Ce site web utilise des cookies, uniquement à des fins statistiques.
Ils nous permettent de connaître la fréquentation de notre site web, et les contenus qui vous intéressent.
Le Flingueur
(1ère publication de cette chronique : 2008)Titre original :Bloody Trail
Titre(s) alternatif(s) :White Justice, Montego
Réalisateur(s) :Richard Robinson
Année : 1972
Nationalité : Etats-Unis
Durée : 1H18
Genre : Réalisateur à l'Ouest
Acteurs principaux :Paul Harper, Rance Howard, John Mitchum, Rickey Richardson, Hagen Smith
Les grands espaces, l'horizon comme seul repère. La découverte du Grand Ouest, la liberté qui s'offre tout entière à qui veut bien la prendre, le rêve américain. Le mythe du voyage, quête solitaire à la seule découverte de soi-même, introspection des profondeurs psychiques. La rencontre, intersubjectivité maïeuticienne, irréelle étrangeté. Les rails du chemin de fer, uniques traces de civilisation, bouée salvatrice de l'errant perdu dans l'immensité des paysages désertiques. Ulysse et son bateau. Le nanar.
Quel sujet plus envoûtant ? Comment Richard Robinson, obscur réalisateur de porno, aurait-il pu résister à l'inspiration créatrice, comment se retenir d'apporter sa pierre à l'édifice cinématographique de la liberté et de la réflexion humaine ? Surtout dans des 70's entièrement dévouées à la culture hippie ; le retour à la nature, la communion avec la Terre, le dénuement complet. Et en homme intègre, Richard assume ce dénuement jusque dans ses ressources financières. Dans son script aussi d'ailleurs. Prenez déjà le scénario : après la guerre de Sécession, Brad, soldat unioniste, rentre dans son état natal du Texas. Une idée, un film. Mais pour comprendre cette simple idée, il est nécessaire de regarder tout le métrage (ou de lire le résumé de la VHS). Déballer cette intensité scénaristique dès le début aurait été trop simple, trop conformiste, bref, inadapté à une époque de révolte intellectuelle.
Traumatisé par le massacre de son propre peuple, l'homme doit autant faire face au rejet de ses compatriotes, qu'à ses propres déchirements intérieurs. Qui est-il, quelle est sa véritable identité, quel est le chemin pour rejoindre le Texas ? Autant de questions, supports d'une réflexion menée tambour battant sur la dualité humaine, le clivage (Nord/Sud, Blanc/Noir, Homme/Femme), l'altérité, la réconciliation, la chique de tabac virginien et l'influence du doublage sur le sérieux d'une œuvre.
L'homme déchiré en question.
Ici, point de structuration-bondieuserie, aux chiottes de l'Histoire bourgeoise la Trinité. Dans « Le Flingueur », la division est par quatre. Quatre grandes rencontres, quatre temps.
La première grande rencontre, un redneck raciste comme il se doit. Rustre et tellement pauvre qu'il doit mâchouiller des brindilles avec ses 3 chicots. Mais un grand cœur. Et si la menace négro emplit son esprit de crainte, il ne refuse finalement pas la découpe de bûches au pauvre hère blanc qui se présente chez lui. A condition de ne pas toucher à sa femme. La pauvre, elle qui n'a jamais connu plus loin que la rivière qui fait face à sa baraque, elle qui n'a eu d'autre amant depuis l'âge de 13 ans que son mari, frappant sosie d'un Nick Nicholson aussi déglingué que l'original. Comment résister au beau barbu libre qui répand ses odeurs de sueur chez elle ? La statique ne peut que rêver en discutant avec le migrant du voyage à pieds, de la position du Texas par rapport à la Virginie (l'Ouest étant sur le chemin), des Noirs qui chantent sur les bateaux. Sensualité moite d'une paysanne crasseuse qui se caresse, la carabine tendrement posée entre ses cuisses. Tentation de l'interdit, ennui qui ne laisse d'autre distraction qu'une baise fougueuse devant les poules, au rythme de la Country.
Y'a pas à dire, on est accueillant dans le Sud.
Les poules, témoins muets d'une époque.
Pour le cocu, ne reste que la picole distillée maison, les rêves de castration de nègres. Et le plaisir du spectac' ferroviaire, fascination totémique génitalement ambivalente, comme l'illustrent ces déclarations enflammées : "regarde comme il miroite ; il m'apparait comme la Madone avec ses gros nénés tremblants", "regarde ces p'tites roues qui tournent, qui tournent". Surtout prononcées "regarde ces p'tits trous qui tournent". En effet, voilà la quéquette métallisée, miracle technologique flottant avec étrangeté au-dessus d'une terre esclavagiste dépassée, métaphorisant le changement civilisationnel grâce à ses tchoutchous enfantins. Mais le train est un attracteur phallique capable de mettre fin à la plus hardante des parties fines, et bien vite, notre Apollon abandonne la ribaude pour poursuivre son trajet. Sans un regard en arrière, il profite de l'avenir pour mieux rejoindre son passé.
Quels grands enfants ces bouseux sudistes.
Cependant, même l'immobilité mouvante d'un compartiment pour foin ne peut empêcher la rencontre. Surtout avec un duo de comiques frappadingues, sorte de Laurel et Hardy tarés, au vocable fascinant et au comportement agressivement délirant. Un grand escogriffe qui minaude dans les aigus, trainant tant que possible ses voyelles("Arrête de gigooooteeeeeeeeer, ma pouuule.)", prêt à offrir au quidam une gorgée de whisky et à violer sa pouf sans plus d'explication, tandis que le petit gros ricane et bouffe la moitié de ses mots ; "je vais te griller la cervelle", quel plus beau résumé de la relation à soi à travers l'intersubjectivité de l'homme proche du suicide, responsable du meurtre d'une partie de lui-même.
Le gros ricaneur.
Le grand ricaneur.
Extrait de leurs échanges :
- Je vais te griller la cervelle, sale Yankee.
- Hoss, il préférerait te tuer qu'avoir à te regarder, pas vrai, Hoss ?
- Bougrement vrai.
Le temps n'a alors plus de raison d'être, la scène se dilue donc à l'infini, dans un salmigondis de blabla sans queue ni tête, déclamé sur les tons les plus distordus possibles par les deux gueules cassées, crados comme seul un masque de visage au purin quotidien peut le faire, cherchant à occuper leur trajet ennuyeux en inventant des situations insensées qu'ils se sentent obligés de justifier (la scène sur-réaliste du procès dans la paille). Unique porte de sortie, le saut de l'ange dans le vide, l'abandon d'un rutilant mais rancunier avenir au profit du sel de la terre, solides traditions qui ont fait la preuve de leur robustesse, particulièrement quand on entre en collision avec.
Un saut tête en avant vers un inconnu potentiellement douloureux (additionné d'un magnifique faux-raccord, le personnage étant censé avoir les mains attachées dans le dos).
Et la rédemption est dure pour l'homme honnête. Obligé de se traîner pendant des kilomètres, longue marche dans l'enfer de la désolation, propice aux flashbacks hantant une conscience coupable. Chaque pas rapproche un peu plus du marasme. Jusqu'à l'effondrement, l'abandon à la mort sur le chemin de la délivrance psychique. Mais le Destin a toujours un plan dans sa poche, et sait à l'occasion s'incarner dans une muette ermite noire, fonction maternelle et soignante du désert de mâles cailloux. Opération porquasse au couteau, économie domestique basée sur le ramassage de bouts de bois, la quiétude d'un Bradley qui pisse à 2 mètres de son propre campement (et de son lit d'amour). Et la solution au déchirement interne se faire jour, là, grâce à un dialogue sexuel salvateur : la réconciliation, l'acceptation, la forclusion du peuple noir dans la culture WASP américaine. Le "J'aurais jamais cru qu'un jour, j'appellerais une négresse : madame.".
Une fonction maternante qui conserve toutefois sa capacité pénétrante.
Un foyer heureux, dans une aride mais charmante banlieue.
Mais derrière ce bucolique tableau se trament des choses étranges. Des échanges secrets. Et soudain, le subtil équilibre noir-blanc se voit confronté à l'autre excès de la balance redneck, les dangers des dérives tiersmondistes : une tribu de sauvages chasseurs africains, tout juste débarquée d'on ne sait où. Ils ont pris avec eux tout l'équipement du pays, lances et boucliers, maquillage à la craie blanche et touffe disco pour savoir qui est le chef. Probablement cannibales, comme tous ceux de leur espèce. Aussitôt, la horde affamée massacre brutalement une pauvre jeune femme qui leur tombe dans les pattes, lors d'un montage audacieux qui lie l'égorgement à la charge confédérée. Et bientôt, c'est à notre couple du nouveau monde qu'ils en veulent. C'est la sauvagerie des origines qui s'étale sur l'écran, le refus de la modernité et du mélange, le refus de la crédibilité scénaristique. Robinson l'affirme : la violence n'est pas propre à la civilisation, elle est inhérente à l'Homme, et ce, dès l'état primal.
Quelle réalisation engagée.
Quand les Native Afro-American se mettent au Disco Black Metal.
Heureusement, Visage Pâle n'a pas fait que de mauvaise choses, et l'une de ses réussites va mettre un point final à cette agression insensée : l'arme à feu. Au jeu de la kikalaplusgrosse, il est au moins démontré que de petits projectiles à haute vélocité valent mieux qu'un gros mastard à faible inertie. L'ennemi empapaouté, les rails de l'espoir réapparaissent à notre héros, désormais en paix avec lui-même. La poursuite du voyage est de nouveau possible, l'approche de la terre natale se fait ressentir. On devine que la fin approche, et que surtout, elle peut frapper à n'importe quel moment. Ce qu'elle fait d'ailleurs, dans un grand moment de nawak dont je préfère vous laisser la surprise. Ah bah oui, fallait s'y attendre, c'est quand même un nanar auteurisant ce film.
I'm a poor lonesome redneck...
Pour ceux qui n'ont pas bien compris, « Le Flingueur » n'a vraiment de western que sa jaquette et ses acteurs, et lorgne plus vers la célèbre catégorie de l'Amateur Hypnotique Mou, un genre immortalisé par « Eaux Sauvages » ou « Wendigo ». Il ne se passe pas grand chose, les scènes s'étirent souvent à l'infini, dans une dilatation temporelle meublée par les délires égotiques de son réalisateur et de sa scénariste (aux noms de famille étrangement similaires), qui pensaient probablement livrer là le renouveau de la pertinence intellectuelle sur le dualisme américain. On ne serait pas loin de la catégorie "au-delà du nanar", si les prétentions artistiques, les tronches improbables des acteurs et le doublage à la ramasse ne faisaient pas autant rire. « Le Flingueur » est donc à réserver aux amateurs de curiosités cinématographiques prêts à se laisser séduire par une ambiance langoureusement étrange, les autres risquant de franchement s'ennuyer.
Selon Spoon, notre spécialiste es western, « Le Flingueur » pourrait être affilié au courant des Acid Western de la fin des 60's et des 70's, marqué par des préoccupations raciales et contre-culturelles (« Soldier Blue », « Jeremiah Johnson »...). Ce courant est lui même un sous-groupe des Western révisionnistes, genre plus large dont fait aussi partie le Western Spaghetti.
Pour information, on retrouve au casting un membre de la grande famille Mitchum : John, frère de Robert, et surtout oncle de Chris. Quant à Rance Howard, il s'est par ailleurs illustré comme négociateur Ninja dans le navrant « 9 Ninjas 1/2 » (il fallait que ce soit dit). Quant à Richard Robinson, le mystère reste entier. Six films tournés dans les années 70, dont 4 pornos qui semblent tous tirer leur légitimé d'un premier film nommé « ABC of Mariage ». Son seul autre film hardless serait aussi un "western", « To Hell You Preach / Vengeance of a Gunfighter », contenant quelques acteurs en commun avec « Bloody Trail » et sorti la même année, devant lequel j'avoue baver d'envie. De là à découvrir que ce ne sont en fait qu'un seul et même film...
Cote de rareté - 6/ Introuvable
Barème de notation
Le substrat d'origine.