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Le Black

(1ère publication de cette chronique : 2022)
Le Black

Titre original : Le Black

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Alain Carville

Année : 1993

Nationalité : France

Durée : 1h22

Genre : Film noir

Acteurs principaux :Henri Guybet, Marion Game, Julie Caignault, Bass Dhem

Hermanniwy & Barracuda
NOTE
3/ 5

A Nanarland, on n'est pas choqués facilement, mais on se retrouve parfois bien embêtés. Dans notre exploration sans fin du cinéma improbable, nous nous aventurons régulièrement dans les bas-fonds de l'exploitation la plus crapoteuse avec l'aplomb de vétérans blanchis sous le harnais. Mais on tombe parfois devant un film qui exige des précautions dignes d'un après-midi urbex dans les décombres d'un laboratoire de guerre biologique soviétique.  

Ta tête pendant le visionnage.

 
Tout ça pour dire qu'on ne s'attendait pas à ce qu'une banale comédie de mœurs avec Henri Guybet (La 7ème compagnie et plus généralement une très longue et prestigieuse carrière dans la comédie française), Marion Game (Scènes de Ménages et Plus belle la Vie, mais aussi une carrière touche-à-tout allant du théâtre au doublage) et Julie Caignault (Isabelle de Premiers baisers) demande un avertissement au lecteur plus longue que le corps de la chronique. Voire même une chronique qui ne soit qu’un grand avertissement au lecteur.

Que ce soit nul ça oui on s'en doutait, on était même un peu venus pour ça.

Que ce soit aussi épouvantablement raciste on ne pouvait pas l'imaginer.

Réplique précédant ce plan : "[Les Parisiens ?] Paraît qu'il y en a encore quelques-uns dans le 17ème."
 

Nous sommes en 1993. Alain Carville a visiblement décidé de régler son compte à la bête immonde. Avec lui, il a la fine fleur de deux générations d'acteurs comiques pour un film qui sera à l'immigration africaine ce que Rabbi Jacob est à la communauté juive.

Il rate sa cible, mais alors de tellement loin que s'il avait tenu le flingue, Tupac serait encore en vie. Ce n'est plus un dérapage, c'est un combo tête-à-queue, barrière de sécurité défoncée, quatre tonneaux et les sirènes du SAMU au loin.

C'est assez délicat d'expliquer comment le racisme débridé peut ainsi participer au plaisir du visionnage, et pour cela il faut garder en tête que la nanardise naît avant tout du décalage entre les intentions et le résultat. Le Black n'est pas une comédie *vraiment* engagée contre le racisme, mais on est tout de même dans le registre téléfilm gentil, où tout le monde est aimable et se réconcilie à la fin. Et le décalage entre cette intention et le déferlement de beauferie auquel on assiste sous couvert d'humour forme un gouffre, un canyon, une année-lumière. Si le film avait délibérément essayé d'être raciste, il ne serait pas drôle ni au premier ni au second degré.

Autant vous dire que Le Black est un excellent film pour diviser vos amis en trois groupes : ceux qui auront assez de recul pour piger la blague et qui mériteront leur sceau de chevaliers du second degré, ceux qui seront (légitimement) heurtés et vous renverront désormais sur messagerie, et ceux (rares, on espère) qui riront au premier degré et que vous pourrez désormais renvoyer sur messagerie. 
 
Ah, et tant qu'on y est, signalons que c’est un peu sexiste aussi parce que au point où on en est... autant rajouter des pépées.

Enfin ce que vous attendiez tous ! Du sexisme, mais sans nudité ! Idéal pour bader avec les enfants et le curé !

Le Black, au départ, c'est un téléfilm avec une réalisation de sitcom AB, le genre de comédie plan-plan produite au kilomètre, partant d'un choc culturel pour finalement inviter les personnages et les spectateurs à dépasser leurs différences pour vivre ensemble en harmonie. Imaginez Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu, époque Cocorico Cowboy et biscuits Bamboula. Henri Guybet donne son surjeu habituel de théâtre de boulevard, c'est du tout-terrain : qu'il joue On purge bébé ou qu'il rabbijacobe dans la joie, avec Guybet on sait ce qu'on achète, c'est une valeur sûre.

La différence avec le tout-venant, c'est donc, vous l'avez compris, que Le Black tente de désarmer les préjugés racistes depuis un point de vue “non racisé” en enchaînant les clichés les plus ringards, les plus éculés, les plus infâmes à 600 coups par minute en rafale, sans contradiction ni distance. Une technique de tir assez peu conventionnelle, qui a marché exactement une fois dans l'histoire du cinéma, et encore : dans La Cage aux Folles.  

Sorti en 1993 (soit 1 an avant le parc "Le village de Bamboula", quand on vous dit que les années 90 étaient une époque sauvage et étrange) on ne sait pas grand chose sur la genèse du Black.  Inconnu d'IMDB, il est réalisé par Alain Carville, auteur ou scénariste de plusieurs films dont Comment draguer tous les mecs en 1984, sur un scénario écrit à l'origine pour Louis de Funès d'après la fiche presse du film. Le Black est visible sur la chaîne Youtube d'Alain Carville, sans que nous ayons pu déterminer s'il avait connu une sortie en salle ou même une diffusion TV.  

Le film démarre sur les chapeaux de roue du petit train de la gêne, avec un générique illustré gaiement par une première blague impliquant un balayeur noir paresseux.

Pour être honnête, on a d'abord droit à des plans de "gens de couleur assortis" sur un marché.


On embraye ensuite dans le corps du scénario, et le décor AB Prod chatoie rapidement de toute sa bavitude (bon, en travaillant à partir d’un vieux rip pourrave on peut rien dire, sinon que tout cela est très beige). La BO est assez remarquable, étant composée de bruits d'animaux et d'airs tirés d'une compil' "130 morceaux africains interchangeables pour mettre une ambiance colorée quand un noir apparaît à l'écran dans vos films".

Henry Guybet est Antoine Pichon, notre héros, ce qui n’arrive pas assez souvent, je trouve. Directeur d'une agence bancaire, il est promu à Paris après un pot de départ raté (on lui offre un t-shirt de groupe de métal trop petit, ce qui est un peu drôle).

Il revient donc s'installer avec sa femme et sa fille dans l’appartement de ses beaux-parents. Appartement en duplex qui ressemble furieusement à un maison de campagne, mais passons. 

Ceci est un appartement. Mettez-y du vôtre.

Le choc est rude pour nos néo-citadins car le quartier a bien changé depuis leur dernier séjour : il y a des immigrés partout maintenant ! Et dans l'immeuble c'est pareil, que des Africains, des Arabes et des Asiatiques ! Oh la la, qu'est-ce qu'on va rigoler ! 

Le corps du métrage est ensuite occupé par une intrigue qui tient d’Apollinaire, de Molière, du MRAP, des surréalistes et du vin La Villageoise.  

Une somme d’argent est confiée à Antoine Pichon/Henry Guybet par son directeur régional, Monsieur Pinguin (un irrésistible running gag fait qu’on l’appelle Pingouin ou Manchot, excusez-moi je vais rire par la fenêtre et je reviens). Pichon, embobiné par une vidéo truquée par le petit ami de sa fille déguisé en marabout, se sert du grisbi pour accomplir une série de rituels particulièrement colorés ayant pour but ultime de gagner au Loto. Les gains serviront à rembourser l'argent emprunté à Pinguin et on gardera le reste, youpi !

Le marabout win la Game.

On commence par bénir la soupe à l'eau.

Et on termine à faire la danse des nanars dans le salon.

Mais l’argent piqué par le marabout sert en réalité à financer un prêt refusé par la banque à la communauté du quartier... Comment donc arriver à rembourser ?  

Parallèlement, la fille unique de la famille découvre la vraie vie comme une bourgeoise d’Auteuil lâchée en plein Teknival. Séance au dancing, apprentissage du tam-tam sur les quais de Seine, ça s’encanaille dur.  

Découverte adolescente de l'altérité ?

Ou transformation lente en rasta blanc ?


En tout cas, ce personnage est un éternel réservoir à mode des années 90, et Julie Caignault a ramené ses atours d'or et de lumière de chez Poivre Blanc.

A notre grand regret, Marion Game n’a quand à elle ni arc narratif ni enjeux personnels : elle reste confite dans un rôle d’épouse parfaitement figé, à faire la cuisine et à donner la réplique aux autres. Quel gâchis. 

Marion, tu méritais mieux.

Même quand son mari rentre avec une trace de rouge à lèvres sur la joue, personne ne réagit et on doit monter le gag nous mêmes dans nos têtes. Outrage ! Scandale !

Quand on regarde Le Black, on est constamment partagé entre le choc face au racisme échevelé (et non, même en 93, ça ne passait pas) et l'hilarité franche face à sa ringardise totale. On finit dans une espèce de prostration hébétée, priant pour que ça s'arrête mais en même temps curieux de voir si la prochaine scène peut être encore pire que la précédente. Spoiler : elle peut. 
 
Après tout, la vanne sur le muezzin du quartier qui réveille les bons catholiques avant l'aube ("Ils ne peuvent pas aller à la messe comme tout le monde ?!")...

...a été battue par le sauvetage du cochon bloqué dans la baignoire de la voisine en boubou...

...avant d’être coiffée au poteau par le gag du poulet vivant offert en cadeau...

...puis détrônée par l'arrivée du Chinois offrant un chien à la pendaison de crémaillère (verbatim : "Moi offrir pour vous chien très bon ! Vous pas faire bouillir, mais faire rôtir ! Avec haricots rouges et riz ! Une heure et demie, pas plus !").

Le maraboutage du tirage du Loto devant la télé avec gris-gris et invocations qu'on pensait toucher le fond est encore dépassé quelques minutes plus tard par Henri Guybet se livrant à une démonstration de danse traditionnelle africaine en costume. Qu'est-ce que la prochaine scène va encore nous infliger ? 

Comme signalé plus haut, il serait injuste de réduire Le Black au racisme primaire : le sexisme primaire y a aussi toute sa place, notamment lors d'une très bizarre scène de passage de témoin entre l'ancien directeur de l'agence et Henri Guybet, où le premier révèle en gros qu'il a fait de l’agence son harem personnel, sous le regard sincèrement déçu d'Henri Guybet, qui se dit qu'il a été bien bête de ne pas en faire autant chez lui, et celui sincèrement lubrique des conseillères qui ne voient pas d’inconvénient à passer d’un patron à l’autre comme un droit de cuissage inscrit dans la convention collective des banques et assurances.

Avant de conclure on est forcés de se poser la question qui fâche : peut-on vraiment rire du racisme tel qu'il s'étale ici ? Dans l'absolu nous pensons que oui. Moquer la bêtise et la haine est un ressort des plus communs de l'humour mais il est évident que, comme dit le poète, on ne le fera pas avec tout le monde. On peut rire de l’effroyable niveau des gags comme on peut se lamenter de constater que finalement, 25 ans après, on retrouve les mêmes martingales consternantes dans les posts Facebook et les blagues de fin de banquet des tontons rastons.

Un voisinage normal en Ile-de-France, vu par votre cousin qui n'a jamais quitté Sarreguemines.

D’ailleurs, doit-on rire d’un nanar ? Le rire n’est il au final qu’une réaction parmi d’autres pour exprimer sa surprise, sa gêne face au décalage d’un film ? Il n'y a pas que les films d'horreur qui vous donnent envie de vous cacher la tête derrière vos mains. A Nanarland, ce réflexe nous vient souvent d'un extrême embarras causé par le spectacle qui s'étale devant nos yeux. Et rarement un film nous aura autant fait ressentir cette honte par procuration que Le Black. Revendiquons ici le droit à ce sentiment de gêne coupable et participative si particulier, à ce sentiment de honte gourmande que les internets nomment “le cringe”.  Après, il faut tout de même se demander qui va s’infliger ce film pour la cause. Y-a-t-il tant de fans que ça qui viennent uniquement pour le surjeu perpétuel d'Henry Guybet ?

En tout cas y'a nous.

D'un côté, si les "blagues" du film sont le genre de chose que vous vous prenez en pleine face régulièrement, je vous dirais de passer votre chemin et de laisser Le Black dans l'oubli où il végète déjà à juste titre. Et à l'inverse, si ces mêmes blagues sont du genre de celles que vous pourriez faire vous-mêmes, je vous inviterais cordialement mais fermement à aller vous faire foutre.

Note de Nanarland : Nous avons brièvement échangé avec Eric Cayron, qui a travaillé comme chef op’ et monteur sur Le Black. Il nous confirme que le film a été produit vers 93/94, avec un mois pour les prises de vues (essentiellement dans une maison à Melun, en Seine-et-Marne), suivi d’un mois de post-production. « C’était purement alimentaire, j'avais besoin de fric. Alain Carville était content de m’avoir car il cherchait une sorte d'homme à tout faire, et moi je pouvais faire le cadre, la post-prod’, je pouvais me débrouiller pour louer une caméra et un banc de montage pour pas trop cher, ce qui l’arrangeait bien. Alain Carville ne connaissait pas très bien son métier [de réalisateur]. C’était quelqu'un qui avait visiblement du relationnel, ce qui explique qu'il ait pu faire un film avec des comédiens comme Henri Guybet, Marion Game etc. mais il n’était pas très compétent. Je doute d’ailleurs qu’il ait persévéré dans le métier. » Eric Cayron nous confirme également l'influence de Black Mic Mac (1986) sur Alain Carville, Le Black ayant souvent des allures de rip off maladroit du film de Thomas Gilou.

- Hermanniwy & Barracuda -
Moyenne : 2.20 / 5
Hermanniwy & Barracuda
NOTE
3/ 5
Hermanniwy
NOTE
3/ 5
Peter Wonkley
NOTE
1/ 5
Kobal
NOTE
2.5/ 5
Wallflowers
NOTE
1.5/ 5

Cote de rareté - 7/ Jamais Sorti

Barème de notation

Nous avons eu toutes les peines du monde à trouver des indications fiables ou du matériel promotionnel pour ce film. La preuve : nous ne disposons pour l'illustrer que d'une unique affiche façon pièce de café-théâtre en résolution timbre poste.

Est-il jamais sorti au ciné ? A la télévision ? Il semble que Le Black ait à l'époque été acheté par M6 (ce qui ne veut pas dire qu'il ait été diffusé). Notons qu'à l'époque (1990 et 1992) venaient de sortir des décrets qui imposaient la diffusion d'au moins 40% de production française par les chaînes de télé, ce qui nous a valu entre autres l'inénarrable télé-roman français en 385 épisodes Voisin, voisine sur La 5 de Berlusconi. De là à penser que Le Black aurait pu être commandée dans ce contexte... De fait, une bonne partie de l'oeuvre d'Alain Carville – pourtant forte de thrillers avec des acteurs un peu connus, de documentaires sur le sport, la musique ou la vie de Jésus – demeure complètement ignorée en dehors de sa chaîne Youtube. Carville lui-même semble s'être d'ailleurs reconverti dans le transfert vidéo de vos films de vacances du côté de Melun.

Encore un artiste qu'on baillonne !