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Les Machines à sous
(1ère publication de cette chronique : 2011)Titre original :Pigalle Story
Titre(s) alternatif(s) :Sex Hotel
Réalisateur(s) :Bernard Launois
Année : 1976
Nationalité : France
Durée : 1h20
Genre : Audiard m'a tuer
Acteurs principaux :Marcel Portier, Olivier Mathot, Monique Vita, Marlène Miller, Rudy Lenoir...
Une chouette affiche illustrée par Michel Landi. C'est le seul visuel connu du film, avec de très légères variantes par rapport à celui qui est sur le côté, notamment la place démesurée de l'égo du réalisateur.
Pour sortir de la station de métro, l'homme avait dû se frayer un chemin au travers des touristes coréens agglutinés devant le petit manège qui occupait l'angle de la place Blanche, et les membres des comités d'entreprises de province qui attendaient impatiemment l'ouverture du Moulin Rouge, ses go-go danseuses venues des pays de l'Est et ses dîners-spectacles à 150 euros par tête de pipe. Décidément, il n'y avait guère que les touristes asiatiques et les cadres commerciaux de la zone industrielle de Sarreguemines pour croire que Pigalle était encore le synonyme de l'érotisme à la française. Mais qu'importe, il n'était pas là pour juger du mauvais goût touristique ambiant, mais dans un but bien précis. Après avoir parcouru quelques mètres du boulevard de Clichy, l'homme tourna sur sa droite, rue Lepic, une petite voie pavée qui montait jusqu'à Montmartre. Rude montée, d'ailleurs, qui lui fit un instant regretter d'être fumeur. Au bout d'une demi-douzaine de minutes, il avisa soudain le lieu du rendez-vous : un antique bistrot qui devait déjà être cacochyme au temps de l'arrière-grand-père d'Aristide Bruant. Sans plus de cérémonie, il entra, faisant tinter la petite cloche située en haut de la porte, ce qui eut pour effet de faire tendre l'oreille au vieux doberman qui paressait dans sa panière en osier qui avait manifestement connu des jours meilleurs. Le patron, un gros chauve suant à l'air mauvais, était en train de nettoyer ses carafes Casanis qu'un ancien représentant de commerce avait du lui offrir en guise de cadeau publicitaire il y a bien longtemps déjà. L'œil torve et soupçonneux, le taulier ne daigna même pas répondre au salut de celui qui venait d'entrer, se contentant de maugréer un vague « couché, Rommel ! », à son doberman qui se rendormit aussitôt. Qu'importe, ce n'était pas avec ce mufle que l'homme avait rendez-vous, mais plutôt avec le type assis au fond, engoncé dans son costume trois-pièces à rayures, affaissé sur une banquette crevée dont la couleur rouge s'estompait, contemplant d'un air absent les volutes bleutées de sa gauloise brune, qui fumait dans l'antique cendrier Pastis 51 posé sur une petite table en formica. En trois pas, l'homme fut sur lui et lui tendit la main d'une façon franche et directe, à la manière d'un Témoin de Jéhovah à qui un malheureux aurait ouvert sa porte.
- Monsieur Dédé-le-surineur-des-Abbesses, je suppose ? Enchanté ! Nous avions rendez-vous, me semble-t-il.
L'autre releva légèrement son borsalino pour contempler l'apparition. Il grimaça, ce qui eut pour effet de tordre légèrement sa bouche dans une moue peu amène et enchaîna, d'une voix traînante et nasillarde :
- On lui veut quoi, à Dédé-le-surineur ? P'têt ben qu'il y est pour personne, le Dédé, hein ?
- Ah... Hem... Mais si... vous avez sûrement reçu mon télégramme de l'autre jour. C'est pour Nanarland, le site des mauvais films sympathiques. Nous avions convenu de ce rendez-vous.
L'autre ne répondit pas tout de suite, se contentant de se curer une canine du bout de son ongle jauni avant d'en extraire un morceau de salade. Il se tourna alors vers le patron du bistrot.
- Ho, Riton, y'aurait moyen que tu fermes c'te lourde ? Ça donne sur le dehors et j'aimerais pas trop que les Portugaises d'la maison Poulaga viennent traîner dans l'secteur, si c'est pas trop te d'mander.
Maugréant toujours, le gras et suant taulier alla fermer la porte. Le pégrillot, pour sa part, se retourna vers son interlocuteur.
- Tu jactes trop fort, le zigue ! Faut qu't'apprennes qu'la première règle du mitan, c'est l'silence.
L'autre acquiesça et baissa la voix.
- Désolé, désolé... si je suis là, ce n'est pas pour vous dénoncer à la police, mais pour en savoir plus sur cette histoire... vous savez... "Les Machines à sous", de Bernard Launois !
L'attention de Dédé était maintenant pleinement concentrée sur son interlocuteur. Il sortit une autre sucette à cancer de son étui à cigarette en argent, se la colla au coin du bec et l'alluma grâce à une allumette qu'il craqua sur la semelle de ses chaussures italiennes bicolores. Dans un souffle, il répondit :
- Ha ouais... "Les Machines à sous". Une sale histoire, bourgeois ! Puante et suintante comme l'intimité d'une vieille gagneuse négligée si tu veux mon avis... Une histoire de vengeance, d'artiche, de grisbi, de plomb qui vole bas mais surtout d'un mich'ton blazé Paulot et de deux d'ses fleurs de bitume, Gigi-la-blonde, une ancienne taularde, et la grande Lulu, sa régulière. Une chienne d'histoire pas piquée des estampilles, mon zigue, si tu veux tout savoir...
- Excusez-moi, pourquoi ressentez-vous le besoin de vous exprimer ainsi ?
- Ainsi quoi ? Tu crois qu'Dédé y t'la joue mariolle ?
- Non, mais ça, là ! Ce vocabulaire artificiel et désuet. Cet accent nasal complètement faux. Cette façon de vous exprimer en tordant votre bouche comme si vous aviez des végétations... tout quoi.
L'autre éclata de rire, mais on pouvait tout de même décerner une petite pointe de panique dans son hilarité forcée.
- Mais c'est ça, la jactance du pavé, mon pote ! L'argomuche de Ménilmuche ! La déblatérance du sirop d'la rue ! Que son Altesse m'pardonne si Dédé, y lui cause pas assez rupin comme aux pince-fesses de m'dame la sous-préfète. C'est comme ça qu'on cause, dans la rue, nous aut' les gagneurs, les mich'tons, les gars du mitan, les apaches de la Butte ! Des Lilas au Boul'Mich, c'est-y comme ça qu'on jacte, le cave ! Fiche-toi bien ça entre les estampilles, sinon, le morceau d'barbaque à cinq doigts, y pourrait bien terminer c'te conversation à ma place !
- Arrêtez un peu, s'il vous plaît. On est en 2012 là, et on vous croirait sorti d'un vieux film de gangsters ringard des années 50 ! Le dernier qui s'est essayé à parler comme ça, c'était même pas Gabin mais MC Jean Gab?, et c'était pas franchement une réussite. D'ailleurs, votre costume rayé, il sent encore la naphtaline et on voit bien l'adresse du loueur de fringues de théâtre où vous vous l'êtes procuré. Et puis, vous n'êtes même pas souteneur, vu que ça fait des décennies qu'il n'y a plus de prostitution de rue à Pigalle, juste des éros-centers qui vendent des sex-toys made in China à des couples bobos ! Et même ce bistrot, là, il n'existe pas. On ne trouve plus ce genre de rades dans le quartier : ils ont tous été remplacés par des bars branchouilles qui servent des mojitos et des pina coladas à 15 euros, aujourd'hui ! Et, tant qu'on y est, je ne vous ai jamais envoyé de télégramme. Je vous ai contacté par mail, et, tout à l'heure, vous m'avez confirmé le rendez-vous par texto. Tenez, je l'ai encore: « l rv cé o 36 ru L3p1c, lol ». Même qu'après, vous m'avez addé en friend sur votre Facebook pour pouvoir me poker sur mon wall !
Son interlocuteur jetait de frénétiques coups d’œil à gauche et à droite, manifestement gêné, et tapotait nerveusement sur la table tout en tirant des bouffées nerveuses de sa cigarette. Puis, d'un geste sec, il ôta son borsalino et le posa sur la table.
- OK, OK, c'est bon... Moi, je faisais ça pour vous rendre service. Pour que votre chronique ait un goût du vieux Paname populo, comme dans le film "Les Machines à sous", justement. Mais si vous voulez pas, j'insiste pas ! C'est vous le client, après tout.
- Justement, c'est d'autant plus toc que votre imitation d'André Pousse, elle ne vaut pas un clou. Pas plus que celles que l'on entend dans le film de Launois, d'ailleurs, puisqu'il date de 1976 et est censé se passer à la même époque. Plus personne ne parlait comme ça à la fin des années 70, et je ne suis même pas certain qu'on trouvait des gens s'exprimant ainsi durant la décennie précédente. C'est n'importe quoi, mon vieux !
- Ça, c'est à Bernard Launois qu'il faut le dire. Moi, je me contente juste d'essayer de créer une ambiance qui correspond à son film. Ce n'est pas moi qui ai écrit les dialogues et le scénario, je vous ferais dire !
Il soupira, tout en ôtant sa cravate et en déboutonnant sa chemise sous laquelle on pouvait deviner le haut d'un t-shirt "System Of A Down".
- Bon, avant qu'on parle du film proprement dit, vous avez besoin d'autre chose ?
- Et comment donc, espèce de mauvais citoyen ! Dois-je vous rappeler que le décret n° 2006-1386 du 15/11/06 sanctionne la consommation tabagique dans les lieux destinés à accueillir le public d'une amende de 68 euros ? Alors je vous prierai de vous mettre en conformité avec la législation sur la santé publique et de m'éteindre immédiatement cette cigarette, sale délinquant !
Laissez donc le portier vous ouvrir le chemin menant au Paname en toc de Bernard Launois.
Le propre d'une bonne idée, c'est d'être immédiatement chapardée pour être exploitée ailleurs. Dans le cinéma français, les exemples n'ont pas manqué. Qu'il s'agisse de la "curésploitation" des années 30 à 70, de la "Pagnolsploitation" consistant à faire raconter des blagues plus ou moins navrantes à des moustachus en les agrémentant d'un solide accent marseillais (un genre qui connut son apogée dans les années 40 et 50), ou encore de la "bidassesploitation" qui atteignit son zénith dans les années 70, les cinéastes hexagonaux n'ont jamais été les derniers à se ruer sur les formules lucratives du 7e art pour tirer quelques prébendes des créations originales d'autrui. Or, parmi ces sous-genres, qui ont certes connu quelques hauts mais surtout beaucoup de bas, on trouve un phénomène particulier, géolocalisé sur un Paris intra-muros plus fantasmé que réel et sa faune urbaine : la "Audiardsploitation". Parolier génial, dialoguiste inspiré (et cinéaste plus moyen, nul n'est parfait), Michel Audiard sut créer un univers particulier, fait de gouaille, de trouvailles rhétoriques puisant leur inspiration dans le parler populaire du Paris des années de l'après-guerre qui, portées par la voix de Gabin, Ventura, Pousse, Blier ou Belmondo, ont su transcender leur époque pour demeurer vivaces aujourd'hui encore, et probablement demain.
Un mac branché sur une ligne téléphonique : Paulot, c'est l'ancêtre de la freebox.
Évidemment, une fois le filon affleurant, les prospecteurs sans scrupules furent nombreux à s'y engouffrer. Et parmi ces cinéastes éco-responsables ayant à cœur de recycler les vieilles ferrailles usées des autres, on trouve nul autre que Bernard Launois. Toutefois, en 1976, Bernard Launois n'avait pas encore pactisé avec le Diable dans un bocage perdu de Normandie, ni transformé Sim en loup de mer avare et libidineux. Non. En 1976, ce Bernard-là était encore le Launois pornographe, celui de "Lâchez les chiennes" et des "Dépravées du plaisir" (alias "Le Gibier"). Et même si "Les Machines à sous" relève essentiellement du domaine du polar, la part de fesse n'en reste pas moins honorable. Cependant, que pervers et érotomanes révisent les classiques de l'auteur avant de s'imaginer que "Les Machines à sous" contenteront leurs désirs de stupre. En effet, à l'occasion d' "Il était une fois le Diable", Launois a démontré qu'il était infoutu de filmer une scène d'horreur ou d'angoisse correcte. Dans "Touch'pas à mon biniou" ou "Sacrés gendarmes", il s'est de même révélé dans l'impossibilité physique de mettre en boîte une situation comique digne de ce nom. Aussi, il serait donc vain de l'imaginer tournant quelques galipettes émoustillantes et efficaces dans ses "Machines à sous". La contribution de Launois à la pornographie se limitera donc à celle d'un réalisateur de troisième zone laissant sa caméra désespérément fixe, focale pointée sur les parties les plus inintéressantes de l'anatomie de ses acteurs (jambes, épaules, genoux...), pendant que ceux-ci simulent quelques glapissements désarticulés. Messieurs les fétichistes du genou, du nombril et des femmes sans têtes, ce film est fait pour vous.
Il est comme ça, Bernard. Il ne filme rien, mais en plus, il le filme mal.
Toutefois, qu'importe le néant pornographique, puisqu'au final, c'est le trou noir policier qui constitue la substantifique moelle de ces "Machines à sous". Enfin, polar, le terme n'est peut-être pas approprié puisque l'on verra en tout et pour tout un unique gendarme (même pas sacré) et que l'essentiel du film tourne autour d'une sombre histoire de vengeance dans le Paris interlope des années 1970. Un Paris où les hommes portent borsalino, costumes blancs, pompes bicolores et fines moustaches, où les gagneuses s'apostrophent comme des poissonnières en comparant les performances de leurs clients (« Ah, l'enfoiré ! Si t'avais vu l'mandrin qu'il a ! J'ai cru qu'il allait me défoncer. J'en ai encore les cuisses toutes ramollos », « Il doit pas avoir d'bobonne, ç'ui qui m'a dégorgé sur l'ventre parce qu'est-ce qu'il m'a envoyé comme paquet dans les gencives ! ») et où les tirailleurs sénégalais vont goûter de la fesse parisienne dans leurs beaux uniformes de l'armée coloniale (1976 ? La décolonisation ? Jamais entendu parler !).
Paulot, you la boum, c'est le chéri de ses dames.
Art scénique et vieilles dentelles.
Ce "Paris interlope" demeure néanmoins confiné aux IXe et surtout Xe arrondissements de la capitale, sans qu'à aucun moment ne soit visible un seul mur de Pigalle ou de la Rue Saint-Denis, pourtant hauts lieux de la prostitution de l'époque. Qu'importe : au réalisme géographique des fleurs de bitume, Bernard Launois a préféré substituer un Paris des cinéastes, un Paris intemporel du 7e art. Gigi, l'héroïne, traverse ainsi le Canal Saint-Martin à proximité de l'hôtel du Nord, près duquel Arletty se demandait jadis si elle avait une gueule d'atmosphère, franchissant le même pont dont se servira, près de vingt ans plus tard, Amélie Poulain pour faire ricocher des galets dans l'eau. Des pérégrinations urbaines qui se poursuivront rue Pierre Sémard, à proximité du square de Montholon, là où Norbert Moutier ouvrira sa boutique Ciné-BD alors qu'en fin de parcours, l'errance de Gigi la guidera aux alentours des dépôts de la gare du Nord, station ferroviaire au sein de laquelle Jean Rouch tournera le moyen-métrage éponyme sous les auspices de Barbet Schroeder.
Carné, Moutier, Jeunet, Rouch, Schroeder, Audiard : c'est tout le cinéma français passé, présent et à venir que Launois convoque sur les trottoirs mal famés de son Paname fantasmé, le tout sur l'air de la chanson "Machine à sous" (en écoute sur notre radio-blog) ânonnée respectivement par un imitateur assez convainquant de Serge Gainsbourg et un clone vocal de Jane Birkin qui chante mal (comme l'originale, donc).
Gigi est colère, Gigi est vengeance, mais d'abord, Gigi est soif.
Les premiers prototypes des horodateurs à cartes de la Mairie de Paris.
C'est donc dans ce Paris flou, saturé de vert, jaune et brun chiasseux que Gigi (Monique Vita, actrice classique passée à l'érotique, puis au porno hard), ancienne gagneuse, revient dans la capitale après deux ans passés en cabane, dénoncée par Paulot, son maquereau de l'époque, et bien déterminée à se venger de ce dernier. Une soif de revanche à l'origine d'un conflit sourd et douloureux au fond d'elle-même puisque ce désir de justice personnelle ne peut se départir des troubles sentiments que Gigi ressent pour le gouailleur et ténébreux Paulot. Et c'est bien normal, car Paulot, c'est le plus beau des maquereaux, le plus aristo des julots, le plus parigot des pégrillots.
Non seulement Paulot chie la classe, mais en plus il s'habille chez les plus grands.
Paulot, surtout, c'est Olivier Mathot, un habitué de chez Eurociné et du porno soft, venu ici se livrer sans retenue – et sans honte – à une furieuse imitation de Lino Ventura et d'André Pousse réunis. Parce que Paulot, il n'est pas seulement sapé comme un milord, ça non. C'est aussi un homme, un vrai, dont l'activité professionnelle consiste peut-être à mettre des filles sur le trottoir (enfin, UNE fille : l'entreprise à Paulot, c'est davantage de l'artisanat familial que de l'industrie lourde), mais qui n'en provoque pas moins des crises d'épilepsie chez ces dames lorsqu'il daigne les honorer de sa virilité boudeuse et populo. Attention, tout de même. Faudrait voir à pas lui clapoter dans les rouflaquettes à Paulot, parce que Monsieur a beau savoir se montrer seigneur, la mornifle elle est tout de même vite partie dès lors qu'on lui manque de respect.
Cette salariée fait part de sa souffrance au travail et signifie l'existence de troubles psycho-sociaux dans l'entreprise auprès de la direction des ressources humaines...
...laquelle lui adresse derechef sa réponse par recommandé avec accusé de réception.
Et ce n'est pas la grande Lulu, sa meilleure (et unique) tapineuse, ou Marcel, le patron du bistrot où le mac vient se jeter sa rinçade quotidienne dans le gosier, qui viendront contredire cette assertion. Un Marcel taulier d'ailleurs joué par son homonyme Marcel Portier, qui, quelques années plus tard, troquera son tablier de cafetier contre une casquette kaki et une veste de chasse assortie pour tenter d'abattre le cheval du Diable dans "Devil Story", toujours devant la caméra de Bernard Launois.
Woman : know your place !
Huit ans plus tard, Marcel Portier aura beau jeu de s'écrier "Je suis le maîîîître" face à un canasson diabolique et une momie égyptienne, mais en attendant, quand Paulot le chope par le colbaque, il baisse les yeux, le Marcel !
Le gars Paulot, c'est aussi un type qui a de l'ambition. Pour preuve : il passera près de la moitié du film à tenter de convaincre une petite provinciale montée à la capitale de michetonner pour lui, grâce à l'aide de sa complice Momo-la-mère-maquerelle volontiers bisexuelle, ce qui donnera prétexte à la seule scène lesbienne du métrage. Dieu merci pour la morale, l'innocente Bécassine échappera aux griffes de l'affreux souteneur et fuira à la recherche d'une vie meilleure à Maubeuge.
Les spectateurs de "Devil Story" ou "Touch' pas à mon biniou" le savent déjà, mais il n'est pas inutile de le répéter : Bernard Launois a une conception toute particulière de la gestion du temps qui passe dans ses films, pouvant étirer une scène sans intérêt au-delà du supportable, tout en maniant l'ellipse comme personne. "Les Machines à sous" n'échappe pas à cette scorie qui caractérise son cinéma. Si l'intrigue générale semble progresser par bonds de criquets sans qu'il soit réellement possible de déterminer combien de temps s'écoule entre deux rebondissements (ainsi Gigi ne semble passer qu'une nuit en ville à partir du moment de son retour, là où Paulot et ses complices paraissent disposer d'une bonne grosse semaine pour mettre la jeune provinciale sous leur coupe alors que les deux évènements se déroulent de manière concomitante), Bernard Launois profite des mètres de pellicule dont il dispose pour mettre en scène des séances de verbiage interminables en huis-clos, qu'il s'agisse des chambres des prostituées (en réalité, la même meublée différemment à chaque scène) ou du café de Marcel, véritable point nodal de son récit.
Gigi, trouble, vénéneuse et sensuelle. Mais trouble, surtout.
A l'exception des scènes pornographiques proprement dites qui ne présentent même pas l'intérêt d'être émoustillantes tant elles sont mal filmées dans des décors hideux, ce sont précisément ces longs moments hors du temps qui font tout le charme vénéneux des "Machines à sous". Les dialogues "à la Audiard" ont été évoqués ci-dessus, mais il demeure nécessaire de bien comprendre à quel point le grand Michel a pu servir de modèle au futur auteur des "Sacrés Gendarmes". En effet, il n'est pas UN dialogue qui n'ait été conçu comme une réplique argotique et définitive. Ainsi, au bistrotier qui lui fait observer « Alors, Paulot, c'est pas la grande forme ? », ce dernier, qui aurait pu, somme toute, lui répondre « ouais ! », « non ! », « bof ! », « mouarf ! » ou « comprends-tu, Marcel, la conjoncture actuelle et tout ce qu'elle présuppose de conséquences économico-sociales ne se prête pas vraiment à la gaudriole, d'autant que je viens de lire l'édito d'Alain Minc dans Le Monde. », préfère lui asséner en retour un cryptique : « Si t'as envie d'dégueuler, les goguenots, c'est au fond ». Lulu et Gigi se catfightent brutalement pour l'amour de Paulot ? La première ne manque pas d'apostropher la seconde d'un vibrant : « J'me suis pas masturbée pendant deux piges pour qu'une autre se fasse arrondir les fesses sur un gland qui m'appartient ! ». Inutile de recenser ces petits moments de bonheur sémantique, 100% des dialogues sont ainsi conçus au point d'en devenir surréalistes dans leur volonté manifeste de coller au plus près de ce que l'auteur estimait probablement constituer "l'esprit" du dialoguiste des "Tontons flingueurs". Magie, enchantement, merveilles, prodiges thaumaturgiques et pluie d'étoiles filantes au cœur d'une nuit obscure. Merci, Bernard !
Paulot : le crépuscule d'une crapule.
Dédé avala son quatrième mojito-suze de la soirée et reposa bruyamment son verre sur la table.
- Alors ? Il est content l'rupin ? Il a eu son histoire de vice, de surin, de p'tites pépées et d'marlours en goguette ?
- Attention ! Vous recommencez, là !
- Ah, oui, pardon. Autant pour moi. C'est vrai aussi que lorsque je prépare un rôle de composition, j'ai tendance à me jeter à corps perdu dans le personnage, à la limite de l'immersion totale, voire de la schizophrénie. On apprend ça, au Cours Florent. Je ne vous ai pas dit que j'ai fait figurant sur "Le Baltringue", avec Lagaf ? Le troisième flic en partant de la gauche dans la scène de l'arrestation des méchants, et bien, c'était moi !
- Ouais, ouais, ouais... Je suis très content pour vous. Mais pour en revenir à nos moutons, que se passe-t-il à la fin ? Gigi se venge-t-elle cruellement de son ancien souteneur, telle une Némésis des pissotières, une amazone des sanisettes Decaux, pour lui faire payer toutes ces années d'esclavage et d'humiliation ?
- Vous voulez le savoir ? Vous voulez VRAIMENT le savoir ?
- Un peu, mon neveu !
- Vous avez vu "Devil Story", pas vrai ? Vous vous souvenez du twist final ? Le retournement de situation en mousse que tout un chacun attendait mais qui n'en restait pas moins aussi incompréhensible que consternant ?
- Évidemment !
- Alors dites-vous que la surprise finale s'inscrit parfaitement dans la même logique. Tous les spectateurs sentent venir ce dénouement en carton et, pourtant, tous sont estomaqués que Bernard Launois ait quand même osé tourner un final pareil !
- Noooon ?
- Hé, hé... si ! Et d'ailleurs, pour paraphraser Audiard, le vrai : les gens comme Bernard Launois, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît !
Pouce en l'air, Paulot !
Cote de rareté - 7/ Jamais Sorti
Barème de notationLa seule indication qu'on peut trouver au début du film est le logo d'une société, SEDIMO, qui s’avère être une discrète boîte de distribution ciné responsable par ailleurs de l'importation en France dans les années 70 du "Blob Danger Planétaire" avec un Steeve McQueen débutant et de "Spider, l'horrible invasion", autant dire des gens d'un goût affûté. L'option d'un screener filmé à même l'écran tient donc la route et demeure pour l'instant le seul moyen de voir le film.
Dernier détail, cette version n'est même pas le film d'origine, mais une nouvelle version classée X. En effet le film est ressorti quelques années plus tard caviardé d'inserts hards (parfois joués par certaines actrices secondaires du film) sous le nom de "Sex Hôtel", au grand dam de Launois qui jure ses grands Dieux n'y être pour rien et n'avoir jamais mangé de ce pain (de fesse) là !
En attendant bien sûr que "Sheep Tapes" veuille bien nous sortir un coffret collector avec "Devil Story" et, allez soyons fous, "Lâchez les chiennes" du même Launois...