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Khooni Dracula
(1ère publication de cette chronique : 2024)Titre original : Khooni Dracula
Titre(s) alternatif(s) :Aucun
Réalisateur(s) :Harinam Singh
Producteur(s) :Harinam Singh
Année : 1992
Nationalité : Inde
Durée : 1h49
Genre : Inde et sang
Acteurs principaux :Harinam Singh, Amrit Pal, Kiran Pal, Kaushal Singh, Usha Singh, Sonia Thakur, Birbal
« Les intellectuels indiens pensent beaucoup de mal du cinéma de Madras et de Bombay. Ils lui reprochent son mauvais goût, sa bêtise, ses outrances, d'être une synthèse de ce qu'il y a de plus vulgaire en Inde et en Occident. Mais ce cinéma, aussi mauvais soit-il, est le mode d'expression et le seul spectacle de tout un peuple dans un pays où la télévision n'existe pratiquement pas. J'avoue que j'ai aimé certains de ces films, leur incohérence, leurs coups de théâtre, leur absence totale de psychologie et l'intervention constante des forces magiques. »
Louis Malle dans L'Inde fantôme (1969), 2ème volet sur 7.
Une affiche alternative, composée de personnages et éléments disparates qui ont pour seul point commun d'être tous absents du film.
Quelque part en Inde, un vampire assassine des jeunes femmes. Minée par l’incompétence et la corruption, la police se montre incapable de l’arrêter, d’autant qu’elle a déjà fort à faire avec le traffic de drogue qui gangrène la ville. L’insouciante jeunesse indienne parviendra t-elle à se sauver des griffes de Dracula et du fléau de l’héroïne ?
Disco Dracula !
Le cinéma d'horreur indien est un riche et vaste sujet auquel on pourrait facilement consacrer une encyclopédie ou deux, et pourtant son histoire est relativement récente. Quelques thrillers surnaturels, drames fantastiques et récits d'épouvante font office de précurseurs dans les années 1970. Mais c'est surtout dans les années 1980 que le genre explose, avec comme pionniers les productions de la famille Ramsay (vous pouvez notamment lire à ce sujet nos chroniques de Purana Mandir et Veerana).
Les productions du clan Ramsay : le haut du panier des films d'horreur indiens.
La formule des Ramsay est simple : transposer en Inde – souvent en les plagiant sans vergogne – des classiques gothiques de la Hammer et des slashers américains, en y ajoutant un peu d'humour, le maximum d'érotisme autorisé par la censure, et les inévitables séquences chantées et dansées. Toujours avide de nouveautés, le public indien plébiscite ces versions tandoori de Dracula et ces Freddy Krueger sauce curry, donnant rapidement des idées à d'autres producteurs. Ainsi, par l’odeur des roupies alléchés, des petits commerçants du 7ème art comme Vinod Talwar ou Mohan Bhakri vont reprendre rigoureusement la même formule, avec beaucoup moins de moyens mais un certain savoir-faire.
Roohani Taaqat (1991) de Mohan Bhakri.
Khooni Panja (1991) de Vinod Talwar.
Puis, à partir du début des années 1990, ça devient franchement n’importe quoi : on commence à voir déferler un véritable tsunami de titres absolument imbitables, usinés à tour de bras par des opportunistes à la petite semaine, avec zéro argent et zéro talent. Des histoires souvent incompréhensibles avec des monstres sanguinaires aussi flippants que l'épouvantail du jardin de pépé, des loups-garous bricolés avec une vieille couverture et trois bouts de paillassons, et des sorcières au visage peinturluré à la gouache avec de faux ongles en carton scotchés au bout des doigts. C'est parmi cette pittoresque multitude qu'on trouve, vautré par terre la tête dans son vomi, le Khooni Dracula qui nous intéresse aujourd'hui.
Saamri (2000) de K.I. Sheikh.
Bhoot (1999) de S.Gawli.
Laash (1998) de K. Mansukhal.
Khoonkar Darinde (2000) de Teerat Singh.
Une affiche alternative du même film, avec une référence à la Fiancée de Frankenstein et une playmate du meilleur goût. Et on ne vous parle même pas des films d'horreur pakistanais...
Dracula en Inde ? Et pourquoi pas. Dracula, le riche comte membre de la classe dominante qui exploite les paysans en leur suçant littéralement le sang et la vie, dans la tradition marxiste du vampire comme être néfaste qui se nourrit du sang des prolétaires, c’est une métaphore facilement transposable dans la société indienne et son système de castes toujours prégnant. En tous cas sur le papier on a vu des exemples de cross-culture beaucoup plus foireux. Donc transposer Dracula en Inde, oui, pourquoi pas. Mais s’il-vous-paît, pas comme ça…
Khooni Dracula (« Dracula le sanguinaire ») : un vampire qui ressemble beaucoup plus à un poivrot clochardisé se relevant d'une mauvaise cuite qu'à l'élégant Comte du roman de Bram Stoker.
Le Comte Dracula imaginé par Bram Stoker était un digne représentant de l'aristocratie, élégamment vêtu et s’exprimant dans un language distingué. Ses interprètes les plus emblématiques au cinéma, comme Bela Lugosi ou Christopher Lee, ont contribué à ancrer dans l’inconscient populaire l’image d’un inquiétant séducteur au regard pénétrant, au charisme magnétique, drapant sa silhouette et ses sombres mystères dans une grande cape en satin. Khooni Dracula est tout l'inverse.
Avec son chapeau informe en carton véritable, sa vieille perruque en guise de cheveux, ses loques de clodo et sa poussée d’herpès facial, ce Dracula indien est l’un des vampires les plus pathétiques et ridicules qu’on puisse imaginer. Khooni Dracula est affublé d’un masque en caoutchouc premier prix tellement moche que même un enfant en bas âge aurait honte de le porter pour quémander des bonbons un soir d’Halloween.
Khooni Dracula, clochard splendide du 7ème art. Redoutable vampire, il ne craint que l'ail, les crucifix et les arrêtés anti-mendicité.
Khooni Dracula est vêtu d’une kurta noire (tunique traditionnelle que portent les hommes en Inde), qui lui donne des airs de mémé frappée d’Alzheimer errant de nuit en robe de chambre. Au summum de l’épouvante, il marche en faisant BEUAAAR, comme ferait un marmot qui voudrait imiter un gros vilain monstre. Enfin il marche… disons plutôt qu’il avance, mais avec une infinie lenteur qui laisse deviner que le comédien ne devait rien y voir sous son masque de carnaval, et claudiquait à l’aveuglette en priant très fort pour ne pas s’étaler par terre. Cette démarche lente, lourde et chancelante n’évoque même plus les boogeymen des slashers mais carrément les poivrots qui viennent de franchir la barre des quatre grammes.
Indian Dracula, ou la grâce titubante de l’ivrogne proche du coma éthylique. Tremblez pauvres mortels, Clodo Dracula arrive ! La terreur des bidonvilles et des éthylotests est là !
L’attaque du chapeau mou, summum de l'épouvante.
Outre cette irrésistible démarche titubante de vampire soulographe, chacune des apparitions de Dracula est ponctuée d'un dramatique stock-shot d'éclairs zébrant le ciel nocturne, suivi d'un autre stock-shot d'arbres balayés par la tempête, mais… en plein jour cette fois. Ce faux raccord jour/nuit récurrent, et les nombreuses incohérences sonores et visuelles qui ponctuent le film dès les premières minutes, font d’emblée comprendre au spectateur que le récit de Khooni Dracula a un rapport au temps et à l'espace qui lui est propre, qu'il doit dès lors renoncer à vouloir trouver à tout prix du sens à ce qu'il voit, et qu'il lui faut au contraire, comme dans un manège de fête foraine, accepter de lâcher prise pour en apprécier l’ivresse. Dracula apparaît tantôt le visage bien joufflu, tantôt le visage cadavérique. Il a le pouvoir d’apparaître et de disparaître et aussi, grâce à la magie noire des faux raccords, de faire apparaître ou disparaître son beau chapeau d’un plan à l’autre. Plus surprenant encore, ce sont tantôt ses canines supérieures qui sont proéminentes, tantôt ses canines inférieures. On finit par ne plus savoir ce qui est volontaire ou pas, ce qui relève du parti-pris ou de la boulette. Seule certitude : Khooni Dracula ressemble à un vampire sanglier clochardisé, avec ou sans chapeau.
Khooni Dracula : le premier vampire qui utilise tantôt ses canines du haut…
…tantôt celles du bas. S’agit-il d’un rare spécimen de vampire sanglier ? Le comédien étourdi a-t-il simplement mis ses fausses dents à l’envers ? Encore une grande énigme de l’univers non élucidée.
Passé les dix premières minutes, le bon sens du spectateur se met en veille, sa perspicacité lui souffle à l’oreille qu’elle jette l’éponge et sa logique cartésienne décide de poser tous ses RTT. Dès lors, on ne s’émeut même plus de ces intempestives alternances jour/nuit, des images floues et des coq-à-l'âne narratifs. Filmé comme un mauvais roman-photo, Khooni Dracula est à la fois très kitsch est très brouillon dans son exécution. A l'instar du tout aussi catastrophique Devil Story, le film réussit l’exploit d’avoir une trame à la fois ultra-répétitive et extrêmement décousue, la faute à un scénario confus au possible. Une bonne moitié des protagonistes n’est jamais clairement identifiée, les autres le sont tardivement, et sans que leurs motivations et leurs relations soient vraiment bien définies. Certains personnages surgissent de nulle part pour ne jamais revenir. Quelques flashbacks insérés au doigt mouillé nuisent plus à la compréhension qu’autre chose. A titre d’exemple, plusieurs jeunes femmes sont tuées dans la même maison, voire dans la même chambre, sur le même lit, en sortant de la même douche. S’agit-il de sœurs ? D’amies ? De cousines ? Des camarades d’un même dortoir ? Ou bien le réalisateur ne disposait-il que d’un seul décor pour tout tourner ? Mystère.
Khooni Dracula, film d'horreur charnel d'un érotisme moite et boudiné :
Une scène de douche en maillot de bain !
De la lingerie presque fine !
Une torride séance d'aerobic !
Des lèvres de femme !
Un nu dorsal !
Un décolleté vertigineux !
Khooni Dracula est une expérience audiovisuelle assez radicale, avec une partie audio peut-être plus extrême encore que la partie visuelle. Le film a visiblement été tourné sans prise de son, ce qui implique que la bande-son a été entièrement conçue en post-production. Les dialogues sont post-synchronisés la bouche collée au micro, sans filtre anti-pop et surtout sans ingé-son pour mixer, avec les potards à fond, des aigus qui crépitent, des basses qui bourdonnent, des « Sss » qui grésillent et des occlusives qui explosent le vu-mètre. Les bruitages sont basiques au possible et souvent à côté de la plaque, comme ce grand portail métallique extérieur qui grince comme une porte en bois en intérieur. La bande-son est ponctuée d’incessants jump cuts, avec une succession de courtes boucles musicales mises bout-à-bout, et qui s’enchaînent brutalement, sans fondu, toutes les 30 secondes.
Khooni Dracula, le vampire du bois joli,
Il est passé par ici, il repassera par là.
Tel un fauve à l’affût de sa proie sans défense, le vampire frappe en un éclair. Du moins quand il n’a pas la gueule de bois.
Rarement cohérente avec les images qu’elle accompagne, cette suite quasi-ininterrompue de courts morceaux transforme radicalement l’ambiance du film selon qu’il s’agisse de quelques notes de violons romantiques, d’une série de riffs rageurs miaulés par une guitare électrique, de funk qui swingue, de nappes de synthé Moog, d’une envolée de cuivres pétaradants ou de rythmiques sur des instruments de percussion traditionnels. Avec aussi, de temps à autre, quelques ambiances sonores complètement inattendues, comme ce morceau entièrement composé de samples d’aboiements et de grognements de chiens passés en boucle ! En guise de modeste point d’orgue à ce medley expérimental, la chanson titre Khooni Dracula nous est balancée sans crier gare en plein milieu du film, avec son lancinant refrain qui nous aura trotté dans la tête trois jours durant (en écoute sur notre playlist nanarde, pour les braves qui n’auront pas peur de s’infliger 30 secondes de samples d’aboiements de chien en intro !) [NDLR : merci à notre avisé lecteur Laurent Rougé, qui nous a signalé à juste titre que cette intro était directement piquée au morceau Suburbia des Pet Shop Boys, sorti en 1986 !].
Mon tendre ami, je commence à craindre que le film dans lequel nous jouons ne soit pas le chef-d’œuvre tant espéré, qu'en pensez-vous ?
La BO du film sortie... chez Sony Music.
Dans les productions horrifiques du clan Ramsay, évoquées au début de cette chronique, les décors étaient en carton-pâte mais au moins il y avait des décors. Il y avait aussi une photo très correcte, avec quelques beaux éclairages. Les effets spéciaux de maquillage étaient parfois sommaires mais ressemblaient au moins à quelque chose. Le jeu des comédiens n'avait rien de génial mais on sentait qu'ils étaient dirigés. Les chansons avaient des chorégraphies. Et au final, on avait quelque chose qui ressemblait à un film. Dans Khooni Dracula, il n'y a pas de décors proprement dit, la photo est archi-laide avec de nombreux plans flous et sous-exposés, les effets spéciaux ne ressemblent à rien, et les comédiens sont complètement livrés à eux-mêmes. Khooni Dracula c'est la misère faite film. Tout ça pour dire que si les productions du clan Ramsay, aussi kitsch soient-elles, constituent le dessus du panier du cinéma horrifique indien, un film comme Khooni Dracula représente lui le fond de la poubelle, et ce aux yeux mêmes du public et des critiques locaux (lire par exemple l’avis d’Omar Ali Khan, grand amateur du cinéma indien et pakistanais : ici ou ici).
Perversion suprême : Khooni Dracula souffle son haleine frelatée au visage de ses pauvres victimes qui, de façon assez inexpliquable, ne semblent déceler sa présence qu'au tout dernier moment (attention jeune fille, derrièr... euh, devant toi !).
Dracula s’invite à une boom. Affreux !
Khooni Dracula a tout de même la bonne idée de s’éloigner de l’horreur traditionnelle gothique à la Hammer, déjà ultra-copiée par la concurrence, pour proposer quelque chose de plus contemporain, avec le sujet jusqu’alors très peu traité, voire tabou en Inde, de l’addiction à la drogue. Le parallèle entre le vampire qui pervertit et assassine d’innocentes jeunes femmes, et les dealers qui empoisonnent la jeunesse locale, offrait un potentiel intéressant. Mais le traitement du sujet de la drogue est trop simpliste, pour ne pas dire complètement crétin. Car figurez-vous (SPOILER ALERT) que Dracula est en fait aux ordres du parrain de la pègre locale, qui se sert de lui pour exécuter ses basses besognes. Dracula, le Prince des Ténèbres, réduit au rang de vulgaire sicaire de la mafia d’une anonyme petite ville indienne. Quelle avanie ! Quelle déchéance ! Et le pire c'est que, de toute évidence, ce modeste emploi ne lui rapporte même pas assez pour rester propre et digne...
Dracula et son commanditaire, sorte de méchant ultime : baron de la drogue le jour, nécromancien la nuit !
Cette association maléfique entre les trafiquants de drogue et le vampire nous est révélée comme un coup de théâtre, sauf qu’elle n'a absolument aucun sens étant donné que Dracula n'a fait qu'assassiner des jeunes filles pures et sans défense depuis le début du film. En quoi ces meurtres gratuits aideraient-ils le parrain à faire fructifier ses affaires ? Encore une fois, il faut se rappeler qu’on est dans un manège de fête foraine et simplement accepter de subir le ride, en renonçant à comprendre, car au fond il n’y pas grand chose à comprendre, sinon que Dracula et la drogue sont mauvais pour la jeunesse.
- Debout Agent Dralcolo, j’ai une nouvelle mission pour toi !
- Beuaaar ! beuaaar !
- Non, tu boiras après avoir éliminé la cible. Comme d’habitude, une bouteille de liqueur de noix de cajou si tu réussis, Agent Dralcolo !
Écrit, produit et réalisé par Harinam Singh (qui tiendrait en outre le rôle du Dracula masqué), Khooni Dracula nous offre à voir un des vampires les plus craignos jamais imprimés sur pellicule, dépassant d’une bonne hauteur de chapeau ses pittoresques collègues de Vampire Assassin, Dracula Vampire sexuel ou du Sadique aux dents rouges. Aussi nul soit-il, le film semble avoir dégagé quelques bénéfices, incitant Harinam Singh à poursuivre dans l’horreur indigente et crapoteuse. Il remet ainsi le couvert dès l’année suivante avec Shaitani Badla (« Vengeance maléfique », 1993), puis enchaînera les titres Shaitani Atma (« Esprit maléfique », 1998), Shaitani Darinda (« Bête maléfique », 1999), Gumnam Qatil (« Le meurtrier sans nom », 2001) et se surpassera enfin avec le psycho-démentiel Shaitani Dracula (2006), dont il faudra qu’on vous reparle un jour. Chez Harinam Singh, les vampires ne sont pas tristes et le nanarophile au cœur pur, en amoureux transi des laissés pour compte et inadaptés du 7ème Art, ne saurait manquer de chérir tendrement un freak aussi splendide que ce Dracula du bout du monde !
L’affiche de Shaitani Dracula (2006), aussi psychotronique soit-elle, ne donne qu’un très faible aperçu de la folie du film, qui suit les mésaventures d’un groupe de campeurs aux prises avec Dracula et son armée de monstres (un bestiaire invraisemblable composé de femmes vampires, loup-garou, homme squelette et autres démons bricolés avec la moitié du budget « atelier créatif » d’un centre aéré).
Cote de rareté - 4/ Exotique
Barème de notationPour voir Khooni Dracula et son beau chapeau semer la terreur, il vous faudra mettre la main sur le VCD indien sorti en 2000 chez l’éditeur "Time Magnetics", avec sa VO en Hindi sans sous-titres ni bonus, et une qualité d'image très moyenne (résolution en… 352 x 288 pixels, moitié moins qu’un DVD !). On me souffle aussi qu’en cherchant un peu, il traîne parfois illégalement sur des sites de vidéo en ligne, dans des qualités souvent discutables mais avec des sous-titres anglais.