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Les Portes du Soleil : Algérie pour toujours

(1ère publication de cette chronique : 2023)
Les Portes du Soleil : Algérie pour toujours

Titre original :Gates of the Sun

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Jean-Marc Minéo

Producteur(s) :Zakaria Ramdane

Année : 2015

Nationalité : Algérie

Durée : 1h30

Genre : Les portnawak du soleil

Acteurs principaux :Zakaria Ramdane, Smaïn Fairouze, Lorie Pester, Myke Tyson, Sofia Nouacer, Ahmed Benaïssa, Patrice Quarteron, Amine Mentseur

Kobal
NOTE
2.25/ 5

Mike Tyson en grand sur l'affiche, ça attire le regard, n'est-ce pas ? De quoi certainement duper le spectateur distrait, mais le nanardeur ne tombe pas dans ce genre de piège, non. On ne la lui fait plus, à lui. Il regarde les petites lignes et là, ce sont les noms de Smaïn et de Lorie au casting qui lui font fourmiller le bas-ventre, catégorie mash-up improbable qu'il convient d'immédiatement explorer. C'est ce qu'avaient fait à l'époque de la sortie du film mes confrères parisiens les plus vernis, bénéficiant de la richesse de l'offre culturelle de la Capitale qui s'autorise à diffuser sur grand écran les œuvres les plus confidentielles, de Laura à Doutes. Ne soyez pas trop rageux les provinciaux, car rappelons que d'autres villes martyres ont connu des exclusivités ciné comme... Les Deguns !

Les premiers retours étaient donc aussi enthousiastes qu'interloqués devant l'étrangeté du bidule, dans une sorte de mouéhaha incertain ! Pour ma part, c'est en errant dans les nouveautés de fin de ligne de la bienfaisante poubelle du streaming qu'est devenue Prime Vidéo qu'a surgi l'opportunité de découvrir Les Portes du Soleil (et son galvanisant sous-titre géographique : Algérie pour toujours). Et peut-être est-ce le temps qui a bonifié cette cuvée, mais la dégustation fut meilleure qu'attendue.

Cuvée vinaigrette 2015

L'introduction par des archives en noir et blanc sur les attentats de l'OAS en France (nous y reviendrons) pose un ton solennel, bien vite dégagé lors du retour à notre présent d'aujourd'hui et son traitement par une réalisation clipesque très tape-à-l’œil. Pourquoi filmer un bonhomme qui marche avec un plan séquence de 4 secondes quand tu peux en caser 25 dans le même temps ? Sans doute pour faire moderne, quitte à virer rapidement ringard et tentative cache-misère de dynamiser une absence d'action. C'est dommage car la photographie est jolie et le rendu n'est pas si cheap, mais le bling-bling surcuté façon bollywood amuse plus qu'il ne rythme. Surtout quand s'ajoute un effet de clignotement vaguement stroboscopique... en plein jour.

Le réalisateur, Jean-Marc Minéo, est connu pour sa pratique titrée du kung-fu et pour sa passion à tourner des films avec John Foo.



Il semble ici avoir pour commande la mise en valeur des ors algérois (la promo mettant pourtant en avant le tournage à Oran !) mais l'effet carte postale est foiré, tant rien de mémorable ne ressort : on reste dans des quartiers poussiéreux, des arrières-cours de garages et des zones paumées.

Revenons à l'intrigue : Smaïn et son acting de badass-un-peu-cool-mais-quand-même-inquiétant attend dans la pampa, en compagnie de sbires. Tiens, d'ailleurs ça serait pas Lorie la meuf qui s'est tartouillée les yeux de mascara et fait une teinture corbeau ? Arrive enfin le convoi attendu : un camion de glaces orné de ballons gonflables, dont émergent des... armoires à glace (logique) russes en chemises hawaïennes. OK, je sais, dit comme ça on pourrait penser à une partie de jeu de rôle démarrée bien trop tardivement après le début des festivités éthylico-psychotropiques, mais à l'écran, c'est emballé comme le polar le plus sérieux du monde. Tout le monde est armé, prêt à en découdre au moindre faux pas, ça se teste à coups de vagues punchlines creuses, y'a du fric, du deal de guns et ça se termine dans le sang, avec une Lorie ange de la mort et un Smaïn malfaisant de vile mafiosité. Film, tu m'as convaincu, je te suis.

South Park is coming !

Dans le genre baraque à frites XXL, Youri, le chef russe, se pose là. Détail marrant : il s'évertue à cacher son arme dans son dos (ce qui est assez handicapant dans un tel deal) alors que tous les autres protagonistes exposent la leur sans pudeur.

Allez hop, on change d'ambiance sans transition (autant vous y habituer car le monteur est friand de ruptures chocs) et on suit désormais un certain Jawed, probable agent d'on ne sait quelle instance secrète ou paragouvernementale, qui postule pour être plongeur dans une boîte de nuit. On devine qu'il doit s'agir d'une mission mais ne comptez pas sur le scénario pour vous l'expliquer, c'est un film participatif auquel vous allez devoir prêter votre imagination pour comprendre l'intrigue. Donc ce night-club semble sous l'influence de Smaïn, qui s'appelle en fait Slimane, et qui apparaît comme le plus grand chef mafieux du quartier et du reste de l'Algérie (la preuve, il rackette en personne les commerçants). Pour une raison explicitée bien trop tardivement, Slimane a décidé qu'il devait à tout prix devenir le propriétaire de cet établissement, dont le directeur est pourtant déjà endetté auprès de lui. Mais au lieu de simplement virer ce dernier ou de directement le buter comme il n'hésite jamais à le faire par ailleurs, il monte un plan des plus tortueux qui va occuper plus d'une heure de film.

Jawed est incarné par Zakaria Ramdane, étoile filante du cinéma (deux films à son actif), également unique producteur des Portes du Soleil pour être sûr d'être bien servi. Son pedigree comporte une pratique des arts martiaux et un record du monde de cassage de planches de bois à coups de tête (!).

Attention, accrochez-vous à votre scénario du dernier Nolan, ça va triturer de la méninge : Slimane a embauché trois mastards venus de "toute l'Europe" pour jouer les videurs et péter aléatoirement la gueule à des clients, histoire de faire baisser la note Google de la boite et ainsi la couler ! Et comme ça pourrait ne pas suffire, il envoie également Lorie défoncer des teufeurs sur la piste de danse, puis casser le nez au proprio parce qu'il ne règle pas assez vite ses traites !! En bonus, il a même placé une trafiquante de faux billets dans le personnel. Tout ça dans l'objectif de racheter à bas coût le night-club et en faire la plaque tournante du deal local. Un business model des plus patients...

Les trois mastards européens (tous incarnés par des acteurs algériens) à qui il manque juste un tee-shirt Truand2lagalère.

Les lignes au sol signent leur concours de distance de projection par uppercut des clients.

Mais c'était compter sans notre héros-producteur qui a bien décidé de gravir à toute berzingue les échelons de sa réussite professionnelle. Après être passé de plongeur à serveur (en récompense de sa remise en place du nez du boss), Jawed commence à rouster les videurs agressifs, au milieu d'une foule très tolérante aux bastons entre deux slows. Il a beau être un indestructible homme d'action au regard ténébreux inamovible (il garde toujours la tête légèrement baissée de 3/4 pour te regarder du coin de l’œil sous son arcade sourcilière), il ne dit pas non à un petit coup de pouce du destin. Et là, magie du jet de dé et de la table des événements aléatoires, apparaît un random Mike Tyson.

Jawed a une petite vibe "wanabee Steven Seagal" avec son perso de barbouze bastonneur/flingueur.

Here comes a new challenger !

Les concernés n'ont pas longtemps à se demander s'il s'agit bien du vrai Mike Tyson as himself, qu'il leur patate la bouche au nom de la justice (qui est "l'affaire de tous"), en quantité bien plus que raisonnable, car on devine qu'il est difficile de se relever après avoir amorti avec ses molaires une droite de Iron Mike, et encore moins d'y retourner avec gourmandise pour la petite sœur. Et sitôt la livraison de pains terminée, notre boulanger tire sa révérence : trois minutes de présence dans un rôle inutile et mon nom en gros sur l'affiche pour faire vendre le film, j'empoche 10% du budget total [authentique] et ciao ma gueule. Du grand (noble) art.

Le public est tellement ébloui par la présence de la star qu'il est obligé de regarder ailleurs.

Cet homme n'en croit pas son oreille.

Cette intervention VIP que surlignent à gogo tous les personnages, histoire de bien faire rentrer dans le crâne du spectateur que oui, c'était bien MIKE FUCKING TYSON, ne suffit toutefois pas à débloquer l'intrigue du rachat de la boîte de nuit. Passons donc rapidement sur le love interest nullos de Jawed, ses rencontres avec son contact qui n'apportent aucune information complémentaire sur la trame en cours, sa remise sur les rails d'une saine gestion financière du night-club (ça, c'est de l'agent impliqué), le personnage du vieux garagiste doublé par la voix de Morgan Freeman qui, comme un peu tous les autres persos secondaires, ne sert que de prétexte à lier les intrigues des gentils et des méchants (c'est petit, Alger) et les scènes intercalaires incompréhensibles pour noyer un peu plus le scénario... pour finalement nous approcher du dernier segment du film, clairement le plus intéressant.

Petite technique d'amélioration des performances économiques du bar : remplir des bouteilles de marque avec des alcools bas de gamme.

Les mastards se plaignent auprès de Slimane de leurs conditions de travail lors des galas people.

Allez, je suis sympa, je vous donne un indice peu contributif sur l'intrigue.

Contractez encore un petit peu le périnée pour faire durer le plaisir, le temps que l'on parle quand même des deux autres têtes d'affiche, celles-là même qui nous ont convaincu de visiter les bas-fonds algériens. On ne peut pas reprocher à Smaïn de ne pas essayer de jouer les durs à cuire, il s'y emploie avec méthode, certes jusqu'à la caricature, mais allez, ho, soyons beau joueur. C'est d'autant plus dommage de foirer autant d'efforts en craquant aux deux-tiers du métrage, pour partir soudainement en one-man show qu'enfonce une post-synchro légèrement à côté de la plaque. En comparaison, Lorie fait étonnamment le taf en exterminatrice impassible et sanguinaire ; elle est à l'aise tant qu'elle ne quitte pas sa fonction archétypale, ce qui arrive alors qu'elle part consulter un psychiatre suite à une vanne de Slimane. On a alors droit à une origin story aussi glauquissime que ridicule, complètement hors du ton du reste du film.

Smaïn en Tony Montana du pauvre.

Smaïn en gangster du Comedy Club.

Lorie en mode emo / gothique. La positive attitude ou la mort.

Conclusion d'une grande finesse sémiologique par le psychiatre.

Les Portes du Soleil a toutefois un argument qui saura titiller le palais du nanardeur : une belle brochette de sbires. Que ce soient les videurs ou les hommes de mains de Slimane, y'a de jolis modèles. Ainsi son bras droit noir qui ne s'exprime que par des sifflements a un vrai charisme physique, malheureusement trop vite expédié. J'ai également beaucoup aimé ce sbire d'inspiration asiatique avec une épée chinoise dans le dos (elle y restera malheureusement).

Il est vrai que Smaïn capte tout le charisme de cette image, mais je vous assure que son bras droit derrière a la classe (il s'agit de Patrice Quarteron, alias le Rônin sombre, alias PQ, champion mondial de muy-thai, un art qu'il ne pratiquera que de manière très brève dans le film).

Ce sbire aussi vend un peu de rêve... là encore jamais réalisé.

Un peu de sbires de voiture, si jamais ça vous intéresse.

Comme je le disais précédemment, la dernière demi-heure du film est une révélation tant elle semble être l'irruption d'un nouveau scénario qui vient whatthefucker tout ce qui a précédé. Attention, je divulgache pour les lecteurs qui ne prévoient pas de voir le film ; pour les autres, allez vous fader les intrigues de ZE boîte de nuit d'Alger pour ensuite profiter de ce dernier étage de la fusée, qui décolle bien au-delà de sa base. Le grand twist des Portes du Soleil, qui donne enfin une explication à tout le salmigondis qu'on tentait de décrypter, refait sens avec son introduction : Slimane est en fait un militant du Renouveau de l'OAS, association de bons amis qu'il finance avec ses trafics mafieux. Et il compte réaliser attentats et prises d'otage d'officiels occidentaux pour faire réhabiliter les martyrs de la cause et prouver ainsi que "l'Algérie ne mettra jamais genoux à terre". Keuwa ??

Alors, ça vous souffle l'auriculaire, hein ?

Pour ceusses fâchés avec l'Histoire ou le doyen de notre Assemblée Nationale, rappelons que l'Organisation de l'Armée Secrète (O.A.S. donc) était une organisation terroriste d'extrême-droite qui s'opposait à l'indépendance de l'Algérie et prônait son maintien au sein de la France, comme départements (avec tout de même une discrimination des autochtones, appelés "indigènes musulmans", qui n'avaient pas les mêmes droits que les autres Français parce que Liberté, Égalité, Fraternité, ça va bien deux secondes). L'OAS rassemblait des groupes divers, tant civils que militaires, et a perpétré de nombreux attentats meurtriers en métropole et en Algérie (2000 morts estimés), dont certains dirigés contre le Général de Gaulle (le fameux attentat du Petit-Clamart), abhorré pour avoir signé les accords d'Evian, preuve indéniable de sa marxisation (!).

Un peu de réclame d'époque.

Comment donc les scénaristes des Portes du Soleil ont-ils pu commettre un tel contre-sens historique que de montrer des Arabes contemporains nostalgiques d'une doctrine visant à les asservir ? S'il a bien existé à l'époque de l'OAS une participation de certains "français-musulmans" à ce mouvement, pour des motivations diverses, cela apparaît totalement anachronique désormais. J'ai d'ailleurs initialement cru que Slimane et ses troupes incarnaient plutôt des nationalistes algériens décidés à en découdre avec l'ex-colonisateur, d'autant qu'il déclame des diatribes contre la "République" (nom certes exact du régime algérien mais reconnaissons-le, assez confusionnant), et j'ai dû revoir le film pour tenter de tout bien comprendre. Après avoir envisagé que Smaïn puisse incarner un descendant de Pied-Noir (mais alors pourquoi choisir comme acteur une figure du stand-up beur des 80's ?) ou peut-être de harkis, il semblerait que son personnage ait un père (adoptif ?) militaire qui aurait pu participer au putsch des généraux de 1961. Son adoration pour Raoul Salan, figure de l'OAS, autorise même les esprits les plus féconds à imaginer qu'un lien de filiation les unisse. Beaucoup de conditionnels dans tout ce paragraphe, c'est dire la clarté de l'intrigue.

La photo familiale ouverte à toutes les interprétations d'un scénario brinquebalant.

Tout en écoutant les discours putschistes, Slimane contemple sa petite vitrine de la fanzouzerie de Raoul Salan.

Cette auto-atomisation s'accompagne qui plus est d'un plan totalement chtarbé de voitures explosives qui ne serviront jamais, et d'une prise d'otages que la réalisation tente de badass-iser alors qu'elle est immédiatement débordée par l'intervention des forces spéciales. Faut quand même voir le grand bandit/terroriste Slimane flipper sa mère dès qu'il aperçoit des hélicos par la fenêtre et s'enfuir en courant au milieu d'une fusillade filmée n'importe comment (à force de transgresser la règle des 180°, on a l'impression que les policiers de la BRI algérienne se flinguent les uns les autres), jusqu'à une confrontation finale bien nawakée où les retournements de situation niquent jusqu'au dernier trognon la maigre cohérence des précédents événements, pour ne rien apporter de plus que le "tintintiiin, ahaaaa, en fait, c'était moi qui..." ! Une jolie conclusion donc, dont on sent qu'elle était le point d'orgue attendu d'un scénario qui ne savait plus comment rallonger la sauce, mais qui vire aussitôt à la réjouissante explosion de confetti où tout s'effondre. Champions les artistes.

Présenté comme étant les fameuses Portes du Soleil, ce monument semble plutôt être le fort de Santa-Cruz d'Oran.

La victoire des forces secrètes algériennes est aussi l'occasion d'une petite publicité sur l'Etat de Droit local (gag !).

Porté par son ambition d'être le premier actioner algérien, Les Portes du Soleil s'avère être une expérience cinématographique intrigante qui, au prix d'un ventre-mou sympatoche, offrira aux plus valeureux un festival de bêtises tant à l'écran que dans sa relecture approximative des livres d'Histoire dans la collection Jean-Marie Bigard raconte. Et pour ceux qui auraient du mal à quitter le film, voici la chanson-titre, interprétée par Lorie.

[NdA : n'étant pas historien, et face à un script traitant de manière aussi confuse des événements complexes, je reste preneur de toute correction si jamais j'avais moi-même commis des contre-sens ou des oublis délétères dans cette chronique]

- Kobal -
Moyenne : 2.13 / 5
Kobal
NOTE
2.25/ 5
Barracuda
NOTE
2/ 5

Cote de rareté - 3/ Rare

Barème de notation

Le film n'a pas bénéficié d'édition DVD par chez nous, il faudra donc scruter sa reprise par des plateformes de VOD, "Amazon prime" en tête. Les aficionados du support physique devront se tourner vers la Suède ou le Japon.

Sous le titre Gates of the Sun.

Là aussi sous le titre Gates of the Sun, mais avec une jaquette repimpée.