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Entretien avec
David Rimawi


David Rimawi

David Rimawi est l'un des pontes du studio The Asylum, qu'il fonde en 1997 aux côtés de Sherri Strain et David Michael Latt. Chargé de la vente des films et de leur distribution à l'étranger, il officie également au sein de la firme comme producteur délégué et responsable marketing. Cette interview, réalisée au marché du film de Cannes en 2010, nous montre un businessman au discours rodé, qui expose sa stratégie commerciale comme le ferait n'importe quel bon commerçant. Plutôt avare en informations lumineuses et chiche en anecdotes, cet entretien nous éclaire néanmoins sur le mode de fonctionnement des studios qui nous ont pondu des titres aussi tapageurs que Transmorphers, Mega Piranha, Titanic 2 ou Mega Shark Vs Giant Octopus.

Interview menée en mai 201 par Nanarland, avec l'aimable concours de Yoann Sardet


Pouvez-vous présenter Asylum ? Vos débuts, votre philosophie, votre évolution, vos projets...

Notre société est un mini-studio totalement indépendant. Nous produisons nos propres films, nous les distribuons aux Etats-Unis à travers notre propre label vidéo, nous négocions les droits de distribution internationale et nationale... Nous sommes donc très indépendants, et nous comptons bien le rester et continuer à autofinancer nos films. La société a été fondée par David Michael Latt et Sherri Strain et moi-même, David Rimawi : nous avions tous été licenciés à peu près au même moment, et au lieu de chercher du travail, nous avons décidé de créer notre société. Comme c'était un peu fou comme pari, on a gardé ce nom de The Asylum [Nanarland : "l'asile" en français]. Au départ, nous faisions l'acquisition de films déjà produits et nous en vendions les droits aux Etats-Unis et à l'international. Et puis nous sommes rapidement passés à la distribution de nos propres productions. Nous avons fait en sorte de nous adapter aux demandes des acheteurs et du public, en passant de l'horreur à l'aventure ou à la science-fiction et en nous spécialisant dans les mockbusters, qui sont un peu les équivalents TV/vidéo des grosses productions destinées au cinéma. Et nous sommes actuellement dans notre phase "films de monstres marins géants".

Quant à l'avenir... Nous sommes très attentifs aux changements de consommation des films : les vidéoclubs disparaissent, la VOD se démocratise ainsi que la consommation de contenus sur le web, et nous comptons resserrer nos liens avec la télévision, en produisant des films pour des chaînes, que ce soit SyFy Channel et d'autres. Nous continuerons d'alterner les genres, et nous réfléchirons peut-être à distribuer un film au cinéma si le timing est le bon et si le projet est le bon.

Vous parliez des mockbusters... Pourquoi une telle approche ? Vous voyez ces films comme de vrais films ou comme des parodies ?

Quand nous avons commencé à produire nos films, nous avons réalisé qu'il fallait pouvoir émerger au milieu des grosses productions hollywoodiennes, quitte à surfer sur les mêmes sujets. C'est ce que beaucoup ont fait au moment de la sortie du Da Vinci Code par exemple, en produisant des documentaires autour de cette histoire. Nous avons donc décidé de faire de même. Ceci étant dit, il faut aussi rappeler que nous avions produit notre version de La Guerre des Mondes de H.G. Wells, qui est dans le domaine public, avant même la version de Paramount/DreamWorks. Et nous avons demandé à nos partenaires s'ils étaient intéressés par un tel projet, qui permettait de proposer la même histoire pour un prix infiniment inférieur. Nous avons pris un vrai risque car c'était notre plus gros budget à l'époque, et nous utilisions la CGI pour la première fois. Et ça a bien marché, car le film s'adressait aux gens qui avaient envie de voir une autre version de cette histoire, ou qui étaient impatients de découvrir la version cinéma. C'est l'un de nos plus gros succès.

Le premier opus de 2005 est tellement rentable qu'Asylum lui donne une suite en 2008.

Et à partir de là, nous avons pris le parti de développer des films basés sur des sujets ou des histoires à fort potentiel. Nous abordons donc nos mockbusters de façon très sérieuse : ce ne sont pas des parodies, et nous faisons en sorte de faire le meilleur film possible à partir d'une idée, d'une histoire ou d'un matériau d'origine également traité par un grand studio. Après, si nous décidons de faire un mockbuster à partir d'une comédie à succès, ce sera drôle, mais ça ne sera pas une parodie du film original. Notre film 18 Year Old Virgin rappelle évidemment 40 ans, toujours puceau (The 40 Year Old Virgin en VO), mais les similitudes ne vont pas au-delà du titre. Tout ça est donc fait très sérieusement, en partant du principe que quelqu'un qui s'intéresse à un sujet au centre de l'attention médiatique s'intéressera à un film similaire, disponible en vidéo.

Vos détracteurs disent que vos films sont des produits cyniques, conçus uniquement pour faire de l'argent. Qu'avez-vous envie de leur répondre ?

Au sein de la société, nous avons accueilli un nouveau partenaire, Paul Bales, qui a remplacé Sherri Strain, parti fonder une autre société de production. Paul est mon ami d'enfance : on se connaît depuis l'âge de 8 ans. A 14 ans, il a reçu pour Noël une caméra 8 mm, et nous faisons des films depuis. Nous n'avons pas arrêté, et on ne gagne pas d'argent avec tout ça, je peux vous l'assurer. Nous faisons simplement en sorte de continuer à vivre notre rêve de gosse en faisant des films. Notre stratégie a toujours été de rester prudents et de ne pas lancer de projets nécessitant un apport financier extérieur, qui nous lierait avec un distributeur. Par ailleurs, nous n'avons pas les fonds nécessaires en terme de marketing pour faire émerger un film, donc nous restons très proches des réseaux de distribution existants, qui cherchent pour la plupart des genres très précis de films. Peut-être que nous prendrons plus de risques dans le futur, mais pour le moment, on doit s'assurer que chaque film dégage assez d'argent pour pouvoir produire le suivant. Nous n'avons pas de financement extérieur, encore une fois. Donc c'est impératif pour nous de sécuriser la société à ce niveau-là... Sinon, nous ne ferions pas de films.

Mega Shark vs. Giant Octopus a été l'une des vidéos les plus vues sur le web en 2009. Comment expliquez-vous ça ?

Nous sommes liés à une dizaine de sites de cinéma ou de fans, à qui nous faisons passer régulièrement des images de nos films en production. MTV online est alors tombé sur des images de Mega Shark vs. Giant Octopus, et ils nous ont fait part de leur intérêt, à la fois à cause de ces images mais également à cause du titre, qui annonce tout de suite la couleur. Nous leur avons donc donné l'exclusivité de la bande-annonce, et à partir de là, c'est devenu un vrai phénomène viral avec plus de 2,5 millions de visionnages. Nous avions déjà fait d'autres films "Mega" qui n'avaient pas autant attiré la curiosité du public, comme Mega Piranha. Je crois qu'il y a quelque chose de fort dans ce titre, Mega Shark vs. Giant Octopus, mais aussi un impact dans certaines images comme ce plan du requin qui attaque l'avion en plein vol, ou le requin qui attaque le Golden Gate Bridge. Et en plus de ça, je pense que ce qui a provoqué cet engouement est le fait qu'il y a la promesse d'un film derrière, que ça ne s'arrête pas à ce titre et à ces images... Et puis il devait y avoir une vraie envie de film de monstres à ce moment-là, aussi. C'était la mode du moment.


Ce buzz a t-il boosté vos ventes ?

Le film ne s'est pas spécialement mieux vendu que nos autres productions. Le buzz a clairement plus attiré l'attention des télévisions que d'habitude. Mais au final, il a surtout touché un public assez jeune, public qui a l'habitude d'aller chercher ses films sur le web, de façon plus ou moins légale.

Comment le projet Mega Shark vs. Giant Octopus est-il né ? Vous êtes simplement parti du titre pour construire le film ?

Chez Asylum, nous produisons un film tous les mois, soit dix à douze films par an. Et nous sommes très attentifs aux demandes de nos partenaires en terme de distribution, que ce soient les vidéoclubs ou les distributeurs internationaux. Et ce film nous a été pitché par un distributeur japonais - les Japonais sont fans de monstres géants, comme vous le savez - qui souhaitait proposer un film avec non pas un mais ces deux monstres géants. A partir de là, comme nous aimons choisir des titres qui présentent clairement le contenu de nos films, nous avons décidé de l'intituler Mega Shark vs. Giant Octopus. Nous sommes vraiment redevables envers notre partenaire japonais qui a su interpeller de nombreux spectateurs de cinéma avec ce concept...

Parmi vos projets, il y a Titanic 2. Que pouvez-vous nous en dire ?

L'idée vient d'un distributeur allemand... Nous avons trouvé l'idée énorme, nous avons engagé les bonnes personnes pour faire le film mais nous avons surtout fait de nombreuses recherches. Nous avons découvert qu'en 2012, c'est le centenaire du naufrage et qu'une société est en train de construire un Titanic 2 pour emprunter la même route que le Titanic. Nous sommes partis de cette base pour développer notre projet de film, qui revisite l'histoire du Titanic avec un voyage-hommage qui connaîtra le même destin...

C'est le plus gros budget pour une production Asylum ?

Oui et non. C'est un budget conséquent - pas le plus élevé mais pas loin - et nous avions peur de ne pas pouvoir produire le film. Du coup, nous avons décidé d'utiliser le Queen Mary, actuellement à quai à Los Angeles, comme plateau principal. Nous souhaitions au départ essayer de créer un bateau ultramoderne, mais nous avons revu nos ambitions à la baisse en raison du budget, et décidé que les créateurs de ce Titanic 2 avaient décidé de recréer le bateau comme il était à l'époque plutôt qu'une version moderne. De cette façon, nous avons pu tourner avec le budget prévu, d'autant que tous les effets visuels se font désormais en interne, ce qui permet d'améliorer leur qualité et leur quantité. Après, il est clair que vous ne verrez parfois que trente ou quarante figurants là où il en faudrait des centaines, mais nous allons faire en sorte de les dupliquer numériquement. Au final, c'est donc un gros budget pour nous mais un budget relativement modeste par rapport à l'ampleur de cette histoire.

Et vos autres projets ? De la 3D ? Un mockbuster de Avatar ?

Nous avons déjà produits deux films en 3D, un film d'horreur et une teen-comedy. Et nous avons pu constater que le public télé/DVD n'est pas très intéressé par la 3D. Nous avons sorti l'un de ces films dans une version 2D et dans une version 2D + 3D, et les chiffres de location et de vente ont été les mêmes. Nous n'avons donc pas de projets 3D pour le moment mais tout dépendra de l'évolution du marché, et du système de distribution des lunettes notamment. Il faut garder en tête que la culture américaine repose beaucoup sur la location, alors qu'en France c'est la vente qui prime. Et la location suppose un envoi massif de lunettes à travers le pays... C'est donc difficile pour nous de voir le potentiel de la 3D pour le moment. Quant à Avatar, nous l'avons déjà fait dans un sens puisque le film de James Cameron s'inspire notamment de Princess of Mars de Edgar Rice Burroughs... dont nous avons déjà produit une adaptation. C'est un peu notre Avatar. Une histoire similaire, sans la 3D ni les personnages bleus.

Et parmi nos projets, il y a un western (6 Guns), un film musical, un film familial, et nous préparons aussi le deuxième volet de la saga Mega Shark : Mega Shark vs. Crocosaurus, qui est une sorte de crocodile préhistorique. Encore une fois, l'humanité sera prise au piège entre les deux monstres. Nous venons également de terminer une nouvelle version de Moby Dick et nous annoncerons prochainement des projets d'envergure avec SyFy Channel. Nous avions produit le film-catastrophe Megafault pour eux, et nous venons de finir Mega Python vs. Gatoroid.

Finalement, The Asylum est une société très "années 2000", misant sur les CGI et le web-marketing. Vous pensez que la société aurait pu exister avant Internet ?

Oui, puisque la société a survécu durant huit ou dix ans avant cette révolution. Mais c'est vrai que nous allons vers plus de CGI et surtout plus de marketing orienté vers le web, puisque nous pouvons y détecter les besoins et les envies du public. D'autant que le public passe de plus en plus de temps sur les réseaux sociaux, devant les jeux vidéo ou sur des vidéos courtes type Youtube, et qu'il a de moins en moins de temps pour voir des films. C'est notre plus grande menace... Nous cherchons donc les meilleurs moyens de toucher notre public, et c'est pour ça, par exemple, que nous sommes passés de films misant sur des jaquettes magnifiques capables de rivaliser avec celles des grands blockbusters sur les étagères des vidéoclubs, à des films dont les titres commencent par des chiffres ou des "A", "B" ou "C". Nous avons renommé beaucoup de nos films de la sorte, car ce sont les premiers films à apparaître sur les listes VOD ! Tout simplement parce que vous avez plus de chance que votre film soit vu ainsi... Nous faisons toujours en sorte de faire émerger nos films au sein d'un marché de plus en plus dense.

Dernière question : vous avez beaucoup de fans en France, avez-vous un message pour eux ?

Merci beaucoup pour tout ! (Rires)

- Interview menée par La Team Nanarland -