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Veerana

(1ère publication de cette chronique : 2009)
Veerana

Titre original : Veerana

Titre(s) alternatif(s) :Veerana: Vengeance of the Vampire

Réalisateur(s) :Shyam & Tulsi Ramsay

Année : 1985

Nationalité : Inde

Durée : 2h14

Genre : Magie noire en Indoustan

Acteurs principaux :Vijayendra Ghatge, Kulbhushan Kharbanda, Hemant Birje, Satish Shah, Jasmin, Sahila Chadda, Rajesh Vivek, Narendra Nath, Gulshan Grover, Gorilla, Rama Vij, Baby Swati, Rajendra Nath

John Nada
NOTE
3/ 5

"Le film que vous allez voir est une œuvre de fiction, qui s'inspire néanmoins d'anciens contes et légendes issus du folklore populaire. Ce film met en scène forces occultes, fantômes, revenants, sorcières et magie noire, qui n'ont pas lieu d'exister dans notre monde moderne. Nous vous recommandons de regarder ce film comme une oeuvre de divertissement, et seulement en tant que tel. Il s'agit d'une pure fiction, qui ne doit pas être considérée autrement."

C'est sur cet avertissement sentencieux, professé par une voix-off hindi qui nous fait bien comprendre qu'elle n'a pas envie de rigoler, que débute Veerana, un des plus fougueux représentants du cinéma d'horreur bollywoodien. L'appétit excité par Purana Mandir, autre production du clan Ramsay dont le succès en fit le maître-étalon du genre, l'auteur de ces lignes confesse s'être lancé dans une quête irraisonnée des productions horrifiques made in Bombay, sous-genre dont l'âge d'or court du milieu des années 80 au début des années 90. Une ère brève mais intense où fleurirent les sous-Poltergeist, les Freddy Kruger du pauvre, les Dracula de pacotille, les loups-garous de Prisunic, et mille autres ersatz grossiers étalant impudiquement leurs maquillages grumeleux sur les devantures des innombrables salles de cinéma de l'Indoustan.


Toute ressemblance avec le Evil Dead de Sam Raimi serait purement fortuite.

Certes, cette exploration plus avant dans un genre particulièrement mineur au pays de la vache sacrée nous aura permis de revoir à la hausse la valeur des productions Ramsay, dont des hits comme Purana Mandir ou Veerana constituent a posteriori le haut d'un vaste panier dont nous n'avons sans doute pas encore sondé les nébuleux tréfonds. On trouve en effet, un cran en dessous pour cause de budgets plus modestes, les productions de Mohan Bhakri, grand rival des Ramsay, réalisateur-scénariste d'oeuvres comme Kabrastan ou Khooni Murdaa qui feront sans doute l'objet de chroniques ultérieures. On trouve surtout, plusieurs strates en contrebas, une incroyable multitude d'opportunistes sans argent ni talent, des copieurs de copieurs fourmillant dans le sillage des producteurs pré-cités comme autant d'insectes détritivores, saturant le marché d'oeuvres abracadabrantesques à la limite de l'amateurisme, qui précipiteront le déclin du genre en réduisant à peu près à néant l'intérêt du public. Ces films restent pour la plupart difficiles à se procurer – quand ils ne sont pas perdus à jamais – mais l'existence de quelques éditions VCD pixellisées et sans sous-titres devrait permettre à certains de figurer sur les pages de Nanarland au cours des prochains mois.

Dès lors, c'est uniquement par respect pour la figure stylistique de la gradation et du crescendo dramatique que nous avons choisi de parler aujourd'hui de Veerana. Car, bien que pouvant passer pour un solide film d'exploitation en regard de ses avatars les plus nases et les plus fauchés, Veerana reste une oeuvre délicieusement bis, pétrie d'outrances et d'incuries, telles que nous les affectionnons sur ce site.

L'histoire se concentre sur les méfaits de Nakita, une sorcière-démone qui terrorise la population d'un village des environs de Chandernagor depuis des lustres et des lustres. Assumant son rôle de notable (il est le frère du Thakur local), le courageux Sameer (Vijayendra Ghatge, vu dans d'autres productions Ramsay comme Bandh Darwaza, Aakhri Cheekh mais aussi dans Garv : Pride and Honour) décide brusquement que marre c'est marre, et s'en va rouster la harpie en une savoureuse succession d'ellipses.


1. Sameer décide de rosser la sorcière.



2. Sameer roule 10 mètres en voiture dans les bois et croise la sorcière.



3. Sameer prend un bain avec la sorcière.



4. Sameer brandit une représentation de la syllabe sanskrite "aum" en guise de crucifix.



5. La sorcière est pendue devant une foule de villageois vengeurs, qui voteront sans doute pour Sameer aux prochaines élections (qu'est-ce qui faut pas faire pour maintenir ses privilèges…).

Malheureusement pour Sameer et ses copains villageois, Nakita est comme l'édition VHS : même morte, son esprit demeure. Un sorcier adepte de magie noire du nom de Baba récupère donc sa dépouille, et entreprend de transférer son esprit dans le corps de la jeune Jasmin, la nièce de Sameer...


Le vil Baba et sa tunique de grand sorcier maléfique, joliment ornée d'une tête de mort cousue main pour impressionner les touts-petits. Il est interprété par Rajesh Vivek, habitué à ce genre de rôles, notamment parce qu'il savait réciter des rituels dérivés du Sanskrit avec une belle conviction.

S'ensuivront de dramatiques incidents et quelques meurtres croquignolets, entrecoupés d'une ellipse de 15 ans joliment illustrée par un gros plan sur une horloge. Ce long hiatus narratif s'avère bien pratique : il permet à Jasmin, devenue adulte, de changer d'interprète pour afficher une plastique plus gironde, et voit aussi le retour au bercail de sa cousine Sahila, la fille de Sameer, accompagnée du musculeux Hemant et de l'inévitable sidekick comique de service.


Le bellâtre et costaud de service Hemant (Hemant Birje, vu en homme de la jungle dans l'ultra kitsch "Adventures of Tarzan" de Babbar "Disco Dancer" Subhash, ainsi que d'autres pépites comme "Tahkhana", "Kabrastan" ou encore "Garv : Pride and Honour").


Sahila (la mignonne Sahila Chadda), la copine du héros, à qui elle sert de faire-valoir en se retrouvant plusieurs fois entre les pattes des méchants.


Hitchcock (le joufflu Satish Shah), apprenti réalisateur de films d'horreur et inévitable sidekick chargé de distiller quelques gags de-ci, de-là (dont l'un à base de flatulences intempestives, mes préférés…).

L'actrice Jasmin, dans le rôle éponyme de Jasmin, possédée par l'esprit de Nakita. Une sorcière aux airs de pintade dont le jeu crispé consiste à écarquiller les yeux (des lentilles de contact vert fluo, un zoom violent et un effet sonore tonitruant suffisent à faire le reste).

Sur ce mince canevas scénaristique, les frères Ramsay appliquent une fois de plus la formule qui a fait leur succès : un mélange culturellement détonnant entre cinéma d'horreur occidental et logique commerciale propre à l'industrie bollywoodienne. Les années 80 voient en effet l'essor de la VHS et du marché de la vidéo, qui permet aux Ramsay de découvrir quantité de films fantastiques d'Europe et des Etats-Unis via des visionnages nocturnes intensifs. Des années durant, ce corpus de plusieurs centaines de films nourrira une bonne partie de leur filmographie, les Ramsay n'ayant que l'embarras du choix pour y puiser leurs idées.


Des éclairs de gouache qui zèbrent la pellicule…



…et des idoles en carton-pâte.

D'où une esthétique sous forte influence, en premier lieu celle du cinéma d'épouvante britannique, les frères Ramsay ressortant tout leur attirail gothique hérité des productions de la Hammer : portes qui grincent et se referment toutes seules, faux éclairs peints à la gouache qui zèbrent la pellicule dès que tombe la nuit, brume épaisse, toiles d'araignées, chat noir aux miaulements sinistres, portraits qui saignent, poupées vaudou, éclairages à la torche, culte démoniaque avec adeptes encapuchonnés et idole en carton-pâte etc.


Des adorateurs du démon Mahakal avec des glaives en balsa…



…et une tête en forme de pruneaux confis…



…qui jouent à une sorte de jeu de l'oie astrologique.

Si certains emprunts restent relativement discrets (un emploi des couleurs évoquant vaguement le travail d'un Mario Bava, le look de Nakita à la Evil Dead), d'autres, repris sous forme de gimmicks, sautent carrément aux yeux (la tête, mais aussi les pieds de Nakita, qui tournent à 360° comme dans L'Exorciste).

Veerana prend ainsi des allures de patchwork distillant une forte impression de déjà vu, impression renforcée par l'emploi de brefs stock-shots et l'emprunt de quelques bribes de musiques (comme il n'y a pas de petites économies, certains plans et musiques de Purana Mandir ont été recyclés).


Quelques stock-shots balancés en douce : celui-ci est tiré de "L'Invasion des Profanateurs" (1978) de Philip Kaufman...



...ceux-là proviennent du "The Thing" (1982) de John Carpenter...



...tandis que celui-là a été piqué au duel final du "Scanners" (1981) de David Cronenberg.

Pourtant, si l'on en croit Pete Tombs, co-fondateur de l'éditeur DVD Mondo Macabro, l'influence principale de Veerana serait un film espagnol de 1974, Vampyres, réalisé par José Ramón Larraz. Un film marqué par une forte esthétique gothique (Vampyres fut tourné à Oakley Court, un manoir qui servit de lieu de décor à plusieurs productions Hammer Films, ainsi qu'au Rocky Horror Picture Show, et transformé depuis en hôtel de luxe) et surtout un érotisme qui, plus que n'importe quel autre aspect du film, a dû fortement retenir l'attention des Ramsay. Sévèrement bridée par la censure indienne, la portée émoustillante de Veerana se concentre de toutes ses forces sur la plastique de Jasmin, filmée ad nauseam se trémoussant dans sa baignoire, jouant dans les vagues ou sur un dessus de lit amidonné, pour un résultat que chacun pourra juger.



Jasmin : une drôlesse qui exsude une moite sensualité.

Dans cet alambic d'influences occidentales, les Ramsay distillent une mixture corsée qu'ils s'empressent d'assaisonner de saveurs plus locales. Veerana contient ainsi les éléments impondérables du cinéma bollywoodien (mélodrame familial, humour à gros souliers, les traditionnelles séquences chantées et dansées) en plus de ceux propres à tout bon bis crapoteux (érotisme gratuit, gore craspec). Le tout donne un mélange pour le moins surprenant, qui voit l'horreur pure ponctuellement diluée dans un sirop mélo-burlesque mieux adapté aux exigences du public indien. En brassant ainsi épices douces et piquantes, sucré et salé, Veerana réussit à rassasier les appétits les plus voraces, et l'on se prend à jubiler de voir touillés à un rythme allègre les différents ingrédients d'une telle macédoine.


Toujours réjouissant de gratuité : le lancer de chat [pour les amateurs, je vous rappelle l'existence du champion de cette catégorie dans notre rubrique vidéo].

Entre deux scènes fantastico-horrifiques rudimentaires, le spectateur a ainsi droit, tantôt aux flatulences d'un lointain cousin d'Alvaro Vitali, se livrant à quelques délires indignes de ce qu'un Philippe Clair souffrant et alité pourrait rêver dans un demi-sommeil fiévreux…

…tantôt à une ambiance de kung-fu flick d'arrière-cour où le bellâtre de service, torse bombé comme un volatile de combat, se livre à des prouesses martiales plus pataudes que jamais…

…tantôt à l'une des innombrables scènes de douche qui parsèment le film, et réussissent l'exploit d'instiller un érotisme à la fois chaste et incroyablement vulgaire…



Un summum de l'érotisme.

…tantôt à un clip musical d'une enthousiasmante mièvrerie, dont l'un chorégraphié dans un jardin d'enfants…


Danses endiablées et chorégraphies inspirées : Veerana ou la fureur du swing !

…ou bien encore un dialogue mélodramatique tourné façon soap opera, riche en poses étudiées où les personnages déclament leur texte le dos tourné à leur interlocuteur, le regard dans le vague ou en fixant un point très loin sur l'horizon.

Avec Veerana, on retrouve avec plaisir le style sans nuances du clan Ramsay (Shyam, Tulsi, Deepak, Arjun, Kiran, Gangu, Anjali, Kanta, crédités à différents postes sous la tutelle du patriarche F.U. Ramsay). Un style raboteux qui a valeur de vibrant manifeste en faveur de l'art brut, avec ses effets de caméra à la hussarde, ses zooms secs, son montage rugueux qui fait la part belle aux ellipses et aux faux raccords jour / nuit, ses effets sonores tonitruants venant illustrer le moindre évènement, ses maquillages sommaires et mille autres délices à même de combler tant le bisseux que le nanarophile.



Une utilisation des filtres inspirée.


Des mioches au regard torve qui font de la balançoire au milieu de la nuit.


De jeunes donzelles éternellement en détresse.


Des guest-stars de folie : ici, on peut reconnaître l'ours Misha, mascotte officielle des jeux olympiques de Moscou en 1980.


Des comédiens de talent (cet homme joue la douleur).

Des cadrages osés.

Un cocktail jugé un peu trop vitaminé par les censeurs de l'époque : se voyant refuser un certificat d'exploitation pour leur film, les Ramsay seront contraints de procéder à des coupes pour alléger Veerana en sexe et en violence. Tourné en 1985, le film ne sortira qu'en 1988, une fois les foudres de la censure apaisées, et connaîtra alors un vif succès au box office, permettant aux Ramsay de conserver leur statut de référence en matière de productions horrifiques made in Bombay, et se distinguer encore un temps de la masse des copieurs désargentés.



Un sens de la déco qui fait la part belle à nos amis les bêtes, l'emploi judicieux du zoom arrière venant ici souligner l'adoration canine supposée des deux metteurs en scène.

Objectivement plus proche du bis foutraque que du gros nanar débile, Veerana appartient à cette race de films gentiment kitsch qui, sans jamais offrir de franches crises d'hilarité, constitue néanmoins un divertissement roboratif propre à vous filer la banane du début à la fin. En somme, on se situe ici à l'extrême opposé des tombereaux de navets philippins poussifs qui garnissent notre rubrique "On s'est fait avoir", de ceux qui dispensent sans hâte, comme le ferait un radin, leurs maigres arguments cinématographiques (généralement un sous-Rambo au charisme de serpillière qui mitraille 50 fois la même dizaine de figurants, sur le même hectare de jungle, pendant 1h20). Une fois n'est pas coutume, les productions Ramsay savent faire de pauvreté vertu, et semblent même mettre un point d'honneur à dilapider l'intégralité de leur arsenal récréatif en un feu continu. Un feu d'artifice de plus de deux heures, sans gros bouquet final, certes, mais sans gros temps mort non plus. Que demande le peuple ?


Vous reprendrez bien un peu de sidekick comique…

- John Nada -
Moyenne : 3.00 / 5
John Nada
NOTE
3/ 5
Drexl
NOTE
3/ 5

Cote de rareté - 4/ Exotique

Barème de notation

Ce coruscant bijou de cinéma bis nous a été ressorti par le vénéré éditeur américain "Mondo Macabro", qui propose le film dans le volume 2 de sa collection "Bollywood Horror", accompagné de Purana Haveli, autre production 80's de la famille Ramsay.

Les deux films sont proposés en VO avec sous-titres anglais, au format 4/3 (leur format d'origine), dans une copie d'une qualité dépassant nos espérances vu la rareté des films, et accompagnés de quelques bonus didactiques dont le plus intéressant reste de loin un documentaire sur le cinéma d'horreur bollywoodien et Lollywood (avec notamment des extraits de Haseena Atom Bomb mais aussi des interviews de Mohan Bhakri et de Omar Ali Khan, le très apprécié critique du site The Hot Spot Cafe).

Bien entendu, on ne saurait trop recommander par ailleurs l'acquisition des volumes 1 (Bandh Darwaza + Purana Mandir) et 3 (Mahakaal + Tahkhana) de cette collection, s'agissant toutes de productions Ramsay hautes en couleurs. Un excellent moyen de s'initier aux joies du cinéma d'horreur bollywoodien à prix raisonnable.

 

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