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L'Ile du Docteur Moreau

(1ère publication de cette chronique : 2003)
L'Ile du Docteur Moreau

Titre original :The Island of Doctor Moreau

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :John Frankenheimer

Année : 1996

Nationalité : Etats-Unis

Durée : 1h35

Genre : Je n'suis pas un animaaal, je suis un nanaaar !

Acteurs principaux :Val Kilmer, Marlon Brando, David Thewlis, Fairuza Balk

Rico
NOTE
2.5/ 5

En voiture Simone : c'est moi qui conduit, c'est toi qui klaxonne !


Dans notre série « les films qui foutent la honte au studio qui les produit » voici un cas d’école, un modèle, un prototype...
L’Ile du Docteur Moreau (dernière version en date, celle de 1996 par John Frankenheimer) produit par Metropolitan Filmexport. on les applaudit bien fort !


Quelques remarques liminaires après recherches : il existe deux versions précédentes du Dr Moreau adapté du romancier H. G. Wells :
- Une datant de 1932, réalisée par Erle Kenton, avec Charles Laughton en Dr Moreau et Bela Lugosi en homme bête, et qu'on peut consdérer comme un classique.
- Une datant de 1977 et signée Don Taylor, avec Burt Lancaster en Dr Moreau et Mickael York en Douglas. Je garde personnellement plutôt un bon souvenir de ce film. Il a un peu vieilli bien sûr, mais quand il est passé à la télé il y a quelques années, j’avais globalement bien aimé.


Tout ça pour dire que la nécessité de ré-adapter The Island of Dr. Moreau ne s’imposait pas mais que bon, c’était la mode à l’époque, tous les classiques de l'épouvante y passaient, alors après Dracula (1992, Francis Ford Coppola), Frankenstein (1994, Kenneth Brannagh), Dr Jekyll & Mr Hyde avec Mary Reilly (1996, Stephen Frears) et La Momie (1999, Stephen Sommers), pourquoi pas L'Ile du Docteur Moreau ? On se dit tout de suite : le risque c’est le ridicule des hommes-bêtes avec maquillage en latex et pelage synthétique. Si c’est bien fait on a La planète des singes, si c’est mal fait on a Le continent des hommes-poissons. Disons-le tout de suite : les maquillages sont très beaux, surtout qu’ils ont pris des acteurs sportifs ou à gueule (Mark Dacascos, Ron Perlman) qui tiennent parfaitement leur rôle.

La galerie de monstres est clairement réussie. En chemise c'est l'acteur allemand Marco Hofschneider.

Photo du travail des studios Stan Winston.

Non, le problème, ce sont les acteurs qui jouent les rôles d’humains « normaux »...

D’abord Marlon Brando en Dr Moreau. Comment dire... Visiblement il ne s’est jamais remis de son rôle du colonel Kurtz dans Apocalypse Now et a définitivement pété une durite. Il faut le voir débarquer pour la première fois à la trentième minute du film sur un Hummer transformé en papamobile avec plumes de paon, vêtu d’une grande robe blanche vaporeuse, muni d’un chapeau pagode à voilette, le visage tartiné de crème solaire blanche, les lèvres discrètement soulignées par un rouge qui bave. Avec ses 150 kg de barbaque fatiguée (il n’a qu’une scène debout) et ses poses affectées de midinette, c’est Priscilla folle de la jungle. Tout le reste est à l’avenant (et dit-on, pratiquement tout a été écrit ou modifié par Brando lui-même qui trouvait au départ son rôle trop fade). Un peu plus tard le Docteur porte un chapeau en forme de seau à champagne sur la tête dans lequel il fait mettre des glaçons : c’est… son convertisseur calorique !


Pour 2 millions de dollars, Marlon Brando vous assure vos soirées drag-queens.


Mais le fin du fin, c’est quand même l’espèce de créature humano-lilliputienne (jouée par un véritable acteur de 80 cm, Nelson de la Rosa, déjà vu dans Ratman) qui accompagne Moreau au piano quand celui s’attaque à Chopin. Posé avec un piano miniature sur celui de Marlon, c’est une vision hallucinante. On se demandait où Mike Myers avait piqué l’idée de mini-moi pour Austin Powers... ne cherchez plus ! Surtout qu’avec son crâne chauve et ses airs affectés, Brando à tout du Dr Denfer.


Et je dominerai le monde ! Bwahahahahahahah !!!!!!


Avec Marlon, pour alimenter le concours de j’m’en-foutisme et de cabotinage, ils ont mis Val Kilmer en assistant junkie et dérangé. On raconte que Kilmer, qui passe pour un des acteurs les plus insupportables d’Hollywood (il a flingué sa carrière comme ça), n’était quasiment jamais sur le plateau de tournage. Ou alors bourré, ou défoncé. C’est pour cela d’ailleurs à mon avis que le perso est censé être stone quasiment tout le temps. A part ça il donne le minimum syndical (et encore). Hormis peut-être dans une scène hallucinante où il imite Brando dans son costume de drag-queen.


Stone, le monde est stone...

Le pouvoir des fleurs.

Oui, la drogue ça rend bête.


Enfin, pour incarner le héros Douglas, qui débarque accidentellement sur l’île, on a David Thewlis [NDLR : oui, le Rémus Lupin dans les films Harry Potter]. Thewlis est un acteur anglais qui a joué dans pas mal de petits films d’auteurs et qui affiche ici le fabuleux charisme d’une livre de foie de veau. S’il a été cloné à partir de quelque chose, je dirais la méduse ou la pétoncle vu l’intensité de son jeu. Avec son air tout fripé et ses yeux globuleux, il donne l'impression de constamment se demander ce qu’il fout là. Pire, devant Brando et surtout Kilmer (qui devait sûrement lui faire des grimaces) il semble avoir beaucoup de mal à garder son sérieux. En fait, plusieurs fois on le voit réprimer des sourires dans des scènes sensément dramatiques, ou mettre la main devant sa bouche et faire de grands gestes inutiles pour masquer un probable début de fou rire. Il y a même une scène où, attaqué par de tout petits hommes-rats, il tombe et se met à éclater de rire. C’est immédiatement coupé par le monteur et, l’instant suivant, on le voit qui se relève en faisant semblant d’avoir mal.


"Oui, je sais que je joue super mal... mais de là à me mettre en taule, vous êtes vaches les gars !"


Et tout est ainsi : grotesque, mal joué et drôlement affligeant. Pour le scénario, je vous la fait courte parce que vous connaissez en gros l’histoire, et à part les costumes de Brando, il n’ont pas révolutionné H.G. Wells. Ça commence par un générique qui se la pète grave avec, sur fond de musique gothique, des images d’éclairs, d’yeux et de crocs menaçants, de foetus et... de plancton (oui, comme dans les cours de Sciences Nat’ du collège). Dans un futur proche, dans la mer de Java, Douglas est recueilli, après un accident d’avion, par Val Kilmer, qui se rend sur l’île du Docteur Moreau, un prix Nobel qui vit reclus pour se consacrer tout entier à ses recherches. Sur l’île, il pourra sûrement trouver une radio pour appeler à l’aide.


Ratatouille est vénère.


Arrivé sur l’île, Kilmer va chercher un joli lapin blanc qu’il donne à caresser à Douglas avant de l'égorger pour le dîner. Puis Douglas découvre une jolie danseuse. Ils tombent amoureux, sous l’oeil narquois de Kilmer. Après 20 mn de bavardage où on commence à s’ennuyer ferme, Douglas tombe sur une communauté d’hommes-bêtes qui vivent dans des souterrains avec ascenseurs et répètent inlassablement la Loi (ne pas manger de viande, ne pas courir à quatre pattes, ne pas tuer etc.). Douglas fait son épouvanté mais on l’est encore plus que lui quand on voit se ramener Marlon Brando en drag-queen sur sa papamobile. Toutes les bêtes l'appellent "Père" parce qu’il parle à ses "enfants" comme un espèce de vieux papa gâteau à des débiles profonds et qu’il leur inflige des décharges électriques, via une puce implantée dans la jambe, quand l’un d’eux désobéit à la Loi.


"Dites euh, vous êtes sûr qu'il n'y a personne qui va nous voir comme ça ? Parce que bon, ça fout un peu la honte quand même..."


A partir de là, on apprend que Moreau a créé ses créatures à partir d’animaux pour avoir lui-même l’impression d’être Dieu (d’où la papamobile) et qu’il garde les plus évolués (dont la danseuse, en fait une femme chat quasiment humaine) pour en faire de parfaits humains. Seul problème : il leur faut l'injection d’une drogue
spéciale pour ne pas dégénérer, administrée par Val Kilmer (qui la coupe avec des champignons hallucinogènes pour les garder calmes).

 
Nelson de la Rosa qui joue du piano sur le piano de Marlon Brando qui joue du piano. Cette scène existe.


Evidemment, le jour où un homme-hyène découvre qu’on peut s’arracher la puce de la jambe, il comprend qu’il peut être dégagé des obligations morales de la Loi, qu’il peut se révolter contre les humains à cinq doigts (c’est nous ça), s’emparer du stock de Kalachnikovs dans la réserve du maître, devenir le chef et se taper toutes les gonzesses. D’où révolte...


En fait, sous ce déguisement grotesque d'homme-bouc gardien de la Loi, c'est Hellboy... (enfin Ron Perlman)


Moreau se fait bouffer après avoir tenté d’apprendre le piano aux hommes-bêtes. Kilmer, raide défoncé, se tartine le visage de crème solaire et tente de devenir le nouveau Père dans une scène musicale sur fond de pop F.M. bien naze. Tout cela se termine dans un bain de sang généralisé où les ¾ du casting s’entre-massacrent (y compris la danseuse, pas de scène zoophile avec le héros donc).


Bon, je vais repenser à tout ça à tête reposée, au frais sous mon seau à champ... euh, mon convertisseur calorique.


Dans la scène finale, Douglas se construit un radeau de fortune mais promet aux derniers survivants qu’il va leur envoyer du secours. Ces derniers, inquiets du fait qu’il pourrait y avoir une Ile du Dr Moreau n°2, lui disent que finalement non, ils préfèrent dégénérer sans leur drogue, tranquilles, entre eux, qu’ils ont compris qu’être humain c’était surtout tuer pour rien : il y a eu trop de souffrance (surtout pour le spectateur)...


Mais qu'est-ce qui m'a pris de tourner dans ce truc, moi... l'horreur... l'horreur...

Addendum de la rédaction :

Comme toujours, l'histoire derrière le film est passionnante et explique beaucoup de choses. Au départ Richard Stanley, le réalisateur Anglais de Hardware, dirige le projet avec une grande application, des idées intéressantes – politiquement assez incorrectes d'ailleurs – et l'accord de Bruce Willis et James Woods pour son casting. Hélas, le divorce du premier le force à abandonner le rôle et le second se voit remplacé par Val Kilmer qui, en vrai petit con qu'il semblait être à l'époque, aurait mis toute son énergie à foutre une ambiance détestable pendant le tournage. Tournage qui prend un retard monstre (haha) car Marlon Brando demeure littéralement introuvable après le suicide de sa fille. L'acteur David Thewlis (Rico écrit qu'il joue mal mais c'est parcequ'il est chafouin) est aussi un remplaçant de dernière minute. Son prédécesseur, Rob Morrow, suppliait son agent de le dégager du tournage, totalement isolé sur la côte australienne, qui prenait l'eau autant au sens figuré qu'étymologique vu qu'un énorme ouragan avait entre temps inondé le plateau. C'en est alors trop pour la New Line qui voit venir l'énorme catastrophe industrielle. Malgré la motivation et l'implication totale de Richard Stanley, le studio n'est pas rassuré par son manque d'expérience, le comportement solitaire et l'attitude un peu "lunaire" du réalisateur. En dépit de l'affection que lui porte le casting et le staff technique, Richard Stanley sera débarqué du projet après quelques jours de tournage, la mort dans l'âme (il ne réalisera plus aucun film jusqu'au très sympa Color Out of Space en 2019)... et sera donc remplacé en urgence par John Frankenheimer.

La fin des soucis ? C'était compter sans l'ineffable attitude de Marlon Brando décidant, alors qu'il a une période ultra courte de tournage, de ne pas apprendre son texte (il aura une oreillette) de modifier le casting (se prenant d'affection pour Nelson de la Rosa, il le voudra avec lui sur tous ses plans, obligeant la prod' à lui attribuer un rôle destiné au départ à Marco Hofschneider qui, impuissant, se voit donc sucrer la plupart de ses scènes) voire le script lui-même. Frankenheimer avait déjà dû retravailler le scénario à coups de burin mais ça n'empêchait pas Brando de vouloir le transformer selon son humeur. Certaines "idées" sont restées (l'histoire du maquillage blanc, la scène du piano, les plumes de paon) et d'autres ont été poliment refusées – comme celle qui consistait à révéler que le Dr Moreau était en réalité... un homme-dauphin !

Il resterait encore beaucoup à dire mais il serait fastidieux de vous raconter en détail la relation houleuse entre Val Kilmer et Marlon Brando, comment Richard Stanley est parvienu à revenir en douce sur le tournage comme figurant (!) ou les histoires de drogues et de chamanisme. Heureusement toutes ces infos se trouvent dans le passionnant "Lost Soul: The Doomed Journey of Richard Stanley's Island of Dr. Moreau", documentaire de 2014 réalisé par l'estimé David Gregory qui revient sur la conception du film avec de nombreux protagonistes de l'époque. C'est savoureux, on vous le recommande chaudement. Notons au passage que le documentaire Val de 2021 sur la vie de Val Kilmer parle également un peu du film.

- Rico -
Moyenne : 1.75 / 5
Rico
NOTE
2.5/ 5
Mayonne
NOTE
0/ 5
TantePony
NOTE
2/ 5
Nikita
NOTE
2.5/ 5
Drexl
NOTE
2.5/ 5
Wallflowers
NOTE
1/ 5
Jack Tillman
NOTE
B.F./ 5

Cote de rareté - 1/ Courant

Barème de notation


Arrivé juste avant l'éclosion du DVD, le film a dû attendre longtemps – 2012 ! – avant d'accéder au format numérique. Un peu comme si "Metropolitan" avaient eu honte et qu'ils avaient attendu de ne plus rien avoir d'autre à rééditer avant de passer à celui là... Pas de bonus extraordinaires à attendre, sur le DVD ou le Blu Ray : quelques interviews promo d'époque, et puis c'est tout.

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