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Twisted Pair

(1ère publication de cette chronique : 2021)
Twisted Pair

Titre original : Twisted Pair

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Neil Breen

Producteur(s) :Neil Breen

Année : 2018

Nationalité : Etats-Unis

Durée : 1h29

Genre : L’appart’ des ténèbres

Acteurs principaux :Jason Morciglio, Sara Meritt, Siohbon Chevy Ebrahimi, Denise Bellini, Neil Breen

Drexl
NOTE
4/ 5



Son précédent pamphlet, Pass Thru (2016), s’achevait sur la vision saisissante et pour le moins inquiétante de Neil Breen marchant sereinement, nimbé d’une lumière élégiaque, entre deux charniers de méchants corrompus tués par ses soins. Partant, le film nous laissait avec ces questions sans doute un peu naïves : l’ego artistique incommensurable de Neil Breen n’aurait-il pas atteint une sorte de limite conceptuelle ? Comment cette soif d’absolu et de justice, présente depuis ses débuts et frappée d’une frénésie meurtrière galopante, peut-elle dépasser ce cap du génocide de plusieurs centaines de millions de personnes pour le bien de l’Humanité ? Ne serait-on pas arrivé au bout d’un cycle, finalement ? Ces doutes trahissent un manque de foi inexcusable dans le prophète autodidacte de Las Vegas, en ses capacités à tourner en rond jusqu’à s’enfoncer dans le sol et chatouiller le centre de la Terre creuse. Avec son cinquième long-métrage, Neil Breen trouve un antagoniste à sa hauteur : lui-même.

Science sans conscience n'est que gémellité du trouble endogène.

Soit deux frères jumeaux, Cade et Cale Altair, transfigurés en créatures humanoïdes hybrides, en intelligences artificielles robotiques dotées de super-pouvoirs. Vous pensez, benoîtement, que l’association de ces mots n’a pas grand sens ? Préparez-vous au gang-bang de votre scepticisme dès la 13e minute, avec cette scène surréaliste de réunion secrète d’officines gouvernementales mal identifiées, au cours de laquelle des comédiens exécrables ne vont avoir de cesse de se balancer au visage des expressions valises aussi nébuleuses que « Digital parallel universe », « Programmed virtual reality », « Deep learning neural network » ou « Programmable DNA » d’un air extrêmement grave, en insistant bien sur chaque syllabe. Pour appuyer son discours paranoïaque sur la technologie, Neil Breen favorise dans cet opus les stock-shots de scientifiques tournant autour de modélisations 3D, les vues de caméras de surveillance à reconnaissance faciale. Le monde s’abandonne à l’aliénation futuriste, mais heureusement, Neil Breen veille au grain.

Neil Breen dépasse le stade du stock-shot pour s’y intégrer et devenir stock-shot lui-même.

Dans ce mélange si spécifiquement ronge-crâne de boucles musicales interminables, de séquences génériques au possible tirées de banques d’images au rabais et de voix-off ahanée de sa voix robotique, Neil Breen nous explique que les deux frères ont été choisis par une entité pour combattre le Mal et défendre le Bien. Cade s’est acquitté vaillamment de la tâche, son frère Cale, moins performant, fut relevé de ses obligations et disparut dans la nature. Vient alors ce qu’il faut bien appeler une scène d’action, qui fit dire à un Labroche en plein Syndrome de Stockholm : « C’est son film le plus abordable, c’est un peu son Avengers, quelque part ».

Tremble, Joss Whedon.

Grâce à sa passion franchement coupable pour les fonds verts, Neil Breen se fait faire un bond de cabri stéroïdé dans les derniers étages d’un bâtiment. Nous y découvrons des militaires figés l’arme en avant, auprès desquels notre héros s’incruste dans tous les sens du terme. Il les dépasse, les invite à le suivre, bouclier humain poursuivi par des explosions numériques hideuses accompagnées du même bruitage répété beaucoup trop rapidement. Les détonations finissent par envahir toute l’image, tous les sens. Neil Breen fige de nouveau deux militaires, arrive dans l’image pour les protéger, avance à deux à l’heure alors que la boucle de bruitage intempestive n’a toujours pas cessé. A peine dix minutes au compteur et le film fait déjà saigner les yeux et les oreilles, sans même parler de l’extraordinaire confusion qu’il suscite.

Neil Breen ne fait qu'un avec cette créature créditée au générique comme l'Astro-Eagle.

Dans le jet privé qui le ramène au bercail pour son rapport, Cade Altair a cette pensée : « C’est l’avantage d’être seul. Je n’ai pas besoin des forces spéciales, je suis l’arme ». Malgré cette toute-puissance et sa réussite impériale dans n’importe laquelle de ses missions, Cade ne peut s’empêcher de penser à son jumeau, Cale, la nuit, dans des amphithéâtres vides. Quelques scènes plus tard, le voilà dans la rue, les yeux rivés sur son téléphone et il faut le souligner : Neil Breen ne parvient pas à marcher naturellement. Il compte visiblement ses pas, ralentit son rythme pour bien bousculer sa partenaire de jeu avant de se confondre dans un flot d’excuses dont ne voudrait pas une télénovela. Suivent alors cinq minutes parmi les plus déroutantes du film, ce qui n’est pas peu dire. Cade suit la jeune femme jusqu’à son domicile, s’introduit chez elle et s’engage dans une lutte émaillée de quelques « Bitch. » assénés avec une froideur de sociopathe. Un tableau brisé plus tard, et la vérité éclate : tout cela n’était qu’un jeu de rôle entre les deux tourtereaux !

Self-defense avec un tableau moche.

En réalité, tout cette scène sert de base branlante à un parallèle avec le couple formé de Cale et sa petite amie. Les habituels problèmes de ton des films de Neil Breen rendent la démarche peu lisible : le moment supposément charmant avec le bon jumeau est filmé et monté de façon totalement angoissante pendant cinq longues minutes, tandis que les engueulades sinistres du mauvais jumeau sont expédiées, exécutées platement avec des bruitages de coups venus de cartoons. Tout en sachant qu’avec son incarnation du barbichu Cale Altair, l’auteur demande à son public l’un des plus gros efforts de sa filmographie en termes de suspension d’incrédulité.

Et quelque part, c'est ça, la magie Breenienne : concentrés sur ces postiches, on remarque moins l'incrustation dégueulasse.

Oui, Cale est vivant et bien vivant, et il torture et tue des vilains corrompus parce qu’on ne se refait pas, jamais, surtout pas chez les cinéastes indépendants de Las Vegas. Entre deux séances de sadisme, il se came et se bat avec sa pauvre compagne. Les deux frères élus parviendront-ils à passer outre leurs différences pour faire triompher l’amour, la justice et les anges ? Rien n’est moins sûr. La suite de l’intrigue navigue dans un éther indéfini de techno-thriller vaguement conspirationniste dans sa façon d’appréhender les nouvelles technologies. Des figurants impassibles arborent des casques VR, disparaissent mystérieusement au bon vouloir de notre héros / réalisateur / scénariste / acteur principal / directeur musical / monteur / directeur de la photographie / production manager.

Neil Breen ne serait pas Neil Breen sans un peu de justice expéditive.

Techniquement, il est indéniable qu’il y a du mieux par rapport aux aberrations visuelles de Pass Thru, mais Neil Breen part de tellement loin que la base de comparaison ne saurait être considérée comme vraiment fiable. La facture formelle passe de l’amateurisme le plus total au simple dilettantisme. Le rendu global gagne en cachet, mais il y a toujours ces mêmes problèmes de son dans certaines scènes enregistrées en prise directe, ce montage donnant l’impression de regarder un film d’une entreprise qui n’existe pas et n’existera jamais, cet abus souvent inexplicable des fonds verts. La masterclass de 5 heures qu’il vend à prix d’or (160 dollars pour commander deux DVDs gravés avec un sticker dessus, sans boîtier) confirme que Neil Breen agit en pur autodidacte. Il se considère comme un professionnel parce que tout est carré d’un certain point de vue administratif, mais sa méthodologie de confection, révisée de film en film, trahit non seulement son inexpérience, mais son refus d’apprendre quoi que ce soit autrement que par ses propres tâtonnements.

Après la moustache d'Henry Cavill, les bras de Neil Breen.

Cet acharnement, cet entêtement, cette absence totale de recul se retrouvent décuplés dans son jeu. Ce n’est même pas tomber dans l’hyperbole qu’affirmer que Neil Breen est l’une des présences à l’écran parmi les plus étranges de tous les temps. Tout à la fois embarrassé et d’une extrême arrogance, vide de toute émotion et pénétré à l’extrême par chacun de ses mots, sa façon même d’occuper l’espace ne résonne avec rien de connu. Il n’aime rien tant que se figurer en être supérieur, et si cet égocentrisme a la plus grande peine à se transcender artistiquement, regarder Neil Breen revient à observer un extraterrestre tenter de reproduire le comportement humain. Les autres comédiens ne sont que des marionnettes au débit atone, généralement figurées et éclairées n’importe comment.

Un businessman corrompu qui n'arrive pas à se placer au bon endroit pour la lumière.

Un autre antagoniste, qui ne se déplace jamais sans sa coupe de diamants qu'il aime tant caresser.

Le fond se nourrit toujours de cette vision manichéenne du monde avec ces sempiternels cols-blancs corrompus, ces gangsters d’opérette, ces machinations foireuses des grandes institutions. Le personnage de Cale pourrait apporter de la nuance, une sorte d’aveu que se débarrasser brutalement des pourris, en un écho déstabilisant aux fantasmes de pendaison des sympathisants de Qanon, n’est peut-être pas forcément la meilleure solution. Que nenni : dans une scène méta au délicieux fumet de mégalomanie tranquille posée, un ange profite d’un home cinema pour diffuser ce plan de Pass Thru dans lequel Neil Breenounet marche entre deux charniers. Une image décidément cruciale dans sa filmographie.

Un ange passe et se mate Pass Thru à la fraîche.

En 2019, après des négociations particulièrement brise-burnes entre Neil Breen et un programmateur pourtant résistant à la douleur, Twisted Pair fut diffusé en film d’ouverture de la Nuit Nanarland, face à un public qui pensait être prêt, qui jurait en avoir vu d’autres. Très rapidement, des hurlements ont jailli de toute part. Pas des vannes lancées à la cantonade ou des quolibets, non, des hurlements. Pour qui n’y est pas un minimum préparé, la grammaire filmique Breenienne se montre corrosive, attaque le système nerveux. Faute d’acceptation véritable (impossible pour qui a déjà vu ne serait-ce qu’un seul film avant cela), un relâchement s’opère. La garde baisse, il y a une tentative de rationalisation, de négociation permanente avec cette réalité d’outre-espace. Vécu à un niveau collectif, l’expérience se transforme en folie absolue. Les trois autres films de l’édition 2019 de la Nuit Nanarland étaient de grande qualité, des crus nanars irréprochables. Le fait est que deux ans après, les 2700 spectateurs présents ce soir-là au Grand Rex les ont oubliés et ne se souviennent que de Twisted Pair.

- Drexl -
Moyenne : 3.61 / 5
Drexl
NOTE
4/ 5
John Nada
NOTE
4/ 5
Rico
NOTE
4/ 5
Barracuda
NOTE
4/ 5
Kobal
NOTE
4/ 5
Wallflowers
NOTE
2.5/ 5
Zord
NOTE
2/ 5
TantePony
NOTE
4/ 5
MrKlaus
NOTE
2/ 5
Jack Tillman
NOTE
4.25/ 5
Labroche
NOTE
5/ 5

Cote de rareté - 4/ Exotique

Barème de notation

Neil Breen ne change pas de méthode et vend lui-même son film sur le site www.twisted-pair-film.com au prix légèrement abusif de 40 dollars. Mais si on en croit les avis du public que Neil Breen a relevés lui même sur son site de vente, ça les vaut largement !