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Stoïcisme et pensée platonicienne dans Road house

Par François-Xavier Ajavon, Université Paris XII.

« ...même l'homme le plus costaud du monde ne peut plus tenir debout si on lui broie le genou ».
Dalton à un disciple.

Entre Jasper et Karl Jaspers : l'Amérique des philosophes.

Gilles Deleuze avait bien compris que le philosophe est avant tout un déraciné fondamental, un juif errant, un enfant du rock, un homme d'action en somme : « Le philosophe peut habiter divers Etats, hanter divers milieux, mais à la manière d'un ermite, d'une ombre, voyageur, locataire de pensions meublées. » . C'est là tout le secret de Dalton, personnage central de Roadhouse, interprété par Patrick Swayze. Il peut effectivement habiter plusieurs états, et il le prouve : il a fait ses études de philosophie à l'Université de New-York, nous faisons sa connaissance dans un night-club plutôt classe de l'état de New-York ( si l'on en croit la plaque d'immatriculation de son coupé sport Mercedes) et il accepte finalement un poste dans la petite bourgade rurale de Jasper à cheval entre le Missouri et le Kansas.
Dalton, philosophe atopos et lonesome cowboy, est ce que nous appelons traditionnellement un videur de boîte de nuit, un physionomiste professionnel ; expert en arts martiaux, apôtre de la réconciliation sociale, promoteur du dialogue philosophique et finalement directeur de conscience hors pair.

Mais, soyons franc, le Dalton de Road house c'est avant tout du muscle, de la country music et de la gomina. Son curriculum atypique fait de lui le videur de boîtes de nuit le plus respecté des Etats-Unis, même chez les démocrates californiens gays. C'est ainsi que Franck Digman, le patron du «Double Deuce», la pire des boîtes américaines le débauche à coup de dollars ( 500$ par nuit de travail ) d'un night à peu près respectable de la côte est pour faire le ménage dans son bouge crasseux de l'Amérique profonde, infesté de piliers de bars camés, putes, bagarreurs et autres fouteurs de bordel professionnels. Mais Dalton s'attire très tôt des ennuis lorsqu'il fait renvoyer plusieurs employés. Il se met notamment à dos Brad Wesley, pourvoyeur d'alcool, vétéran de Corée, et potentat local.

Mais inutile de rentrer dans le détail du scénario, avec toutes ses péripéties sportives et sentimentales, car Road house est avant tout un film à thèses. Ce qui compte dans Road house c'est moins les détails de l'histoire, que le message philosophique, le souffle métaphysique qui anime littéralement la pellicule. Loin du cinéma engagé de la nouvelle vague française des années 60, loin de Goddard et de sa réflexion pénétrante sur le destin du marxisme ; loin du cinéma documentaire engagé d'un Michael Moore poursuivant sa croisade contre l'Amérique conservatrice de G.W. Bush et pourfendant le texan qui sommeille en chacun de nous. Road house est un film d'action à thèses philosophiques, ou encore un authentique traité du vice et de la vertu, avec plein de karaté et de kung-fu dedans, certes, mais issu d'un audacieux et novateur cinéma engagé à tendance « musculeuse » : le nanar brutal et philosophique.

Rowdy Herrington tourna ce film culte à la fin des années 80, sur un scénario de David Lee Henry - à qui nous devons également l'impardonnable synopsis de Out of Justice ( Justice sauvage ) avec Steven Seagal, l'irrésistible casseur de bras au rictus figé, au catogan gominé, et aux chemises à motifs indiens native americans.

Vous l'attendez toujours, hein, le rapport entre Jasper ( Missouri ) et Jaspers ( Karl ), le philosophe allemand, l'existentialiste chrétien ? Bon, soyons honnêtes : j'ai fais ça avant tout pour m'offrir le plaisir simple mais toujours renouvelé d'un beau sous-titre ludique et intempestif, que n'aurait certainement pas désavoué Dalton du « Double Deuce » ou même Françoise Dastur de l'Université de Nice. Mais quoi ! N'excluons pas a priori l'hypothèse parfaitement plausible que Dalton ait pu avoir entre les mains l'un de ces trois essais de Jaspers, à New-York ou même à Jasper : Myth and Christianity: an Inquiry Into the Possibility of Religion Without Myth ; Socrates, Buddha, Confucius and Jesus: The Paradigmatic Individuals, ou encore Reason and Anti-Reason in Our Time. Ce qui compta certainement beaucoup dans la construction de sa spiritualité et de ses techniques de combat. Cette quête métaphysique, toute imprégnée d'existentialisme chrétien transpire du personnage de Dalton lorsque le Docteur Elisabeth Clay, qui deviendra ensuite sa partenaire sexuelle, tout en lui faisant quelques points de suture après une méchant coup de couteau lui demande pourquoi il a choisi de faire de la philo à la fac, le sage - dans les affres de la suturation - répond avec mesure : « Pour approfondir certaines questions : l'homme et sa soif d'absolu, des conneries. Des questions qui restent sans réponse ». On vous avait prévenu hein, c'est profond ... entre Jasper et Jaspers quoi ! Et c'est pas fini...

Nous tenterons pour la première fois dans cet article de mettre au jour les fondements philosophiques de cette fable américaine originale qui embrasse avec ampleur et majesté plusieurs thèmes clés d'une possible pensée rurale américaine, voire carrément roots, dont : la maîtrise de soi avec un bras cassé et un couteau dans la jambe, les limites de la violence et de la bêtise d'un scénario bâclé, la théorie du chaos ( et du bordel ambiant ), la sécurité routière en province avec des pick-up Dodge à roues géantes, le quantique ( dans ce qu'il peut nous apprendre du management des boîtes de nuit et des débits de boisson du Missouri ).

Etonnement, c'est par les chemins du stoïcisme et de la pensée platonicienne que Dalton, l'homme d'action, parvient à transcender sa condition concrète de videur, pour accéder à une certaine vérité sur lui-même et sur le monde. Sans avoir vraiment l'ambition folle, authentiquement mystique de devenir une sorte de Saint-Michel l'archange désincarné et symbolique aux portes du « Double Deuce », qui serait alors un néo-paradis terrestre avec des Adam à moto et des Eve permanentées en blonde platine, Dalton cherche surtout la paix intérieure dans le retrait.

Humanisme et management dans la caverne.

Dalton est d'abord un meneur d'homme : à mi-chemin entre le directeur de conscience chrétien, le pédagogue de l'antiquité grecque classique et le manager de chez Mc Do, il sait donner des objectifs et les faire appliquer. Humaniste entier, parfois radical, semblant néanmoins tout ignorer du droit syndical américain, Dalton n'hésite pas à renouveler ses équipes par une politique de licenciements assez brutale dont le maître mot semble être « T'es viré ! ». Car Dalton est très exigent quant au métier de videur qu'il conçoit à la fois comme un sacerdoce et une métaphysique. Homme d'action et théoricien il donne d'ailleurs à ses hommes une règle de conduite éthique en trois points, définissant les contours audacieux d'une pratique idéale et philosophique de la sécurité des établissements de nuit : « 1/ Ne jamais sous-estimer son adversaire. 2/ On se cogne en dehors de la boîte. 3/ Soyez cool ».
Fascinant bréviaire ambitieux d'une action à la fois musclée et non-violente, sociale et spirituelle. La pratique du métier de videur est avant tout une leçon d'humilité qui doit en passer par la juste appréciation préalable des forces en présence. Dans cette posture de retrait le sage-videur doit intérioriser les enjeux du combat à venir et apprendre à se situer ( et surtout à situer sa force de frappe individuelle ) dans un système du monde tout relatif.

Entre théorie du chaos et théorie de la relativité le sage-videur doit trouver un équilibre dans l'action, et savoir qu'il ne représente pas un absolu de la puissance ( que cela soit dans le cassage de bras, de nez ou le coup de genou dans les roustons ). Conscient de la relativité nécessaire et inévitable de sa position dans le monde, le sage-videur tel que l'idéalise Dalton ne se départit jamais d'un certain romantisme de la faiblesse, tout imprégné des penseurs du XIXème siècle allemand, lié au fait que dans chaque combat il entrevoit sa mort possible, et donc sa perpétuelle finitude, saisissable en chaque instant de sa vie.

Le sage-videur de Dalton est conscient de l'importance symbolique du dedans et du dehors : lecteur averti de la Poétique de l'espace de Gaston Bachelard, et spécifiquement du chapitre « la dialectique du dehors et du dedans », il sait que les meilleures bastons générales ont besoin de l'air libre et du ciel étoilé du Kansas pour s'épanouir pleinement.

Si la nécessité d'une pensée du « cool », amenée par Dalton dans son bréviaire tripartite, semble plus inspirée de la country-music que du jazz, nous ne devons pas en négliger sa portée. Pensée minimaliste, presque rustique, le « cool » de Dalton est à la fois un comportement et une philosophie. Un comportement fait de détachement, de déhanchement, de maîtrise de soi, de gomina, et surtout de style ( entre Elvis Presley et les Beach Boys ), mais aussi une philosophie analytique digne des plus grands noms de la pensée américaine contemporaine. Dalton appelle son équipe de videurs à analyser les comportements des clients, sur le plan sociologique certes ( chaque videur est un sociologue, et inversement, comme le disait Bourdieu qui défendait que la sociologie est un sport de combat... il ne croyait pas si bien dire ), mais aussi sur le plan de la linguistique pure. Il en donne un exemple admirable lorsqu'il explique à ses hommes que l'on peut comprendre une insulte aussi impardonnable que se faire traiter d'enculer comme « un substantif dont le but est de provoquer une réponse pré-déterminée ». C'est par une réelle intelligence du langage que le sage-videur peut s'abstraire des violences verbales les plus insupportables, de la même manière que c'est par une profonde connaissance de l'humain et de ses rouages psychologiques et physiologiques qu'il peut parer les coups de couteau et assauts divers.

La pensée managériale de Dalton, qui est aussi une philosophie généreuse pleine de compassion et de curiosité pour l'humain, fait de lui une personnalité respectée dans le « Double Deuce » comme peut en témoigner cette marque de condescendance sincère et subtile d'un employé envers son chef de service : « ... tout le monde dit que t'as des balloches plus grosse d'une montgolfière ». Image naïve et surréaliste du « boss » à la virilité démesurée dominant son troupeau docile par sa potentialité de reproducteur.



Du kung-fu dans la caverne.

Dès lors, il ne s'agit pas, en pensant sur Matrix, de voir Platon dans un film de kung-fu, mais d'introduire du kung-fu dans la caverne de Platon...
Elie During, Université Paris X. ( dans Libération ).

Mais dans toute la délicate narration de ce chef d'oeuvre cinématographique, Dalton, videur-philosophe et philosophe-roi, évolue dans une double symbolique où le « Double Deuce » est à la fois la caverne du livre VII de la République de Platon, et dans une moindre mesure le paradis terrestre biblique - affublé d'un service de sécurité musclé, un staff sur mesure mais sans fourragère ni gants blancs.
Le « Double Deuce », infâme turne du Missouri est qualifié dès le début du film par son patron, Franck Digman comme étant : « ...le genre de bouge où l'on ramasse les dents à la pelle à la fermeture ». C'est en fait dans un théâtre d'ombres errantes, proprement platonicien que Dalton va débarquer sans coup férir, mais en distribuant les baffes. C'est dans la caverne de Platon qu'il va assumer pleinement sa mission de philosophe. Conscient de ce que le monde peut nous rendre de superficie et de profondeur, de phénomènes et de réalités essentielles, d'illusions et de vérités, Dalton va oeuvrer à libérer les prisonniers enchaînés aux parois de la caverne par des techniques bien à lui.
C'est ainsi que Platon plante le décors de sa caverne : « ...représente-toi donc des hommes qui vivent dans une sorte de demeure souterraine en forme de caverne ( le « Double Deuce » ), une entrée qui s'ouvre largement du côté du jour ( à côté du sas-cage, des toilettes et des vestiaires ) ; à l'intérieur de cette demeure ils sont depuis leur enfance, enchaînes par les jambes et par le cou ( symboliquement : à cause de la sous-culture américaine de la guerre froide, de Superman, de la bière, de Shérif fais-moi peur, de Ronald Reagan ) ; quant à la lumière elle leur vient d'un feu qui brûle en arrière d'eux, vers le haut et loin. Or entre ce feu et les prisonniers, vois ces hommes qui portent des marionnettes et toutes sortes d'objets fabriqués. Peux-tu croire en effet que des hommes dans leur situation, d'abord, aient eu d'eux-mêmes et des autres aucune vision, hormis celle des ombres que le feu fait se projeter sur la paroi de la caverne qui leur fait face ? ( l'illusion d'une certaine american-way-of-life suave et un peu désuète, le crédit à la consommation, M TV, le haschisch, Easy Rider, la contre-culture au rayon surgelé de chez Walmart, les produits manufacturés asiatiques à bon marchés, le vin californien, le bon cholestérol... ).

Ainsi, Dalton a pour mission de faire le ménage dans sa caverne, notamment parmi la poignée de fouteurs de bordel professionnels qui la peuplent, le noyau-dur des habitués alcooliques et provocateurs, hommes de mains violents des gangs locaux ou parfaits branleurs, ouvriers agricoles et portoricains camés en situation irrégulière.
C'est pour libérer ces pauvres erres, ignorants des réalités métaphysiques du monde, de la vertu dans son unité pure, presque de l'Un tel que le pensera plus tard Plotin dans les pas de Platon, et dans l'ombre de la croix christique, que Dalton met tout en oeuvre avec enthousiasme - au risque d'en passer par une violence nécessaire et pleine d'une bienveillante pondération. « Quand l'un de ces hommes aura été délivré et forcé soudainement à se lever ( par le cassage de bras ), à tourner le cou ( par torsion rapide entre les mains ), à marcher ( à coups de pieds dans l'arrière train ), à regarder du côté de la lumière ; en faisant tout cela, il souffrira ( évidemment, on a pas embauché Dalton pour rien... ). Or, suppose qu'on le tire par force de là où il est ( vas-y casse-toi, la porte !, on veut pas de mecs comme toi ici, les gens viennent pour s'amuser, écouter de la bonne musique - le Jeff Healey Band avec un chanteur bouseux aveugle - et pas pour supporter tes conneries, c'est la porte maintenant ! ), tout au long de la rocailleuse montée, de son escarpement et qu'on ne le lâche pas avant de l'avoir tiré dehors, à la lumière du soleil ( règle deux : on se cogne en dehors de la boîte ), est-ce qu'à ton avis il ne s'affligerait pas, est-ce qu'il ne s'irriterait pas d'être tiré de la sorte ?

( vas-y lâchement moi maintenant c'est bon quoi, j't'encule moi videur de merde, tu f'rais moins le malin si j'étais mon frère le gros Mohamed, tu sais le mec qu'a sauté ta mère la pute, pd va, ta mère à poils sur un cafard devant l'McDo ! ). Il aurait besoin d'accoutumance pour arriver à voir les choses d'en haut. Finalement, ce serait, je pense, le soleil, qu'il serait capable dès lors de regarder ( au travers de ray-ban « shérif » fumées en jaune ), non pas réfléchi sur la surface de l'eau ( ou de la Buddweiser tiède ), mais le soleil lui-même. »

C'est ainsi que le kung-fu fait son entrée inattendue et brillante à l'intérieur de la caverne de Platon. Dalton, par la négociation socratique et le contact martial, a pour ambition fondamentale de rendre les hommes de la petite ville de Jasper meilleurs qu'ils ne le sont, de les tirer de leurs vices habituels pour les guider vers un monde idéal et ouaté de la vertu et de la connaissance. Et dans cette ascension du vice à la vertu, de l'illusion à la connaissance, Dalton est à la fois un intransigeant platonicien, et un chrétien fidèle à la lettre du culte. La figure tutélaire de Saint-Michel, l'archange des milices célestes, gardien du Paradis dont il défend l'entrée de son épée flamboyante, Saint patron des videurs de boîtes de nuit louches, accompagne Dalton dans sa croisade musclée contre la bêtise humaine et anime sa volonté de ne laisser entrer dans le « Double Deuce » que les plus saints des hommes. Mais afin de poursuivre cette mission philosophique de transcendance de l'humain, ce sacerdoce intégral auprès de son prochain, dans la bière et le sang, la cocaïne et la poussière, Dalton a besoin d'un système de défense, au-delà des arts martiaux, se sera le stoïcisme.

Un stoïcisme subtile, inspiré par le taï chi chuan et Michel de Montaigne.

C'est en stoïcien que Dalton avance dans la vie et le monde, parce qu'il sait résister à la douleur, mais aussi parce qu'il a un rapport très fort à son maître à penser, le videur Wayne Garrett. Colosse à cheveux longs, délibérément et outrageusement rock n'roll, vêtu de cuir noir, avec toujours une vérité à la bouche, comme celle-ci glanée au téléphone par Dalton : « Cent milliards de mouches peuvent pas se gourer : faut bouffer de la merde ! ».
Pensée précieuse et fragmentaire, que Dalton saisit comme une fulgurance poétique à l'impact immédiat, mais qu'il sait également réintégrer dans le cadre d'un système du monde stoïcien strictement structuré. Wayne Garrett est en poste dans un club mystérieux, enfumé, fréquenté essentiellement par des fausses danseuses Playboy et des militaires en permission : irréel tripot clandestin ou bordel de campagne situé quelque part en Jasper, Ho Chî Minh ville et Hanoi. La relation de maître stoïcien à disciple entre Wayne Garrett et Dalton est d'une touchante densité, et nous fait toucher du doigt l'émouvante amitié que savent lier entre eux les philosophes : Montaigne et La Boétie, Sartre et Beauvoir, Platon et Socrate, etc.
Le stoïcisme de Dalton s'exprime clairement lorsqu'il refuse l'anesthésie avant de se faire suturer, suite à coup de couteau : « La douleur n'est rien » dit-il au docteur Elisabeth Clay, jouée par une pin-up blonde, sous-produit cloné, et médiocre, de Kim Basinger assurément trop chère pour cette production.

La résistance à la douleur est le thème qui traverse le film de part en part. Lorsque Brad Wesley, représentation symbolique du mal en vétéran de la guerre de Corée reconverti dans la contrebande d'alcool, mafioso et ennemi absolu de l'archange Dalton, veut mettre à l'épreuve l'un de ses fidèles lieutenants, l'irlandais O'Connor il le frappe à plusieurs reprises en lui reprochant de saigner trop abondamment tout en lui disant « ... tu ne supportes pas d'avoir mal ! ». Dalton, lui, dans son rapport au monde, sait s'abstraire du bien et du mal, des biens et des maux, pour tendre à l'ataraxie, la paix intérieure absolue, la quiétude que rien ne peut troubler, la sagesse stoïcienne de l'équilibre des passions. Cet idéal stoïcien il l'exprime encore face à Brad Wesley, le mec du whiskey de contrebande. Ce dernier lui dit « T'es peut-être un peu trop idéaliste, Dalton ! », ce à quoi notre videur-philosophe répond avec toute l'intensité dramatique dont Patrick Swayze est capable... c'est à dire pas grand chose : « Mon destin c'est de ne rien perdre de ce qui est à moi ! ».
La tentation serait grande de rapprocher cette sagesse stoïcienne du retrait et de l'indifférence à la douleur, des nombreuses sagesses extrêmes-orientales, et du Zen. Au bord de l'étang ( qui est aussi symboliquement l'é-tang, l'étant heideggerien dans sa puissante discordance avec l'être ), on voit Dalton pratiquer des exercices yogiques, de taïchi ou taï chi chuan, une ésotérique gymnastique chinoise inspirée par le taoïsme dans le but est l'équilibre intérieur et la libération de l'énergie. Mais c'est au service d'un stoïcisme à l'occidental, voir même à l'américaine, que Dalton pratique cette sagesse asiatique.
Cette sagesse stoïcienne cool, permet à Dalton d'affronter la mort en face, la sienne et celle de ses adversaires, toujours avec décontraction et un sens de la réplique très sitcom qui semble appeler tout naturellement les rires enregistrés, comme lorsque après avoir littéralement écrabouillé un ennemi obèse sous un gigantesque ours blanc empaillé, démesurément haut et lourd, il lui dit - rictus aux lèvres - : « Dors bien avec ton nounours ». Ha ha ha ! Un stoïcisme cool et rigolo donc, que n'aurait pas non plus renié Montaigne, comme peut en témoigner le chapitre XIV du premier Livre des Essais.

Le scénario de David Lee Henry est plein de ces subtilités philosophiques rares et délicieuses qui nous font mieux comprendre le monde du cinéma d'action, et nous ouvre à ses différents niveaux de lecture. Et puis c'est très tendance de mettre du kung fu dans la caverne de Platon...

Des dents à la pelle...

Pour finir voilà un modèle d'annonce à recopier pour tous les patrons de boîtes de nuit qui voudraient faire un peu le ménage à la manière daltonienne dans leur établissement de la banlieue nord :

Le « mettre le nom de votre établissement » recherche son ange gardien.

A 25/28 ans vous disposez d'une expérience confirmée de quelques années en tant que physionomiste en night club, bar ou bordel clandestin. Passionné par le monde de la nuit et par ses aficionados, vous ne craignez pas les décibels à gogo, l'odeur du chanvre et la banlieue nord. Vous êtes à la recherche d'une évolution de carrière, et de responsabilités accrues.
Votre mission consistera à manager l'équipe de sécurité du « mettre le nom de votre établissement » afin de veiller au bon déroulement des soirées et à la sûreté de la clientèle : garant de la qualité de cette dernière par une sélection ferme et sobre à l'entrée, garant des relations de bonne urbanité entre les clients, garant du respect des législations européennes et françaises au sein de l'établissement ( relativement aux stupéfiants, au racolage sexuel, et à la sécurité routière ) ainsi que responsable de la sécurité des locaux ( normes incendies, etc. ).

De Bac+4 à Bac+5 vous avez une formation universitaire en sciences humaines, et de préférence en philosophie. Titulaire d'une maîtrise ou d'un DEA, passionné par les sagesses du passé, le candidat retenu ne reculera pas sur le terrain devant le dialogue philosophique voire même socratique avec son prochain, même en état d'alcoolémie avancé.
Mais le « mettre le nom de votre établissement » a surtout besoin d'une tête bien faite dans un corps bien fait. Le candidat retenu sera avant tout un videur, dans le sens noble du terme. Rompu à toutes les techniques de défense passive, blocage des coups de couteau, indifférence méprisante aux insultes et aux crachats, sang froid ; le candidat retenu sera avant tout un sportif pratiquant idéalement un art martial violent ( type Aïkido, kung-fu ou Karaté : des tests pratiques sont prévus au terme des entretiens d'embauche en liaison avec le cabinet de recrutement Jackobson-Smith-and-Jobless de Boston ).
Permis de port d'arme et certificat psychologique exigés.
Envoyez vos prétentions salariales, CV et lettre de motivation au plus tôt au « mettre le nom de votre établissement ».

L'équipe de Nanarland tient à féliciter vigoureusement, et à remercier chaleureusement François-Xavier Ajavon pour ce texte aussi essentiel que génial.