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Entretien avec
Ruggero Deodato


Ruggero Deodato

Ruggero Deodato est né le 7 mai 1939 à Potenza, en Italie. Cinéaste tout-terrain du bis italien, ce réalisateur doué, qui fut longtemps l'assistant de nombreux cinéastes de renom (Rossellini, Losey, Bolognini, mais aussi Riccardo Freda ou Sergio Corbucci...), a atteint une notoriété internationale avec le célèbre « Cannibal Holocaust », considéré encore aujourd'hui comme l'une des expériences les plus extrêmes du cinéma. De passage à Paris début avril 2004, à l'occasion d'une soirée en son honneur à la Cinémathèque française, Ruggero Deodato avait bien voulu nous accorder un entretien, où il n'avait pas hésité à revenir, avec humour et modestie, sur les épisodes les moins glorieux de sa carrière. Nous avons appris avec tristesse son décès le 29 décembre 2022, à l'âge de 83 ans.

Remerciements à Jean-Jacques Rue (auteur du livre « Mangez-vous les uns les autres », éditions Tausend Augen) et à MrKlaus qui avait décroché l'interview.


Vous avez commencé par être assistant réalisateur pendant de longues années, notamment auprès de Roberto Rossellini, avant de travailler avec des cinéastes comme Sergio Corbucci et Antonio Margheriti, alias Anthony M. Dawson. Pourriez-vous nous parler de ces expériences ?

Mon premier maître a été sans nul doute Roberto Rossellini. J'étais très attaché à lui car plus qu'un maître, il était presque un père pour moi. J'étais très ami de son fils, ce qui fait que j'ai passé beaucoup de temps dans sa famille. J'ai connu Ingrid Bergman, tout son entourage, je passais l'été dans sa villa du bord de mer, il m'a fait connaître Henri Cartier-Bresson qui, pendant une semaine, m'a appris la photographie. Je traînais sur ses tournages, et au bout d'un certain temps, presque fortuitement, il m'a fait travailler comme assistant. Il m'a dit « Tu es un garçon intelligent, viens faire du cinéma avec nous... ». C'est vraiment Rossellini, qui était un vrai génie, une bête de scène, qui m'a appris à aimer le cinéma et m'y a fait entrer. Au bout de trois films avec lui, j'étais premier assistant.

Comment pourriez-vous comparer cette expérience avec le travail dans l'équipe de cinéastes comme Corbucci et Margheriti ?

Avec Rossellini, c'était une expérience fabuleuse, mais je ne peux pas dire que j'aie vraiment appris la technique. C'était un cinéaste qui s'exprimait surtout dans l'invention, dans l'improvisation. Du fait de son expérience néo-réaliste, il ne s'occupait pas trop du scénario ou des acteurs, il aimait travailler avec des acteurs non-professionnels, embauchés dans la rue... Après lui, j'ai travaillé avec des cinéastes qui m'ont vraiment appris la technique. Notamment avec Carlo Ludovico Bragaglia, qui est mort il y a quelques années, à 104 ans. Après Bragaglia, j'ai d'abord travaillé pour Sergio Corbucci, qui était lui aussi totalement à l'opposé de Rossellini. C'était un réalisateur plus axé sur la technique, mais aussi sur l'humour, il en mettait pas mal dans ses films. Et puis il m'a aussi fait connaître le monde, en tournant souvent à l'étranger, avec des acteurs internationaux. Il m'a notamment fait rencontrer des gens comme Burt Reynolds. Après, je suis allé travailler avec Antonio Margheriti, qui était lui-même très différent de Corbucci. Il était très axé technique lui aussi, et s'occupait beaucoup des prises de vue, il utilisait souvent plusieurs caméras à la fois. Peut-être ne s'intéressait-il pas vraiment à l'histoire ou aux acteurs, mais c'était un très grand professionnel de la mise en scène. Là où Corbucci arrivait parfois à midi sur le plateau pour commencer le travail, lui arrivait à six heures du matin. C'était un homme exemplaire, très honnête et altruiste. Il m'a notamment nommé réalisateur de seconde équipe sur ses films de science-fiction des années 60. J'adorais travailler avec lui.

Antonio Margheriti alias Anthony M. Dawson.

A cette époque, y avait-il dans le milieu du cinéma italien une frontière bien délimitée entre le cinéma de prestige et le cinéma populaire, ou êtes-vous passé naturellement de l'un à l'autre ?

Je percevais bien cette frontière. Quand j'ai arrêté de travailler avec Rossellini pour travailler avec Bragaglia, un cinéaste « de série B» qui faisait notamment des comédies avec Toto, tout le monde m'a dit que j'étais fou. Toto, grand acteur comique, qui est aujourd'hui objet de culte en Italie, était de son vivant assez méprisé. Or, je me suis rendu compte que les équipes les plus compétentes techniquement étaient en Italie celles qui faisaient des films considérés comme bis. En effet, les grands maîtres du cinéma avaient autour d'eux, à part certains techniciens, pas mal de gens de seconde zone, des espèces de courtisans. C'était des gens qui étaient habitués à rester dans l'ombre des grands maîtres, et ne se bougeaient pas trop, tournaient toujours des films dans les lieux qu'ils connaissaient. Alors que dans le cinéma populaire, on voyait vraiment le monde, on voyageait, et puis on côtoyait des gens vraiment doués dans leur domaine.

Dans votre filmographie, votre premier film est considéré comme « La Terreur des Kirghiz », que vous avez co-réalisé avec Antonio Margheriti, sans être crédité au générique. Pouvez-vous nous en parler ?

Sur ce film, je devais être l'assistant de Margheriti. Puis au bout de deux semaines, Antonio m'a dit « Ecoute Ruggero, j'ai un contrat avec un autre producteur et du coup je ne pourrai pas finir le film, il faudrait que tu le termines. » J'étais assez étonné, mais il m'a dit que le producteur était d'accord. Et du coup j'ai fini le film en tournant les quatre-cinq semaines suivantes.

Sur ce film, je devais être l'assistant de Margheriti

Il paraît que dans votre film suivant, « Phénoménal et le trésor de Toutankhamon », vous vous êtes débrouillé fortuitement pour avoir Rex Harrison dans une scène, c'est vrai ?

(rires) Oui, le film était tourné à Paris et je filmais le défilé du 14 juillet, avec De Gaulle qui passait. Je promène ma caméra sur la foule et d'un seul coup je m'arrête sur un visage, et j'ai reconnu une tête célèbre. J'étais stupéfait, je m'approche de lui : « Mais vous êtes... » Et lui : « Yes, I am Rex Harrison. » « Je peux vous filmer ? » « Yes, you can. » Et du coup il y a dans le film un plan avec lui ! Enfin, il faudrait que je revoie le film, car je me souviens très bien des plans avec De Gaulle, mais pas trop de Rex Harrison...

... Je promène ma caméra sur la foule et d'un seul coup je m'arrête sur un visage, et j'ai reconnu une tête célèbre.

Vous avez abordé de nombreux genres du cinéma italien : comédie, aventure, policier, avant de vous tourner à la fin des années 70 vers le genre de film horrifique qui a fait votre réputation. Quel est le fil directeur de votre évolution ?

Mon premier genre de prédilection a été la comédie et ça se passait très bien pour moi. Mais à l'époque il y avait un très grand nombre d'excellents réalisateurs italiens de comédie : Monicelli, Risi, Steno... Et donc il n'y avait pas trop de place pour les jeunes comme moi. J'ai donc pensé élargir mon champ d'action et j'ai estimé que le film d'aventures pouvait me plaire, notamment car ma technique s'y serait bien adaptée. J'avais fait soixante-dix films comme assistant et j'étais devenu un technicien nourri à de nombreuses expériences différentes. Rossellini m'avait apporté le sens du réalisme, Corbucci celui de l'action et de la violence, Bolognini celui de l'élégance... Je pensais donc que ces compétences multiples pouvaient s'appliquer au film d'aventures.

« Uomini si nasce, poliziotti si muore », alias « Live Like a Cop, Die Like a Man ».

Vous avez fait aussi un polar malheureusement inédit chez nous, « Uomini si nasce, poliziotti si muore »...

Oui exactement, je suis très fier de ce film, je vous le conseille vivement. Mais je ne comprends pas pourquoi il est sorti en Belgique et aux Pays-Bas mais pas chez vous. C'est un film très dur, avec Ray Lovelock, Marc Porel, Adolfo Celi, Renato Salvatori. Il y a une superbe poursuite dans les rues de Rome, c'est un excellent film.

Dans ce film on voit aussi un comique italien qui est devenu culte en Italie et qui a quelques fans en France, Alvaro Vitali.

Exact mais il a vraiment un tout petit rôle ; c'est un personnage très drôle et très sympathique. Sinon, avec « Le Dernier monde cannibale », je suis passé à un genre aventureux différent, avec le cannibalisme comme nouvel élément ultra-réaliste. Ensuite j'ai abordé « Cannibal Holocaust », qui n'a pas été compris à l'époque. Car je n'avais pas tourné un film d'horreur mais un film néo-réaliste. Un film de vérité, un film à thèse... Ca m'a catalogué comme cinéaste d'horreur, mais je n'aime pas ça... J'aime la réalité, les films vrais, je n'aime pas la science-fiction, le fantastique.

Alvaro Vitali est un personnage très drôle et très sympathique.

« Le Dernier monde cannibale » et « Cannibal Holocaust » pointent essentiellement sur les images-choc, l'exploitation de la violence. Comment l'idée vous est-elle venue de miser là-dessus ?

Je me suis dans une certaine mesure inspiré de Gualtiero Jacopetti, qui avait fait les documentaires-choc de la série « Mondo Cane ». Mais j'avais voulu aller au-delà de sa démarche en obtenant les mêmes effets à partir d'un vrai film, avec un scénario et des acteurs, mais qui montrerait la vérité dans toute sa violence, de manière ultra-réaliste.

...j'avais voulu aller au-delà de sa démarche en obtenant les mêmes effets à partir d'un vrai film...

Un élément très pervers dans « Cannibal Holocaust » est la musique douce de Riz Ortolani...

Oui, je n'ai pas voulu faire comme dans la plupart des films américains, où tout est déjà souligné. C'est pareil dans les films de Coppola.

Il paraît que le producteur du « Dernier monde cannibale » aurait caviardé le film de nouvelles scènes contre votre volonté...

C'est vrai. J'avais abondé dans son sens en faisant un film fort, violent. Mais j'avais refusé de tuer - pour de vrai - des animaux pour le film. Mais le producteur voulait vendre le film en Asie, il a rajouté des scènes de cruauté envers les animaux. Les Asiatiques aiment bien ça, parce que là-bas ils mangent tout ce qui bouge ! (sic) Moi, je me suis fâché, et je n'ai plus voulu travailler avec lui. Mais finalement nous avons fini par retravailler ensemble, des années après, pour un film totalement différent, plus familial.

Pourriez-vous nous parler des ennuis que vous a valu « Cannibal Holocaust » ? Il paraît que vous auriez eu des problèmes pour retravailler ensuite. Or, votre filmographie indique que vous avez réalisé deux films juste après...

Non, pas juste après ! J'ai tourné « Les Prédateurs du Futur » trois ans après !

Mais juste après vous avez tourné « La Maison au fond du parc », un film d'horreur inspiré de « La Dernière maison sur la gauche » de Wes Craven, et qui en reprenait l'acteur principal, David Hess...

Ha oui, mais celui-là je l'ai tourné alors que « Cannibal Holocaust » n'était pas encore sorti ! En fait, il a même été tourné en partie en même temps : alors même que je tournais à New York les scènes du début de « Cannibal Holocaust », je tournais les extérieurs de « La Maison au fond du parc ». Je n'aime pas trop ce film : David Hess était insupportable, il n'apprenait jamais ses textes, je préfère ne pas en parler...

L'un des acteurs de « Cannibal Holocaust », Luca Barbareschi, qui interprète le caméraman, est devenu très célèbre en Italie, notamment comme présentateur télé...

Oui, c'est le seul qui soit devenu une star ! Je suis allé faire le casting du film à New York, et pour interpréter les rôles des reporters disparus, j'ai cherché mes acteurs parmi les élèves de l'Actor's Studio. J'ai pris Gabriel Yorke et Perry Pirkanen, qui étaient américains, et Francesca Ciardi et Luca Barbareschi, deux Italiens qui étudiaient à l'Actor's Studio de New York, pour garantir la nationalité italienne du film. Je leur ai fait un contrat qui stipulait que pendant un an ils ne devaient pas tourner, ni faire d'apparitions publiques, car on voulait les présenter non comme des acteurs mais comme de vrais gens, qui avaient disparu. La pub du film devait entretenir l'ambiguïté sur la réalité de ce qu'on montrait.

Luca Barbareschi est le seul qui soit devenu une star !

Ils ne devaient pas travailler pendant un an ? Je suppose qu'ils avaient des compensations financières...

Il faut savoir que pendant qu'ils étudient à l'Actor's Studio, les élèves comédiens n'ont normalement pas le droit de tourner. Ils faisaient mon film un peu en cachette.

Mais ce film vous a valu de graves ennuis et vous avez dû les faire venir pour prouver qu'ils n'avaient pas été mangés !

Oui, le film a été mis sous séquestre par la magistrature italienne car ils le prenaient pour un vrai « snuff movie » ! Je me suis retrouvé convoqué au tribunal, qui s'est fait projeter le film. Pendant la projection, j'étais présent, encadré par quatre magistrats, deux hommes et deux femmes. A chaque scène horrifique, les hommes se prenaient la tête entre les mains, les femmes se cachaient les yeux... Moi, je n'en menais pas large, et mes avocats ne savaient sur quel pied danser. Je me suis dit : « Ok, je vais ressortir de la salle les menottes aux poignets ! » A la fin, le Procureur s'est levé et m'a montré du doigt en s'écriant : « Vous avez fait massacrer des gens pour votre film ! » Alors j'ai dû appeler les acteurs et leur demander de se présenter pour prouver qu'ils étaient toujours vivants...

Vous les avez fait venir des Etats-Unis ?

Oui, pour Luca Barbareschi c'était plus facile car heureusement il se trouvait alors à Rome.

Mais quand on voit le film, notamment les scènes du début, avec le professeur qui recherche les reporters disparus, on comprend bien que c'est un film mis en scène, avec un scénario...?

En fait ils ne s'étaient fait projeter que les scènes avec l'équipe de reporters.

Concernant votre image de cinéaste : est-ce que cela vous ennuie d'être catalogué comme cinéaste de la violence, qu'on ne parle que de vos films de cannibales, même s'ils ont fait votre renommée ?

Pour les cannibales, cela ne m'ennuie pas, mais pour moi ce ne sont pas des films d'horreur mais des films d'aventures réalistes. Cela ne m'embête pas qu'on me considère comme un cinéaste « violent », mais je ne suis pas un auteur de films d'horreur. Les zombies, tout ça, je n'aime pas. J'ai fait un vrai film d'horreur mais c'était pour manger.

Pour moi ce ne sont pas des films d'horreur mais des films d'aventure réalistes.

Deux de vos films, « Les Prédateurs du Futur » et « Les Barbarians », sont un peu cultes, notamment auprès de certains cinéphiles qui les considèrent comme des nanars, et les voient un peu pour s'en moquer. Cela vous ennuie-t-il que l'on puisse voir ainsi certains de vos films ?

Non, car « Les Barbarians » est un film volontairement trash. J'ai voulu faire une sorte de vidéo-clip délirant. Je devais faire un film sérieux, mais après j'ai vu arriver les jumeaux culturistes David et Peter Paul : deux énormes géants, pleins d'énergie, qui rigolaient et se chamaillaient du matin au soir. C'était de vrais gosses, pendant le tournage ils s'amusaient à se balader en voiture et à tirer la langue aux policiers, pour se faire courser... Alors, au lieu de faire un film d'Heroic-Fantasy sérieux, du genre Conan, j'ai fait un film qui pointait sur l'humour, et le succès des « Barbarians » est venu de là.

C'était de vrais gosses, pendant le tournage ils s'amusaient à se balader en voiture et à tirer la langue aux policiers.

Alors les frères Paul ne composent absolument pas ?

Non, ils étaient vraiment comme ça, c'était de vrais gamins ! Je m'amusais à leur faire des blagues. Je disais à l'un « David, tu sais que Peter m'a dit que tu étais pédé ? » Et l'autre me regardait avec des yeux ronds : « Il a dit ça ? », et il allait poursuivre l'autre en criant « Peter, I hate you ! ». Et moi je me marrais comme un bossu...

Je disais à l'un « David, tu sais que Peter m'a dit que tu étais pédé ? » Et l'autre me regardait avec des yeux ronds...

Pouvez-vous nous parler des « Prédateurs du futur », comment est né ce projet ?

C'était le film de mon retour au cinéma, après trois ans de mise au placard suite au scandale de « Cannibal Holocaust ». Le scénario du film était inspiré de « Mad Max 2 », que je n'avais même pas vu à l'époque. Mais je me suis bien amusé à le faire, avec ces costumes délirants... Je n'aime pas trop ce film, car il n'a pas vraiment d'histoire, mais il plaît à certains... En tout cas j'ai bien rigolé en le faisant.

Concernant un acteur de ce film, Bruce Baron, qui joue le méchant « Crystal Skull », nous nous sommes demandé comment il était arrivé sur le projet, car il travaillait surtout en Asie, à Hong Kong, et pas en Italie...

Le film a été tourné à Manille, aux Philippines, et il vivait là-bas, c'était alors une star aux Philippines.

Une star ?

Oui, c'était un grand blond, costaud, qui jouait dans des films philippins tournés avec des acteurs américains. Je le considérais comme une sorte de culturiste, un de ces mecs qui ne s'intéressent qu'à leurs muscles et à leur belle gueule... Il avait un cerveau de la taille d'une cacahouète, une cacahouète américaine. (rires) A part ça, il était gentil. Mais comme acteur il était lamentable. D'ailleurs c'est pour ça que je lui ai fait porter un masque dans le film...

Il avait un cerveau de la taille d'une cacahouète, une cacahouète américaine. (rires) A part ça, il était gentil. Mais comme acteur il était lamentable.

Attendez...vous voulez dire que si dans « Les Prédateurs du Futur », Bruce Baron porte un masque, c'est parce qu'il jouait trop mal ?

Oui. Il jouait horriblement mal ! Mais pourquoi vous intéresse-t-il ?

 

En fait, on se souvient surtout de lui pour des films de ninja calamiteux qu'il a tournés à Hong Kong, et qui font encore de lui un acteur culte pour certains amateurs de nanars, et notamment sur Nanarland.

Mais il tourne encore ?

Non, il a arrêté le cinéma, mais il se manifeste parfois en envoyant des mails d'insultes aux sites internet qui se paient sa tête.

(Il éclate de rire) C'est génial !

Quelle a été la genèse des « Prédateurs du Futur » ?

En fait, le film a été co-produit avec les Philippines, par le gouvernement de l'époque, enfin par la Reine des Philippines (sic), comment s'appelait-elle...

Imelda Marcos, la femme du dictateur Ferdinand Marcos ?

Oui, voilà. Elle s'était fait construire à l'époque un palais du cinéma, très beau, un grand studio de tournage... Elle avait rencontré un producteur italien au marché du film de Cannes, et l'a invité à venir travailler à Manille. Alors je suis allé là-bas pour le compte du producteur, sans avoir de projet précis qui m'attendait, et elle m'a fait visiter les studios, qui étaient magnifiques... Pendant un mois, j'ai fait un peu de tout, sans savoir ce que j'allais tourner. Je voyais les cascadeurs travailler, j'inspectais les lieux de tournage, tout ça... Mais au bout d'un moment j'en ai eu marre et je suis allé voir le directeur de production pour lui demander si je devais tourner quelque chose, oui ou non. Alors ils m'ont dit de patienter un peu, et une heure après ils m'ont amené un contrat à signer, ainsi qu' un scénario, et le film est né comme ça.

Concernant « Le Projet Blair Witch », on a accusé ce film d'être copié sur la seconde partie de « Cannibal Holocaust », bien que ses auteurs le nient. Qu'en pensez-vous ?

Vous voulez rire ? Bien sûr que c'est copié ! Outre le fait qu'ils ont fait signer aux acteurs, comme moi, une clause qui leur imposait de ne pas se montrer, la structure du film est rigoureusement identique.

Le Projet Blair Witch.

Quels sont vos projets ? Vous avez tourné un téléfilm en 2002.

J'ai fait beaucoup de téléfilms, notamment avec Bud Spencer, de nombreuses productions, dont une tournée en Afrique. Je tourne aussi beaucoup de pubs. J'ai plusieurs projets, dont un qui devrait se tourner au Brésil, sur la vie de l'épouse de Garibaldi, Anita. Et puis on m'a aussi proposé de tourner deux films violents, dont un à New York.

Concernant l'état actuel du cinéma italien, comment pensez-vous que se déroulerait votre carrière si vous deviez débuter aujourd'hui ? Auriez-vous la possibilité de travailler comme autrefois ?

Non. Le grand problème des jeunes cinéastes italiens, c'est qu'ils tournent des films à l'intention de leur entourage. Je vois des spectateurs qui sortent d'un film en disant « C'est bien réalisé ». Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Un film ne doit pas être « bien réalisé », mais « bien raconté », comme le cinéma anglo-saxon. Un film, ça doit toucher les gens, ça doit être épidermique... Les cinéastes italiens d'aujourd'hui sont vraiment limités, et ne s'exportent guère au-delà de la Suisse. Moi, si je débutais aujourd'hui, j'essaierais, sans imiter les Américains ou les Français, de faire des films qui suscitent de l'intérêt, qui touchent le public. Je ne sais pas si ce serait facile, mais c'est ce que je voudrais faire.

Merci, monsieur Deodato.

Ruggero Deodato sur le tournage de Cannibal Holocaust.

- Interview menée par MrKlaus -