Ce site web utilise des cookies, uniquement à des fins statistiques.
Ils nous permettent de connaître la fréquentation de notre site web, et les contenus qui vous intéressent.
L'Enlèvement des Sabines
(1ère publication de cette chronique : 2004)Titre original : L'Enlèvement des Sabines
Titre(s) alternatif(s) :Il Ratto delle Sabine
Réalisateur(s) :Richard Pottier
Année : 1961
Nationalité : Italie / France
Durée : 1h38
Genre : A nous les petites vestales !
Acteurs principaux :Mylène Demongeot, Roger Moore, Jean Marais, Francis Blanche
Un DVD d'outre Rhin reprenant ce film chez "EMS", dans une version plus luxueuse en apparence (dans la collection "Cinéma Colossal" ! Ja ja !!) mais qui au final ne contient toujours qu'une pauvrette version allemande.
C’est pourquoi, mû par l’impérieuse nécessité de contribuer à éviter un génocide culturel, je me suis jeté sur le premier "sword-and-sandal" qui traînait dans mes brocantes habituelles. Et là… et bien, je n’ai pas regretté mon choix ! Car L’Enlèvement des Sabines, de Richard Pottier (le réalisateur de Caroline Chérie tournait là son avant-dernier film), est un nanar à plusieurs strates, comme il existe des rasoirs à plusieurs lames : le ridicule est en surface, palpable à même la pellicule tant le sujet est grotesque ; il est ensuite perceptible au second degré, tant les auteurs ont manifestement décidé de jouer la carte de la parodie partielle ; il est enfin présent dans le message du film, qui subvertit un fait semi-historique pour en faire un gros vaudeville, et aboutir enfin à un film à message. Ebouriffant, du grand art !
-Mon Dieu, Roger, c'est horrible ! J'ai oublié de prendre des cours de comédie avant le tournage !
-C'est pas grave, Mylène, on te filmera de loin.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas bien leur Histoire romaine, rappelons que les origines du Monde Antique se perdent dans une mixture de faits et de mythes difficilement extricables. L’épisode des jumeaux Romulus et Remus élevés par une louve n’est guère crédible, mais il n’en est pas moins officiellement le prélude à la création de Rome. Cet enlèvement des Sabines, s’il n’est pas davantage vérifiable, est tout aussi important dans l’Histoire du futur Empire, car c’est lui qui permit à une jeune et obscure cité peuplée uniquement d’hommes, en enlevant les femmes du royaume Sabin, de s’assurer une descendance pour s’affirmer en tant que vraie nation. Passons sur l’aspect au mieux vaudevillesque, au pire sordide, de l’épisode, qui se prête difficilement à être restitué de manière fidèle (sauf à faire un film sombre et violent, qui ne serait pas à la gloire de Rome), et attardons-nous sur son traitement, car c’est lui qui fait tout le sel du film qui nous occupe.
Romulus séduit la belle vestale Réa en lui vantant les mérites de Pétrole Hahn.
Premier élément de réussite : le casting. Et là, nous sommes gâtés.
Tout d’abord, dans le rôle de Romulus, Roi besogneux mais ambitieux d’un Royaume en devenir, voici venir, noble et superbe… Roger Moore ! Joie, nirvana, frétillement d’extase : le beau Roger, venu ici payer ses impôts après Ivanhoé, et bien avant Amicalement votre et James Bond, arbore ici fièrement une sorte d’impossible banane bouclée, apparemment fixée avec de la brillantine étrusque tant elle paraît pétrifiée. Romulus, le Roi Antique dont même les cheveux sont en marbre !
Deuxième entrée (cymbales) : voici venir Mylène Demongeot, dans le rôle de la Princesse et Vestale Rea, fille du Roi Sabin Titus. Et là, le film est à recommander en VF, car Mylène Demongeot a eu l’excellente idée de se doubler elle-même et de nous faire profiter de sa diction 100% patronage, à faire passer Brigitte Bardot pour une grande actrice claudelienne ! Là où Mylène Demongeot passe, le cinéma trépasse !
Troisième entrée (roulement de tambour) : Giorgia Moll, dans le rôle de Lavinia, la belle phénicienne séduite et abandonnée par Romulus, et qui depuis rumine sa vengeance contre Rome ! Vous ne connaissez pas Giorgia Moll ? Elle jouait notamment dans Le Mépris de Jean-Luc Godard… Mais on s’en fout, car elle ne présente ici qu’UN seul intérêt, qui va m’obliger à être vulgaire pour le décrire : une magnifique paire de nibards gonflés à l’hélium qui ont visiblement fait baver de désir le réalisateur Richard Pottier (ou le costumier, ou les deux) tant ils sont amoureusement mis en valeur à la moindre occasion, jusqu’à en éclipser tous les autres éléments des scènes où l’on peut les remarquer.
Quatrième entrée (trompettes, grosse caisse, évanouissements dans le public) : FRANCIS BLANCHE, dans le rôle d’un Romain myope comme une taupe, ce qui donnera lieu à toutes sortes de gags hilarants. Il choisit une Sabine qu’il veut pour lui seul, et, pour la reconnaître, tâte ensuite la croupe de toutes les femmes enlevées pour reconnaître la sienne !
Cinquième entrée (lancer de pétards et de confettis) : Folco Lulli ! Le gros Italien du Salaire de la peur, excellent acteur par ailleurs, et qui joue ici le rôle de Titus, Roi des Sabins, avec autant de majesté qu’un charcutier qui aurait mis une toge pour Mardi-Gras ! Sans parler du barbu Walter Barnes, troisième couteau de western, et de Marino Masé, jeune premier italien d'une chevaline niaiserie, qui s'illustra ensuite dans Black Emanuelle autour du Monde.
Arrêtons là les frais car il en reste pour la bonne bouche, et concédons l’évidence : nous sommes là en présence d’un nanar semi-volontaire, tant les auteurs ayant visiblement renoncé à traiter sérieusement l’épisode de l’enlèvement des Sabines. Si la matière même du récit risque le ridicule, autant trouver la parade en donnant dans le ridicule volontaire. Et là, il faut bien admettre que la réussite est totale et finit par donner au film un charme fou qui lui permet de transcender son kitsch initial.
Romulus, Roi censément preux, héroïque et juste, n’en finit pas de passer tout au long du récit pour un bouffon fini. Ainsi, l’une des premières scènes, où il accueille des hommes venus demander la citoyenneté de Rome. L’un des hommes fait un récit invraisemblable de sa situation. Romulus lui accorde de devenir Romain car « il nous manquait un menteur ! ». A un autre, il refuse au contraire la citoyenneté car il a le pouce coupé, signe des tricheurs, et « les tricheurs sont des lâches ! ». Romulus accepte donc les menteurs mais pas les tricheurs, et il se fie à son seul instinct pour déterminer qui est quoi… Avec une telle manière de gouverner, peut-on s’étonner que Rome ne se soit pas faite en un jour ? Ajoutons enfin que Roger Moore, très classe malgré son invraisemblable coiffure, donne l’impression de beaucoup s’amuser tant il joue visiblement au second degré (ce qui est, ceci dit, sa principale manière de jouer…).
Mylène Demongeot, une moue boudeuse pour seule expression, le sourcil froncé comme un cancre essayant de déchiffrer un problème de mathématiques, la démarche gracieuse d’une oie venant de se faire gaver, fait quant à elle grimper en flèche le quotient de nanardise de la chose à chacune de ses apparitions.
Et pourtant… « L’Enlèvement des Sabines », malgré son indéniable kitscherie, vaut le détour, et pas seulement sous l'angle du nanar. Le film diffuse en effet un charme indéniable, tant les auteurs ont visiblement renoncé, non seulement à se prendre au sérieux comme il a été dit plus haut, mais également à en faire un vrai film d’action. Délaissant toute prétention à l’objectivité historique, le film de Richard Pottier est à l’arrivée une comédie assez charmante, qui tourne en ridicule son sujet même, pour aboutir au final à un message bucolique du type « faites l’amour, pas la guerre » : après la naissance du premier enfant de Rome, né d’un couple romain/sabin, la paix est déclarée entre les deux cités. Romulus renoncera à son trône pour aller roucouler avec Mylène Demongeot, façon de nous dire qu’amour et quiétude valent mieux qu’honneurs et pouvoir. Message charmant pour un nanar !
Cerise sur le gâteau, nous avons droit à l’apparition des dieux Mars et Vénus, interprétés par Jean Marais et Rosanna Schiaffino, dont les statues s’animent (très jolie scène « à la Cocteau », l’aspect étant renforcé par la présence de Jean Marais) pour débattre des mérites respectifs de l’amour et de la guerre. Contre toute attente, la scène n’est pas trop nanarde, et rehausse même la qualité du film.
Roger Moore fait de l'exercice avant de se présenter au casting de James Bond.
L’Enlèvement des Sabines (produit par le vétéran Alexander Salkind, dont la filmographie kilométrique compte également la série des Superman avec Christopher Reeve) est un film curieux : ni totalement nanar (ma note ne sera donc pas très haute) malgré de grands moments de kitscherie, ni film d’action, semi-parodique, il est à voir comme un témoin des variations du genre péplumesque. Partir de l’un des épisodes les plus farfelus – et potentiellement sordides – de l’Histoire romaine pour aboutir à un message bucolique et flower-power avant la lettre, voire même légèrement féministe malgré une épaisse couche de grivoiserie, il fallait le faire !
Curiosité : l'affiche d'un film mexicain sur le même thème.
Sans être une perle nanarde (mais son quotient est suffisamment élevé pour le néophyte), cet épisode glorieux de la carrière de Roger Moore est une belle occasion de voir le péplum italien partir en vrille pour se moquer de ses propres travers tout en les exhibant. Délicieux ! (Et avec, cerise sur le gâteau, de furtifs "plans nibards" lors de la scène de l'enlèvement, qui émoustilleront l'amateur d'érotisme 1960 !)