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Noni - Le fruit de l'espoir
(1ère publication de cette chronique : 2024)Titre original : Noni - Le fruit de l'espoir
Titre(s) alternatif(s) :Aucun
Réalisateur(s) :Alain Williams
Année : 2020
Nationalité : France
Durée : 1h20
Genre : Nanar, crimes et botanique
Acteurs principaux :Robert Hossein, Sylvia Pouget, Raghunath Manet, Emma Zimmermann, Igor Bogdanoff, Grichka Bogdanoff, Cyrille Pien, Eva Chetboun, Candice Berner, Jean-Louis Tribes
Dans le système pénal cinématographique, le ministère public est représenté par trois groupes distincts, mais d’égale importance : la police, qui enquête sur les crimes, le procureur, qui poursuit les criminels, et Nanarland, qui note les films. Voici leurs histoires.
Comment un film semi-amateur qu'on dirait réalisé par une secte antivax en Ardèche peut se retrouver à faire la une des journaux à la rubrique police-justice ? Que s'est-il passé pour que Igor et Grichka Bogdanoff, deux des plus grands esprits scientifiques de notre temps*, se retrouvent ainsi renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris aux côtés de l'avocat de Francis Lalanne et du réalisateur des clips de Samy Naceri ? Et qu'est-ce que Robert Hossein vient faire dans cette affaire ? On n'a pas encore commencé le visionnage de Noni le fruit de l'espoir et déjà les questions s'accumulent, et pas le genre qu'on est habitué à se poser devant une simple affiche. Nous allons nous efforcer d'y répondre...
*Description non contractuelle
Hé là, qui va là ?!
Noni le fruit de l'espoir fait partie de ces films que nous avions dans le viseur dès la sortie de sa bande-annonce. Une production visiblement fauchée, la présence incongrue de Robert Hossein et des frères Bogdanoff, un échantillon de jeu d'acteur amateur, n'en jetez plus, notre intérêt était éveillé.
Le rebondissement est intervenu quand, avant même d'arriver en salles, Noni est arrivé dans les prétoires. La presse s'est faite l'écho de très graves accusations d'escroquerie sur personne vulnérable entourant la production du film, des faits qui auraient même joué un rôle dans la mort d'un homme, Cyrille Pien, le financier du film, qui s'est suicidé en 2018.
Découvrir les dessous d'un nanar ne le rend pas forcément plus drôle – a fortiori ici où les coulisses impliquent un décès et des soupçons de magouilles particulièrement sordides – mais cela jette un éclairage intéressant sur les éléments les plus incongrus qui défilent à l'écran.
Exemple d'élément incongru à l'écran. Que vient faire ici Raghunath Manet ? Ce musicien, compositeur et danseur Indien a notamment travaillé avec des pointures de la musique comme Michel Portal, Archie Shepp, Didier Lockwood, Richard Galliano, Gilberto Gil, ou encore la danseuse chorégraphe Carolyn Carlson. Sa présence dans Noni s'explique par le fait qu'il compte parmi les clients de l'avocat Jean-Luc Chetboun, dont nous allons reparler.
Avant d'aller plus loin, précisons que toutes les personnes mentionnées ici ont été acquittées par le tribunal correctionnel de Paris des accusations portées contre elles. Elles sont toutes innocentes au regard de la justice, sans aucune ambiguïté. Au regard de la cinéphilie, c'est évidemment une autre paire de manches.
D'où viens-tu, Noni le fruit de l'espoir ? D'après l'accusation, le film n'était qu'un prétexte pour un petit groupe de demi-mondains parisiens pour soutirer de l'argent à Cyrille Pien, un riche héritier et homme d'affaire souffrant de plusieurs maladies psychiques avérées, particulièrement vulnérable à une époque où il avait cessé ses traitements. D'après les personnes mises en cause et finalement acquittées, il s'agissait d'un projet-passion que Cyrille Pien tenait absolument à porter avec elles.
Pratique : les feuilles posées devant soi quand on a du mal à apprendre son texte.
Tout cela nous donne au final un des castings de seconds rôles les plus improbables jamais vus sur Nanarland, ce qui n'est pas peu dire.
Le réalisateur du film, c'est Alain Williams, réalisateur de clips tous plus nullards les uns que les autres (notamment un à pisser de rire avec Samy Naceri qui chante*) dont il s'agit du seul et unique long-métrage. Au casting, on retrouve quatre des acquittés : d'abord les jumeaux Igor et Grichka Bogdanoff, animateurs entre 1979 et 1987 de l'émission Temps X, un programme qui contribua à l'époque à légitimer et faire connaître la science-fiction au grand public. Plus récemment, leur image avait été écornée par une intense controverse autour de la validité de leurs travaux scientifiques et des critiques acerbes de leurs ouvrages de vulgarisation. Ils s'étaient finalement tournés vers l'art lyrique*, d'abord en 2015 avec la chanson Bogda, Bogda, Bogdanoff !, tentative malheureuse de tube de l'été conçue avec Cyril Hanouna, et en 2020 avec une participation à Mask Singer où ils furent éliminés dès le deuxième prime.
*Description non contractuelle
[Voix de Cyril Hanouna] Bogda Bogda Bogdanoff !
Ensuite il y a Alban de Jong, ancien gendarme, sophrologue parfois appelé "l'hypnotiseur des stars*" qui s'était fait connaitre dans les années 1990 en collaborant avec la justice sur plusieurs affaires où il hypnotisait des témoins pour faire rejaillir leurs souvenirs – une pratique qui a fini par être invalidée par la Cour de Cassation. Il participe aussi à une télé-réalité de M6 en 2005 Paranormal, ils ont tenté l'expérience !
*Description non contractuelle
Alban de Jong tient un petit rôle de médecin qui utilise le Noni pour soigner le cancer d'un enfant en 10 minutes.
Enfin il y a Jean-Luc Chetboun, "avocat des stars*", représentant ou ayant représenté les intérêts de pointures comme Pierre-Jean Chalençon, Francis Lalanne ou Samy Naceri. Dans une interview, Alain Williams raconte comment l'avocat s'est inséré au chausse-pied dans le casting, se disant "étonnamment bluffé" par sa performance. Nous aussi : c'est tout simplement l'un des plus mauvais acteurs que nous ayons jamais eu le plaisir de voir à l'écran.
*Description non contractuelle
Et Robert Hossein ? A priori il n'a rien à voir dans l'affaire et s'est contenté de faire l'acteur, allant ainsi talonner Bourvil au concours des derniers films les plus embarrassants. Lui aussi était un client de Jean-Luc Chetboun, c'est comme ça qu'il s'est retrouvé attaché au projet à 90 ans.
Qu'est-ce que tu es venu faire dans cette galère, Robert ?
Il est temps qu'on en vienne au film. Officiellement, il affiche un confortable budget de 600 000€, et ça devient immédiatement le premier running gag à mesure qu'on voit défiler les décors de panouille, les acteurs qui bafouillent et les effets spéciaux qui partent en couilles. Ça n'a pas trop fait rire la police et le procureur par contre, mais il faut dire que ces gens ont bien peu d'humour en général, et en plus avaient relevé pas mal de factures douteuses dans la comptabilité de la production. Dans un autre article du Monde, un participant au tournage évoque un budget ne dépassant pas 50 000€, ce qui semble plus en phase avec ce qu'on voit à l'écran.
Et cette affiche, combien a-t-elle bien pu coûter ?
Angeli (Sylvia Pouget, son seul crédit IMDB) est chercheuse dans un laboratoire pharmaceutique qui, pas de bol, est dirigé par les frères Bogdanoff. Un contact en Inde lui a envoyé un Noni, un fruit présenté parfois dans la réalité comme un remède miracle à tout et n'importe quoi, mais surtout connu pour son odeur nauséabonde. Celui-là semble avoir d'incroyables propriétés anti-cancer. Pour aller en Inde récupérer d'autres échantillons, il faut de l'argent et elle appelle donc son grand-père Robert Hossein pour qu'il mette ses puissants réseaux de maire de Lorient à son service.
Nos aventuriers de l'aventure explorent la jungle à la recherche du Noni !
L'idée géniale de Robert-les-bons-tuyaux, c'est d'aller taper une subvention à la patronne vénéneuse… du labo concurrent, "Madame Miller" (Candice Berner). Evidemment la vixen a des arrières-pensées traîtresses, et exige qu'en échange Angeli se fasse accompagner par son sbire Kevin, alias Jean-Luc Chetboun l'avocat des stars* déjà cité (son seul crédit IMDB), pour l'espionner et le cas échéant voler ses découvertes. Pour compléter ce groupe d'aventuriers, Angeli fait appel à sa meilleure copine, une flic de choc aux méthodes expéditives qui avait des vacances à prendre (Emma Zimmermann, son seul crédit IMDB)…
*Description non contractuelle
Madame Miller en rajoute des caisses dans le registre de la femme fatale de sous-préfecture.
On attendait beaucoup du casting, mais les Bogdanoff déçoivent assez vite. Oh, certes, ils ânonnent leur texte avec autant de conviction qu'ils ont soutenu leurs thèses doctorales et promis le retour de Temps X pendant 30 ans, et leur jeu d'acteur rappelle plus Les Guignols de l'Info que l'académie des Oscars, mais on les voit dans à peine trois scènes, on n'a pas le temps de s'attacher. On peut passer rapidement aussi sur Raghunath Manet, le mentor indien d'Angeli. Il nous inflige au cours de deux scènes de dîner ses considérations sur la nature et la musique qui arriveraient à faire mourir d'ennui un hypertendu caféinomane. Sylvia Pouget / Angeli étant assez transparente aussi, il faut regarder du côté des méchants pour commencer à voir enfin monter l'aiguille du nanaromètre.
Candice Berner, en vilaine patronne de Big Pharma prête à tout pour cacher au peuple l'existence d'un remède naturel et efficace contre le cancer, nous offre une prestation très amusante de Cruella des country-clubs de province, notamment lors d'une scène de drague avec Jean-Luc Chetboun d'une gênance stratosphérique. Sa sbiresse "Tanya" (Leila Altamirova, son seul crédit IMDB) n'a qu'une ou deux scènes de dialogue mais cela lui suffit pour crever l'écran : tout de cuir vêtue, la voilà qui met la pression à Angeli pour la forcer à signer un contrat. Chaque réplique est – ironiquement – plus raide que la justice, tout sonne faux, on a l'impression que les deux actrices découvrent leur texte en même temps que nous, c'est à pisser de rire.
Oubliez la femme fatale de sous-préfecture, ici on est au mieux dans le chef-lieu de canton...
Une tension sexuelle tellement dense que même la lumière ne peut plus s'en échapper.
Mais le boss final de l'acting foireux, c'est Jean-Luc Chetboun dans le rôle de Kévin : un sbire dépassé par les événements, incarné par un comédien amateur dépassé comme une Citroën sur une autoroute allemande. C'est une bonne chose qu'il ait tellement insisté pour jouer dans le film, on aurait beaucoup moins rigolé sans lui.
Les deux premiers tiers du film sont assez mous, même si la prestation aux fraises des acteurs assure qu'on ne s'ennuie jamais trop. La nanardise décolle vraiment quand la petite bande revient des Indes en ayant percé le secret du Noni (c'est un fruit mutant qui pousse sur une météorite radioactive, paye ta médecine douce bio). Le film prend alors les atours d'un thriller industriel fauché comme un portefeuille à Châtelet et part dans tous les sens : kidnapping, mercenaires, trafiquants de drogue, interrogatoires musclés, séduction musquée, fusillades approximatives, intervention du RAID, cascade ratée de Robert Hossein (il doit monter dans une voiture ; il n'y arrive pas), sbires en délire et hélicoptère incrusté à la truelle : c'est la totale du cinéma à côté de la plaque, une apothéose.
Plus "RAID is Dead" que GIGN.
On sort de Noni avec forcément une impression étrange : on n'a pas vu seulement un nanar, mais une authentique pièce à conviction dans une sombre affaire d'escroquerie – cette dernière se fut-elle conclue par un acquittement général. Alors oui, c'est drôle, mais en même temps qu'on regarde le film, on se forge aussi son intime conviction, comme on dit. Est-ce que la prestation du réalisateur et des acteurs justifie leurs salaires ? Nous, même s'ils avaient été bénévoles on exigerait un remboursement. Combien ont pu coûter les rares effets visuels ? Il faudrait demander à Neil Breen, et encore les siens sont plus soignés. Fallait-il absolument, pour le bien du film, aller tourner en France, en Inde, à l'Ile Maurice et à Tahiti ? Pourquoi pas, mais ils auraient pu laisser Lorient en dehors de tout ça, cette ville n'a jamais fait de mal à personne. Est-ce que ce qu'on voit à l'écran vaut réellement 600 000€ ? Joker.
Noni soit qui mal y pense !
La principale caractéristique du Noni est qu'il pue, et on peut en dire autant du Fruit de l'espoir. Le décès des jumeaux Bogdanoff du Covid-19 a éteint les poursuites judiciaires pour « escroquerie » à leur encontre. Pour les autres protagonistes de l'affaire, la justice a tranché qu'il n'y a pas eu de délit. Il ne reste donc plus à Nanarland qu'à noter le film…
Cote de rareté - 2/ Trouvable
Barème de notationLe film n'a connu que quelques projections ponctuelles au cinéma, et pas de sortie en DVD ou Blu-ray. A l'heure où nous écrivons ces lignes, il est uniquement disponible à la location sur la plate-forme Vimeo.