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Papamobile

(1ère publication de cette chronique : 2025)
Papamobile

Titre original : Papamobile

Titre(s) alternatif(s) : Aucun

Réalisateur(s) : Sylvain Estibal

Année : 2025

Nationalité : France

Durée : 1h22

Genre : Décalé catho, décalé catho (ohé, ohé !)

Acteurs principaux : Kad Merad, Myriam Tekaïa, Boris Schoemann, Agustín Ocegueda, Guillermo Navarro, Bruno Mestri, Javier De la Vega

Barracuda
NOTE
1 / 5

Quelle expérience à la fois unique et familière de voir Papamobile. Cette comédie de Sylvain Estibal avec Kad Merad en vedette a fait le buzz au milieu de l’été 2025, lorsqu’il fut annoncé que son distributeur renonçait au dernier moment à une sortie cinéma au-delà d’une poignée de séances (on parle pudiquement de “sortie technique”, avec cinq à sept salles dont aucune à Paris), au grand dam du réalisateur qui dénonça une sortie “sabordée”. Les quelques spectateurs par l’odeur du sang attirés (et ce n’est pas ici qu’on les jugera) rapportèrent une expérience aux frontières du réel, un film mal fini, pas fini, où surnagent quelques moments de pure gêne.

Quasiment le pistolet sur la tempe, le pape absout une succession de tueurs du cartel aussi psychopathes que fervents catholiques. Une situation qui aurait pu être drôle si elle n'était pas répétée trois fois à l'identique.


L’expérience est familière parce que le film porte des atours bien connus : le projet maudit, mal embarqué par un script qu’on devine pas assez révisé, sapé par des problèmes de budget et de production constants, et achevé par un montage réduit au défi insurmontable de faire ce qu’il peut avec ce qu’il a. La page Wikipedia du film évoque ainsi un budget modeste de 1,2 million d'euros [dans un article du Canard Enchaîné, le producteur Jean Bréhat parle lui de 2,9 millions], un réalisateur et des stars renonçant à leur salaire en échange d'une part des recettes, et des techniciens acceptant de travailler bénévolement. Le film serait resté deux ans dans les tiroirs après son tournage, ce qu'on appelle un accouchement difficile par le (Saint) Siège.

L’expérience est aussi unique parce que chacun des films qui correspond à cette description EST unique. Quand l’échec combine autant de facteurs, le résultat ne ressemble jamais à rien d’autre et peut même créer une histoire plus intéressante (et drôle) que le film lui-même. Exercice toujours stimulant, on se retrouve autant à regarder le film tel qu’il est qu’à essayer de comprendre ou deviner ce qu’il aurait dû être. Gardez ainsi en tête que dans tout ce qui suit, il y a une part de spéculation de la part de l’auteur de ces lignes.

 

Tout le Vatican se résume à trois pièces, deux couloirs et des stock-shots, ainsi qu'un jardin avec des sculptures de dinosaures (???), on sent le budget vraiment serré. Le film a été tourné entièrement au Mexique en trois semaines et demie.


Papamobile, ça raconte quoi ? Barnabé VI (Kad Merad), pape fraîchement élu, décide d’organiser son premier voyage officiel au Mexique. Là, il est kidnappé par Françoise (Myriam Tekaïa), une caïd de la drogue mais twist : ce n’est pas le pape Barnabé qu’elle a enlevé mais son sosie secret employé pour raisons de sécurité, Slim, qui pensait avoir trouvé-là un job facile, logé, nourri, blanchi. Suite à un enchaînement de circonstances, Françoise perd son statut de reine du cartel et s’allie à un Slim revanchard pour aller se refaire en braquant la banque du Vatican. 

Kad Merad en pape et en sosie du pape pris dans un papa-taquès au Vaticancre.

Myriam Tekaïa en prof de français reconvertie en baronne de la drogue.


Le début du film est emblématique des problèmes qui suivront : pendant vingt bonnes minutes, les premières et les plus cruciales pour attraper le spectateur, il n’y a quasiment aucun gag. Le film a besoin d’amener l’action et les personnages jusqu’à l’événement déclencheur (le kidnapping), mais n’arrive pas à le faire assez vite. Le montage, très speed, comprime le temps autant qu’il peut, et a recours à des artifices très voyants pour avancer à marche forcée en essayant de ne pas nous perdre, notamment une voix-off de garde suisse qui semble avoir été ajoutée en désespoir de cause et qui revient chaque fois que le film a besoin d’expliquer ce qu’il n’a pas pu montrer. Comme aucun gag n’a été inséré pour rendre plus digeste ce prologue à la fois frénétique et interminable, on se retrouve devant une comédie lancée à un train d’enfer pour n’aller nulle part.

Myriam Tekaïa explique en interview que le montage original faisait 1h15, mais que le contrat avec Prime Video exigeait un film d’1h30, ce qui a forcé le réalisateur à délayer la sauce. Des stock-shots de vraies visites du pape sont abondamment mis à contribution.

On devine l’idée quelque part de faire de la Papamobile un genre de voiture de James Bond, avec un assortiment de gadgets parodiques en mode bondieuseries bling-bling, mais si cela a existé sur le papier, ce n’est pas arrivé jusqu’au film.


Un autre procédé auquel Papamobile a recours et qui semble aussi avoir été une béquille tardive, c’est de basculer occasionnellement dans un style irréel ou onirique pour s’épargner des transitions qu’il n’avait pas. Par exemple, vers le milieu du film, Slim, Françoise et la Papamobile doivent rentrer du Mexique en Italie – il est essentiel pour l’histoire que la voiture revienne avec eux. Il n’aura échappé à personne qu’il y a un océan entre les deux pays. Le film avait sûrement une idée, mais on devine que celle-ci n’a pas pu être tournée ou ne fonctionnait pas. Finalement on a droit à une séquence incompréhensible où Kad Merad chante une espèce de chanson comique en incrustation sur des stock-shots de poissons qui nagent dans l’océan et hop ! plan d’après, on est en Italie avec la Papamobile. Tout juste Myriam Tekaïa lâche-t-elle en voix-off qu’elle a “un sous-marin” qui les attend (qui n’est jamais montré à l’écran).
 Oooookay… Si vous le dites.

Il y a quelques idées qui surnagent dans le film, même si très peu aboutissent vraiment. On pense par exemple à la scène où le pape et les cardinaux rencontrent deux consultants aux dents longues qui alignent les propositions très “start-up nation” pour renflouer les finances de l’église, suggérant sur un ton faussement compassé de licencier 30% des curés, de louer la Chapelle Sixtine pour des événements d’entreprise et de lancer une cryptomonnaie, le “Vaticoin” (alors que “Christomonnaie” était juste là !). Une scène qui aurait vraiment pu être drôle mais que l’écriture et la réalisation n’arrivent pas à amener au niveau, et que le montage achève en l’abrégeant tout juste alors qu’elle montait en puissance.

 

Une grande séquence de poursuite et d'action contre une nuée de drones... qui n'est pas dans le film, faute de budget. La voix-off s'en excuse carrément en disant "c'est moi qui raconte mal".

Et puis il y a la scène qui a le plus fait parler, et qui le mérite : celle où Kad Merad, dans le personnage de Slim le sosie, se retrouve à dire la messe et, n’ayant pas compris le rituel du lavage des pieds, suce goulûment les orteils des cardinaux. Celle-là, il faut le dire, elle est extraordinaire. C’est tout ce que le film aurait pu, aurait dû être. Kad Merad est absolument déchaîné, mettant tout son coeur à l’ouvrage, avalant quinze centimètres de panard avec une expression entre dégoût et sensualité d’une justesse absolue, la réaction des cardinaux passant de la surprise à l’extase est parfaite, la séquence est minutée précisément pour que la gêne se transforme en fou rire. C’est, à mon avis, un vrai grand moment de comédie.

 Gourmand, va !

 C’est tout l’inverse d’une autre scène “choc”, celle-ci franchement pas drôle et dispensable, où Françoise viole Slim en le prenant encore pour le pape.


En voyant Papamobile, on comprend la décision de son distributeur de ne pas le sortir, même si la façon de le faire et de l’annoncer a singulièrement manqué d’élégance. Il ne s’agit en aucun cas ici d’une situation, comme on en a connu ailleurs, où le réalisateur aurait gaspillé tout le budget avant de livrer un produit bâclé (n’est-ce pas Blueberry et Noni le fruit de l’espoir ?), et on ne peut qu’imaginer combien la séquence a dû être violente à vivre pour tous ceux qui se sont impliqués sincèrement dans sa production. Toutefois, au-delà de n’être pas une très bonne comédie, le film laisse bien un fort goût d’inachevé : il manque des morceaux et cela se voit. La fin, extrêmement précipitée, qui introduit puis évacue de nouveaux personnages en série, est symptomatique et peut légitimement laisser le spectateur sur l’impression qu’on l’a fait payer pour un film tout simplement pas terminé. 

 

Cette nonne qui danse sans raison apparente dans une incrustation hasardeuse semble par exemple avoir été ajoutée a posteriori pour pallier une scène de transition absente.


Je ne saurais pas encore dire si le film est un nanar ou s’il a assez à offrir pour devenir un jour un “film culte”. Si vous espérez un grand délire en roue libre vous en serez pour vos frais. Si, comme moi, vous êtes fasciné.e par la mécanique des désastres, vous avez là en revanche un exemple chimiquement pur de projet industriel et artistique ayant fait une sortie de route et trois tonneaux, mais qui se termine plus comme une triste épave cabossée au bord de la route que par une spectaculaire explosion en plein vol.

- Barracuda -

Cote de rareté - 1/ Courant

Barème de notation

Disponible à l'achat et à la location en VOD au moment où nous écrivons ces lignes. Le film doit sortir sur la plateforme Prime Video dans le courant de l'année 2026. A ce stade, une sortie en DVD semble peu probable.