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Jattu Engineer
(1ère publication de cette chronique : 2021)Titre original : Jattu Engineer
Titre(s) alternatif(s) :Aucun
Réalisateur(s) :Gurmeet Ram Rahim Singh
Producteur(s) :Gurmeet Ram Rahim Singh
Année : 2017
Nationalité : Inde
Durée : 2h18
Genre : Le gourou s'pignole
Acteurs principaux :Gurmeet Ram Rahim Singh
Avertissement au lecteur numéro 1 : le réalisateur de ce film, Gurmeet Ram Rahim Singh, est toujours un ex-gourou criminel, il est toujours en prison pour des crimes graves, multiples et horribles, et c'est vraiment, mais alors vraiment pour lui faire une fleur qu'on l'accueille sur le même site que des étoiles comme Jean-Marie Pallardy. Qu'il pense juste à nettoyer les pixels qu'il occupe avant de les rendre à Godfrey Ho.
Avertissement au lecteur numéro 2 : le film dont nous allons parler est déconseillé comme premier abord et du nanar et de la filmographie de son auteur, et râcle le fond de la fosse des Mariannes de l'humour d'un chalut tellement lourdingue qu'il en est relativement pénible à regarder. Préparez-vous pour un peu plus de 2 heures de dégazage cinématographique, ou préférez n'importe quel opus MSG qui vous fait de l'oeil.
Vous après 1 heure de métrage.
Avertissement au lecteur numéro 3 : comme toujours, le film s'ouvre sur une campagne de prévention de la secte, cette fois une campagne anti-tabac particulièrement craspec, avec cancers en phase terminale et visages larmoyants. Ca peut impressionner. Cette campagne est suivie immédiatement par une publicité pour les produits alimentaires vendus par la secte, puis pour d'autres partenaires, parmi lesquels les piles vendues par la secte, le site officiel de la secte... la grande classe.
Mangez sain, mangez raëlien ! La scientologie, des amis pour la vie ! Le mandarom, pour les vrais gastronomes !
Dernier film en date de Gurmeet Singh (et dernier film tout court pour cause de bannissement à vie de l'industrie cinématographique indienne, et de très, mais alors très faible chance d'un pont d'or pour l'accueillir à Hollywood après la prison), Jattu Engineer signe un tournant conséquent par rapport à la saga MSG, dont il ne fait pas partie. Ce stand-alone est en effet non pas une fresque épique d'autoglorification, mais une comédie, dans laquelle pour une fois Gurmeet ne joue pas son propre rôle. Le personnage principal sera cette fois un certain "Triple S". Qui est joué par Gurmeet, hein, parce que ne pas se jouer lui-même c'était déjà un effort, mais ne pas tenir la vedette ici, ce serait complètement impensable.
Retour de la revanche de la perruque et des tenues au cordeau, mais en terme de véhicules tunés nous devrons nous contenter d'une moto.
Chose amusante, c'est encore une (absolument pas) discrète tentative de lèche du pouvoir en place parfaitement transparente pour le public indien, visant comme MSG 4 à glorifier les politiques de Narendra Modi, en l'espèce son plan de remise à niveau des infrastructures sanitaires en milieu rural, Clean India. Pour la petite histoire, Jattu Engineer signifie à peu près "le débrouillard", "le bricoleur", les Jat étant une communauté majoritairement paysanne du Nord-Est de l'Inde reconnus dans la culture populaire pour leur sens pratique. Pour ceux qui connaissent la figure du "redneck engineer", c'est à peu près ça, background ethnique en plus.
Nous suivrons donc les aventures de Triple S, instituteur badass (aucun rapport avec Gérard Klein), qui vient éduquer des villageois et leur apprendre, littéralement, à ne pas chier dans les rues. Parce que oui, en chemin, Clean India est passé de "donnons accès à des installations sanitaires aux plus défavorisés" à "apprenons à ces péquenots à ne pas étaler leur caca partout". Parce que ces salauds de pauvres ont juste besoin d'un bon coup de pied pour se prendre en charge.
Subtilité, j'écris ton nom. En caractères gras.
On retrouve clairement la subtilité consubstantielle à la saga, et en particulier son traitement délicat et réaliste des questions sociales qui avait valu à MSG 2 d'être banni des salles pour insulte envers une minorité ethnique. Qu'on se le dise : les villageois de Jattu Engineer sont le ressort comique du film, ce qui implique d'en faire une bande de blédards crasseux, stupides, grimaçants, feignants et moches. On dirait le village des Alvaro Vitali et des Alice Sapritch. C'est un festival permanent : non seulement ils passent leur journée à taper le carton au milieu des ordures mais en plus ils ne parlent pas bien (haha ils ont leur langue de pauvres, ils parlent pas bien anglais ou punjabi), ils louchent, ils bégaient, ils ne savent pas utiliser l'électricité, et chacun de leurs mouvements est souligné par des bruits de cartoon ou des musiques au bombardon.
Personne n'explique d'ailleurs pourquoi Gurmeet fait exclusivement la classe à des adultes alors qu'il y a bien des enfants dans le village.
Face à eux, la CIVILISATION est incarnée par le fameux Triple S. Qui est globalement un sale con, et n'hésite pas à se payer leur tronche pour une punchline. Sa méthode pour contrer le bégaiement, par exemple, consiste à se foutre de la gueule de son interlocuteur. Trois fois de suite. On est clairement pas sur un instituteur très orienté Montessori et pédagogie différenciée.
Le film est raconté du point de vue d'un villageois photographe amateur, qui a gagné un concours de... de développement option photographie, et raconte comment rien de tout cela n'aurait pu être réalisé sans Gurm... sans leur nouvel instituteur.
Il y a dans ce village un quartier des feignants, qu'il va falloir électrocuter pour les réveiller. Personne ne blague.
Nous allons donc passer à peu près 45 minutes à faire avec Triple S le bilan de l'incurie des villageois via des sketches grossiers, puis 45 minutes à déjouer les complots du gang local qui refuse de changer, puis 45 minutes à voir le plan se réaliser et le village retrouver sa beauté d'antan, et vraisemblablement arrêter de sentir des pieds à 15 bornes à la ronde. Le zénith de cette transformation est atteint lors d'une séquence chantée d'environ deux éternités et demie, où le village fête Holi, fête des couleurs qui selon Gurmeet met évidemment en valeur... Gurmeet, les nains dansants et les bidous avec Mickey dessiné dessus. Okay. Si vous voulez.
C'est donc vous, les fameux Paul et Mickey.
Le nadir est atteint immédiatement après, avec une scène qui n'a strictement rien à faire là (un problème de montage est carrément envisageable, un problème de rythme du film également). Cette scène d'une intensité rare voit Gurmeet et ses complices voler le caca numérique d'un villageois pour lui faire une farce et le convaincre d'aller aux toilettes comme un grand garçon.
Oui, ce film contient du caca numérique.
Si ce n'est peut-être pas LA meilleure capture d'écran du site, je maintiens qu'elle est sur le podium.
Le village termine évidemment tout beau et propre, repeint en rose bonbon crado, et capable de s'auto-alimenter en gaz et en électricité grâce au biogaz. Nanarland Investigation ayant un jour de RTT à prendre, nous avons épluché beaucoup trop d'études et passé beaucoup trop de temps sur la question pour déterminer que oui, globalement, avec les déjections des 600 têtes de bétail annoncées dans le scénario on peut arriver à alimenter un village et que seems legit de ce côté là.
Après il se peut qu'avec une centrale numérique d'Escher en briques d'argile de synthèse 8 dimensions et fortifications Vauban, on arrive à un rendement très intéressant.
En bon partisan de la politique des Auteurs, Gurmeet revient sur ses thèmes de prédilection, à savoir le messianisme forcené, l'absence de subtilité, son propre jeu d'acteur bloqué en mode avion pendant que le reste du casting cabotine pied au plancher, des bagarres qui font passer les baffes d'Obélix pour un best of du cinéma hong-kongais, une mégalomanie galopante dans la création d'une Mary-Sue désespérée, un scénario simpliste et bien trop linéaire pour meubler la durée du métrage, des dialogues à la truelle et des effets spéciaux numériques de huitième zone.
Je ne sais pas si on peut qualifier les attentats capillaires de thème artistique récurrent.
Un point également sur la musique. En dehors des deux scènes chorégraphiées déjà évoquées, qui sont le maëlstrom habituel de mauvaise musique, de paroles répétirépétirépétirépétirépétitives et de danse assise, il faut signaler le thème du film, qui est particulièrement, mais alors particulièrement ronge-crâne. Car à chaque apparition classieuse sur l'écran et chaque punchline (et si vous connaissez le bonhomme, vous savez qu'il aime apparaître comme Batman et sortir un bon one liner, voire les deux en même temps), Gurmeet a droit à son thème musical. Après avoir vu ce film trois fois, je peux vous jurer que ce truc m'est resté dans la tête. Si un jour je tombe dans le coma ne dérangez pas un médecin, sussurez moi juste "tim ta la da triple S" à l'oreille, et normalement ça devrait causer mon réveil immédiat pour répondre "jattu engineer triple S, triple S, triple S".
"Let's get down to business, to recycler le caca" (premier de la file en bleu, vous l'avez reconnu, vous l'aimez, c'est ce cher chef des aliens des opus 3 et 4 de MSG, loué soit-il.)
Force est de constater que ces éléments d'habitude si réjouissants chez Gurmeet, et qui ont fait de sa quadrilogie MSG un sans faute, sont par contre présents à dose plus faible, à l'exception notable de la mégalomanie et du surjeu. N'espérez pas plus de quelques costumes amusants, et zéro décor fendard. Contrairement aux camps islamistes de MSG-4, le village de Jattu Engineer n'est malheureusement pas transformé en un bordel de campagne pour armée de satrape balkanique disco. Aucun alien argenté, aucun éléphant numérique, aucune baston contre des chars, aucun sosie de Vin Diesel. Il ne reste que des regards appuyés de Gurmeet, et des gags, des gags, des gags.
Hahaha les paysans y sont trop paresseux pour manifester ! (l'année de la sortie de ce film, 250 paysans se sont suicidés suite à une sécheresse particulièrement grave dans le Sud de l'Inde et les manifestations paysannes qui s'en sont suivies ont fait 140 blessés et ont fait plier le gouvernement).
Oh oui des gags. Des gags à base d'accéléré, de moquerie franchement méchante, de bêtise de la part des protagonistes qui montre surtout une ignorance crasse et une petitesse d'esprit de la part de leur auteur, des gags sales, des gags bas, des gags éculés, des gags vulgaires, des gags balourds, des gags fainéants, des gags surtartinés, des gags écrits par le fort aux dépens des plus faibles, des gags faciles, des gags plats, des gags tapant sous la ceinture, des gags idiots, des gags pas drôles par méchanceté, des gags pas drôles par inefficacité du setup, des gags pas drôles par paresse d'écriture, des gags pas drôles par incompétence de la réalisation, des gags lourdingues, des gags ineptes, des gags usés, des gags téléphonés, des gags gras, des gags trop longs, des gags appuyés, en bref des gags simplement mauvais.
Huhuhu ils ont pas l'électricité, le porte voix il est relié à rien ! (300 millions d'Indiens n'ont qu'un accès marginal à l'électricité du fait d'un réseau archaïque, entraînant des émeutes régulières durant les vagues de chaleur et faisant de l'énergie un thème électoral explosif)
Et pour vous dire que c'est encore un jugement charitable, à Nanarland on aime les gags teubés. On aime la pagaille, on aime les acteurs en roue libre, les bruits de prout et les acteurs qui louchent.
Vous savez quoi ? J'ai parlé du village des Alvaro Vitali et des Alice Sapritch plus haut. Je le retire. Alvaro Vitali est un acteur solide et Alice Sapritch une reine. J'aime mille fois mieux, comme film, comme nanar, comme oeuvre, le dernier des plus nuls de leurs films que Jattu Engineer. Donnez-moi le joyeux bordel chnouf-et-tartines d'un film des Charlots, donnez-moi la rigolade mercantile mais professionnelle d'une sexy comédie italienne, donnez-moi des acteurs qui viennent tourner chez Couzinet parce qu'on y bouffe bien, donnez-moi même un film de youtubeur qui a envie de se lancer dans le cinéma avec ses potes et de se taper des barres, donnez-moi des margoulins qui n'en veulent qu'à votre portefeuille ou des incompris dont personne ne sait ce qu'ils veulent, mais retirez Jattu Engineer de ma vue.
Il a raté royalement l'épreuve que le reste de la quadrilogie avait réussi vaille que vaille : être un mauvais film SYMPATHIQUE.
Parce qu'ici, j'affirme que le but n'est pas d'amuser la galerie, ou de faire changer le monde par le rire, ou de vendre des billets, ou de créer une Oeuvre primale et violente à base de jeux de mots sur la clef du douze, mais bien de faire passer de la manière la plus crasse, paresseuse et fourbe possible un message politique de servitude au pouvoir en place, de désintérêt pour son sujet, et de mépris du public. C'est une tentative de cirage de pompes et de monnayage du poids électoral d'un empire en voie d'écroulement d'une dégueulasserie profonde. C'est l'acmé de la pensée mégalomane et sociopathe d'un gourou qui ne voit les autres que comme des instruments au service de son image fantasmée, l'acmé de la pensée d'un pervers qui exige que les victimes de ses vannes le remercient pour son aide, et l'acmé de la pensée d'un incompétent notoire qui pense que la complexité et la nuance ne sont que des obstacles à ses vues crétines sur le monde.
Et croyez-moi, s'il s'aperçoit qu'il a de l'acmé il le fera gommer numériquement par ses esclaves en post-prod.
C'est un film de gourou. De sociopathe. D'un gars qui a fait castrer des dizaines d'adeptes par tromperie pour les utiliser. D'un gars qui a abusé des centaines de milliers de personnes pour les utiliser. D'un gars qui a embrigadé, humilié et séparé de leur famille des dizaines de femmes pour les utiliser. D'un gars qui a eu recours au meurtre de journalistes, à la corruption de puissants, à la revente de son capital politique, à la provocation religieuse, à l'intimidation et aux passages à tabac autant qu'à la chanson ou au cinéma, dans le même but et sans doute avec le même manque de scrupules.
Et jamais, même malgré ses précédents délires filmiques d'autopromotion caritative, guerrière ou héroïc fantasy, jamais cela n'avait été aussi clair que dans ce film.
Cote de rareté - 4/ Exotique
Barème de notationSi vraiment vous insistez, une édition DVD avec sous-titres anglais existe via la vente en ligne, l'éditeur étant "Hakikat Entertainment Pvt Ltd", la société de notre gourou scatophile. Sur certaines éditions DVD, on retrouve parfois le nom "Sony D.A.D.C." sur les différentes éditions régionales en Inde mais il s'agit ici d'une sous-traitance à une subdivision de Sony spécialisée dans la fabrication industrielle de disques pour d'autres éditeurs.
Il est également disponible sur Youtube sur les sites à la gloire de Gurmeet, si vous cherchez un peu.