Ce site web utilise des cookies, uniquement à des fins statistiques.
Ils nous permettent de connaître la fréquentation de notre site web, et les contenus qui vous intéressent.
Le Repaire du Ver Blanc
(1ère publication de cette chronique : 2004)Titre original :The Lair of the White Worm
Titre(s) alternatif(s) :Aucun
Réalisateur(s) :Ken Russell
Année : 1988
Nationalité : Grande-Bretagne
Durée : 1h33
Genre : By jove, there is un serpent géant dans mon cottage !
Acteurs principaux :Amanda Donohoe, Hugh Grant, Peter Capaldi, Sammi Davis
Dans les années 70, Ken Russell était un metteur en scène culte. Avec « Love », « The Music lovers », « Valentino », ou « Tommy », délirante adaptation de l’opéra-rock des Who, le cinéaste anglais avait su imposer son style flamboyant et excessif comme signe de ralliement des spectateurs branchés. Si ses audaces thématiques et visuelles ont souvent fait long feu avec le temps (rien ne vieillit plus vite que certaines avant-gardes), Russell n’en avait pas moins un grand talent de réalisateur (revoir « Les Diables » pour s’en convaincre). Or, après « Les Jours et les nuits de China Blue » en 1984, c’est la dégringolade. Les outrances de Russell deviennent de plus en plus kitsch dans le mauvais sens du terme, son « Salomé » consterne ses fans les plus acharnés, ses tentatives de provocation deviennent grinçantes et répétitives. Reconverti aujourd’hui dans la confection de téléfilms (« L’Affaire Dreyfus »), Russell tente occasionnellement de revenir à ses premières amours, notamment avec une version trash de « La Chute de la Maison Usher », mais sans retrouver son succès critique ou public.
Pour qui veut suivre en détail le passage de Ken Russell du statut d’auteur d’avant-garde à celui de vieille baderne oubliée, ce « Repaire du ver blanc » constitue une vision intéressante, tant il marque de façon irrémédiable le basculement du cinéaste vers le kitsch le plus hideux.
Adapté d’un texte de Bram Stoker, ce film d’horreur pataphysique, qui aspirait à relancer le cinéma d'épouvante british, est en effet un nanar parfaitement jouissif dont le délire assumé n’est que le prétexte à un déferlement de mauvais goût qui se voudrait novateur.
Hugh Grant, chez qui on décèle déjà le jeu d'acteur dont il fera plus tard sa signature.
Le propos et le contexte de l’action sont cependant relativement originaux : dans l’Ecosse profonde, Henry, un étudiant en archéologie, déterre le crâne d’une sorte de serpent géant. Il s’agit en fait des restes de l’antique dieu-serpent (le fameux « ver blanc » du titre), idole d’un culte pré-chrétien avec sacrifice de vierges à la clé. La Comtesse Sylvia, prêtresse du culte et femme-serpent-vampire aux crocs acérés, va tenter de le récupérer pour rendre le Dieu à la vie. Sir James D’Ampton (Hugh Grant), dont l’ancêtre tua jadis le serpent, ne tarde pas à s’intéresser à l’affaire…
Jurasnake Park
Ce point de départ étant posé, le spectateur qui aura eu la curiosité de regarder ce truc accablant va se trouver soumis à une succession de vignettes oscillant entre le délirant et l’obscène. Visiblement assez moyennement convaincu par le propos de son film, Ken Russell a en effet choisi de traiter le sujet absolument par-dessous la jambe, le récit, très incohérent, ne progressant qu’assez mollement (les héros bavardent pendant des plombes avant de se décider à agir, au point que ça en devient comique) au rythme de saynètes érotisantes totalement à la gloire de la belle brune Amanda Donohoe, interprète de la méchante Comtesse. Extrêmement sexy, miss Donohoe passe une bonne partie du film dans des tenues de tapineuse de luxe (compter les plans sur ses porte-jarretelles), de dominatrice sado-maso ou d’adepte de secte partouzeuse, Russell, visiblement enamouré, nous gratifiant même d’une séance de catch féminin en uniforme (deux fantasmes en un !). Amanda Donohoe prend visiblement un plaisir extrême à sa prestation, jouant les Cruella avec une délectation gourmande et apparaissant pour le final le corps nu et peinturluré.
La classe dans les années 1980 : avoir sa cabine de bronzage personnelle...
Les autres attractions du film sont les séquences de rêves et autres hallucinations que subissent les personnages une fois exposés au venin de serpent craché par la méchante. Viol d’un couvent entier de religieuses par des légionnaires en furie, Jésus-Christ dévoré vivant sur sa croix par le dieu-serpent, la Comtesse crachant son venin sur un crucifix : Ken Russell prend prétexte de la présence dans l’histoire d’un culte païen pré-chrétien et maléfique pour nous servir des vignettes anti-religieuses d’une grossièreté assez inouïe. Mais ces séquences de délires (qui avaient fait le succès de Russell dans un film comme « Au-delà du réel ») sont ici totalement ratées : tâches de couleur explosant sur l’écran, décors surréalistes hideux, effets gore mal foutus. On nage dans l’auto-parodie, qui pardonne d’autant moins quand elle est pratiquée par un cinéaste au style si excessif.
Les images des séquences hallucinatoires.
Le spectacle, à l’humour vulgaire typiquement british, est grotesque quasiment en permanence, sans que l’on sache si le ridicule est volontaire, involontaire, ou les deux à la fois. Il faut voir Hugh Grant couper en deux une femme-vampire-serpent d’un grand coup d’épée moyenâgeuse ; un flic obèse transformé en vampire, qu’un Ecossais en kilt neutralise en jouant avec sa cornemuse un air de charmeur de serpents ; la méchante Comtesse se préparer à déflorer une vierge en hommage au dieu-serpent avec un godemiché géant en ivoire sculpté ! Ken Russell ne manque littéralement pas une occasion de nous balancer un symbole phallique ou sexuel (à commencer par le serpent géant), voulant apparemment nous prouver que la soixantaine n’a pas entamé sa libido.
Subtil ou pas subtil ?
Le tout pourrait échapper au nanar pour constituer une sorte de film d’horreur délirant et post-moderne… si la mise en scène n’était pas absolument lamentable, du moins cent coudées en-dessous de ce que l’on pourrait attendre du metteur en scène des « Diables ». Filmé comme un téléfilm moyen, photographié de manière hideuse, l'oeuvre n’élève jamais son style à la hauteur de la fantaisie attendue, pour s’avérer au final un film d’horreur raté, un délire raté, mais un nanar réussi ! Le je-m’enfoutisme palpable de Ken Russell vis-à-vis de son histoire se fait tellement sentir qu’il devient littéralement impossible de prendre au sérieux ce « Repaire du ver blanc », qui se vautre sur le terrain de la grosse gaudriole avec ses héros neuneus, sa méchante de cartoon (disons de cartoon classé X) et son monstre final dont le budget visiblement insuffisant n’excuse pas la ringardise très « craignos monster ».
Les vampires n'ont pas le monopole des dents longues.
Notons également la mirifique présence de Hugh Grant qui, non content de livrer ici la pire prestation de sa carrière (ou la plus géniale, si on choisit de voir le film sous l’angle comique), joue le héros le plus inutile qui soit : si l’on excepte son découpage de femme-serpent à l’épée, il ne fait strictement rien de tout le film et aurait pu être supprimé du scénario sans que ça change quoi que ce soit, toute l’action étant accomplie par le jeune archéologue Henry ! On comprend vaguement que Russell a voulu parodier le héros traditionnel de roman gothique en le rendant totalement inconsistant, mais cela ne fait que renforcer le côté nimportequouesque et mal maîtrisé d’un film déjà bien atteint.
La musique adoucit les moeurs.
La nonchalance du réalisateur vis-à-vis de son film est tout de même un peu préjudiciable au rythme de l’histoire, qui connaît des temps morts, et se met parfois à ressembler à un pique-nique dans la campagne écossaise. Faute de maintenir sur toute sa durée le délire attendu, le film n’atteint pas les cimes du nanar, mais il demeure tout de même un spectacle agréable, drôle, et très intéressant. En effet, s’il entérina la descente aux enfers de Ken Russel, « Le Repaire du ver blanc » compte tout de même un noyau de fans (qui selon Hugh Grant, se recrutent cependant surtout dans les hôpitaux psychiatriques et les prisons de haute sécurité), et contribua à faire remarquer Hugh (bien avant « Quatre mariages et un enterrement ») et dans une moindre mesure la très bandulatoire Amanda Donohoe (qui tourna ensuite notamment « La loi de Los Angeles »). A voir comme une curiosité, et pour constater que les nanars de fin de carrière des grands cinéastes sont parfois les coups d’essais de futures vedettes !
Et une fois encore, nous avons la preuve que les Anglais mangent n'importe quoi.
Cote de rareté - 1/ Courant
Barème de notationLe film existe en blu-ray. Idéal pour profiter du délire de Ken Russel en haute définition. En Anglais uniquement mais bourré de bonus alléchants, dont le commentaire audio de Ken Russel.
En France, "Opening" s'est fendu d'un petit DVD vite fait mal fait avec V.O. (en DTS) et VF (en stéréo). L'image est mal compressée et les bonus inexistants. A croire qu'ils ne croyaient pas à cette ressortie. Si vous voulez vous faire une soirée sous acide, vous pourrez enchaîner sur l'hallucinatoire "Gothic" du même Ken Russell, tout aussi fou mais bien mieux maîtrisé.