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Le Sadique aux dents rouges
(1ère publication de cette chronique : 2007)Titre original : Le Sadique aux dents rouges
Titre(s) alternatif(s) :Aucun
Réalisateur(s) :Jean-Louis Van Belle
Année : 1970
Nationalité : Belgique / France
Durée : 1h25
Genre : Dracula, vampire textuel
Acteurs principaux :Albert Simono, Daniel Moosman, Jane Clayton
Durant les années 60, le cinéma d’horreur européen était largement dominé par les productions britanniques de la Hammer et de la Amicus. À l’exception de quelques réalisateurs italiens s’essayant au genre et des initiatives un peu folles des gens d’Eurociné en France et en Espagne, le Vieux Continent ne pouvait alors compter que sur la perfide Albion pour fournir ses cinémas de quartiers en histoires de vampires, de savants fous et de sectes sataniques. Et, alors que les angliches moulinaient à la tonne du film d’épouvante gothique à base de Peter Cushing plantant des pieux en bois dans le cœur de Christopher Lee (quand ce n’était pas le contraire), les réalisateurs hexagonaux, imprégnés des idées existentialistes véhiculées par l’esprit de Mai 68, préféraient explorer longuement le surmoi de la dialectique sartrienne en filmant leurs nombrils et les nichons de leurs actrices, dans le but, par ailleurs fort louable, de transmettre le désir de la transgression subversive révolutionnaire aux masses laborieuses. (Lesquelles étonnamment, préférèrent toujours Max Pécas et les Charlots aux œuvres dialectales de la Nouvelle Vague. Salauds de pauvres !) Toutefois, hors des sentiers (lumineux) battus, quelques auteurs lunaires réussirent à mener à bien quelques projets un peu fous, détonant dans le paysage cinématographique européen des années 70. « Le Sadique aux Dents Rouges », film de « sex-horror » comme le vante mensongèrement son affiche, fait partie de ceux-ci. Mouais... Tout bien réfléchi, « film » n’est peut-être pas le qualificatif le plus idoine pour désigner ce machin. « Expérience dadaïste au-delà du réel » correspondrait mieux à la nature exacte du « Sadique aux Dents Rouges ». Parce que franchement, si un réalisateur s’est montré suffisamment pété du bulbe pour mettre en boîte un truc pareil, que penser du sens des réalités du producteur qui espérait en tirer quelques prébendes ?
L'inimitable esthétique des années 1970.
La genèse du « Sadique aux Dents Rouges » est – à l’image du film – plutôt floue. S’agissait-il d’un film de commande dont le réalisateur belge Jean-Louis Van Belle se fichait éperdument, ou d’un projet personnel qui lui tenait particulièrement à cœur ? Mystère. Il serait tentant d’imaginer Van Belle comme une espèce d’Ed Wood d’outre-Quiévrain, ayant conçu et visualisé son film dans sa tête avant de le porter à l’écran, mais, hélas, le fait qu’il ne soit que le réalisateur et non le scénariste semble plutôt indiquer qu’il s’agissait du projet d’un autre, projet que Van Belle se serait contenté de mettre en boîte en pensant probablement davantage au chèque qui l’attendait en fin de tournage qu’à la direction de ses acteurs. Détail significatif tendant à accréditer cette hypothèse : le reste de sa filmographie (oscillant entre le film noir, l’érotique et le vaguement porno) montre qu’il n’a pas réitéré l’expérience dans le registre de l’épouvante, laissant à penser que « Le Sadique aux Dents Rouges » fut son unique expérience dans ce domaine. La distribution laisse également perplexe. A l’exception de quelques acteurs capables de débiter leurs dialogues avec un minimum (voire un surplus) d’entrain, le casting donne l’impression d’être formé de non professionnels, soit qu’il s’agisse d’inconnus s’étant essayé au cinéma pour la première (et, selon ImdB, la dernière) fois, soit d’amateurs recrutés au sein de la troupe de l’atelier « théâtre révolutionnaire et expression corporelle » de la MJC Emile-Couzinet de Bobigny. Une constante qui marque le film : l’intégralité du casting joue mal. Mais alors mal ! Qu’ils mâchouillent leur texte d’un air peu convaincu, ou qu’ils en rajoutent des tonnes dans le registre « sourire sadique, rictus entendu », la direction d’acteur est catastrophique. Jamais aura t’on vu sur grand écran vampire plus mou, maître des ténèbres moins convaincu, jeune première plus anti-charismatique, journaliste de choc plus gnan-gnan, commissaire de police plus déprimé... D’ailleurs, à l’exception d’Albert Simono ayant persisté dans le métier d’acteur (essentiellement en Angleterre) et de Daniel Mossman, devenu réalisateur, l’intégralité de la distribution semble avoir disparu de la surface de la Terre. Je profite par ailleurs de cette chronique pour lancer, avec des trémolos dans la voix, un vibrant appel à témoin : que sont-ils devenus ? Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, vous qui participâtes au tournage du « Sadique aux Dents Rouges », si vous me lisez, merci de prendre contact avec Nanarland. Le monde doit savoir le comment et le pourquoi de ce film !
Un film de terreur !
Un film terrorifiant !!!
Un film épouvantablissimantesque !!!!!
Un film avec des poils de nez qui dépassent !!!!!!!!!!
Et l’histoire dans tous ça ? Car figurez vous qu’il y en a une. Et pas piquée des vers d’ailleurs puisqu’il a fallu à l’auteur de cette chronique pas moins de trois visionnages pour en comprendre les grandes lignes (et encore, certains détails m’échappent toujours). Quelque peu confuse (comme si le scénario avait été réécrit plusieurs fois en cours de tournage), la trame exhale une douce fragrance de portenawak dès les premières minutes. Daniel, jeune graphiste publicitaire, sort de l’hôpital psychiatrique où il était interné. Victime des séquelles d’un accident de moto, il commence à se prendre pour un vampire (gné ?). Manque de chance pour lui, les deux psychiatres qui suivent son cas s’avèrent être d’authentiques salopards dont le but est de profiter de ses pulsions schizophrènes pour le transformer en véritable suceur de sang nocturne. Oui ? Pardon ? Ça ne tient pas debout ? Ah, mais permettez, amis lecteurs ! A ce stade, je n’en suis qu’aux trois premières minutes du film, alors, si vous m’interrompez sans cesse, on n’est pas couchés ! Faux vampire transformé en vrai vampire par ces deux psychiatres méphistophéliques (qui au cours du film s’avéreront également dentistes, neurologues et occultistes de foire... bref, de vrais génies du mal au cursus universitaire pluridisciplinaire, en somme), Daniel commence à essayer de se réinsérer dans la société malgré ses troubles obsessionnels qui le poussent à voir des insectes et des reptiles mal incrustés sur les tableaux moches de son appartement laid (nous sommes en plein cœur de l’esthétique 1960-70, aussi. Ca aide) ou à imaginer ses collègues de travail déguisés en Dracula de carnaval. La transformation vampirique : un mal terrible et méconnu, qui nous concerne tous et à propos duquel la science reste obstinément muette !
Cours magistraux à l'Actor's Studio. Aujourd’hui : l’œil du gnou.
Cours magistraux à l'Actor's Studio. Aujourd’hui : le regard perçant du mérou...
Cours magistraux à l'Actor's Studio. Aujourd’hui : toute l’incompréhension du monde dans lequel nous vivons. (Chienne de vie !)
Cours magistraux à l'Actor's Studio. Aujourd’hui : l’imitation du flamby à la semoule.
Cet homme est le vampire qui va offrir le monde à Belzébuth. (Si, si !)
Mais au fait, quelle est exactement la motivation des dentistes-psychiatres de l’Enfer pour malmener ainsi la psyché du malheureux Daniel ? On ne le saura jamais vraiment. Au début, il semblerait qu’il s’agisse d’une expérience scientifique. Et puis non, en fait, on apprendra qu’ils ont fait ça sous l’impulsion du Maître des Ténèbres avant qu’une vague histoire de secte démoniaque aux objectifs flous ne soit évoquée, puis qu’on ne comprenne plus rien du tout, vu qu’à la fin, ils s’allient sans coup férir aux forces de l’ordre pour arrêter le monstre, sans pour autant sembler renoncer à leur plan initial. En résumé, les ressorts de l’intrigue paraissent assez nébuleux. Sans doute devait-il exister une trame directrice (je veux bien le croire en tous cas), mais elle n’apparaît pas du tout à l’écran tant les dialogues semblent noyés dans un discours proto-philosophique aussi abscons qu’incompréhensible. Et puisque nous avons précisément nos deux psychiatres dévoyés sous la main, intéressons nous un peu à leur cas, tant ces deux pervers individus contribuent à la nanardise intrinsèque de l’objet. J’ignore qui sont les acteurs recrutés pour interpréter ces personnages mais, en tous points, ils sont grands ! Si le premier (aimablement baptisé « Docteur Rictus » lors du visionnage) est un véritable festival de demi-sourires cruels en coin, de ricanements entendus et de regards fourbes pleins d’arrière-pensées malsaines, son assistant (le Docteur Tic, donc) est aussi expressif qu’une palourde, à l’exception des nombreux tics nerveux qui agitent son visage aux moments les plus inopportuns. À eux deux, c’est un véritable festival de cabotinage mal maîtrisé et de mimiques « comme les vrais » honteusement surjouées. Jamais couple de scientifiques véreux ne fut plus magistralement interprété dans l’histoire de la série Z, qu’ils en soient ici remerciés !
Un sourire en coin qui en dit long... Le Dr Tic et le Dr Rictus semblent particulièrement fiers de leur plan diabolique !
"Juste une petite carie. Un sacrifice humain et deux prières à Satan, et il n’y paraîtra plus !"
Le Docteur Tic ne dit rien, mais n’en pense pas davantage...
Le Maître des Ténèbres en personne.
Revenons-en à notre héros. Daniel, vampire en devenir, multiplie les traumas émotionnels qui le conduisent invariablement sur l’highway to hell de la Dépravation et du Mal. Qu’il cherche à mordre sa petite copine, qu’il attaque des spectateurs dans un cinéma à deux reprises (mais, comme dira la police, vu que personne n’a porté plainte, c’est pas grave), qu’il aille se faire mordre par un vampire qui consulte sur rendez-vous (cherchez pas à comprendre), qu’il se fasse baratiner par un hypnotiseur moustachu qui invoque le Maître des Ténèbres pour lui prédire son satanique destin, qu’il multiplie les aphorismes entendus sur la malveillance ineffable des poules (« Rien n’est plus cruel qu’une poule » affirmera t-il avec le plus grand sérieux avant de tuer le dangereux volatile qui l’avait regardé de travers) ou qu’il finisse par commettre l’irréparable (assassiner froidement une vendeuse de farces et attrapes pour se procurer un dentier en plastique afin de se conforter dans sa nouvelle identité), Daniel est en pleine perdition. Ca tombe bien : le spectateur aussi. Tout juste apprendra t’on au détour d’un dialogue gloubiboulguesque que le vampire – rebaptisé « Dents Rouges » par les psychiatres neurologues soigneurs de caries - a été choisi par le Seigneur des Ténèbres pour devenir le père de trois enfants, qu’il devra tuer, mais dont le troisième régnera sur le monde. N’essayez pas de comprendre, c’est de l’ésotérisme à destination des plus grands initiés.
Observé vicieusement par une poule lubrique et cruelle, le Sadique aux Dents Rouges ne va pas s’en laisser conter.
Ce vampire consulte sur rendez-vous. Appelez son audiotel au 08 90 99 99 99, c’est urgent !
L’hypnotiseur des ténèbres, dans une fulgurante mise en abîme.
Heureusement pour notre pauvre monde, menacé par les plans diaboliques d’une secte de dentistes lucifériens utilisant un vampire aux dents en plastique pour le dominer, les forces de la justice veillent ! Face au monstre, une Sainte-Alliance entre la police, un journaliste, un dompteur et la petite amie de Daniel se forme pour stopper le plan belzébuthesque des psychiatres en chirurgie dentaire de l’Abysse. Entre la ligue de Justice du XIe arrondissement et les Ténébreux de Clichy-Sous-Bois, la lutte sera dantesque ! Heu, non je déconne en fait, puisqu’à la fin, les suppôts de Satan se joignent eux-mêmes au groupe chargé de traquer le vampire pour favoriser leur projet satanique en l’empêchant d’aboutir. Ce n’est pas tout à fait cohérent, mais ce n’est plus très grave à ce niveau. Quant au final, lors d’un bal masqué matinal, il est à la hauteur du film : incompréhensible et non-sensique. Presque hypnotique de par son absurdité verbeuse, sa pédanterie à peine cachée et ses images floues à la chromatique douteuse.
Une jeune première bourrée de talent et sexy en diable. A noter son accent anglo-saxon (américain ? anglais ?) particulièrement pénible, qui lui a valu auprès de certains nanardeurs le surnom de "Jane Birkonne".
Le « meilleur journaliste de Paris » (c’est pas moi qui le dit, c’est la police).
Le commissaire chargé de « l’affaire de la vendeuse de farces et attrapes ». Des carrières prestigieuses se sont bâties sur moins que ça.
L'indomptable dompteur de fauves.
Chef-d’œuvre quasi-inconnu, immersion timide, mais grotesque, du savoir-faire franco-belge dans le registre du fantastique, « Le Sadique aux Dents Rouges » fait figure d’OVNI dans le cinéma d’épouvante. Totalement incompréhensible, esthétiquement hideux, mentalement éprouvant, le film semble être issu du cerveau d’un schizophrène en phase terminale, ou d’un réalisateur n’ayant strictement rien à foutre de ce qu’il était en train de tourner. Joyau dadaïste de première catégorie, oscillant toujours entre le film d’auteur abscons et le film fantastique délicieusement ringard, « Le Sadique aux Dents Rouges » est une petite merveille, d’autant que son final vient confirmer les premiers doutes du spectateur. « Oui, j’en ai rien à branler de ce film » semble hurler son réalisateur lors du final. « Je m’en fous, je faisais ça uniquement pour payer mes impôts et je vous emmerde, mouahahahaha !!! » Et bien, si l’administration fiscale a pu faire en sorte que de tels films existent, qu’elle en soit remerciée pour les siècles des siècles !
Au bal, au bal masqué, ohé, ohé !
La fin du monstre.
Cote de rareté - 4/ Exotique
Barème de notationJamais sorti en VHS, jamais passé au format DVD, « Le Sadique aux Dents Rouges » était resté une rareté quasi-introuvable et la seule version qui circule est un screener (film d'une projection sur écran), plutôt bien pour ce qui est de l'image (on met un certain temps à repérer le truc, la capture du film s'étant probablement faite en appartement privé), mais dont la bande-son se révèle parfois chaotique. Un DVD-R, sans doute fait à partir de la même source, a été un temps en vente sur des sites japonais (!) mais il semble épuisé. Pendant longtemps on a pu fantasmer à loisir : selon des sources très sérieuses et on ne peut plus fiables, la Cinémathèque française en aurait gardé une copie dans son QG secret, au cœur de la Zone 51, entre le cadavre congelé d'un extraterrestre, le fusil qui a tué Kennedy et la tête cryogénisée d'Elvis Presley.
Et puis un miracle se produisit : lors de l'édition 2009 de l'Etrange Festival de Lyon, la rencontre entre Pete Tombs (l'éditeur américain Mondo Macabro) et Van Belle, tous deux invités, fait des étincelles. Le résultat, c'est qu'en 2010 Mondo Macabro sort enfin cet incunable, en double-programme avec "Paris interdit", film dans la veine mondo du même Jean-Louis Van Belle. Des versions restaurées, en français sous-titré anglais et présentées par Van Belle en personne. Encore une partie de notre patrimoine qui fout le camp à l'étranger ! Heureusement c'est du multizone.