Recherche...

Frankenstein conquiert le monde

(1ère publication de cette chronique : 2009)
Frankenstein conquiert le monde

Titre original :Furankenshutain tai chitei kaijû Baragon

Titre(s) alternatif(s) :Frankenstein vs. Baragon, Frankenstein Conquers the World

Réalisateur(s) :Inoshirô (ou Ishirô) Honda

Année : 1965

Nationalité : Japon / Etats-Unis

Durée : 1h27 à 1h33 selon les versions

Genre : Cotorep-ploitation

Acteurs principaux :Tadao Takashima, Nick Adams, Koji Furuhata, Kumi Mizuno, Takashi Shimura, Haruo Nakajima, Peter Mann

John Nada
NOTE
3/ 5

Reptile géant, robot géant, statue, gorille, tortue, mite (oui oui, mite)... le kaiju-eiga aura connu bien des déclinaisons, la singulière fascination que semble exercer sur le peuple nippon le gigantisme - et plus particulièrement ses effets destructeurs sur le mobilier urbain - ayant engendré un nombre extravagant de créatures surdimensionnées. Parmi la foule qui compose ce bestiaire haut en couleur, quelques individus se distinguent tout particulièrement par leur excentricité : ce sont les canards boiteux du kaiju-eiga. Des aberrations kitchissimes qui font figure d'incidents de parcours dans l'histoire de certains studios, de regrettables erreurs de casting, fruit des démences d'un scénariste stagiaire surmené ou d'un producteur aux abois. En queue de cortège de cette bande de losers, on recense cet individu :


Frankenstein conquiert le monde !

Fichtre, un Frankenstein... géant ? Affublé d'un air de débile mental profond qui plus est ??? Et ben allez-y messieurs, faut pas vous gêner ! A quand les versions king size de Dracula, la momie, le loup-garou et l'homme invisible tant qu'on y est, comme ça on pourra s'organiser une gigantesque bastonnade entre anciennes gloires du cinéma fantastique occidental, ça nous occupera le week-end ! Non mais sérieusement, c'est pas possible, y a plus de respect... Moi je vous le dis, tout fout le camp ma bonne dame : aujourd'hui on s'en prend à un mythe de la littérature et vous allez voir que demain les jeunes ne respecteront plus ni l'armée, ni la police, ni même notre bon Président.










Non mais franchement...

Tel un cadavre exquis, la paternité de ce concept fumeux est multiple : on a là le fruit des amours contrariées d'une romancière anglaise du XIXème siècle, d'un génie américain des effets spéciaux, de quelques pontes nippons de la Toho et de semble t-il encore pas mal de monde. L'enfantement se fera dans la douleur mais bon, quand on sait que la durée de gestation est de 3 semaines chez la souris, de 9 mois chez l'homme et de 21 mois chez l'éléphant, on ne s'étonnera pas que ce Frankenstein surdimensionné n'ait vu le jour qu'après plusieurs années d'une grossesse mouvementée.



L'impulsion initiale, on la doit au talentueux Willis H. O'Brien, demeuré célèbre pour avoir conçu et animé la créature de King Kong dans le classique de 1933. Au début des années 60, O'Brien, peu satisfait de la reprise du "King Kong" originel en 1952, souhaite ressusciter une nouvelle fois son gorille fétiche et développe pour cela un projet de film intitulé "King Kong vs. Prometheus". Les croquis qu'il réalise à l'époque pour convaincre d'éventuels producteurs montrent alors King Kong aux prises avec une créature au look très fortement inspiré de celle de Frankenstein, le Prométhée de O'Brien se voulant un assemblage disparate de membres et d'organes d'animaux géants ! (on rappellera que le roman de Shelley avait pour titre "Frankenstein or The Modern Prometheus", soit "Frankenstein ou Le Prométhée moderne")


Le numéro de juin 1966 de Famous Monsters of Filmland (mag culte fondé par le regretté Forrest J. Ackerman), dans lequel furent publiés les dessins originaux de Willis O'Brien.

Echouant à lever les fonds nécessaires pour concrétiser ce bien beau projet, O'Brien se résout à en revendre les droits à John Beck, un ancien cadre d'Universal devenu producteur indépendant, qui les revend à son tour aux Japonais de la Toho. Entre les mains des forces vives du studio nippon, le projet deviendra... "King Kong contre Godzilla", un sommet de n'importe quoi sorti en 1962, au grand désarroi de O'Brien qui décédera d'ailleurs la même année.


Willis O'Brien et l'une de ses créatures.

Aussi idiot soit-il, "King Kong contre Godzilla" rapporte des sous et le producteur de la Toho Tomoyuki Tanaka, par l'odeur des yens alléché, n'oublie pas qu'il reste toujours cette brillante idée de Frankenstein géant à exploiter. Il demande donc au scénariste maison Shinichi Sekizawa de plancher dessus, bientôt relayé par d'autres scribouilleurs besogneux. Il est d'abord question d'un "Frankenstein Vs. the Human Vapor" ("Furankenshutain tai Gasu Ningen"), où l'idée est d'inclure la créature de Frankenstein dans une suite au film "L'Homme gazeux" sorti en 1960. On envisage ensuite de faire s'affronter Frankenstein et Mothra (la mite géante), puis Frankenstein et Godzilla, avant de s'arrêter sur un concept nettement plus raisonnable : "Frankenstein vs. the Giant Devilfish" ! Si cette histoire de "diabolique poisson géant" - en fait la pieuvre Oodako - fera finalement long feu (nous y reviendrons), le film finit tout de même par se monter sous forme de co-production avec les Etats-Unis sous les auspices du producteur Henry G. Saperstein, dont les collaborateurs Jerry Sohl et Reuben Bercovitch réorientent à leur tour le script. [1]


Tout ça pour ça...

Et au vu du scénario, on peut dire que l'attente n'aura pas été vaine... L'histoire débute dans l'Allemagne de 1945, dans un château où un scientifique nazi mène des expérimentations sur "le coeur de Frankenstein" (en fait sa créature), qui est "immortel". Le savant s'amuse bien, le secret de l'immortalité de Frankenstein pourrait lui permettre de créer une armée de super soldats invulnérables mais, avec la débâcle de la Wehrmacht et la chute annoncée de Berlin, les autorités lui confisquent son joujou pour le convoyer par sous-marin vers le Japon, où d'autres scientifiques travaillant pour l'armée pourront y poursuivre ses recherches. Le coeur arrive donc entre les mains des scientifiques nippons, à Hiroshima, mais à peine ont-ils le temps de sortir leurs scalpels que les Américains larguent la bombe atomique, et voilà tous ces beaux projets d'armée invincible partis en fumée.


Le Dr. Liesendorf (Peter Mann), beau spécimen de savant nanar.



Le même, 15 ans plus tard.



Le coeur immortel de "Frankenstein".

Quinze ans plus tard, le scientifique américain James Bowen (Nick Adams) et ses collègues japonais Yuko Kawaji et Sueko Togami (Tadao Takashima et Kumi Mizumo, des familiers des productions Toho) s'intéressent au cas d'un enfant sauvage, qui aurait grandi dans les ruines du complexe militaro-scientifique d'Hiroshima en survivant de façon inexplicable aux radiations. Il s'agit d'un mioche vraiment étonnant : outre le fait qu'il grandisse à vue d'oeil, il est coiffé comme la créature de Frankenstein des productions Universal des années 30, celles interprétées par Boris Karloff. Après de longues réflexions, nos scientifiques d'opérette se rendent à l'évidence : l'enfant a muté avec le coeur de Frankenstein, c'est devenu... ATOMIC FRANKENSTEIN !


Les héros du film, penchés sur la main atomique de Frankenstein, avec de gauche à droite Sueko Togami (Kumi Mizumo), James Bowen (Nick Adams) et Yuko Kawaji (Tadao Takashima).



Lui c'est Frankenstein, et il va conquérir le monde.



Aujourd'hui ce poste de télévision et demain... le mooooonde !!!



Bon ok, c'est pas gagné...

Et bientôt c'est le drame, car ATOMIC FRANKENSTEIN s'échappe en surprenant tout le monde : il brise ses chaînes grosses comme des ficelles et ravage une cellule devenue dix fois trop petite pour lui. Qui l'eut crû ? Les humains du monde entier commencent alors à trembler d'angoisse car ATOMIC FRANKENSTEIN est devenu un géant incontrôlable prêt à sanctifier les mégalopoles du globe de l'empreinte de ses gros pieds terreux.






Le message est clair : la bombe atomique, y a pas bon !

Déjà, on fait état d'une attaque contre un complexe pétrolier, puis d'une autre dans une mine, des fermes sont ravagées, le bétail englouti... Frankenstein est-il en train de conquérir le monde, ou bien s'agit-il d'un monstre concurrent ? Je ne vous ferai pas l'injure de répondre à cette question, puisque même le premier élève de maternelle venu, que je vois là-bas s'agiter sur sa chaise en levant le doigt, sait parfaitement qu'il s'agit de BARAGON, redoutable dinosaure en caoutchouc inopinément surgi des entrailles de la Terre, ou plus prosaïquement de la cervelle d'un employé de la Toho dans un spasme qu'on imagine douloureux.


Baragon et son look de Casimir passé au micro-ondes...







Un "craignos monster" label rouge, ma bonne dame !

Certes, les faits maintenant exposés, je pourrais continuer à manier l'ironie d'une plume légère, m'épuiser en sarcasmes à propos de ce Baragon, improbable spécimen de dinosaure fouisseur se déplaçant à genoux, railler les accents asiatiques à la Michel Leeb qui accablent les personnages japonais dans la version américaine, ou encore évoquer les transparences hasardeuses et le joli festival de maquettes propre à ce genre de production. Ce serait pérorer inutilement, digresser dans le vide et m'éloigner de la véritable raison m'ayant amener à honorer ce film d'une chronique sur Nanarland : le monstre de Frankenstein, véritable star de cette kitscherie pelliculaire filmée en débiloscope.


T'ar'ta gueule à la récré !

Pour incarner cette improbable version XXL de la créature imaginée par Mary Shelley, il fallait un comédien de taille. Enfin de grand talent, quoi. Choisi au terme d'une sélection qu'on imagine impitoyable, c'est un certain Koji Furuhata qui s'y colle, et autant dire que pour lui ce fut le rôle d'une vie. Je veux dire par là que c'est le seul rôle que cet acteur ait jamais obtenu, abstraction faire d'une petite panouille trois ans plus tôt dans "L'Amour à vingt ans".




Y a du monde au balcon.

Un comédien étonnant, ce Koji Furuhata. Il a très vite compris toutes les subtilités émotionnelles du personnage qu'on lui demandait d'interpréter. Et pour rendre à l'écran ce flot d'émotions complexes qui déchirent la créature de Frankenstein de l'intérieur, il a un truc infaillible : il met ses dents du bas devant ses dents du haut. Essayez, vous verrez. Ca y est ? Et bien voilà. On appelle ça "faire le gogol". C'est un jeu de cour d'école qui fait fureur chez les 8-12 ans, un âge pas très malin où, entre garçons, on se chambre mutuellement en se traitant de mongolito au moindre prétexte ("Gnééé gros mongol ! 'spèce de Sinoque ! Bwahahaha"). Ainsi, voir Koji Furuhata jouer Frankenstein fut pour l'auteur de ces lignes comme une madeleine de Proust douce-amère, lui rappelant sans crier gare de peu reluisants souvenirs d'écolier boutonneux, exhumés des recoins de la mémoire où l'on enfouit généralement ses exploits les moins glorieux.




"Frankenstein conquiert le monde" : un film produit avec le soutien de la Cotorep.

Le jeu de Koji Furuhata n'est pas tout en simplicité : il est tout en simplesse. C'est-à-dire que le comédien joue Frankenstein comme Ben Stiller joue Simple Jack dans "Tonnerre sous les Tropiques" : arborant une immuable expression de béatitude séraphique, le Japonais promène sur tout ce qui l'entoure ce même air de ravissement surpris qui se peint sur les visages des bambins encore pas très éveillés, quand on les assoit devant le tambour d'une machine à laver par exemple. Alors on rit, forcément. Par intermittence tout d'abord, au détour d'un de ses rictus de benêt ; puis systématiquement ensuite, à chaque apparition du monstre. On finit par avoir honte de rire ainsi, c'est terrible. Envahissant l'écran de tout son jeu maladroit, Gogolstein met le spectateur dans une situation littéralement intenable. Lui ne semble avoir honte de rien, et c'est sans doute ce qui le sauve.


S'il avait un téléphone et que Mary Shelley était en vie, il lui chanterait "Allô môman bobo".

Plus qu'un habitué du genre, le réalisateur Inoshirô (ou Ishirô) Honda, papa de Godzilla, est pour ainsi dire l'inventeur du kaiju-eiga. S'il a fait de Frankenstein une créature "Toho-esque" bien éloignée du mythe classique que nous connaissons, il déclarait néanmoins avoir été profondément impressionné par l'interprétation qu'en avait livré Boris Karloff dans les deux chefs-d'oeuvre de James Whale ("Frankenstein" et "La Fiancée de Frankenstein", pour les cancres), et s'être efforcé de reproduire une atmosphère analogue dans son film, un ton empreint d'une gravité solennelle. "Les monstres sont des êtres tragiques, ils ne sont pas de mauvaise volonté : ils sont nés trop grands, trop forts, trop lourds... C'est leur tragédie. Ils n'attaquent pas volontairement l'humanité, mais par leurs dimensions physiques, ils causent des dommages et font du mal. Alors, l'homme se défend contre eux." (Inoshirô Honda, interviewé par Roland Lethem dans le Midi/Minuit Fantastique N°20 d'octobre 1968)








Frankenstein contre Baragon : l'affrontement au sommet entre deux (t)erreurs du kaiju-eiga.

On l'aura compris, Honda voulait une créature pathétique, un monstre repoussant mais viscéralement humain, inapte à vivre dans ce que nous appelons égoïstement "notre" monde. Sauf que le cinéaste réclame avec tant d'insistance notre compassion pour son héros qu'il finit par provoquer la réaction inverse : on rit des déboires d'ATOMIC FRANKENSTEIN, grand bêta plus ridicule qu'émouvant. On rit, même si on n'en est pas bien fier, d'un film qui, pour préserver sa crédibilité, n'en appelle même plus à l'indulgence mais à une naïveté extrême que même les enfants n'ont plus. Au final, plus que la gaucherie du monstre de Frankenstein ou le rejet dont il est victime, c'est la foi et la conviction qui habitent son interprète Koji Furuhata qui nous touche. Il grimace, sautille, grogne, fait des roulés-boulés... Koji donne tout ce qu'il a et croyez-moi, pareil investissement aurait bien mérité une statuette dorée.






La créature de Frankenstein, poignante comme un enfant qui écrirait "je t'aime maman" avec son caca.

Résumons-nous : nous avons d'un côté un Frankenstein atomique géant au faciès de mongolien, de l'autre Baragon, lointain cousin dégénéré de Casimir, titans furibards s'élançant, avec toute la grâce et la légèreté qu'on imagine, dans le champs d'une caméra qui, si elle pouvait parler aujourd'hui, hurlerait son émotion sans discontinuer.




C'est pas tous les jours facile d'être intermittent du spectacle...



Ne me jugez pas, j'ai une famille à nourrir moi Monsieur !

Exécuté par deux intermittents du spectacle en costumes de caoutchouc, ce ballet des corps d'une exquise balourdise constitue un divertissement propre à vous coller un sourire extatique sur le visage, la vision répétée de ces empoignades éthérées venues d'Orient exerçant sur nos regards profanes une fascination singulière d'une saveur inestimable.




Koji Furuhata (Frankenstein) et Haruo Nakajima (Baragon), s'ébrouant au milieu d'arbustes en plastique dans une vaste célébration du n'importe quoi artistique.

Puisses-tu, Ô lecteur, qui t'attendais peut-être à me voir conclure sur ces considérations lyriques (qui a dit "ampoulées" ?), m'accorder encore quelques lignes d'attention, le temps d'apporter quelques informations complémentaires sur cette oeuvre croquignolette. A l'époque de sa sortie (août 1965 au Japon, pile-poil pour coïncider avec les 20 ans du bombardement de Hiroshima ; juin 1966 dans les drive-in américains, en double-programme régressif avec le vitaminé "Tarzan and the Valley of Gold"), les spectateurs les plus attentifs avaient pu repérer, figurant gaillardement sur des photos d'exploitation et autre matériel publicitaire, Frankenstein aux prises avec une pieuvre géante brillant par son absence dans le montage final.


Cette pieuvre, c'est Oodako, à l'origine du titre un temps pressenti de "Frankenstein vs. the Giant Devilfish".

Un séquence qui voit s'affronter Frankenstein et Oodako a bel et bien été tournée, et constitue une fin alternative longtemps invisible, avant d'être finalement proposée sous forme de bonus dans une édition vidéo japonaise, puis américaine. A propos de cette scène, Inoshirô Honda expliquait qu'elle avait été tournée à la demande du co-producteur américain Henry G. Saperstein, qui avait semble t-il été impressionné par le combat entre King Kong et une pieuvre dans "King Kong contre Godzilla" (il s'agissait alors d'un vrai poulpe !). Au final, cette séquence sera abandonnée, Saperstein jugeant la pieuvre - une fausse cette fois - peu convaincante, au grand soulagement de Honda qui jugeait absurde cette irruption d'un nouveau monstre. Après qu'il ait défait Baragon, voir Frankenstein affronter une pieuvre géante surgie des profondeurs d'un lac (!) n'aurait certes pas permis au film de gagner en crédibilité, mais je subodore que son quotient nanar ne s'en serait pas plus mal porté.

Il existe une vague suite à ce film, sortie un an plus tard sous le titre tapageur "War of the Gargantuas" alias "Frankenstein's Monsters: Sanda vs. Gaira" ("La Guerre des monstres" alias "Les Monstres des planètes secrètes" en France). Torchée par des scénaristes en pleine divagation, l'histoire reprend l'idée bien pratique de l'immortalité de Frankenstein, dont les cellules ont cette fois muté pour donner jour à deux nouvelles créatures aussi géantes que poilues, l'une marron (le gentil Sanda), l'autre verte (le méchant Gaira alias Gailah). Le film démarre fort avec un combat entre Gaira et... une pieuvre géante ! Les producteurs ont décidément la tête dure...




Une affiche française qui n'oublie pas la fameuse pieuvre, gaillardement accrochée sur le monstre de gauche.

[1] Précisons qu'il s'agit bien d'une "vraie" co-production entre le Japon et les Etats-Unis, sans doute une des premières du genre. En effet, les Américains avaient jusque-là la fâcheuse habitude de remonter les films japonais pour les "adapter" grossièrement au public occidental. Il s'agissait généralement d'en raccourcir la durée, mais parfois aussi d'y insérer de nouvelles séquences tournées à la va-vite avec des acteurs américains, le plus souvent en dépit du bon sens (ce fut le cas pour "Godzilla" avec des inserts de Raymond Burr, "King Kong contre Godzilla" avec le démotivé Michael Keith, "Varan" avec Myron Healey ou encore "L'Abominable homme des neiges" avec des inserts de John Carradine). Afin de réduire les coûts de fabrication d'un film et américaniser le produit directement à la source, le producteur Henry G. Saperstein eut l'idée d'aller démarcher les studios nippons avec un business-plan simple : fournir la moitié du budget d'un film et au moins un acteur américain un peu connu (ici Nick Adams). A charge alors pour le studio japonais de fournir l'autre moitié du budget et de réaliser le film, les droits d'exploitation étant également partagés en fonction des pays. Pour le territoire américain, Saperstein revend généralement les droits à un studio : ce sera en l'occurrence AIP (American International Pictures), la compagnie de James H. Nicholson & Samuel Z. Arkoff, qui distribuera "Frankenstein conquiert le monde" (sans doute parce qu'AIP avait alors déjà distribué des films de la Toho comme "Mothra contre Godzilla" en 64 et "Ataragon" en 65). Il faut croire que cette première expérience est concluante puisque, au cours des années suivantes, Saperstein co-produira plusieurs autres films avec le Japon.


Un dernier tango pour la route.



A propos du casting de "Frankenstein conquiert le monde" :

Nick Adams : cet acteur, ami d'Elvis Presley, Robert Conrad et James Dean, fit un temps figure de jeune premier prometteur aux Etats-Unis avant de cachetonner dans des séries B et des films japonais (son rôle le plus illustre dans ce dernier domaine étant "Invasion Planète X") et de mourir prématurément. En tenant le premier rôle dans "Frankenstein conquiert le monde", il fut le premier acteur américain connu à apparaître dans une production japonaise. Sa célébrité, il l'avait acquise à Hollywood en enchaînant des rôles dans des classiques comme "Permission jusqu'à l'aube" (Mister Roberts, 1955), "La Fureur de vivre" (Rebel Without a Cause, 1955), "Picnic" (1955), "La Dernière caravane" (The Last Wagon, 1956), "Le 'Chouchou' du professeur" (Teacher's Pet, 1958), "Confidences sur l'oreiller" (Pillow Talk, 1959), "L'Enfer est pour les héros" (Hell is for Heroes, 1962) et "Le Motel du crime" (Twilight of Honor, 1963), qui lui valut une nomination aux Academy Awards. Son rôle de "Johnny Yuma" dans la série "The Rebel" diffusée sur ABC (1959-1961) aura également contribué à faire connaître son visage auprès du grand public.

A partir de 1965, n'étant pas parvenu à décrocher de rôles qui auraient pu le propulser au rang de star, Nick Adams commence à apparaître dans des productions de moins en moins prestigieuses, le plus souvent tournées à l'étranger, telles que "Le Messager du diable" (Die, Monster, Die!, 1965), avec Boris Karloff, pour AIP, ou le polar fauché "Young Dillinger" (1965) pour Allied Artists. Concernant "Frankenstein conquiert le monde", Nick Adams était, de l'avis de tous, très heureux et enthousiaste à l'idée de jouer au Japon, et ceux qui ont travaillé sur ces films - de Henry G. Saperstein à Yoshio Tsuchiya en passant par Kumi Mizuno - disent garder de très bons souvenirs de l'acteur. A propos de Kumi Mizuno, il y eut d'ailleurs des rumeurs persistantes comme quoi Nick Adams s'était épris d'elle, au point de la demander en mariage, l'actrice nippone refusant dans la mesure où elle était déjà fiancée. C'est d'ailleurs à cette époque que Nick divorça de son épouse, Carol Nugent Adams, accréditant ainsi la rumeur. Le 7 février 1968, on retrouva Nick Adams mort d'une overdose de médicaments dans la chambre à coucher de sa villa de Beverly Hills, sans qu'on ait pu établir avec certitude s'il s'agissait d'un suicide, d'un accident (hypothèse la plus vraisemblable) ou même d'un homicide.


De gauche à droite : Nick Adams, Tadeo Takashima et Kumi Mizuno.

Le reste du casting se compose d'un grand nombre de figures régulières des productions Toho. Ainsi, on a déjà pu voir l'acteur Tadeo Takashima dans des films comme "King Kong contre Godzilla", "Ataragon" et "Le Fils de Godzilla" (le fils de Takashima jouera lui dans "Godzilla contre Mechagodzilla" en 1993).

L'accorte Kumi Mizuno avait elle déjà prêté ses traits gracieux à des oeuvres comme "Gorath" (1962), "Matango - Attack of the Mushroom People" (1963) et "The Lost World of Sinbad" (1964). On la voit également dans "Kagi no kagi" (1964), une co-production entre Saperstein et le Japon que Woody Allen redoublera deux ans plus tard pour en faire le cultissime "What's Up, Tiger Lily?" (1966). Enfin, Yoshio Tsuchiya s'était quant à lui déjà illustré dans des succès de la Toho comme "The Mysterians" (1957) et "Battle in Outer Space" (1960). Signalons également la présence dans de petits rôles d'autres trognes familières de la Toho comme Jun Tazaki et Kenji Sahara.

Sources (infos et / ou iconographie) :
www.monstrula.de
www.scifijapan.com
www.dvddrive-in.com
kaijusroyaume.forumculture.net
www.godzilla-germany.com

- John Nada -
Moyenne : 2.50 / 5
John Nada
NOTE
3/ 5
Labroche
NOTE
2.5/ 5
Rico
NOTE
2/ 5

Cote de rareté - 4/ Exotique

Barème de notation

La BO du film.

Il convient ici de saluer l'époustouflant travail du méritant éditeur américain Media Blasters, qui propose le film dans pas moins de 3 versions différentes avec une avalanche de vrais bons bonus. On trouve ainsi la version japonaise (93 mn) en VO sous-titrée anglais, la version américaine (87 mn) au format 2:35 (où l'on perd un peu d'informations visuelles par rapport au scope de la version nippone) et enfin la version internationale en anglais (90 mn) avec la fameuse fin alternative montrant la créature de Frankenstein aux prises avec une pieuvre (soit près de 4 mn de combat final en plus). Pas de sous-titres pour les non-anglophones, qui pour le coup regretteront peut-être d'avoir séché les cours d'anglais au lycée.


Côté bonus, on trouve un commentaire audio (sous-titré en anglais) du directeur photo Sadamasa Arikawa (instructif malgré la mémoire émoussée du monsieur), une chouette galerie d'images (avec des photos de plateau montrant Eiji Tsuburaya dirigeant les interprètes de Frankenstein et Baragon, des lobby cards, des affiches de différents pays), la bande-annonce japonaise et des BA d'autres opus made in Toho sortis chez l'éditeur, une featurette sur l'adaptation de l'oeuvre en manga et surtout des scènes coupées et des prises ratées (dont une qui voit la créature de Frankenstein face à une armée de tanks miniatures) en plus de la fameuse fin alternative incluant le combat contre une pieuvre. Du tout bon !


Il est avéré qu'il existe une version française, puisque le film est sorti en salles en Belgique sous le titre de "Frankenstein conquiert le monde". Une affiche française estampillée "Multifilms France Export" semble attester que le film est également sorti en France, sans doute à la sauvette dans quelques rares salles de province, sous le même titre de "Frankenstein conquiert le monde".