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Jaguar Force

(1ère publication de cette chronique : 2008)
Jaguar Force

Titre original :Jaguar Force Thunderbolt

Titre(s) alternatif(s) :L'Empire des Ninja II (Québec)

Réalisateur(s) :Poon Yung Man

Année : 1983

Nationalité : Hong Kong / Taïwan

Durée : 1H27

Genre : Atelier doublage, option Français

Acteurs principaux :Jaguar Lee, Maureen Chow, Chow Ming, Marlon Pau, Minnie Seung Kun

John Nada
NOTE
3.75/ 5

"Elles-euh m'inspirééé... elles-euh m'aimééééééé" (renifle bruyamment) "Elles-euh song mortes à cause de mouaaah !!!!!"
Déclamé avec la justesse et la grâce d'un phacochère bourré au picrate, ce cri du cœur bouleversant aura décidément fait rire bien du monde, des spectateurs de la 4ème Nuit Excentrique à la Cinémathèque française (parmi lesquels l'équipe de Mad Movies, qui n'aura pas manqué de louer l'extrait dans son compte-rendu de l'évènement) aux auditeurs d'Europe 1 et RFI, sans parler des sites ayant vampirisé la vidéo mise en ligne sur Nanarland en omettant soigneusement de citer leur source. Censés nous fendre l'âme, les sanglots d'un homme profondément meurtri par la perte de deux êtres chers suscitaient chez les spectateurs, par les bonnes grâces d'une VF fabuleusement idiote, une franche hilarité à laquelle succédait bientôt cette interrogation un peu incrédule : mais comment diable un doubleur pouvait-il être aussi magistralement à côté de la plaque ??? Après s'être perdu un temps en conjectures (sabotage délibéré de doubleurs en pleine crise de déconne ? Film doublé par des handicapés mentaux en stage d'insertion ?), Nanarland semble aujourd'hui en mesure de lever le voile sur ce mystère.

Mais prenons le temps d'aborder les choses dans l'ordre, en commençant par l'histoire. Embrouillée au possible, celle-ci aura nécessité de la part de l'auteur de ces lignes un revisionnage particulièrement attentif pour arriver à comprendre un tant soit peu de quoi il retourne. Pour celles et ceux qui n'ont pas vu le film, le paragraphe qui suit ne présente sans doute pas grand intérêt et se propose surtout, tel un phare guidant le marin par une nuit d'épais brouillard, d'éclairer les malheureux spectateurs qu'une intrigue d'une telle densité n'aura pas manqué de laisser profondément perplexes (clin d'œil appuyé à mes camarades du comité de visionnage de Nanarland).




(Ja)guar Force : un film victime d'un recadrage barbare.

« Jaguar Force Thunderbolt » s'ouvre sur une série de meurtres perpétrés à travers le monde (Tokyo, San Francisco, Singapour, Taïwan...), et qu'on croit tout d'abord être l'œuvre d'une sorte d'organisation terroriste internationale. Il s'agit du gang de Big Dad (ou d'un gang nommé "Bid Dad" ?), au sein duquel on retrouve Lord God, présenté comme le numéro 2 de l'organisation (mais en fait numéro 1 ?), son adjoint Strong Boy, l'homme de main cruel de service Mad Man et un certain "Menchi". Puis on devine peu à peu, le front plissé sous l'effort d'une concentration extrême, que les exactions du gang visent en fait à détrôner le narcotrafiquant Powder King pour s'emparer du marché de la drogue et contrôler les triades. Dans le giron de Powder King, on trouve tout un tas de personnages comme Snake (son garde du corps), Macha, Akaï (le traître de service), Michelle (qui travaille dans la mode et planque de la drogue pour Powder King), Girly (le fils homosexuel de Powder King), Pretty, ainsi qu'un obsédant valet nain, Little Tiger.


Powder King, le roi de la poudre, flanqué d'un intriguant serviteur.



Son rival, Lord Gun (ou Lord God ?).



Le fourbe Akaï.



Le cruel Mad Man.





Little Tiger et son look qui chie la classe.

Impuissante à mettre un terme aux agissements de Big Dad, la police de Hong Kong fait appel à "Chin Yung" (le bien nommé Jaguar Lee), un super-flic revenu tout exprès d'on ne sait où (mais sans doute des Etats-Unis, parce qu'il est vraiment fort) pour mener à bien l'Opération Jaguar. Pour ce faire, Chin Yung / Jaguar Lee crée la Jaguar Force, une escouade composée de l'élite de la police, soit 4 personnes : un baroudeur de choc, une experte en armes à feu, un spécialiste des triades et une championne de karaté. Bientôt rejoints par un expert en narcotiques et dirigés par Chin Yung / Jaguar Lee, les membres de la Jaguar Force infiltrent la truanderie locale pour remonter jusqu'aux méchants du gang Big Dad.


Bruce Lee + Jaguar Wong = Jaguar Lee (CQ IFD).



Passage en revue de la Jaguar Force.

Vous l'aurez deviné, « Jaguar Force Thunderbolt » est un nanar dont la complexité ne le cède qu’au ridicule, et appréhender du premier coup tous les tenants et aboutissants d'une intrigue aussi nébuleuse relève de l'exploit pur et simple. La faute à un film à l'origine bancal et mal foutu, certes, avec une vaine multitude de personnages sans consistance et des affrontements nocturnes souvent confus. La faute surtout à un doublage proprement sibyllin, qui constitue a posteriori l'unique intérêt de ce petit polar crapoteux en le propulsant au rang de nanar mirifique.


Chin Yung...



...sa douce et tendre Tchin-Tchin...



...et Nan-Lan, le fruit de leur union à la voix fluette.



Ils s'aimaaaaiiiiient.

On ne soulignera jamais trop combien un mauvais doublage peut saborder une œuvre réussie, ou tout aussi bien transformer un film sans grand intérêt en bijou d'humour involontaire. Quand on y songe, un mauvais doubleur s'apparente à un alchimiste capable de transformer de l'or en plomb (ce qui est idiot) mais aussi du plomb en or (ce qui est remarquable). En effet, combien de chefs-d'œuvre, ou tout du moins de films honnêtes, n'ont-ils pas été massacrés par l'incompétence et la crasse fumisterie de doubleurs à la diction atone, bégayante ou hystérique ? Et, à l'autre extrémité du spectre, combien de tristes navets n'ont-ils pas été transfigurés en vigoureux nanars en subissant un traitement analogue ? Ami nanardeur, oublie un instant les guerres et la faim dans le monde et méditons ensemble sur ces questions essentielles : que serait « Eaux Sauvages » dépouillé de sa VF vibrante d'amateurisme décomplexé ? « Doc Savage » aurait-il seulement eu l'honneur d'une chronique sur Nanarland sans la prestation vocale zézayante du regretté Georges Aminel ? Existe t-il doublage plus catastrophique que la version française de « Jaguar Force Thunderbolt » ? A cette dernière question, et en l'état actuel de nos connaissances, j'ose répondre, la conscience sereine, NON ! Plus mauvais que ça c'est impossible ! Impensable ! Inconcevable !






« J’aurais voulu que ce soit moi, pas èèèèè-elles ! ! ! ! ! »

Le doublage en simili langue française de « Jaguar Force Thunderbolt » est tout bonnement le pire qu'il nous ait été donné d'entendre : c'est simple, la moitié des répliques sont à la limite de la compréhension ! A ce stade là, ça n'est même plus mauvais, c'est carrément surréaliste, dans le sens où on songe plus à une performance d'artistes excentriques aux motivations obscures qu'à un vrai travail d'artisans du cinéma, et penser que quiconque ait pu être rémunéré pour un tel boulot ne manquera pas de laisser songeur. Imaginez une succession de doubleurs (enfin, ils doivent être 4 ou 5 maximum) aux accents pataphysiques récitant péniblement leurs lignes de dialogues, hoquetées par paquets de trois mots et ponctués de longs silences, accouchant dans la douleur d'un pataquès rugueux, un sabir babélien, une bouillie verbale absconse à partir de laquelle le spectateur ébahi devra tâcher, tant bien que mal, de faire sens.


« Mais pourquoi ? »



« POURKOUAAAH !!!!!!! »

Pourquoi ? Voici l'explication qui nous semble être la plus probable : on retrouve au générique de « Jaguar Force Thunderbolt » le nom d'IFD, la firme de production de Joseph Lai, bien connue des habitués de Nanarland, mais aussi celui moins connu d'Adda Audio Visual Ltd. Cette dernière était en fait la société de doublage d'IFD, qui s'est par la suite spécialisée dans les dessins animés bas de gamme produits en Corée (ceux-là mêmes qui garnissent copieusement la rubrique "enfants" du site). On sait que via Adda Audio Visual, IFD faisait doubler en anglais ses films de kung-fu et de ninjas afin de les vendre plus cher et plus facilement sur le marché international. On peut supposer qu'avec « Jaguar Force Thunderbolt », la firme ait voulu faire de même pour le marché francophone (France, Belgique, Suisse, Québec et une bonne partie de l'Afrique, où ce genre de produits se vendait bien). Sauf que si les anglophones ne manquaient pas dans le Hong Kong de 1983, il ne devait en revanche pas être aussi aisé de recruter des doubleurs francophones un tant soit peu compétents ! D'où une VF hallucinante d'amateurisme, avec accents english, voire plus exotiques (le chef Lee s'exprime avec un accent antillais qui évoque irrésistiblement Pascal Legitimus période Les Inconnus), intonations plates ou hasardeuses et un rythme haché qui laisse penser que certains de ces apprentis doubleurs lisaient peut-être même leur texte en phonétique. Sans être catastrophique, la traduction heurte souvent les oreilles avec des erreurs de syntaxe, idiotismes incongrus ("encore j'y vais !" ; "à nous donc à agir" ; "la police qui enforce la loi" ; "il se s'agirait" ; "nous devons l'éliminer les triades" etc.) et autres liaisons dangereuses ("mort en n'héros" ; "trop z'encore"), sans même parler de la synchronisation des lèvres, complètement anarchique. Il semble qu'IFD recrutait ses doubleurs avec autant d'exigence et de discernement que ses acteurs gweilos !


Ces décors sont ceux d'un complexe hôtelier situé à Taïwan, par la suite abandonné pour vice de construction (fabriqués en fibre plastique dans une zone venteuse, ces logements futuristes furent jugés dangereux). On les retrouvera dans d'autres productions IFD comme « Golden Ninja Warrior » ou « Diamond Ninja Force », ainsi que des films comme « White Ninja » (« White Phantom »).



Une course-poursuite en hors-bord indigente où l'on surprend le reflet du caméraman dans une paire de lunettes.

Comme si cela ne suffisait pas, il s'ajoute à ce doublage croquignolet une médiocrité technique à faire frémir, avec une esthétique raboteuse alternant séquences sous-exposées et sur-exposées, une incompétence flagrante à donner du rythme aux scènes d'action et une grammaire cinématographique qui se limite à l'emploi du zoom. Le film a en outre à souffrir d'un recadrage sauvage qui nous vaut quelques dialogues proprement surréalistes, entre une lampe et un accoudoir de fauteuil par exemple, ou entre un nez et une touffe de cheveux.


Sous-exposé.



Sur-exposé.





Deux exemples de recadrage malheureux (qui parle à qui ?).

« Jaguar Force Thunderbolt », ce sont aussi des séquences de flirt entre Chin Yung et Tchin-Tchin d'une mièvrerie rebelle à toute description, où les deux tourtereaux se lancent dans des tirades enamourées bredouillantes et sans queue ni tête, qui font parfois du réalisateur Poon Yung Man une sorte de double maléfique de Godard.







En somme, « Jaguar Force Thunderbolt » c'est du maousse costaud, une oeuvre globale dont les scories se superposent les unes sur les autres pour former au final un savoureux mille-feuilles de médiocrité, mais aussi une expérience limite à même de rebuter les nanardeurs les moins endurcis. A voir quoi qu'il en coûte, ne serait-ce que pour goûter cette satisfaction un peu idiote : j'ai vu le film le plus mal doublé du monde !

Un immense merci à notre correspondant au Québec Giant Bigorneau, pour avoir porté ce film à notre attention.

- John Nada -
Moyenne : 3.80 / 5
John Nada
NOTE
3.75/ 5
Kobal
NOTE
3.75/ 5
Rico
NOTE
4.5/ 5
Labroche
NOTE
4.5/ 5
Drexl
NOTE
2.5/ 5

Cote de rareté - 6/ Introuvable

Barème de notation

Mettre la main sur ce film dans son indispensable version française n'est pas chose aisée ! Il n'est semble t-il jamais sorti en France, ni en Suisse ou en Belgique, et c'est du Québec que nous vient la version qui a servi de support à cette chronique. "Jaguar Force Thunderbolt" a en effet fait l'objet de deux éditions VHS dans la Belle Province, l'une sous le titre "Jaguar Force", l'autre sous celui plus farfelu de "L'Empire des Ninja II".

Les seules autres éditions que nous ayons pu trouver sont des VHS scandinave, néerlandaise, grecque (toutes en version anglaise sous-titrée) et allemande. Bon courage aux collectionneurs.







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