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Kill for Love
(1ère publication de cette chronique : 2011)Titre original : Kill for Love
Titre(s) alternatif(s) :Tuer pour aimer, Amours parallèles, Uccidere per amare
Réalisateur(s) :Jean-Marie Pallardy
Année : 2009
Nationalité : France / Italie
Durée : 1h37
Genre : Le retour du maître
Acteurs principaux :Jean-Marie Pallardy, Fabienne Carat, Irina Sirbu, Triin Roslender, William Carletta, Enrico Beruchi, Gerardo Placido, Florence Fontaine, Adeline Gorgos, Bruno Zincone
Janvier 2004. La team Nanarland, grâce à ses contacts disséminés aux quatre coins du globe, entre en possession du synopsis d'Amours Parallèles, un projet de roman dont l'auteur n'est autre que l'icône quasi fondatrice du site, le seul et unique Jean-Marie Pallardy. La novellisation d'un scénario jamais tourné, même si les rumeurs ricochant ça et là - au gré des confidences de JMP himself - évoquent un casting un temps constitué du binôme Anna Falchi / Monica Bellucci (il devait aussi y avoir Michele Placido, finalement ce sera son frère Gerardo, un acteur de roman-photo beaucoup moins cher). Le texte, encadré de deux aphorismes porteurs de larges promesses (« On peut tout faire par amour, tout, même l'impossible » et « Seul le vent connaît la réponse »), dévoile très partiellement une intrigue sur fond d'ex strip-teaseuse émancipée, de conspirations châtelaines et autres coucheries de mauvais aloi.
Octobre 2007. Les exégètes nanarlandais du réalisateur tombent de leur chaise, leur lit ou leur armoire pour les plus joueurs en découvrant le roman sur les sites de vente en ligne. Au bout de quelques jours d'angoisse, l'objet arrive et se fait violemment dévorer, laissant ses lecteurs groggy. Passé ses plus visibles défauts (coquilles, contresens, fautes de syntaxe, indications techniques issues du scénario original, absence de chapitre 32…), assurant déjà à ces Amours Parallèles le statut de nanar littéraire de très bonne tenue, le récit déploie avec une densité incontrôlée des arcs dramatiques se chevauchant à la diable. On y retrouve avec bonheur nombre d'éléments récurrents de la geste Pallardesque : une lubricité généralisée, des mœurs bourgeoises mises à mal, le dédain pour l'autorité, sans oublier un autoportrait de l'auteur en homme accompli que tout le monde jalouse. Le tout avec un style pour le moins brut de décoffrage, valeur ajoutée non négligeable à l'hallucination permanente ressentie au fil des pages.
La Pallardy's touch.
Septembre 2011. Grâce aux méritoires efforts de l'éditeur Le Chat qui Fume, la quasi totalité de la filmographie érotique de Jean-Marie Pallardy est désormais disponible. Sacre inespéré pour un réalisateur désormais considéré par certains comme un authentique cinéaste, frondeur, paillard, buté, retranché derrière une absence totale de recul sur son œuvre. Les films et ses récentes interviews imposent l'image d'un artisan pragmatique, sautant sur la moindre esquisse d'opportunité pour mettre en images les histoires qui lui trottent dans la tête ; lesquelles, en autant d'instantanés des différentes périodes de sa vie, trahissent de façon inconsciente des bribes d'informations autobiographiques, des obsessions ou des opinions sur la vie, l'amour, les femmes, les gosses, les chiens. En faisant abstraction de son usage forcené du système D à grands coups de passages en force cataclysmiques, toutes ces données pourraient favoriser l'appréhension de Pallardy en auteur marginal. Kill for love, adaptation filmée d'Amours Parallèles attendue par nos soins depuis 7 ans et demi, remet les pendules à l'heure en séparant le bon grain cinématographique de l'ivraie roublarde.
Gaspard de la Roche (Jean-Marie Pallardy), fringant sexagénaire ayant fait fortune aux Etats-Unis, se la donne à Venise. En goguette dans un strip-club, il tombe sous le charme de Marie-Paule, danseuse d'origine tchécoslovaque à qui il laisse ses coordonnées. Un instant plus tard, sous la menace d'un racketteur promptement occis à coup d'extincteur, la demoiselle aux abois appelle son fringant admirateur, qui la prend derechef sous son aile virile. Un an plus tard, les tourtereaux s'apprêtent à célébrer le premier anniversaire de leur rencontre. Gaspard affronte la tête haute les jalousies et autres perfidies dont il est l'objet, depuis qu'il est revenu au château familial avec un compte en banque turgescent et une accorte jeune fille à son bras.
L'insolente Marie-Paule, elle, se rit des querelles de clocher, et trouve en sus son réconfort dans les bras de Thibault, l'architecte chargé de la réfection du château. Quand Gaspard surprend les deux amants en plein adultère dans la cave, le millionnaire voit rouge. Thibault interrompt in extremis la strangulation de sa maîtresse et assomme son assaillant. Las, une « saloperie de tonneau » se libère de son assise sous l'impulsion d'un énigmatique assassin, et ratatine l'infortuné Gaspard.
Tandis qu'une arrogante Marie-Paule, unique héritière de la fortune du défunt, défie les forces de l'ordre en appuyant la thèse de l'accident, les soupçons se multiplient sur l'entourage du regretté self-made-man. Qui a donc libéré le tonneau fatal ? Lucie, la domestique ténébreuse, énamourée de son patron ? Georges, le valet débonnaire ? Le frère criblé de dettes de Gaspard ? Anna, l'épouse cocufiée de Thibault ? Ou encore ce notaire brisé par l'impitoyable férule de son ordurière secrétaire ? Pour paraphraser l'auteur, seul le vent connaît la réponse.
La diabolique Marie-Paule (Irina Sirbu).
Arthur de la Roche (Gerardo Placido, frère de Michele).
Anna et Thibault (Triin Roslender et William Carletta).
Kill for love, faute de moyens, est un cran en deçà des ambitions développées dans le roman. Exit les scènes de fête, les ripailles comploteuses en yacht ou l'enterrement de Gaspard. Qu'on se rassure, le pétulant bordel narratif est toujours là, voguant d'innombrables fausses pistes vite abandonnées en digressions graveleuses. L'enchaînement des scènes nourrit un contexte de plus en plus nébuleux, les personnages apparaissent et disparaissent avec une constance à faire pâlir le Tommy Wiseau de The Room, et comme si ça ne suffisait pas, tous les protagonistes agissent selon une logique qui n'appartient qu'à eux.
Bruno Zincone, un fidèle de Pallardy. En plus du montage, il joue ici le rôle de Georges, le valet débonnaire.
Un notaire (Sergio Zanetti, par ailleurs responsable des prises de vue), brisé par l'impitoyable férule de son ordurière secrétaire et maîtresse.
Cet art du contre-pied permanent joue pour beaucoup dans la singularité de cette trame, qui pourrait facilement être celle d'un téléfilm anonyme. Mais avec la touche Pallardy, cette suite de marivaudages crapuleux et de manipulations incongrues prend définitivement une ampleur inattendue dès l'entame du troisième acte, au bout d'une heure de film, lorsque toute l'attention se cristallise sur la romance entre Marie-Paule et Anna au détriment de tout le reste. L'érotisme, jusqu'ici plus mutin, atteint alors son apogée, pour se voir totalement annihilé par l'emploi de la chanson titre (Tuer pour aimer, par Jeane Manson - paroles de Jean-Marie Pallardy et de Jean-Michel Heudelot) sur la scène, cruciale, de sexe saphique entre les deux pasionarias jouisseuses et individualistes.
Jeane Manson, adroitement incrustée dans le clip de la chanson du film, Tuer pour aimer.
Autre élément à ne pas prendre à la légère pour distinguer Kill for love du tout venant mélodramatique, sa réalisation claudicante, visiblement tributaire de restrictions financières drastiques. Zooms hésitants ou brutaux, cadres improvisés sur le vif, apparitions fugaces de techniciens et de cameramen dans des reflets ou carrément dans le champ, présence même plus occultée du matériel d'éclairage à l'écran, casting croquignolet - partagé entre bimbos vaporeuses et bellâtres, vieux beaux et soupirantes décaties - climax foirés sur fond de samples loopés de Massive Attack… Kill for love enfile les fautes de goût esthétiques comme des perles, avec cet entêtement désarmant qui nous fascine tant dans les productions JMP.
Un technicien visible à droite...
Voilà pour la première couche d'appréciation nanarde du film. La deuxième, non des moindres, repose sur une post-production apocalyptique, témoignage accablant des extrémités artistiques employées par Pallardy pour boucler ses films. Le doublage des acteurs italiens, par exemple, est un poème. En particulier celui d'Anna : cherchant à se caler le plus possible sur les inflexions de l'actrice, il s'enferme dans le contretemps permanent et évoque, dans ses moments les plus sidérants, les pires doublages français de films japonais, avec une seconde de pause entre chaque mot puis des phrases balancées à toute allure pour s'accorder à la diction nippone.
Mais le meilleur et / ou le pire surgit à chaque apparition de l'inspectrice apparemment inflexible jouée par Fabienne Carat (de Plus Belle la Vie, comme le clame fièrement la jaquette). On dit apparemment, car il faut avouer que son personnage s'exprime peu. Et pour cause : en toute vraisemblance, la comédienne n'a pas participé à la post-synchronisation, et ses rares lignes de dialogue, en prise de son direct, sont à peine audibles. Pour pallier ce désagrément, Pallardy a coupé une grande partie de ses répliques, a noyé des dialogues entiers en boostant soudainement sa musique d'ambiance. Et lorsqu'on l'entend enfin, c'est avec difficulté, et des niveaux sonores aléatoires entre elle et ses interlocuteurs. Sa première apparition, où elle confronte (apparemment) Marie-Paule juste après la mort de Gaspard, est à ce titre tout simplement splendide.
L'Inspecteur Moresco (Fabienne Carat), aux côtés d'un commissaire mollement joué par le très affable Enrico Beruschi.
Et un regard caméra, un !
Arrêtons donc de tout révéler. La seule chose à retenir, c'est que Kill for love marque la retrouvaille avec le Jean-Marie originel. Le responsable de White Fire, le mec qui ne se soucie d'aucun modèle, qui mène sa barque en emmerdant puissamment les lazzis critiques suscités par ses films. Kill for love, c'est la représentation par l'absurde du paradoxe insurmontable entre la foi candide de l'exécutant dans son projet, et les approximations désinvoltes de l'exécution. Qu'on ne se méprenne cependant pas : à Nanarland, ce genre de film météore, apparu de nulle part pour s'écraser dans des proportions spectaculaires, on les adore. Jean-Marie Pallardy, avec son mode de fonctionnement foutraque, demeure une personnalité fascinante, et on est prêts à tout pour qu'il continue à nous asséner des objets aussi déviants, qui finissent par avoir leur propre valeur, au-delà du bien et du mal. Oui, on est prêts à tout. Tout, même l'impossible.
Cote de rareté - 2/ Trouvable
Barème de notation
Annoncé sur aucun listing de prévision de sorties DVD, le film est disponible depuis le 6 septembre 2011 sur des sites de vente en ligne français comme FNAC, Cultura ou Arcadès direct, émanation web d'une société de distribution indépendante créée « en 1996, par Messieurs Michel Lecomte et Dominique Vanacker », créditée sur le DVD comme distributeur. La rumeur ricochant sur les toits de l'underground cinéphile internaute prétend qu'on pourrait trouver le film dans les magasins Fnac et Gibert de la région parisienne. L'édition est d'un dénuement remarquable : le menu, même pas pourvu de chapitrage, nous propose uniquement de « Voir le film ». Il n'en s'agit pas moins d'un DVD rigoureusement indispensable.
Ci-dessus, l'audicieuse jaquette du DVD américain édité fin 2013 par Fenix Pictures. Laissons la parole à ce commentaire d'un client d'Amazon : « The DVD cover has nothing to do with the film. No women are dressed in leather. No guns. No suitcase with American one dollar bills. In fact I have no idea who the woman with the nose ring could be. » (Traduction : « La jaquette du DVD n'a rien à voir avec le film. Il n'y a pas de femmes vêtues de cuir. Pas d'armes à feu. Pas de mallette avec des billets de 1 dollar. A vrai dire je n'ai aucune idée de qui peut bien être la femme avec un piercing nasal. »).