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La Môme Vert-de-Gris

(1ère publication de cette chronique : 2003)
La Môme Vert-de-Gris

Titre original : La Môme Vert-de-Gris

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Bernard Borderie

Année : 1953

Nationalité : France

Durée : 1h37

Genre : Polar croulant

Acteurs principaux :Howard Vernon, Jess Hahn, Eddie Constantine, Dominique Wilms, Roger Hanin

Nikita
NOTE
2/ 5


Ce film de Bernard Borderie, immense succès des années 50, illustre un genre relativement peu traité par Nanarland, alors qu’il est assez fourni : celui du nanar cacochyme. A savoir un type de film dont les mérites artistiques, s’ils pouvaient faire illusion à un moment donné, se sont révélés insuffisants pour résister au temps. Ce qui n’est pas un nanar aujourd’hui peut le devenir demain, et ce dans tous les domaines : qui n’a pas réécouté une vieux tube de sa jeunesse avec consternation, en se disant « Comment ai-je pu apprécier ça ? ». Ainsi va le nanar cacochyme, dont « La Môme vert-de-gris » constitue selon moi un excellent exemple.


Replongeons-nous dans le contexte de l’époque : après 1944, la France redécouvre les films et la littérature anglo-saxonne après plusieurs années de sevrage. Les productions hollywoodiennes des quatre précédentes années déboulent en masse sur les écrans hexagonaux et font une concurrence sévère à nos produits. Sur le plan littéraire, Marcel Duhamel lance la collection « Série Noire » chez Gallimard, et remporte un franc succès grâce aux traductions savoureuses de polars anglo-saxons. Le premier volume de cette collection est « La Môme vert-de-gris », un "faux" polar américain (son auteur, Peter Cheyney, est britannique). Grand succès populaire, la Série Noire attire également un lectorat "branché" qui contribuera à assurer la pérennité de son succès.


C’est de ce contexte que naît le film de Bernard Borderie. Jeune réalisateur qui s’avérera particulièrement prolifique et chanceux (« Angélique Marquise des anges »), Borderie, fils du producteur Raymond Borderie (« Les Enfants du Paradis », « Le Salaire de la peur ») signe ici son premier film. L’intention était évidemment de rivaliser avec les productions made in USA en reprenant leurs codes et leurs rythmes, à la hauteur des moyens du cinéma français. L'opération avait pour atouts de s’attaquer à un matériau de base "à l’américaine" (un polar hard boiled, tant pis si son auteur était anglais) et surtout en donnant le rôle principal à un véritable acteur américain pour la couleur locale.


Eddie Constantine.



Un joli décor de Washington en carton. Même les films d'antan savaient américaniser le produit.


C’est ici qu’intervient l’ingrédient qui fera à l’époque le succès de « La Môme vert-de-gris », mais qui décuple aujourd’hui son potentiel nanar : Eddie Constantine ! Obscur crooner venu tenter sa chance en Europe, Constantine n’avait guère d’expérience d’acteur (un seul film à son actif) et on peut le dire : ça saute aux yeux ! Le film de Borderie est en effet construit sur le décalquage à fond les manettes de tous les codes du polar américain, l’histoire elle-même (très mollassonne) passant au second plan : héros dur à cuire sans peur et sans reproche, femme fatale ambiguë, méchant suave et ignoble… L’esthétique des grands films noirs américains est elle aussi copiée-collée : noirs et blancs tranchés, clairs-obscurs, rythme et musique jazzy... L’histoire est basique et efficace : venu enquêter à Tanger (une petite touche d’exotisme à la « Pépé le Moko ») l’agent du FBI Lemmy Caution (Eddie Constantine) se heurte aux trafics d’un louche individu (Howard Vernon, très classieux avant sa période Jesus Franco) et lie une alliance ambiguë avec la maîtresse de ce dernier (Dominique Wilms). Rien que de très classique.


Eddie Constantine et Howard Vernon.



Sauf que, sauf que… RIEN, mais absolument RIEN ne fonctionne et scène après scène le spectateur contemporain se retrouve à se bidonner devant la maladresse du pastiche de film noir américain, au point que l’on se croirait devant un pastiche raté par l’équipe de Grolandsat !
La présence d’Eddie Constantine, américain pur jus, devrait être un gage d’authenticité, d’autant que ce dernier a une gueule à la Bogart plutôt efficace. Seulement… personne ne semble avoir eu l’idée de lui demander de prendre des cours de comédie ! Dès les premières scènes, où il s’exprime en anglais, le malheureux Constantine massacre son texte sur un ton de patronage qui fait basculer le spectateur le moins exigeant dans une quatrième dimension infra-bressonnienne. Il trouve ensuite la parade dans les scènes où il joue en français, en camouflant son parler faux derrière son accent chantant. Seulement, ça ne suffit guère à rattraper le désastre, d’autant que le reste du film est hélas à l’avenant. Le pauvre est d’une absence de naturel et d’aisance devant la caméra qui feraient passer Hélène Rolles pour la nouvelle Françoise Dorléac.




La mèche tombante comme Veronica Lake, les regards de braise d’Ava Gardner, les bouffées de tabac de Lauren Bacall : Dominique Wilms, dans le rôle de la fameuse Môme Vert-de-Gris, maîtresse du méchant, fait de son mieux pour ressembler à ses collègues d’outre-atlantique, mais ses efforts sont tellement appuyés qu’elle contribue à chacune de ses apparitions à faire sombrer le film au-dessous du niveau de la mer.




Le principal rescapé du désastre est encore Howard Vernon, qui dégage une distinction hélas insuffisante pour lutter contre l’absence totale d’originalité de son personnage (le méchant pervers à fume-cigarette, tout droit sorti de « Gilda » !) et à des dialogues d’un cliché éléphantesque (s'adressant à ses hommes de main qui canardent le héros : « Allez, tirez, mais tirez donc, bande de caves ! »)
Au-delà des faiblesses d’interprétation, le film croule sous les défauts du mauvais polar : baisses de rythmes, seconds rôles inexistants, intrigue à la fois pauvre et confuse, et surtout arnaque classique de tout navet qui se respecte, consistant à faire bien placer au générique des acteurs connus pour ne les exploiter que cinq minutes. Dario Moreno (vedette du music-hall des années 50) et Gaston Modot (vétéran du huitième rôle) apparaissent ainsi dans la scène d’ouverture… pour que leurs personnages disparaissent du récit sans aucune explication !


Gaston Modot et Dario Moreno, les guest-stars qui ne servent à rien.


Frustrant au niveau du spectacle et énervant par le massacre en règle qu’il fait subir aux codes du polar, « La Môme vert-de-gris » aurait tout d’un navet… si justement les efforts mêmes qu’il fournit pour imiter ses illustres modèles ne le rendaient irrésistiblement comique. Le jeu nullissime de Constantine et Dominique Wilms, l’argot suranné des dialogues et surtout une mise en scène qui alterne séquences léthargiques et gros plans à l’épate (on a l’impression que Borderie était assoupi dans certaines scènes et surchargé de caféine dans d’autres) le font basculer sans conteste dans le camp du nanar. « La Môme vert-de-gris » est à « Règlements de comptes » ou « Le Faucon maltais » ce que « 2019 après la chute de New York » est à « New York 1997 », et Eddie Constantine est à Humphrey Bogart ce que Terence Hill est à Clint Eastwood…


Lemmy Caution drague la secrétaire du Patron; James Bond n'a rien inventé.


A savourer pour pouvoir argumenter avec nos grands-parents : non, ce n’était pas toujours mieux avant, et vous aussi, vous preniez du plaisir à regarder des grosses daubes !


Soyons quand même justes avec Eddie Constantine : il a fait énormément de progrès d’acteurs par la suite et, sans jamais prendre sa carrière de comédien au sérieux, a su montrer un vrai charisme dans des productions comme « Lucky Joe » de Michel Deville, « Alphaville » (film de SF décalé où il reprenait son personnage de Lemmy Caution sous la direction d’un Jean-Luc Godard encore lucide) et « Europa » de Lars Von Trier (en 1991, son avant-dernier rôle), devenant même le chouchou d’un certain cinéma d’auteur européen (Rainer Werner Fassbinder, Mika Kaurismaki…)
Le très gros succès du film de Borderie allait, en attendant, faire de lui une vedette de premier plan en Europe (France, Allemagne) et aux colonies (très apprécié en Afrique) ce qui le conduirait à reprendre et à décliner à l’infini son personnage de Lemmy Caution, agent secret / détective dragueur et sans reproches. Jusqu’au milieu des années 60, Eddie allait faire vibrer nos grands-parents avec « Les Femmes s’en balancent », « A toi de faire mignonne », « Nick Carter va tout casser » et autres « Ces dames préfèrent le mambo ». Jusqu’au ridicule cataclysmique de « A tout casser », de John Berry (1967) qui confrontait son mythe finissant avec celui de Johnny Hallyday, en plein délire yé-yé-Salut les copains. Quant à Bernard Borderie, mort prématurément en 1978, il berce encore nos étés télévisuels avec les rediffusions infinies de la série des Angélique.


Dominique Wilms et Jess Hahn en sbire.


A noter une petite curiosité qui réjouira les habitués de Nanarland : « La Môme Vert-de-Gris » marquait également les débuts de "l'autre" Américain du cinéma français, Jess Hahn, dans un petit rôle muet d’homme de main d’Howard Vernon, qui se fait assommer par Constantine. Et le même Jess tint son dernier rôle, en 1989, dans un téléfilm où il partageait à nouveau l’affiche avec Eddie Constantine : « Le Retour de Lemmy Caution », de Josée Dayan ! Jolie manière de boucler la boucle !

- Nikita -
Moyenne : 1.75 / 5
Nikita
NOTE
2/ 5
Jack Tillman
NOTE
1.5/ 5

Cote de rareté - 2/ Trouvable

Barème de notation
S'étant spécialisé dans la réédition du patrimoine cinématographique français, "René Chateau Vidéo" a sorti ce film en VHS puis en DVD. Une édition qu'on voit parfois refleurir au hasard des promos de la société à la panthère noire. Un blu ray en édition limitée est aussi sorti chez "Pathé" sans bonus particuliers hélas.


La VHS française.

Le DVD français.

La VHS américaine.

Une statuette de J. Caillon en hommage à la beauté vénéneuse de Dominique Wilms.