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King Kong revient !

(1ère publication de cette chronique : 2021)
King Kong revient !

Titre original :King Kongui daeyeokseub, A*P*E

Titre(s) alternatif(s) :La Révolte de Kong, King Kong se révolte

Réalisateur(s) :Paul Leder

Année : 1976

Nationalité : Etats-Unis / Corée du Sud

Durée : 1h26

Genre : attrA*P*E Kong

Acteurs principaux :Paul Leder, Rod Arrants, Joanna Kerns, Alex Nicol, Nak-hun Lee, Yeon-jeong Woo

John Nada
NOTE
3.25/ 5



En 1976, le producteur démiurge Dino De Laurentiis annonce en grande pompe qu'il va produire un remake de King Kong. Une importante campagne publicitaire est lancée, mettant en avant un gorille géant électromécanique construit pour un million de dollars par Carlo Rambaldi. Cette promo tapageuse attire l’attention d’un petit producteur indépendant nommé Paul Leder. Paul, lui, n’a pas un million de dollars pour fabriquer un gorille géant. Il n’a même pas un million de dollars pour faire un film. Mais il a assez d’argent pour payer un type en costume de singe écraser des maquettes en bois de cagette. Cette même année 1976, aidé de son épouse et de ses enfants Reuben et Miriam, Paul écrit, produit et réalise King Kong revient !

Affiche belge, où Kong tente à la fois de noyer le poisson et d'avaler des couleuvres.

A l’heure des Kong: Skull Island et autres Godzilla vs Kong, globalement boudés par les fans nostalgiques des grosses bébêtes d’antan, un film comme King Kong revient ! a le mérite de nous rappeler quelques évidences. Oui, l’époque des effets spéciaux artisanaux, faits à la main sans ordinateur, ça avait un charme indéniable. Oui, le look vintage de types dans des costumes de monstres qui écrabouillaient des maquettes en carton, ça conférait presque une dimension poétique à ces œuvres. Mais non, désolé les intégristes du bis : les films de monstres géants, c’était pas forcément mieux avant.

King Kong revient se taper l’incruste...

...et il met les pieds où il veut !

King Kong revient ! s’ouvre sur un plan fixe de l’océan, avec des crédits mal centrés qui défilent. Puis on enchaîne brusquement sur un bassin de piscine, au milieu duquel barbotte un bateau en plastique à l’équilibre précaire (il penche méchamment). Deux matelots sous tranxène discutent de « ce gorille de 9 mètres maousse » capturé sur une île, qui dort à fond de cale, et qu’ils doivent « livrer à Disneyland ». Boum-badaboum, la bête se réveille, le bateau en plastique explose comme un pétard, et un intermittent en costume surgit de l’eau du bassin, en se frappant mollement la poitrine et en faisant GRAOU.


« 10 tonnes de fureur animale sont projetées hors de l’écran ! » (accroche de l’affiche cinéma)

Dans la seconde qui suit, on voit un aileron en papier-mâché passer devant la caméra. S’agirait-il du squale géant promis par l’affiche ? Plan suivant : le type en costume de singe empoigne un bébé requin moribond et se met à le balancer de gauche et de droite, flic, floc. Il suffit en fait au spectateur de quelques photogrammes pour réaliser que ce malheureux requin est bel et bien mort, et qu’on fait subir les pires outrages à sa pauvre dépouille. Et plus il agite son requin dans tous les sens pour lui donner l’illusion de la vie, plus on ressent la profonde solitude du comédien, pataugeant dans son pédiluve, sa fausse fourrure dégoulinante, reproduisant encore et encore ce mouvement de balancier avec son poisson mort dans les bras, gauche, droite, comme le métronome absurde d’un improbable ballet nécrophile. Guy Debord, auteur de La Société du spectacle, en aurait levé les yeux au ciel. On tient peut-être là le combat de monstres géants le plus naze de toute l'histoire du cinéma. [Dans une interview parue en septembre 2020, Reuben Leder, fils de Paul, explique qu'un requin animatronique était prévu à l'origine, mais que faute de temps et de budget, ils ont dû se rabattre sur un requin acheté le matin même sur l’étal du poissonnier coréen du coin]

King Kong, ce pervers polymorphe, revient pour profaner des cadavres de bébés poissons. Une pensée pour toi, pauvre petit squale parti trop tôt, noble sélachimorphe sacrifié par les hommes sur l’autel du cinéma débile.


Cette scène aurait été pensée pour capitaliser sur le succès phénoménal des Dents de la mer, sorti un an plus tôt. Le magazine Famous Monsters of Filmland annonçait même ce choc au sommet en couverture d’un de ses numéros, avec un décalage irresistible entre le spectacle promis et le résultat que l’on connaît.


Nous en sommes à peine à quatre minutes de film mais Paul Leder continue tout schuss. Après avoir dansé la gigue avec le redoutable requin géant promis par l’affiche (ça c’est fait, vous pouvez biffer le 1er bullet point du cahier des charges), Kong s’en va détruire une grande mégalopole d’Asie (2ème bullet point du cahier des charges). À l’image, le type en costume de singe sort de son bassin et, n’y voyant sans doute pas grand chose derrière son masque, entreprend laborieusement d’écraser quelques maquettes d’immeubles en bois de cagette et en polystyrène, entrecoupés de plans de figurants – parfois hilares – courant dans tous les sens. Le spectacle est total. Voilà, King Kong est revenu, il n’a pas un rond en poche, mais il va à présent passer parmi vous et espère que vous serez généreux.

à ne pas confondre avecKING KONG


Bien qu’il s’en défende sur le matériel publicitaire ci-dessus, « A*P*E » (son titre original) marche consciencieusement dans les pas de King Kong, reprenant absolument tous les éléments du mythe sans chercher à y apporter ne serait-ce qu’une virgule d’originalité. Ainsi, on apprend que le singe géant a été capturé sur une île, qu’il est destiné à être exhibé dans un parc d’attraction, mais il s’échappe, tombe amoureux d’une actrice blonde, qu’il enlève au grand dam de son fiancé journaliste, l’armée gère la situation n’importe comment, le singe détruit une partie de Séoul et finira par succomber sous les balles des tanks et des hélicoptères. A*P*E ne cherche jamais à faire autre chose que du King Kong : lorsque le projet fut annoncé dans le magazine Boxoffice en février 1976, il était d'ailleurs initialement présenté comme « The New King Kong ».



Une magnifique photo conçue pour la promo du film, avant même qu'il ne soit tourné, peut-être utilisée pour financer le projet en le pré-vendant auprès de distributeurs. Avec des jouets en plastique, le côté épique du concept en prend un coup. La question qu'on se pose tous devant une telle photo, c'est si le requin fait "pouet pouet" quand on appuie dessus.


Le collectionneur Jean-Baptiste Pujolle nous informe que les figurines utilisées pour réaliser ce splendide diorama en 3D lenticulaire sont le King Kong de chez Aurora commercialisé en 1966...

...et le requin de Jaws commercialisé par Chemtoy en 1975. Pièces de collection !

Mais quand la RKO, détentrice des droits de King Kong, engagea des poursuites et réclama 1,5 million de dollars, le titre fut changé en Super Ape en juin 1976, puis en A*P*E en octobre 1976, avec l’obligation de faire figurer la mention « à ne pas confondre avec King Kong » sur les affiches et dans la bande-annonce. Pourtant les distributeurs du monde entier ne s’embarrasseront pas de scrupules, le film sortant sous des titres comme King Kongui daeyeokseubLa grande contre-attaque de King Kong ») en Corée, King Kong se révolte (Belgique), Super Kong (Italie) ou Süper King Kong (Turquie).

Affiche turque.

Son exploitation aux Etats-Unis débutera en octobre 1976, soit deux mois avant la sortie officielle du King Kong de la Paramount. Ultime pied de nez : dans King Kong revient !, lorsque des paysans coréens alertent les autorités quant à la présence d’un gorille géant, un responsable de l’armée américaine se moque en déclarant qu’il doit s’agir d’un canular publicitaire pour la promotion de King Kong ! Et Paul Leder, prudemment caché sous le pseudonyme de « Joseph P. Hill », va même jusqu’à interpréter un réalisateur antipathique nommé… Dino !

« Alors tu te souviens Greg, tu la violes en douceur… » [authentique dialogue du film]

Pour réduire les coûts de production, Paul Lader délocalise son tournage en Corée du Sud, où il s’associe avec le producteur K.M. Yeung et la Lee Ming Film Company (les sources coréennes attribuent d’ailleurs le film à deux réalisateurs : Paul Leder – orthographié là-bas "Lideo Pol" – et Choi Young-cheol). Outre le soutien de Korean Airlines (en contrepartie de placements produits aussi discrets que Kong), King Kong revient ! semble avoir bénéficié du concours de l’armée américaine, encore stationnée en masse à l’époque dans le pays du matin calme, ce qui nous vaut les habituels défilés de véhicules militaires avec des GI’s faisant parfois coucou à la caméra.

Chassez Kong par la porte, il revient par la fenêtre.

Hormis deux comédiens professionnels (Nakhoon Lee et Yoin Jang-woo, crédités « Francis Lee » et « Alice Wu »), le casting coréen se résume à des hordes de figurants mal dirigés, de seconds rôles jouant très mal la peur ou la surprise, voire de quelques badauds tout sourire en arrière-plan. Quant au casting occidental, il ne relève guère le niveau, jouant sa partition en mode automatique. A noter que c’est Joanna Kerns, une actrice débutante de 23 ans sans doute choisie pour sa vague ressemblance avec Jessica Lange, qui joue le rôle de love interest à la fois du reporter Tom Rose et de Kong. Après ce baptême du feu en forme de bizutage, la comédienne atteindra la notoriété dans les années 1980 avec la série Quoi de neuf, docteur ?.

Dans le rôle de la starlette Marilyn Baker, Joanna Kerns (créditée Joanna DeVarona, son nom de jeune fille) reprend le rôle originellement tenu par Fay Wray.

Côté effets spéciaux, attribués à un certain Park Kwang-nam, les maquettes que piétine Kong n’atteignent pas le niveau de détail et de réalisme vu dans les kaiju eiga japonais, ni même dans le chinois Le Colosse de Hong Kong. La faute sans doute au temps et au budget alloué, les artisans coréens n’étant pas moins habiles que leurs voisins. Dans ce domaine, Yongary, monstre des abysses faisait d’ailleurs nettement mieux. Les trois ou quatre immeubles éventrés par Kong et montés en boucle laissent entrevoir des intérieurs blancs et vides. Les tanks et les hélicos n’ont même pas l’air de modèles réduits mais carrément de jouets pour enfants en bas âge. Les problèmes d’échelle entre le gorille et son environnement sont récurrents. Quant au costume de Kong, il n’est même pas en faux poils mais en laine, lui donnant un aspect de gentil nounours en peluche bien ringard.

« Il met les immeubles à sac maintenant, et les gens meurent par centaines, un vrai massacre ! » [authentique dialogue du film]




A l'origine, les producteurs auraient demandé à Rick Baker de leur fabriquer un costume de singe, mais le prix étant trop élevé par rapport à leur budget, ils se seraient procurés un costume tout fait chez Don Post Studios, fournisseur bien connu des soirées costumées d'Hollywood... Certains plans – que je n’ai pas réussi à repérer – laissent paraît-il entrevoir le tee-shirt du comédien, là où les coutures ont craqué. Comédien avec du bide, qui n’a par ailleurs aucune idée de la façon dont les gorilles se meuvent. N’en jetez plus : King Kong revient ! a été bouclé en à peine deux semaines avec un budget ridicule, et ça se sent sur chaque plan. On parle d’un budget total de 23 000 $ – dont 1200 $ pour les maquettes d’immeubles – à comparer aux 24 millions de dollars alloués au King Kong de Dino De Laurentiis.

Le gorille évolue évidemment dans des décors vides, à l’exception de cette vache (dont la queue remue maladroitement grâce à un fil de pêche, que le comédien enjambe ostensiblement)...

…de ce deltaplaniste plus rigide qu’un Playmobil…

…et de cette grossière poupée, censée figurer notre héroïne s’égosillant en déshabillé rouge.

Détail amusant : le film est sorti « en relief 3-Dimensions », gadget marketing procédé révolutionnaire capable de magnifier n’importe quelle scène, tango avec un poisson mort inclus. Plus forain que cinéaste, Paul Leder réduit l’emploi de cette technologie à un gimmick puéril, se contentant de balancer tout ce qu’il peut en direction de la caméra, le plus souvent avec une totale approximation. On voit des soldats avancer lentement, le canon de leur fusil tendu vers l’écran, puis s’arrêter faute de savoir quoi faire d’autre. On voit Kong balancer des rochers en balsa, accrochés à un fil bien visible pour les guider vers l’objectif. Idem pour les flèches que tirent les acteurs d’un film de kung-fu sur le gorille, quand ce dernier interrompt leur tournage. Et lorsque Kong se bat avec un serpent supposé géant (autre combat titanesque promis par l’affiche), il se contente de faire tournoyer le pauvre reptile et le lancer en plein sur la caméra, qu’on voit clairement trembler à l’impact.

De la 3D in your face.

Kong s’en prend à un serpent "géant" dont le seul tort était de roupiller tranquillement dans un arbre. L’affrontement spectaculaire promis par l’affiche dure littéralement deux secondes, le temps pour Kong d’attraper le malheureux reptile sans défense et le balancer sur l’objectif.

King Kong revient, et vulgaire avec ça ! A qui ce doigt d'honneur s'adresse t-il vraiment ? A Dino De Laurentiis ? A la RKO ? Au public ? Le mystère demeure.

Plus encore que son affiche ou sa tagline, le film est célèbre pour le plan ci-dessus. Soyons honnêtes : cette image de singe faisant un doigt d'honneur, qui a notamment servi de couverture à The Official Razzie Movie Guide, n’augurait rien de bon. Elle est amusante, d’accord, mais elle m’a longtemps fait fuir cette œuvre, craignant d’avoir affaire à une grosse parodie balourde à la Queen Kong – autre avatar de kongsploitation sorti en 1976. Fort heureusement, cet écart pas très finaud dans l’humour potache reste une exception aussi fulgurante qu’inexpliquée, et n’entache pas le premier degré implacable du film, habité par ce sérieux qui fait tout le sel des vrais nanars. En voulant braconner sur les terres de King Kong, l’avatar foireux de Paul Leder est entré dans la légende des mauvais films sympathiques, en particulier aux Etats-Unis où il est souvent cité en référence et figure toujours en bonne place quand on évoque les monstres géants les plus ringards.

- John Nada -
Moyenne : 3.31 / 5
John Nada
NOTE
3.25/ 5
Jack Tillman
NOTE
4.5/ 5
Rico
NOTE
3/ 5
Kobal
NOTE
2.5/ 5

Cote de rareté - 2/ Trouvable

Barème de notation

Jean-Baptiste Pujolle et sa collection qui tue (avec d'autres splendides photos promo avec des jouets). Et encore, il nous précise qu'il a "pas mal d'autres trucs comme les affiches, les photos promo, dossier de presse d'autres pays..."

En 2017, A*P*E est sorti en Blu-ray aux Etats-Unis chez l’éditeur "Kl Studio Classics". Le film est proposé en 2D et en 3D, en VO anglaise seulement, avec un commentaire audio de Chris Alexander (« historien du cinéma d’horreur ») en guise de bonus.

Pour profiter de la savoureuse version française d’époque, il fallait pendant longtemps réussir l'exploit de mettre la main sur l’édition VHS de "S.M. Vidéo" titrée La Révolte de Kong, une antiquité parue en 1982.


En 2018, un DVD français est enfin sorti chez le micro-éditeur "Ciné2genre", dans une qualité convenable au vu de l'état des masters d'origine (quelques rayures sur la pellicule et un peu de souffle sur la bande son, probablement récupérée de la VHS d'origine) et nanti de quelques bonus (packaging soigné, V.O./V.F., documentaire revenant avec humour sur la sortie du film et, de façon plus large, sur le genre des monstres géants). Une édition limitée qui est malheureusement devenue un peu difficile à trouver en ligne.

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