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Entretien avec
Nicolas Lahaye


Nicolas Lahaye

Une fois n'est pas coutume, Nanarland vous propose un entretien avec un universitaire, dont les travaux nous ont tout naturellement intéressés : Nicolas Lahaye est en effet, en language profane, le premier Docteur en Nanarologie ! Cet entretien offre ainsi l'occasion d'analyser le concept même du nanar, ses codes, ses modes de production et de consommation, et prendre un peu de recul sur notre cinéphilie déviante (comme quoi les études mènent vraiment à tout !).

Curiculum Vitae

La thèse de Nicolas Lahaye

Interview menée en février 2015 par Labroche.


Bonjour Nicolas ! Peut-on te présenter comme le premier docteur en nanarologie ?

Sur mon diplôme, il est marqué que je suis docteur en histoire des mondes modernes et contemporains dans le cadre d'une thèse sur Le nanar, Cinéma de genre et cinéma populaire, des années 1960 à nos jours. Par rapport à ta question, tu me parles de nanarologie. On peut aussi parler de nanarophilie. Lorsque je me présentais aux assemblées générales de mon unité de recherche - j'ai bénéficié d'un contrat doctoral durant ma thèse - j'employais un autre terme, celui de Politique des horreurs. Il se trouve dans le premier numéro de Midi-Minuit Fantastique en 1962, sous la plume de Jean-Paul Torok. J'estime que de cette façon, on instaure toute une filiation entre Nanarland et une cinéphilie qui - sans être celle canonique de la Nouvelle Vague - s'incarnait dans des thématiques autres, majoritairement celles développées dans les années 1960 par les films de la Hammer. On retrouve déjà l'ami Christopher Lee, pas encore égaré chez Eurociné ou dans des histoires de loup-garous.


Ce qui est intéressant, c'est qu'en plus de ce fantastique gothique teinté d'érotisme les premiers MMF découvrent d'autres formes de transgression filmiques : le gore avec 2000 Maniacs, les premiers kaju eiga, etc. Je pense que l'enjeu interne de mon travail a été de faire un retour chronologique sur toute cette cinéphilie : les fantasticophiles, les bisseux, MMF, L'Écran Fantastique, Mad Movies, un peu Starfix, etc.

On ne peut pas non plus nier qu'en plus d'être docteur, je suis aussi un cinéphile. Au niveau disciplinaire, je ne suis pas seulement un historien : je me suis porté sur le domaine des études cinématographiques, mais aussi de la sociologie/anthropologie du fait de mes nombreuses enquêtes de terrain. En quelque sorte, on peut dire que je suis un cinéphile qui a écrit un travail universitaire sur sa passion. Je me place à la suite de Laurent Aknin - reconnu en ces lieux - qui avait fait à la fin des années 1980 une thèse sur le cinéma-bis italien.

Quand et comment t'es-tu intéressé à ce cinéma ?

C'est étrange cette question, car cela me fait penser à celles que je posais aux nombreuses personnes que j'ai interrogées pour ma thèse - plus d'une quarantaine. Mon entrée en cinéphilie est lente. Je commence à consommer beaucoup de films - en salles - à partir de dix-huit ans. Avant mes souvenirs sont assez communs : le film de Noël au Grand Rex, Aladdin, la mort de Mufasa, etc. A l'adolescence, j'y vais un peu plus, surtout pour des films d'action ou de pur divertissement : la première trilogie de l'espace vient de ressortir. De même, il y a souvent des actioners bien primaires qu'on va déguster avec mon père. Les ailes de l'enfer (déjà avec Danny Trejo) doit d'ailleurs être mon premier film interdit aux moins de douze ans.


La véritable entrée en cinéphilie se fait au moment de la classe préparatoire. Un jour, une amie future critique - à qui j'ai d'ailleurs dédiée ma thèse - me dit qu'il y a une nuit Monty Python au Champo. Cela a été le début d'une longue histoire avec une salle où je suis d'ailleurs plus souvent entré la nuit que le jour ! C'est la période où je commence à aller au cinéma plusieurs fois par semaine. Ce plaisir des films se double de toute évidence d'un plaisir de la salle... Il me revient d'ailleurs le souvenir de séances peu remplies, mais avec un public très réceptif : pendant L'hirondelle d'or, la dizaine de personnes présentes tapait dans les mains pour les chansons de l'homme ivre.

De fil en aiguille, je décide de me lancer dans un master... d'histoire ! Il n'y a toujours pas d'entrée vers le nanar ou le bis, alors que j'ai dépassé mes vingt ans - je n'en ai pas encore trente, c'est dire. En remontant plus loin, je pense que mon premier plaisir coupable en salles cela a du être Les ailes de l'enfer ou Beowulf, toujours avec mon père. Pour le second, on l'avait choisi par dépit. C'est une des seules fois où j'ai vu la salle applaudir le film, tellement elle le trouvait mauvais.

Le goût pour le nanar vient via le défunt site secondscouteaux.com. Par un lien approprié, je suis dirigé sur la version deux de Nanarland : la musique-titre de White Fire me parvient dans les oreilles. Dès lors, je m'intéresse à un tel point au site qu'à un séminaire je décide de faire une intervention sur Robowar. A l'époque je crois que cette tendance au rip-off est uniquement italienne ; elle me fascine. Je fais mon intervention le sourire aux lèvres, sans imaginer le moins du monde que l'on me prenne au sérieux. Sauf que les étudiants me posent des questions sur ce « cinéma du manque ». C'est le signe qu'il y a peut-être une opportunité à saisir.

Qu'est-ce qui t'a fait dire qu'il y avait un travail universitaire à faire sur le sujet ?

Comme je m'entends très bien avec ma directrice de maîtrise - sur un tout autre sujet que le nanar - celle-ci établit une connexion avec celui qui sera mon futur directeur de thèse. Faisons court : je me retrouve à Saint-Quentin-en-Yvelines, devant différents chercheurs de l'UVSQ. Je dois défendre mon sujet sur la base d'un projet de recherche de quelques pages. D'autres candidats passent, dans des matières différentes de la mienne : l'architecture, le droit, etc. Par la force des choses, je vais donc être évalué par des personnes ne pouvant bien connaître mon sujet de recherche - ceci dit, c'est une fatalité de dire que la somme des connaissances humaines est infinie.

Deux anecdotes me reviennent à l'esprit :
- un professeur me répond « pour moi le nanar ça me rappelle avant tout Bernard Tapie dans les Guignols de l'info. »,
- un autre me demande pourquoi je n'ai pas parlé du nanar égyptien ou iranien.
Le fait que j'ai eu ce contrat doctoral sanctionne le sérieux de mon travail. Pour autant, les différentes réactions des membres du jury démontrent que le sujet est peu connu au niveau universitaire.
A ce moment, je n'ai rédigé qu'un projet de recherche d'une petite dizaine de pages. Je pense m'intéresser aux impuretés cinématographiques au sens large du terme.

Du coup quelle a été la réaction des universitaires quand tu as proposé ton sujet ?

Ma thèse n'aurait pas été possible sans l'ouverture d'esprit de mon directeur de thèse Christian Delporte. S'il vient de l'histoire des médias et politique - ses recherches initiales portent sur les caricatures de presse - il offre à des doctorants la possibilité de travailler sur beaucoup de sujets jugés 'ignobles' ou alternatifs. Je pense notamment à un travail sur la musique metal.


Ensuite, il est bon de préciser ce que j'entends par 'universitaires' : il s'agissait de mes collègues, tout simplement. Le terme recouvre autant une réalité professionnelle que le hasard des rencontres.

Les a priori sur le nanar existent, mais pas plus qu'ailleurs. De l'autre, les sujets traités justifient que l'on parle plus souvent de thématiques violentes et érotiques : ce n'est donc pas là que réside la recherche de légitimité. Avec le temps, j'ai même pu ponctuellement organiser des soirées 'nanars' avec certains collègues. Cela m'a donné l'occasion d'en parler sous un oeil nouveau : en se replaçant dans des phénomènes de production culturelle, de représentation des groupes sociaux, etc.

Le terme nanar n'étant pas systématiquement associé à la production cinématographique, le plus dur a été de trouver des angles d'attaque pour le présenter au mieux... sans pour autant nier la réalité du sujet. Il me fallait aussi trouver des termes adéquats pour définir le 'groupe' des nanarophiles.

De l'autre, j'ai néanmoins rencontré des étudiants travaillant sur des sujets proches ou optant pour des angles d'attaques similaires. En plus des personnes déjà citées, je parlerai encore de Corentin Palanchini sur les films de bidasses, Mathias Kusnierz sur la série B hollywoodienne ou Nathanaël Amar sur le punk chinois. Pour avoir parlé avec le deuxième, on se rend très vite compte que les manipulations-remontages d'Eurociné ont déjà des antécédents dans la première moitié du siècle. En quelque sorte, les formes de mercantilisme cinématographique naissent avec le cinéma !

Il me faut aussi mentionner que mon ancien professeur de latin en classe préparatoire avait été journaliste à Starfix, L'Écran Fantastique. Quand j'ai repris avec contact avec lui, FAL s'est même étonné de mon intérêt pour Jess Franco ou de ma fascination pour tout ce milieu. En le revoyant, je lui ai dit en plaisantant qu'il m'avait envoyé de mauvaises ondes pour me forcer à parler de tous ces films étranges.

Jess Franco.

Ce sujet m'ouvrait aussi la porte vers d'autres domaines : compte tenu des thématiques abordées par mes films, le plus évident était celui de la censure. Une grande partie de mon corpus était classée catégorie 5 - ''s'abstenir par discipline chrétienne'' - par la Centrale catholique.

J'ai parlé plus haut de la musique. En croisant cinéphilie et musique - bonjour à Bruno T. - les fanzines sont un point de contact évident. Les lieux de partage de cette culture 'alternative' sont également liés. J'ai une formulation qui résume les choses ainsi : certaines salles de quartier étaient tellement mal entretenues et fréquentées qu'elles étaient aux salles de première exclusivité ce que les squatts étaient aux salles de concerts.

Peux-tu nous en dire plus sur ton sujet ?

Tentons de résumer trois volumes de 730 pages (en tout) en quelques dizaines de lignes...
Premier point, la présentation de mon sujet. Mon travail de thèse se divise en plusieurs volumes. Les deux premiers volumes comprennent la thèse à proprement parler.

Le premier volume décrit mon corpus de films. En me détachant d'un postulat esthétique, j'y formule l'argument suivant : en nous octroyant une certaine marge d'erreurs, en quoi ces films peuvent-ils représenter le nanar en tant que phénomène cinématographique ? Les trois chapitres qui composent ce volume étaient évidents :
- parce que c'est une référence, le premier s'intéresse à l'Italie. J'y donne quelques clés et catégories de genres de films.
- en parlant de la France, j'entre dans une optique comparatiste dans le deuxième chapitre.
C'est à cette occasion que je parle de mètres-étalons comme Philippe Clair ou Eurociné, après avoir évoqué différentes trajectoires biographiques au précédent chapitre.
- le troisième essaie d'ailler vers ce mystérieux au-delà du nanar. Je m'y interroge sur la notion d'auteur à travers Franco ou Rollin, mais aussi sur des cas extrêmes du cinéma d'exploitation comme Vampire Men of The Lost Planet.

Philippe Clair.

Il importe au final de montrer que le nanar est une expérience complexe. L'aspect 'nanar' peut pourtant résider dans un titre ordurier : c'est par exemple le cas de certains films pornographiques ou de karaté par exemple. Tu me fais mal, mais j'aime ça ou Soja, bambou et karaté.

Le deuxième volume s'attarde sur l'aspect cinéphilique de la chose, en montrant que - des fantasticophiles aux nanarophiles - on passe d'une cinéphilie de la pellicule et de la salle de cinéma, à une cinéphilie dématérialisée, pouvant aussi s'incarner dans un cadre domestique.

J'y parle également des séances spécialisées, que ce soit les séances-bis ou la Nuit Excentrique. On peut parler d'un éclairage contemporain porté sur la notion de nanar, où la valorisation a autant un sens cinématographique, patrimonial... que purement ludique dans certaines de ces séances.

Le volume d'annexes est lui aussi intéressant parce qu'il comporte un entretien complet avec Jean-François Rauger dedans et aussi un glossaire du nanar (entre autres). Le tout à l'intention de mon jury et de mes lecteurs. Le gros point fort de ces annexes, c'est bien entendu un montage d'extraits d'environ une heure trente. Cela relevait d'une certaine cohérence : après en avoir longuement parlé au cours de mon travail, c'était fort logique de présenter quelques passages de mes films, avec des panneaux explicatifs entre chacune des séquences. Comment illustrer la gratuité du plan-nichon ? En montrant un extrait de Infirmière De Nuit.

Jean-François Rauger.

Quelle a été la problématique de ta thèse, et comment la présenterais-tu si tu devais la vulgariser ?

Mon travail parle donc de ces films et des gens qui s'y intéressent. La problématique tournerait autour du plaisir induit par le nanar : quelle inversion dialectique cela suppose-t-il, de même que les errances induites ? La nanarophilie n'est pas sans écueils, surtout lorsque tout est traité sous l'angle du pastiche. C'est d'autant plus vrai lorsque le second degré devient un élément promotionnel à part entière, même si on ne peut pas mettre sur le même plan la Troma ou The Asylum. D'une autre manière, c'est aussi le cas lorsque l'Étrange Festival compare Iron sky à un film d'Eurociné - malgré une différence de budget conséquente.

Autre contrainte : lorsque l'on met en avant l'aspect cool et détendu d'une séance, alors que la programmation est hétérogène, mêlant films de série B, d'exploitation et nanars. On oriente alors l'expérience du spectateur, sans que ce soit forcément un mal. Sur l'ambiance supposée durant les séances, il faut pourtant dépasser la plaisanterie entre initiés : l'état de catharsis d'un public peut aller très loin. Cela m'évoque cet aspect du « cauchemar cinéphilique » dont me parlait Francis Moury. Au départ, le choix des films conditionne souvent le choix des salles - souvent en mauvais état. C'est après coup que l'atmosphère des salles conditionne la réception des films.

J'y reviendrai plus bas, mais c'est aussi ce qui m'a amené à m'intéresser aux salles pour adultes, tout du moins à des pratiques/lieux de cinéma/publics qui ont disparu. Pour faire trop simple :
- avant, un public populaire et naïf voyait ces films en salles,
- aujourd'hui, un public connecté les regarde chez soi.
Le confort domestique s'impose très récemment comme norme : avant l'arrivée de la VHS, le téléspectateur n'a que peu l'occasion de revoir des films. Nos grands-parents en cinéphilie - c'est dit très affectueusement envers Jean-Claude Romer, Jean-Pierre Bouyxou ou Alain Schlockoff - ou même la génération de Jean-François Rauger doivent souvent 'braver' la salle de cinéma.

Jean-Claude Romer.

Dans un sens, ma thèse peut autant être considérée comme un acte de dévulgarisation du nanar à l'égard des universitaires que de légitimation vis-à-vis des nanarophiles. Le nanar ne réside pas dans le seul second degré : il trahit une interprétation du phénomène cinéphile, à une époque où nous avons tellement de moyens de voir le film qu'il sort du paradigme de la salle... ce qui ne veut pour autant pas dire que l'on peut tout voir.

Ce travail t'a emmené dans des territoires assez insoupçonnés ! Tu as réalisé des entretiens avec quelques-un des grands noms du cinéma d'exploitation français. Qui as-tu rencontré ? Et quelles sont les rencontres qui t'ont le plus marqué ?

Le but était aussi d'interroger certaines de ces personnes avant qu'elles nous quittent, afin de garder des traces. Cela a d'ailleurs été très symptomatique d'interroger Henri Tisot, non pas en tant qu'imitateur du Général De Gaulle - c'est la génération de mon père - mais comme interprète d'Hitler dans ce film que vous connaissez bien !

Henri Tisot.

J'ai rencontré une quarantaine de personnes dans toutes les générations et toutes les professions : acteurs occasionnels, réalisateurs, programmateurs, exploitants. Mis bout-à-bout, mes entretiens retranscrits s'étendent sur plus de mille pages. C'est d'ailleurs pour cela qu'un projet de recueil de tous ces témoignages me semble tout à fait envisageable. Face à la masse de mes sources orales, j'ai même été obligé d'y consacrer la dernière sous-partie de mon travail. Ces témoins font intégralement partie de ma recherche. A l'instar de ce que dit Nicolas Stanzick sur la Hammer, c'est une manière de montrer que les cinéphiles sont des vecteurs de transmission de ces films.

Plutôt que de raisonner en terme de métier, j'ai peu à peu trouvé intéressant de raisonner en qualité de personnalités et de tempéraments, ou de questionner leurs rapports au cinéma en général. Leurs trajectoires professionnelles sont également très disparates : tous ne font pas du cinéma leur gagne-pain premier, même si leur passion constitue un vecteur important de leur vie. De Jean-François Rauger à un Bernard Launois autodictate - à des époques différentes en plus - on tombe vraiment dans un large panel socio-professionnel. De plus, je pense que la quasi-totalité des personnes interrogées sont fascinées par le média cinématographique. Cette fascination dépasse largement le phénomène du nanar, particulièrement si nous la croisons avec certaines professions. Autrement dit, comment le distributeur de films-producteur Bernard Launois et le comédien-réalisateur Philippe Clair arrivent-ils à vendre leurs propres films et ceux des autres ? Ce sont de véritables passionnés qui ont persévéré dans leur appétit. Ce qui n'exclut pas le goût du commerce. De la sorte, on peut lier cinéphilie et un sens aigu des affaires.

Bernard Launois.

J'ai aussi très vite distingué des moments de mes entretiens où je venais prendre des informations de première main et ceux où je pouvais me focaliser sur la personnalité que j'interrogeais. Sur ce point, les discussions les plus marquantes ont autant été celles avec Henri Tisot, Philippe Clair, Daniel Lesoeur ou Gérard Kikoïne. Que ces derniers disposent d'un véritable bagout et/ou qu'ils nous parlent de cinéma d'exploitation sur le ton de l'honnête artisan qui a fait du bon travail. Quand Gérard Kikoïne parle, j'apprends autant des anecdotes sur son travail de monteur - c'est un régal que de l'entendre parler de son rapport à la pellicule - que j'analyse sa personnalité de séducteur. Cela s'exprime d'une autre façon pour Daniel Lesoeur, ou c'est le dirigeant fier d'avoir maintenu à flots l'entreprise familiale qui s'exprime. Le septième art est également illustré par de tels individus.

Daniel Lesoeur.

Tu n'as pas rencontré que des personnalités. Tu as aussi visité des endroits mythiques (et parfois miteux).

Totalement. Sans compter les salles disparues que j'ai visitées en pensée, par mes lectures, etc. On revient toujours à l'idée de mythologie, qu'elle ait trait aux films eux-mêmes ou aux salles de quartier, ou à leurs publics. J'ai parlé plus haut de pratiques commerciales aujourd'hui quasi disparues : le double-programme, le permanent... Dans le dernier cas, cela voulait dire que l'on pouvait payer sa place et entrer dans la salle à n'importe quel moment, avec la possibilité évidente de déranger les autres spectateurs et d'arriver au beau milieu du film. Ceci se traduit par beaucoup de circulation sur le territoire de la salle, si l'on y ajoute les sanitaires, les couloirs et la caisse. Sans compter les fumeurs intempestifs.

Pour t'expliquer ce qui m'a amené dans ces endroits miteux, c'est que je m'intéressais également au public - fantasmé ou non - de ces salles. Au bout d'un moment, après avoir interrogé de nombreux cinéphiles, j'avais à ma disposition de nombreuses anecdotes improbables pour le cinéphile d'aujourd'hui :
- Jean-Pierre Bouyxou et les clochards qui se font à manger au Strasbourg,
- Alain Petit et la foule de Barbès qui acclame Klaus Kinski à chacune de ses entrées sur l'écran,
- sans compter les allusions aux professionnel(le)s, mains baladeuses, et vomissements de toutes les sortes. Plus les copies extrêmement abîmées.
Je me demandais comment approcher cette appropriation-là de la salle. Il y avait très peu de films qui représentaient cette vie dans les salles de quartier ; on en restait toujours au niveau du boulevard, de la rue et de leurs toiles peintes.

Photo du Strasbourg (© Philippe Célérier).

Lorsque nous nous sommes vus, tu m'avais parlé de projets de recherche sur le cinéma pornographique...

Très vite, je me suis rendu compte que si je voulais faire des observations de terrain, cela m'était impossible pour ce qui est du cinéma-bis, tout du moins des salles projetant du cinéma fantastique. Ces dernières ont toutes fermé, ou se sont reconverties majoritairement dans l'art et essai comme le Brady. Les dernières salles permanentes de France sont donc celles réservées aux adultes. Ce qui m'intéressait, c'était d'observer un public totalement marginal en train de se comporter dans une véritable salle de cinéma. Je ne parle pas de lieux d'une dizaine de sièges, mais bien d'anciens cinéma au sens architectural du terme.

Cela donne des expériences inimaginables : en sortant de l'ancien ABC de Bruxelles - salle vintage au possible, avec des strip-tease pendant les films - j'ai le souvenir d'avoir déclaré au camarade qui m'accompagnait : « On dirait le RER B aux heures de pointe. » La salle n'était pas aérée, de l'obscurité venait quelques bruits, quelques commentaires d'hommes âgés... et d'un coup quand la strip-teaseuse est arrivée sur scène la salle s'est remplie. Les copies étaient dans un état de ''pluie'' avancée, certains sièges ne se levaient plus, le projecteur ne fonctionnait pas sur l'intégralité de l'écran, etc. Cela se passait en 2012, et c'était déjà une anomalie : certaines salles parisiennes, anciennes salles de quartier qui ont dû se reconvertir dans le X pour survivre, sont pires. J'ai vu des spectateurs qui venaient en tant que voyeurs, mais d'autres qui étaient seulement là pour être au chaud. Le plus surprenant reste aussi la qualité exécrable du son : on s'attend à n'entendre que des râles en entrant dans l'obscurité, sauf qu'au final tout ce qui nous parvient aux oreilles, ce sont les sièges qui grincent, les bruits de pas sur le sol - pire encore quand c'est du carrelage - et ceux du public. Le film devient quelquefois une attraction de second plan.

Sans trop extrapoler, je pense qu'il y avait aussi cela dans les anciennes salles de quartier. Selon la séance, elles pouvaient être autant un lupanar qu'un lieu où venait se réfugier l'humanité en souffrance. Parce qu'elles n'étaient pas chères, parce qu'elles promettaient du spectacle. En tout bien tout honneur, on est très loin de l'interactivité ludique promise par la Nuit Excentrique. En ce sens, je suis donc allé au bout de ma curiosité cinéphile et de ma cohérence de chercheur, en assistant aux séances de cinéma les plus anxiogènes de ma vie - quoique, certaines nuits au Champo... Cela rejoint certains témoignages que l'on a pu me faire au sujet des 'cloches' du Brady - re-coucou, Bruno T.

Le plus cocasse, c'est qu'une fois je suis allé à l'Atlas à Paris hors projections pornographiques. C'étaient les camarades de Panic qui avaient fait une programmation karaté-fantastique. Cela a fait un four complet : les habitués du lieu repartaient dégoûtés, ceux de la séance ont peu été prévenus. J'ai donc été peu ou prou le seul spectateur payant de la salle pendant quatre heures. J'ai pris le lieu en photo, sous toutes ses coutures. C'était autant pour moi que pour apporter des preuves tangibles à mon travail. Effectivement, la plupart de ces lieux ne sont pas très bien entretenus, sans que l'on puisse dire si c'est dû au public ou au propriétaire. Certains acteurs comme Richard Harrison sont des guérilleros du cinéma : en ce sens, on peut dire que j'ai été un guérillero de la cinéphilie. J'ai vu de tout, partout (rires).

Le nanar, ce n'est donc pas que  le film, c'est aussi la manière de le consommer ?

En travaillant sur le nanar, on ne peut pas se contenter d'aller aux seules séances-bis de la Cinémathèque, même si leur programmation est incontournable. Voire même de regarder des films chez soi ou en bibliothèque. Au bout d'un moment j'en avais même assez de regarder des mauvais films sympathiques, en prenant des notes. C'était la pire proposition que l'on pouvait me faire que d'en regarder entre amis ! Aller en salles, cela revenait à donner de son temps, et s'engager dans une autre aventure. Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a attrait à l'érotisme à l'époque où l'accès aux images ''licencieuses'' est moins aisé, de même que l'attirail promotionnel des salles : songeons que ces lieux avaient des toiles peintes à leur fronton : espoirs de trains-fantôme, promesses de frissons déçus... L'Atlas le fait encore à Paris, mais le lieu n'a plus grand chose à voir avec le cinématographe. Je me focalise certes sur les salles pour adultes par la force des choses, mais il ne faut pas oublier que des lieux adoptant une programmation 'bis' connaissaient des spectateurs particuliers : c'est devenu proverbial pour le Brady, mais on peut aussi parler du second balcon du Louxor avant sa première fermeture. Tout du moins à Paris, ces salles de quartier s'inscrivaient dans une triple réalité sociale : celle d'habitants 'populaires', quelquefois d'une proximité avec des zones de commerce du sexe, celle d'une programmation appropriée et bon marché. On ne choisit pas le public avec lequel on regarde les films : ces lieux le rappelaient à leur manière.

Je devais donc équilibrer mes recherches entre ces lieux miteux et d'autres plus officiels, comme la BNF, la BiFi, ou le service des visas du CNC - salutations à Pierre C. et Hervé Le C. De l'autre, il me fallait également déceler des lieux de source 'alternatifs', ce qui m'a amené à faire quelques dépouillements dans la cabine de projection du Brady avant sa vente, ou de piocher dans le grenier de Bernard Launois. Au niveau des sources disponibles, on prend ce que l'on a, ou plutôt on essaie de faire le tri dans des documents qui n'ont jamais eu pour vocation d'être triés. Les sources sont parcellaires, c'est une évidence. J'observe donc ces conditions de stockage imparfaites de la même manière que j'analyse le caractère des personnes interrogées, et le rapport qu'elles ont à ces pièces. Bernard Launois m'a donné sans difficultés le story-board de Devil Story - qui nous en dit beaucoup sur la genèse chaotique du film, comme le montrent les bonus du DVD - parce qu'il ne représentait aucune importance pécuniaire pour lui. Pour autant, il est annoté de manière très soignée, sans que je sache pour autant si c'est du fait de Bernard Launois. A tous ces lieux de source, on peut également ajouter les boutiques comme BD-Ciné de Norbert Moutier - RIP - ou Movie 2000/Metaluna store du sympathique chansonnier Jean-Pierre Putters.

Nous nous sommes rencontrés alors que tu te documentais pour ton travail. Nous avons d'ailleurs l'honneur d'être cité dans ton ouvrage. Peux-tu nous expliquer pourquoi et comment apparaît Nanarland dans ta thèse ?

Vous êtes plus que largement cités dans ma thèse... Vous étiez même obligés d'y apparaître, car Nanarland constitue mon point d'entrée vers le nanar. Le fait d'aller aux Nuits Excentriques et de vous identifier procédait également de cette démarche, même si ce n'est pas à cette occasion que j'ai pris contact puisque je vous ai tout simplement écrit un courriel ! Après j'ai croisé l'entretien avec ma rencontre avec Guillaume Gourgues. En 2011 j'avais trouvé cela intéressant de faire d'une pierre deux coups en interrogeant Guillaume Gourgues - qui avait fait en 2003 une maîtrise de Sciences Politiques sur le nanar, soit 'à une autre époque' - et ensuite d'interroger quelqu'un du site.

Le site apparaît principalement dans ma partie sur la cinéphilie. Auparavant, j'ai assez largement cité la plume de Zord, Nikita, Labroche ou d'autres. Je retranscris également en annexes une bonne part des critiques ayant trait aux films de mon corpus : on ne peut pas parler de style littéraire homogène pour autant, mais ça me semblait nécessaire d'en donner un aperçu. Si l'on peut ne pas être d'accord avec vous, vous êtes désormais des incontournables du nanar. J'ai à cet effet énormément analysé les pages de discussion sur votre forum, afin de voir les variations de discours entre les rédacteurs du site et d'autres ''anonymes''. Je me souviens d'ailleurs de remarques assez saignantes sur une ''provinciale aux croquenots roses'' lors d'une Nuit Excentrique.

Le cas des Nuits Excentriques constitue un sujet à part entière. On touche au saint des saints cinéphiles, à savoir la Cinémathèque française. Ce n'est pas rien, même si le lieu ne fait que perpétrer une tradition ancienne de promotion de tout le cinéma mondial. Ceci m'ouvre alors la porte à d'autres mythologies, d'autres pistes de recherches : je pense à l'article que Renaud Chartoire vous a consacré en 2007 [« Distinction, omnivorité et dissonance : l'exemple du cinéma « bis » », Idées, CNDP, n°149, Septembre 2007].
De la sorte, on peut s'intéresser à la forme mythologique de deux manières différentes :
- au regard des anciennes salles de quartier,
- en corollaire, en regard du culte véhiculé passe une manifestation culturelle qui a duré de 1973 à 1990, à savoir le Festival du film fantastique et de science-fiction. Ce ''festival du Rex'' - puisqu'il s'est installé dans la grande salle de 1978 à 1989 - était reconnu pour son ambiance et l'implication du public. Son souvenir est encore vivace.

On imagine que soutenir un travail qui cite Hitman Le Cobra, Chuck Norris et qui parle des films de Philippe Clair n'est pas courant. Quelles ont été les réactions du jury de ta thèse ?

Des travaux comme le mien ne sont pas courant. Je pense également qu'il m'a très vite fallu assumer certains aspects de mon travail. Par exemple, lorsque je devais citer certains dialogues-matrices du nanar, ou illustrer certains concepts. On ne peut contourner les thèmes que sont le sexe et la violence : autrement dit, il m'a fallu faire des citations ouvertement vulgaires... parce qu'elles servaient ma problématique. C'est le cas des premières lignes de ma conclusion, où je reproduis tel quel le dialogue dans Hitman le Cobra. De même lorsque je cite Maîtresses particulières.

Ceci n'a pas été sans influence sur les questions de mon jury de thèse. De plus, ce dernier a également réagi en fonction de ses domaines de recherche : j'avais en face des historiens bien entendu, mais aussi des spécialistes des études cinématographiques. Leurs réactions étaient également conditionnées par leur connaissance a anteriori des films de mon corpus. D'où la nécessité de leur donner le plus de leviers d'analyse possibles. Une anecdote résume cet état de fait d'une manière plus humoristique. En sortant de la soutenance, un collègue maître de conférences a commenté les discussions ainsi : « Je n'ai jamais vu une soutenance aussi vulgaire, entre le plan-nichon et les soirées bières-pizzas. »

A partir du moment où mon travail a été financé par l'université, celle-ci a implicitement reconnu son sérieux intrinsèque. La soutenance vise à confirmer tout cela : c'est en ce sens que l'on m'a posé beaucoup de questions de fonds, sur la sexualité, la censure, le racisme, etc. Si l'on voit le nanar à travers le prisme de la culture populaire/grand public, on ouvre la voie à un grand nombre d'analyses. Encore plus si l'on utilise le levier que constitue la cinéphilie tarantinienne. Les termes ne manquent pas pour qualifier cette attitude : postmodernisme, omnivorité du goût etc.
A l'occasion de la remise des diplômes de mon école doctorale, j'ai croisé certains membres du collège doctoral - qui avaient décidé de l'attribution de mon contrat. Ils m'ont résumé la situation en deux temps :
- d'abord l'étonnement par rapport à l'intitulé du sujet,
- enfin la fierté qu'un « travail sur la série B donne une thèse de série A. »

A ton avis, qu'est-ce que ton travail, et ton sujet, amènent à la recherche sur le cinéma ? Une réhabilitation de certains films ? D'un certain cinéma ?

On peut parler sérieusement de 'mauvais' films, d'autant plus lorsque l'on est capable de les illustrer par un travail de fonds comme moi : je ne me suis pas contenté de m'intéresser aux films. J'ai également porté mon regard sur les salles, les lieux de sources et les cinéphiles eux-mêmes.

Pour ce qui est de l'apport, cela m'a permis de revenir sur de nombreux paradigmes ou expressions toutes faites. Certains diront que c'est le propre de l'historien que de pinailler... Je pense ainsi à de nombreux termes souvent justement associés au nanar qui m'ont permis d'aller vers :
- le théâtre avec la notion de grand-guignol.
- l'histoire de l'art avec le camp movie (to camp = prendre la pose, poser). Le terme - et les films associés, principalement ceux avec des super-héros - fascine tellement les rédacteurs de MMF qu'ils vont le décliner sous plusieurs appellations comme very-high camp.
- les mouvements intellectuels avec la question du surréalisme involontaire de ces films. Ceci m'a permis de découvrir la production littéraire d'Ado Kyrou, qui m'a donné des pistes d'analyse fondamentales. Je trouve qu'une citation de Surréalisme et cinéma définit poétiquement ce que peut être le nanar. L'auteur s'adresse à nous en disant : « Je vous en supplie, apprenez à voir les mauvais films, ils sont parfois sublimes. »

Cet aspect ne peut passer uniquement par le rire. Il se traduit également par une sublimation... de la douleur que nous avons à voir ces films.

Ado Kyrou.

Cette thèse a permis de travailler sur des sujets qui constituent la base de toute discussion sur le cinéma, et par extension le domaine artistique :
- le jugement de goût,
- le divertissement populaire,
- la naïveté supposée ou non des films et de leurs publics.
Pour ce qui est des réactions des spectateurs à de tels films, il m'a semblé tout à fait légitime d'aller chercher mes citations dans la sémiologie, la sociologie ou l'anthropologie. Sans même parler de ce qui relève de l'exploitation cinématographique.
Aiguillé par certains collègues spécialistes - un immense merci à Mathias Steinle de Paris 3 - j'ai ainsi découvert des ouvrages intéressants chez des auteurs aussi différents que Boleslas Matuszsewski, Lev Koulechov ou bien sûr Roland Barthes à travers ses Mythologies. Le deuxième parle ainsi du public des salles bon marché : « Si cela lui plaît, il applaudit. Sinon, il manifeste vivement son mécontentement. » Dans l'analyse que fait le troisième du spectacle du catch, les passerelles sont évidentes : c'est 'comme' au cinéma. On peut expliquer la 'catharsis nanarde' - orchestrée ou sincère - avec de tels ouvrages.

Avec tous les films que tu t'es enfilé, tous les gens que tu as rencontrés, quelle est désormais ta définition d'un bon nanar ?

Le bon nanar... c'est déjà une oxymore. Si je devais donner une définition poétique, je choisirais sans aucun doute la phrase d'Ado Kyrou, même s'il ne s'agit pas d'une définition à proprement parler. Autrement dit : le nanar est affaire de cinéphilie, il comporte une part importante de second degré mais aussi d'abandon de soi. Vous l'écrivez vous-même : au bout d'un moment, le froid brûle. La définition du nanar dépend également de l'angle sous lequel on l'envisage. Ce n'est pas seulement un film dont on se moque. Une bonne définition du nanar prend en compte l'expérience sensorielle que cela suppose. Dans les salles, ou chez soi, le nanar se traduit par des odeurs, une excitation - un état de catharsis - et quelquefois des souffrances.

Au niveau du jugement, le goût pour le nanar n'est pas sans conséquences : après avoir regardé l'intégralité de la filmographie de Philippe Clair - par exemple - et nonobstant une appétence certaine pour le comique patapouët... On ne peut comprendre les films de Prosper Benssoussan sans cela : de l'autre, on bascule dans une sorte de « near death experience » de ce qui est appelé généralement le 'bon' goût.
Cet écueil du nanar comique s'illustre par une discussion que j'ai eue avec Guillaume Gourgues et qui s'est en premier lieu confirmée à la vision de L'infirmière de l'hosto du régiment. Le cinéphile/cinémane/cinéphage/ciné-maboule connaît trois phases dans l'évolution de sa 'maladie' :
- dans la première demi-heure il ne rit pas,
- durant la deuxième il rit nerveusement, en réaction au film,
- durant la dernière partie il rit bêtement, abandonné par son sur-moi et son juge intérieur.
Il faut savoir s'abandonner au nanar, sans pour autant vouloir le dominer à tout prix.

De la sorte, le bon mauvais film sympathique doit être à la fois ambivalent et naïf. Ambivalent car il constitue un produit économique comme un autre, soumis aux desideratas des producteurs, etc. Un bon nanar, ce n'est pas 'encore' un film The Asylum. Si business plan il y a, ce dernier doit être artisanal - Eurociné, Franco - ou avec des volontés totalitaires, délirantes - la Cannon. Un nanar ne peut être totalement contrôlé par ses propres producteurs.

Le mauvais film sympathique constitue également un phénomène sociologique complet, ce qui permet d'englober dans sa définition des idées de décalage culturel - Bollywood, les films de catcheurs mexicains sont-ils nanars 'comme', au hasard, un film de bidasses ? Sans parler des phénomènes de domination ou d'édiction d'une norme de la part d'un groupe social à destination d'un autre, des phénomènes de récupération de codes esthétiques plus anciens, etc. Le nanar n'est pas que goût du kitsch ou du film ringard. Il est un objet d'histoire à part entière. Ce qui ne veut pas dire que Les Barbarians n'est pas un bon nanar : il suffit de demander au public de la Nuit Excentrique, où la séance a beaucoup contribué à l'allégresse autour du film.

'Chimiquement' parlant, on se situe donc autant dans la définition d'Ado Kyrou que dans les propos développés par Jimmy Pantera sur la lucha libre - vous êtes très durs au sujet du Trésor de Dracula : le second degré est une notion purement occidentale. De la sorte, en déclarant des films nuls et non avenus, on oublie qu'un certain public a pu les prendre au premier degré il y quelques décennies. On peut aimer tout le cinéma, mais pas de la même manière.

Si tu ne devais en garder qu'un ?

Si je ne devais en garder qu'un seul... C'est très réducteur. Je serais tenté de dire un seul, par genre (rires). En consultant mon index, je pense que le nanar que j'ai le plus cité c'est Le Führer en Folie : au niveau de la réception, de la géo-politique, des trajectoires des différents acteurs, et des réactions incendiaires qu'il a provoquées à la Nuit Excentrique... Le public l'a littéralement insulté ! C'est un film complet, mais tu te doutes que je pourrais en citer beaucoup d'autres. Si je ne devais garder qu'un dialogue, ce serait l'échange entre Richard Harrison et Mike Abbott dans Hitman le Cobra : c'est le point d'entrée vers le nanar le plus condensé. Désormais je ne peux plus entendre le prénom Philippe comme avant (rires). Certains de mes amis également.

Au final, sur un plan plus personnel, que t'a amené ce travail ? A-t'il changé ta perception de ce cinéma ? Qu'est-ce qui a changé dans la manière dont tu appréhendes les mauvais films sympathiques désormais ? D'ailleurs le terme « mauvais films » a-t'il encore un sens pour toi ?

J'ai déjà eu quelques étudiants qui se sont intéressés à mes recherches. Ce travail m'a apporté beaucoup de plaisir, même dans la rédaction. Beaucoup de rencontres également : dans le domaine du cinéma-bis, mais aussi du punk, de tout ce qui relève de la contre-culture de près ou de loin. J'ai bien sûr appris beaucoup de choses sur la chaîne de production de ces films. Je ne peux plus les regarder de la même façon. Ce n'est plus si évident de les prendre au premier degré. L'intérêt intellectuel est évident, de même que l'intérêt sensible. Quoi que l'on dise d'Eurociné ou de Bernard Launois, leur fibre cinéphile est indéniable. Même de guingois, ils ont réussi à produire des films : cela force le respect, au minimum.

Au niveau universitaire, cela m'a également permis de me positionner en tant que spécialiste d'un domaine, et en ce sens d'être l'égal de mes pairs chercheurs en quelque sorte. Ici c'est l'ancien étudiant qui parle.

Pour moi, le terme de « mauvais film » n'a plus qu'un sens subjectif. Je l'emploierai de manière différente selon que je parle en tant qu'enseignant ou au cours d'une soirée entre amis. Mauvais... mais sous quel angle ? Au niveau de l'art dramatique, ne rien faire sur scène c'est déjà exprimer quelque chose. Être 'nul', ce n'est donc pas dénué de sens.

Un dernier mot ?

Au cours de mon travail, je cite anonymement beaucoup d'amis, sans compter les personnes avec qui j'ai sympathisé au cours des entretiens. Certains camarades qui liront ma thèse se reconnaîtront de toute évidence. Ils y trouveront la justification de toutes ces séances où je les ai emmenés, de ces immenses éclats de rire collectifs.

Merci pour tout ce que vous êtes, d'une manière à la fois ludique et sérieuse.
Il n'y a pas que le cinéma dans la vie, il y a aussi la musique, le théâtre, les spectacles, les concerts.

Je finirai sur plusieurs pensées :
- Une dédicace pour Cécile Brou et les nuits du Champo, pour l'archipel des Glénans sans lequel rien n'aurait été possible (et FAL aussi, quand même).
- Une pensée à tous mes relecteurs-amis-autres qui m'ont subi.
Les autres aussi.
- Jess Franco, Henri Tisot, Alain Payet, Menahem Golan... Michel Caen, reposez en paix. Avec des vampires, des patriotes sur-armés, des filles nues, des nains, et tutti quanti.

Michel Caen.

- Interview menée par Labroche -