux registres...
... et ne me reposait pas uniquement sur mes muscles.

Concernant vos débuts à l'écran, nous avons entendu dire que vous étiez passé du monde du body-building à celui du cinéma car votre beau-père dirigeait la firme américaine AIP. Vous auriez été engagé comme cela, destiné semble-t-il à ne devenir rien de plus qu'un "acteur de rechange" à Hollywood. Puis, engagé en Italie pour The Invicible Gladiator (Il Gladiatore Invincibile, 1963) vous auriez préféré rester en Europe. Est-ce parce que l'industrie du cinéma en Italie vous proposait de meilleurs rôles et une meilleure perspective de carrière que le Hollywood de l'époque ?

Je n'ai jamais été considéré comme un Mr Muscle à Hollywood. J'avais un accord avec AIP mais j'ai choisi d'aller en Europe à la place quand on m'a offert le contrat. J'avais très envie d'aller en Europe, et particulièrement en Italie. Je savais que je n'avais pas les moyens, ni même l'envie, de devenir un grand acteur mais je sentais que j'avais ce qu'il fallait pour faire carrière.

Ce qui était sûr à l'époque, c'est qu'il se tournait plus de films en Italie qu'à Hollywood.

Je savais que je n'avais pas les moyens, ni même l'envie, de devenir un grand acteur mais je sentais que j'avais ce qu'il fallait pour faire carrière.

Quels étaient l'ambiance et le rythme de travail à la Cinecitta ? On entend souvent dire que sur les plateaux se tournaient plusieurs films à la fois, que les films étaient produits de manière "industrielle". Vous est-il arrivé de tourner plusieurs métrages en même temps ?

Quand vous avez un premier rôle, on exige que vous soyez toujours présent sur le plateau, ou disponible à tout moment. Gordon Mitchell, de son côté, jouait souvent un petit rôle avant d'aller sur un autre film.

Sur le plateau je restais le plus souvent seul. Mon passe-temps favori est la lecture, donc c'est ce que je faisais quand on n'avait pas besoin de moi devant la caméra.

Nous avons évoqué Gordon Mitchell, disparu récemment, qui était lui aussi culturiste avant de devenir une grande vedette du péplum et aux côtés duquel vous vous êtes retrouvé dans près d'une dizaine de films par la suite. Quelles étaient vos relations ? Vous voyiez vous en dehors des tournages ? Dans une interview qu'il nous avait très gentiment accordé à Noël dernier, le regretté acteur - toujours plein de projets, artistiques et autres - nous répétait que l'essentiel de sa philosophie se résumait au leitmotiv "keep yourself busy". Vous qui avez émis le souhait de mettre un terme à votre carrière cinématographique avant de vous lancer dans la politique, vous reconnaissez-vous dans ce mode de vie ?

Gordon Mitchell était une grande figure et un être bon.

C'était quelqu'un d'extraordinaire.

Mes fils ont grandi en l'adorant, particulièrement le plus jeune, Sebastian. Quand j'ai commencé à produire, réaliser et écrire, j'ai toujours essayé de faire appel à lui. Gordon avait un coeur pur.

Gordon Mitchell était une grande figure et un être bon...

Vous êtes crédité comme co-réalisateur avec Renzo Genta en 1972 pour le western Due Fratelli (Jesse and Lester, Two Brothers in a Place Called Trinity). Etait-ce un vieux désir ou juste une opportunité ? D'autant que vous ne recommencerez que 14 ans plus tard avec Three Men On Fire, un projet qui semble plus personnel puisque cette fois vous vous impliquez également dans l'écriture. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous ne vous êtes finalement pas lancé plus avant dans la réalisation ?

En fait, c'est moi qui ai écrit presque tout le scénario de Jesse and Lester. Mais ça n'a pas marché avec Mr Genta, alors après trois jours je l'ai remplacé à la réalisation. J'aime réaliser et je l'ai souvent fait, mais la plupart du temps je n'ai pas signé de mon nom parce que je considérais que ça dépréciait le film. J'aime aussi écrire, et plusieurs des scénarii que j'ai écrits ont été portés à l'écran.

En revanche je n'aime pas produire. J'aime plus écrire et réaliser que jouer, et je pense que j'ai plus de talent dans ces domaines. En ce moment même, je suis tout juste en train de terminer un script dont le rôle principal est tenu par un Russe. Je ne suis pas impliqué dans les dernières étapes de la production.

J'aime réaliser et je l'ai souvent fait, mais la plupart du temps je n'ai pas signé de mon nom...
...parce que je considérais que ça dépréciait le film

Bien que vous n'apparaissiez pas dans le film, vous êtes aussi crédité comme scénariste pour Scalps de Bruno Mattei, un réalisateur à la carrière étrange. Pouvez-vous nous expliquer en deux mots comment vous vous êtes retrouvé dans ce projet ?

A l'origine, j'ai écrit le scénario pour ma propre société de production, mais j'ai ensuite décidé que ça n'était pas le bon moment pour en faire un film. Plus tard, un autre studio me l'a racheté.Je n'ai pas vu le film qui en a été tiré mais je crois comprendre qu'ils n'ont pas utilisé grand-chose de ce que j'ai écrit...

Après le déclin du genre qui vous a fait connaître, vous êtes resté en Europe et y avez poursuivi votre carrière dans le spaghetti-western. Sur le site www.imbd.com, on prétend que c'est vous qui auriez recommandé Clint Eastwood à Sergio Leone pour Pour Une Poignée de Dollars (Per un Pugno di Dollari, 1964)... est-ce vrai ?

Je venais juste de terminer le tournage d'un western pour les producteurs Pappi et Colombo quand ils m'en ont offert un autre. Je ne tenais vraiment pas à refaire un western, dans la mesure où ils semblaient si différents de ceux réalisés en Amérique. J'ai continué à refuser, mais Sergio Leone insistait pour que je tienne le premier rôle.

Les producteurs m'ont dit que ce ne serait pas un bon film, et comme j'avais d'autres offres j'étais contre...Leone m'a alors suivi, il est venu sur le plateau où je travaillais et m'a observé de loin. Finalement, les producteurs ont à nouveau demandé à me voir et, après leur avoir répété que je ne jouerai pas dans leur film, ils m'ont lu les noms de trois acteurs de Hollywood qu'on leur avait envoyés. Comme ils ne les connaissaient pas, ils m'ont demandé si je pouvais leur en recommander un. Je les connaissais tous les trois. Mon choix s'est porté sur Clint, simplement parce qu'il savait monter à cheval.

Il y avait tant d'acteurs américains qui ne savaient pas bien monter à cheval... C'est comme ça que ça s'est passé.

Mon choix s'est porté sur Clint, simplement parce qu'il savait monter à cheval.

Dans les années 70, vous avez tourné dans des films policiers extrêmement durs et violents comme Ultime Violence (La Belva Col Mitra, The Mad Dog Killer / The Beast With a Gun 1977) de Sergio Grieco avec Helmut Berger et Marisa Mell. Quel regard portez-vous sur ces films qui furent souvent durement critiqués pour leur violence crue ? Savez-vous que Tarantino est un fan de ce film au point d'en avoir glissé des extraits sur une télévision que regarde Bridget Fonda dans Jackie Brown ?

Ce n'est pas souvent qu'on me proposait des scenarii qui me plaisaient, mais Sergio Grieco était quelqu'un de vraiment bien et j'avais hâte de faire ce film. Helmut et moi nous entendions très bien jusqu'à ce que Marisa Mell arrive et qu'elle le fasse replonger dans la came.

Je tolère déjà difficilement les gens qui prennent de la drogue mais ce qui était encore pire, c'est qu'Helmut est devenu complètement incontrôlable. Au cours d'une scène, il a frappé un autre acteur qui a fini à l'hôpital ; le lendemain, nous avions une importante scène de combat pour la fin du film dans laquelle il tenait un couteau. Il est arrivé une heure en retard, complètement défoncé.

Comme le couteau était un vrai, il était très important de ne pas faire d'erreur. A deux reprises il me l'a presque planté dans le visage.

J'étais tellement fou de rage que je lui ai dit que la prochaine fois je le frapperai si fort que personnene pourrait plus le reconnaître. Il s'est alors mis à crier comme un bébé. Finalement, on a terminé en ayant recours à des doublures. Plus tard, Helmut s'est excusé auprès de moi, m'expliquant qu'il était incapable de jouer s'il ne se défoncait pas avant.

J'avais de la peine pour lui. Récemment, un acteur allemand m'a dit qu'Helmut avait arrêté la drogue et qu'il était marié. J'espère que c'est vrai. Quelqu'un m'a envoyé il y a peu une coupure d'article dans laquelle un critique me reprochait de ne pas me montrer assez énergique dans mon interprétation mais dans la mesure où Helmut jouait son rôle comme un cinglé, j'ai décidé de jouer plus calmement.

Toute personne qui a joué la comédie sait qu'il est plus difficile d'être sobre que d'en faire des tonnes. Je n'aime absolument pas les scènes de violence gratuites ni la grossiereté au cinéma, sauf quand ça apporte vraiment quelque chose à l'histoire.

Helmut et moi nous entendions très bien jusqu'à ce que Marisa Mell arrive et qu'elle le fasse replonger dans la came

D'aucuns considèrent Les Espions Meurent à Beyrouth (Titre italien Le Spie Uccidono a Beirut, titre international Secret Agent Fireball, 1965) comme votre tout meilleur film. Etes-vous de cet avis ? Est-ce que le rôle de l'agent Bob Fleming 077 a beaucoup contribué à faire de vous un acteur culte ?

J'ai adoré tourner ces histoires contemporaines. La plupart des films tournés en Italie à cette époque étaient si fauchés que ça nuisait vraiment au film, mais bien que celui-ci et certains des autres films dans lesquels j'ai joué n'aient pas été de gros budgets, le producteur a eu assez de jugeote pour mettre de l'argent là où il en fallait.

Je ne me la suis jamais joué "grande star". Et je ne me suis jamais considéré comme un acteur culte, si tant est que j'en soie un. Je vous avouerais que parfois, je commençais un film et le trouvais si mauvais que je me contentais ensuite de jouer mon rôle sans me sentir concerné.

Je vous avouerais que parfois, je commençais un film et le trouvais si mauvais ...
...que je me contentais ensuite de jouer mon rôle sans me sentir concerné

Est-ce que le fait d'avoir été la vedette de films d'aventures historiques tels que Le Boucanier des Iles (Titre italien Il Giustiziere dei Mari, titre international Avenger of the Seven Seas, 1961) ou Les Trois Sergents de Fort Madras (I Tre Sergenti del Bengala / Three Sergeants of Bengal, 1965) vous donnait l'impression de rivaliser avec les plus grands d'Hollywood, vivants ou morts, comme Errol Flynn ou Gary Cooper ?

Ce que j'ai le plus apprécié dans ma carrière d'acteur, c'était de voyager et de rencontrer des gens intéressants, ainsi que la possibilité d'avoir toujours de belles maisons. Je n'ai jamais considéré que je faisais partie de la catégorie d'acteurs que vous mentionnez, et lorsque dans certains pays on a commencé à le faire, je me suis senti très gêné. Je n'ai jamais voulu être quelqu'un d'autre ; au contraire, je me suis toujours efforcé de m'améliorer en tant qu'individu. En fait, ca m'agacait quand des gens faisaient des oh! et des ah! à mon sujet.

Je n'ai jamais voulu être quelqu'un d'autre

Curieusement, on vous voit peu dans les productions fantastiques ou d'horreur de l'époque : était-ce un choix délibéré ?

J'aurais voulu jouer dans des films français, italiens etc. qui parlaient de la vie réelle. Ca ne s'est jamais fait.

Les films italiens dans lesquels vous avez tourné ont été vendus dans le monde entier. N'avez-vous jamais été tenté de retourner aux Etats-Unis comme Clint Eastwood pour y refaire carrière ? Ou est-ce que votre statut de star du B-Movie italien s'est avéré un handicap plutôt qu'un atout ?

A mon avis, c'est du suicide pour un acteur d'apparaître dans trop de films de série B, ou devrais-je dire de série C. Je me considère honnêtement comme un bon scénariste et, si les conditions de travail sont bonnes, comme un bon réalisateur.

Ma plus grande contribution au cinéma est peut-être de ne pas avoir fait "Pour une Poignée de Dollars" et d'avoir recommandé Clint Eastwood pour le rôle.

Ma plus grande contribution au cinéma est peut-être de ne pas avoir fait "Pour une Poignée de Dollars" et d'avoir recommandé Clint Eastwood pour le rôle.

A la fin des années 70, vous avez tourné dans Les Plaisirs d'Hélène (Orgasmo Nero / Black Orgasm / Voodoo Baby, 1979), un film fantastico-érotique réalisé par Joe D'Amato qui existe également dans une version X avec des scènes pornographiques additionnelles. Comment avez-vous été impliqué dans ce film et qu'avez-vous pensé de cette expérience ? Comment était le travail avec Aristide Massacesi, alias Joe D'Amato ?

Je n'étais encore jamais allé à Saint-Domingue, où le film était tourné, et le scénario que j'avais lu n'avait rien de porno. Je ne sais pas comment Joe D'Amato s'est débrouillé pour m'inclure dans des scènes érotiques mais il était connu pour ce genre d'entourloupes. Je n'ai pas apprécié le tournage de ce film. Il y avait quelque chose dans toute cette entreprise qui ne me plaisait pas. Ils étaient très forts pour ce qui était de me laisser dans le flou, comme l'a été plus tard Monsieur Joseph Lai [NdlR : patron de la firme hongkongaise IFD. Voir plus loin dans l'interview.]

Je ne sais pas comment Joe D'Amato s'est débrouillé pour m'inclure dans des scènes érotiques mais il était connu pour ce genre d'entourloupes

Dans les années 80, la production italienne baisse inexorablement en quantité et en qualité devant la concurrence de la série B en provenance des États-Unis ou d'Asie. A votre avis, quelle a été la raison principale de ce déclin ? Est-ce parce qu'on ne vous proposait plus de rôles intéressants en Europe que vous vous êtes exilé en Asie, notamment aux Philippines puis à Hong Kong ?

Le travail s'était mis à manquer pour tout le monde en Italie. Les Italiens avaient tellement fait grimper les prix que leur pays avait tout simplement cessé d'être un lieu de tournage attractif pour les studios étrangers. J'avais un train de vie faramineux, ce qui était en grande partie de ma faute. A un moment j'entretenais cinq maisons, une Rolls Royce, une Ferrari, une Mercedes et tout un tas de parasites. Il n'y a pas eu de transition. Du jour au lendemain il n'y a plus eu de boulot. Il m'a fallu un moment pour comprendre que c'était fini. Sauf pour les Shaw Brothers. Dans l'ensemble, ça n'a pas été une bonne expérience.

Si Marco Polo (Ma Ko Po Lo, 1975) et La Révolte des Boxers (Pa KuoLien Chun, 1976) peuvent être considérés comme de bons films des Shaw Brothers Studio, en revanche, on ne peut pas en dire autant des films de ninjas que vous avez tourné à Hong Kong pour Godfrey Ho, Joseph Lai et la firme IFD. Bien que nous soyons déjà plus ou moins au courant des déboires que vous a valu votre expérience hongkongaise et des pratiques douteuses de Godfrey Ho, nous aimerions beaucoup que vous preniez le temps de bien tout nous raconter. Ayant vu plusieurs des films incriminés, il semble en effet que votre apparition soit par moments le fruit d'un remontage abusif. Dans certains de ces films vous portez une moustache, dans d'autres non ; vous jouez généralement des rôles de ninjas mais pas seulement (comme dans Hitman le Cobra, 1987). Puisqu'il semble que vous ayez à coeur de vous expliquer, s'il vous plaît, éclairez-nous !

C'en est presque douloureux de discuter de tout ça avec vous. Mr Ho était un jeune homme qui était venu me chercher à l'aéroport quand je suis venu travailler avec la Shaw Brothers [NdlR : pour le tournage de Marco Polo, sur lequel Godfrey Ho était alors assistant]. Je me souvenais de lui parce qu'il était tellement enthousiaste à l'idée de devenir réalisateur un jour...

Je n'arrive plus exactement à me souvenir comment j'ai été contacté par la suite pour ces films de Hong Kong produits par Joseph Lai, mais j'étais ravi quand j'ai appris que Godfrey Ho en serait le réalisateur. Je suis allé deux fois à Hong Kong travailler pour eux et bien que les films aient été exécrables, mon épouse et moi nous sommes beaucoup plus là-bas, et l'équipe était très sympa dans l'ensemble. Ensuite Mr Tomas Tang [NdlR : mystérieux producteur devenu par la suite le patron de la douteuse firme Filmark derrière laquelle se cachaient, sous pseudonyme, des personnalités du cinéma asiatique comme Godfrey Ho ou Ratno Timoer] m'a contacté pour faire un film avec lui. J'ai parlé de cette offre à Godfrey en toute confidentialité mais il en a parlé à son patron Joseph Lai, qui est venu me dire que je ne pourrai pas faire ce film.

Bien entendu, je lui ai répondu qu'une fois mon contrat terminé, j'étais libre de travailler avec qui je voulais.

Mr Lai a alors contacté un de ses amis qui était agent des impôts et à qui il a raconté que je devais pas mal d'argent au Fisc. Quand je lui ai montré que mon contrat stipulait que je n'avais aucune charge à payer à Hong Kong, cette personne a dit que la clause n'était pas valide. J'ai alors accepté de faire un autre film pour Mr Lai afin de payer ce que je devais. Il n'y avait pas de scénario, juste des bribes de scènes. Ce qu'on me faisait tourner n'avait pas de sens et, en général, les histoires ne tenaient pas debout de toutes façons. Un jeune Anglais m'a alors prévenu de faire attention parce qu'ils étaient en train de me jouer un très mauvais tour. Pour tâcher d'être honnête, je vous dirais que je n'étais pas trop inquiet dans la mesure où tout le travail que j'avais fait pour eux était si mauvais que j'étais convaincu que tout ça ne sortirait jamais de la salle de montage. En outre, pendant le tournage de ce(s) dernier(s) film(s), nos conditions de vie n'étaient pas bonnes.

Mon premier coup de fil est venu d'un distributeur allemand qui m'a dit à quel point ces films étaient mauvais, ajoutant qu'il ne les avait achetés que parce qu'ils m'accordaient du crédit. Je n'ai aucune idée du nombre de films qu'ils ont bien pu faire à partir de la dernière session de tournage mais certains vont jusqu'à avancer le nombre de dix. Comme j'ai vraiment foi en l'amitié, ça m'a blessé, et pas uniquement sur le plan professionnel.

Je n'ai aucune idée du nombre de films qu'ils ont bien pu faire à partir de la dernière session de tournage mais certains vont jusqu'à avancer le nombre de dix.

Qui était vraiment le réalisateur, Godfrey Ho ou Joseph Lai ? Ce dernier a en effet signé certains films...?

Tout ce que j'ai tourné a été réalisé par Godfrey Ho.

Vous dites que vous avez mis un terme à votre carrière d'acteur à cause de ces films. Jusqu'à quel point ont-ils vraiment porté préjudice à votre image ? Y a-t-il d'autres raisons qui vous ont poussé à cesser de jouer ?

A cause de cette expérience je me suis senti très sale. J'ai vraiment eu l'impression de m'être prostitué. Ces films m'ont tout le temps collé à la peau.J'ai vu un passage de l'und'eux une fois, ça parlait de sorcières. Je ne crois pas que j'y avais plus d'une ou deux scènes.

A cause de cette expérience je me suis senti très sale...
...J'ai vraiment eu l'impression de m'être prostitué.

Ces films sont très durs à comprendre car, de façon évidente, ils sont montés n'importe comment avec de vieux films asiatiques. Les scènes que vous avez tournées ont été dispersées dans une dizaine de films en vidéo, chacun des films portant votre nom en gros sur la jaquette alors que vous étiez censé n'en avoir tourné qu'un. C'est un procédé très malhonnête et nous imaginons que vous n'avez pas dû apprécier qu'on se serve de votre nom pour vendre des produits d'aussi piètre qualité ! N'avez-vous pas été tenté de faire interdire ces produits ?

Quoi que je puisse faire, je ne pensais pas avoir la moindre chance d'empêcher la distribution de ces films. C'est à cause de ma confiance que tout cela est arrivé, et ceci ne rentre pas dans le cadre de la loi.

Je me sentais impuissant à Hong Kong, sans aucun recours.

C'est la raison pour laquelle j'ai perdu le goût du métier d'acteur. Je me suis vraiment senti souillé et manipulé. Encore une fois, je dirai que je ne peux m'en prendre qu'à moi-même de m'être montré si confiant.

Le site Internet www.ultimateninja.com, à qui vous avez accordé une brève interview, propose un entretien fleuve avec Godfrey Ho [que nous vous faisons suivre]. Votre nom étant cité à deux ou trois reprises, et Mr Ho ne semblant pas toujours faire preuve de bonne foi (il leur a notamment affirmé, entre autres, qu'il n'avait "jamais monté plusieurs films ensemble" dans ses oeuvres), nous aimerions avoir votre avis sur les commentaires qui vous concernent, de près ou de loin. Par ailleurs, nous étudions actuellement la possibilité d'obtenir une interview d'Albert Garai, caméraman sur tous les films de Godfrey Ho dans lesquels vous étiez, d'une façon ou d'une autre, impliqué. Y a-t-il une question en particulier que vous aimeriez que nous lui posions ?

J'ai lu l'interview de Ho et l'ai trouvée ridicule. Il passait tout son temps dans la salle de montage. Il manquait vraiment de compétence comme réalisateur et je l'ai toujours considéré comme un gamin.

Sincèrement, je ne me souviens pas du nom du caméraman mais je l'aimais vraiment beaucoup, plus que n'importe qui d'autre sur ces films. Laissez-moi vous relater un incident qui m'a vraiment perturbé.

Dans le scénario il y avait une scène où ma femme ouvre le réfrigérateur et trouve notre chien mort à l'intérieur. Une scène facile à tourner sans faire aucun mal à l'animal : j'avais déjà tourné des scènes similaires en maintes occasions. Plusieurs jours auparavant ils avaient apporté un chiot sur le plateau, et je passais mon temps libre à jouer avec lui. Le caméraman est venu vers moi et m'a dit qu'il y avait un lit à l'étage où je pourrai me reposer un peu, donc je suis monté et je m'y suis allongé. J'ai alors entendu le petit chien hurler et j'ai couru en bas. Un des membres de l'équipe avait brisé le cou du chien et ils étaient en train d'en rire. Je suis un ami des bêtes et je n'ai jamais tué aucun animal de toute ma vie. Je savais que je n'étais pas dans mon pays et qu'il n'aurait pas été sage d'en faire toute une histoire, mais je leur ai dit qu'en Europe ou aux Etats-Unis ils seraient allés en prison pour ça. Sinon, pour vous raconter une anecdote plus légère, c'est également ce caméraman qui m'a appris à me servir d'un grattoir à langue, ce que je fais encore aujourd'hui.

J'ai lu l'interview de Ho et l'ai trouvée ridicule.

Vous avez également tourné aux Philippines des polars et des films de guerre assez violents, tels Eliminator (Hunter's Crossing, 1983) ou Ultime Mission a.k.a. Opération Cambodge (Intrusion Cambodia, 1987) dans lesquels on retrouve fréquemment les mêmes acteurs occidentaux comme Ron Kristoff, Mike Monty, Max Thayer, Mike Cohen ou Jim Gaines. Sont-ce des films que vous appréciez ? Avez-vous gardé des contacts avec le réalisateur Teddy Page et les autres acteurs... ?

Ces films n'étaient pas très bons, mais j'aime vraiment Ron Kristoff et je ne comprendrai jamais pourquoi il n'est jamais sorti du cinéma philippin.

Mike Monty a passé quelque temps en Italie où il est resté avec Gordon Mitchell. J'avais de la peine pour Teddy Page ; le producteur ne le traitait pas dignement.

J'avais de la peine pour Teddy Page

Le film Amok (idem, 1982) se pose un peu comme une rupture dans votre carrière. Il s'agit d'une superproduction africaine où vous tenez le rôle d'un journaliste anti-raciste, un individu avec une dimension humaine plus élaborée que le reste des personnages de votre filmographie. Amok est resté un film unique dans l'histoire du cinéma dans la mesure où l'Afrique produit très rarement des films de cette importance. Quel souvenir gardez-vous de cette expérience ?

Le producteur-réalisateur était un vrai gentleman. Il travaillait avec passion. C'était une expérience très chouette.

Chez nous en France, où il semble que vous ayez commencé à être connu grâce à Persée l'Invincible (Perseo l'Invincibile, 1963), vous avez également tourné dans des co-productions comme La Guerre du Pétrole (dans lequel votre personnage meurt sous la Tour Eiffel !) ou encore L'Explosion de Marc Simenon. Quel souvenir gardez-vous de la France ? A l'époque, vous étiez impliqué avec Eurociné dans ce qui se présentait comme le "recyclage" d'un de vos films italiens, La Guerre du Pétrole (Strategia per una Missione di Morte, 1978) qui est devenu "Lorna, la lionne du désert" avec des scènes additionnelles. Etiez-vous coproducteur avec Eurociné ?

La Guerre du Pétrole n'était pas un bon film. Je n'étais pas impliqué dans la production. Marc Simenon est une personne charmante, tout comme son épouse. Je regrette que le film que j'ai fait avec lui n'ait pas été meilleur... Je suis un amoureux de la France. Je considère les Français comme les gens les mieux instruits du monde. Je ne garde que des souvenirs merveilleux du pays et des gens.

Je suis un amoureux de la France. Je considère les Français comme les gens les mieux instruits du monde

En 1988, vous avez tourné dans l'étonnant "Opération Las Vegas" du réalisateur français Norbert Moutier, alias N. G. Mount, connu par chez nous pour être à la fois libraire, éditeur d'ouvrages très riches sur le cinéma de genre (dont un sur vous justement) et vidéophile passionné réalisant ses propres films à très faible budget. Comment êtes-vous arrivé sur un tel projet ?

C'est une bonne question. Je l'ai rencontré et il m'a dit qu'il voulait faire un film, et m'a demandé de jouer dedans. J'ai accepté, sans penser un seul instant qu'il le ferait vraiment, mais une fois ma parole donnée je ne pouvais pas revenir en arrière. C'était quelqu'un de très sympa, mais qui ne connaissait pas grand chose au business du cinéma.

C'était quelqu'un de très sympa...
...mais qui ne connaissait pas grand chose au business du cinéma.

Aux dernières nouvelles, nous croyons savoir que vous vous apprêtez à réaliser un film qui s'appelle Jerks. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce projet personnel ? Avez-vous d'autres projets pour l'avenir ?

Il s'agit de deux choses différentes. Jerks est un film dans lequel je me suis fait piéger à cause de mon épouse ! Elle a promis au réalisateur qu'il pourrait utiliser notre maison de Palm Springs et que je serai dans le film sans même m'en parler avant. Je n'arrivais pas à croire qu'elle ait pu me faire ça. Je n'ai pas été payé, ni pour mon rôle ni pour ma maison. Nous l'avons fait pour rendre service.

Par contre, je travaille effectivement sur un projet bien à moi et s'il se concrétise, ce sera l'occasion ou jamais de montrer ce que je vaux. Cependant, vu le genre de films qu'on fait aujourd'hui, je ne serai guère surpris s'il ne devait jamais être réalisé...

je travaille effectivement sur un projet bien à moi et s'il se concrétise, ce sera l'occasion ou jamais de montrer ce que je vaux

Bon... voilà, c'est la fin de cette interview - enfin ! - donc, pour conclure, encore une fois ici, au nom de toute l'équipe de Nanarland, et pour toutes celles et tout ceux qui, nous en sommes sûrs, seront très heureux de trouver cette interview sur notre site, je tiens à vous remercier, en toute sincérité bien qu'un peu solennellement, d'avoir été si ouvert d'esprit et si amical Mr Harrison.En vous souhaitant plein de bonnes choses à vous et à ceux que vous aimez !

J'ai essayé de donner des réponses honnêtes.

Amitiés les meilleures,

- Interview menée par La Team Nanarland -