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Mad Mutilator


Mad Mutilator

Titre original : Mad Mutilator

Titre(s) alternatif(s) :Ogroff

Réalisateur(s) :Norbert Georges Mount (Norbert Moutier)

Année : 1983

Nationalité : France

Durée : 1h28

Genre : Massacre dans le Loiret

Acteurs principaux :Howard Vernon, Norbert Moutier, Françoise Deniel, Jean-Pierre Putters, Alain Petit, Christophe Lemaire, Pierre Pattin, François Cognard, Jean-Claude Guenet

Nikita
NOTE
3.5/ 5

Comme auraient pu en témoigner François Truffaut et Ed Wood, le métier de cinéaste est avant tout une affaire de vocation et de passion : une flamme que l’on se gardera bien de nier à Norbert Moutier, libraire et critique (créateur du fanzine « Monster Bis », il collabore également à « L’Ecran fantastique »), puits de science sur le bis et surtout grand trafiquant devant l’éternel de films rares et de bimbeloterie liée au cinéma. Au début des années 1980, alors que la France râlait sous la botte de l’oppression socialo-communiste, Norbert Moutier, alias N.G. Mount, tournait en Super 8, dans des conditions amateurs, « Ogroff », un slasher 100% français, dans la forêt d’Orléans : c’était le début, pour ce cinéphile professionnel, d’une glorieuse carrière de cinéaste Z du fond de la poubelle, qui le vit squatter le plus bas des rayons VHS, dans la catégorie « invendables ». Coup d’essai, coup de maître indépassable, « Ogroff », rebaptisé « Mad Mutilator » pour une de ses sorties vidéo, s’impose d’emblée comme manifeste du film d’horreur français régionaliste, prouvant que l’Hexagone n’a rien à envier aux Etats-Unis en matière de rednecks psychopathes et cannibales, tout en s’inscrivant dans notre glorieuse tradition nationale dite du « film expérimental imbitable ».


On sait que les ennuis commencent quand le résumé de la jaquette est plus clair que le film lui-même : « Pour Ogroff, le bûcheron fou, la guerre n’est pas encore terminée », « Trépané et ayant subi l’ablation d’un œil pendant la guerre, Ogroff le bûcheron fou continue la lutte et massacre sauvagement tous ceux qui pénètrent dans sa forêt » ; autant de détails (la trépanation, le rapport avec la guerre) qui ne seront guère explicités par le film lui-même, tant l’œuvre en question est obscure et quasiment dépourvue de dialogues. Norbert Moutier a-t-il voulu rattraper sur la jaquette des scènes qu’il n’avait pu tourner faute de temps ou d’argent ? Toujours est-il que le lien avec la guerre, et sa pertinence quant à l’histoire, demeurera plus qu’allusif. Ce que l’on voit à l’écran : un fou dégénéré et masqué, tuant des gens à la hache dans une forêt, sur un scénario réussissant à être à la fois élémentaire et confus.


Ogroff, ce héros au sourire si doux.


Ca démarre fort dans le glauque : Ogroff (interprété par Moutier lui-même) s’attaque à une famille, tuant le père et la petite fille avant de se lancer avec la mère dans une poursuite interminable à travers la forêt. Interminable, car la situation dure, dure, s’étire comme un vieil élastique mité, manipulé par un enfant farceur : Moutier entend manifestement réaliser un film d’horreur d’ambiance, mais échoue, plombé par une misère budgétaire qui ne lui est pas imputable et un amateurisme qui l’est beaucoup plus.






Si une certaine ambiance morbide résulte indéniablement du rythme cotonneux, de la quasi-absence de dialogues et de quelques situations (le meurtre de la petite fille), le film croule littéralement sous les effets gore ratés (Vous avez déjà vu un mannequin en mousse qui joue mal ? Ce film réussit cet exploit), les situations absurdes, l’interprétation amateur, les déficiences techniques de tout poil (photo surexposée, cadrages caca, faux raccords à hurler) et l’abstraction pataphysique d’un scénario écrit sur un kleenex, puis déchiré et jeté aux quatre vents.














« Mmmh, une cabane sordide, entourée de crânes humains. Et si j’y entrais ? »



« Ca alors, des haches partout. Qui peut bien habiter ici ? »



« Mon Dieu, du ketchup ! »





Faut dire qu’elle l’avait cherché.


« Ogroff / Mad Mutilator » est à recommander aux nanardeurs les plus hardcore, tant les réactions de rejet sont possibles chez des sujets au cuir insuffisamment tanné. Le rythme est plus que somnambulique et le manque de dialogues (il ne doit pas y avoir plus d’une dizaine de répliques dans tout le métrage et elles sont souvent presque inaudibles, Ogroff ayant également tué le preneur de son) peut faire plonger dans la torpeur les spectateurs rétifs. C’est dommage, car nous sommes réellement en présence d’un film hors normes : plus Z que Z, et pourtant film d’auteur de par la passion indéniable qui l’anime, tourné dans des conditions amateur mais réussissant tout de même à avoir un rythme de narration (très) vaguement professionnel. On distingue de nets efforts de la part de Moutier pour créer un personnage de monstre pathétique, crevant de solitude dans sa démence meurtrière et sa cabane pourrie (pour parler crûment, une scène assez croquignolette le montre en train de se branler avec sa hache) mais cette bonne volonté est d’autant plus pathétique devant le résultat final.


La misère sexuelle des serial killers, un thème trop peu abordé à l’écran.



Les gendarmes orléanais, c’est vraiment des branleurs.


Les aventures du mutilateur fou se distinguent également par un scénario particulièrement peu crédible, que le mutisme des protagonistes rend encore plus confondant : une jeune femme décide d’enquêter sur les méfaits du serial killer ; la gendarmerie lui ayant déclaré son impuissance car Ogroff connaît trop bien tous les recoins de la forêt (en substance : bah oui, ma bonne dame, y’a un tueur fou cannibale dans la forêt ! Qu’est-ce que vous voulez qu’on y fasse ?), la Tintin reporter en jupons part elle-même sur les traces d’Ogroff, trouve assez facilement son repaire (les gendarmes sont donc des feignants, c’est là le message profond du film), se fait capturer par le fou, l’attendrit, et finit par coucher avec et devenir sa copine. Apparemment volontairement.








Ogroff les tombe toutes.


C’est donc à une version relookée de la belle et la bête que nous assistons, la jeune femme essayant d’apprendre les bonnes manières à Ogroff (en gros, à ne plus tuer les campeurs à la hache), un peu comme si Jason de « Vendredi 13 » trouvait l’âme sœur en la personne d’une fille normale. C’est un euphémisme que de dire qu’on n’y croit pas tout à fait, Ogroff ne relevant pas des critères usuels de beauté masculine, pour autant qu’on puisse en juger ; ce pourrait être une hallucination du tueur qui rêverait d’une vie normale, mais non, pas du tout, c’est bel et bien réel. C’est même l’une des séquences les plus normales de la seconde partie du film, car ce qui va suivre défie toute description.




Ogroff n’aime pas les Citroën 2CV !





Si l’ensemble de « Mad Mutilator » se signale par une narration quelque peu onirique et nonchalante, sa dernière demi-heure bascule dans le n’importe quoi le plus complet : des zombies sortent de la cave d’Ogroff et envahissent la forêt, puis la banlieue d’Orléans, tandis que le tueur en série les affronte à la hache.










Certains portant ce qui ressemble nettement à des uniformes allemands de la Seconde Guerre Mondiale (on se croirait par instants dans « Le Lac des Morts-Vivants », mais en pire), s’agit-il de zombies nazis dont Ogroff était en fait le gardien, les empêchant d’envahir le monde ? S’ils étaient prisonniers dans la cave, pourquoi n’étaient-ils retenus que par une planche vermoulue ? S’agit-il en fait de toutes les victimes d’Ogroff, qui se réveillent ? Mystère. S’ensuit en tout cas un déluge de scènes toutes plus non-sensiques les unes que les autres, avec une multiplication encore jamais vue de faux raccords, d’éclairages foireux, d’amateurisme généralisé, comme si s’agitait derrière la caméra un cinéphile fou qui essaierait de refaire à la fois « La Nuit des Morts-Vivants », « Vampyr », « Pierrot le fou », « Massacre à la tronçonneuse », « Un Chien Andalou », « 2001 l’Odyssée de l’espace » et « La Coquille et le Clergyman », le tout en mélangeant les bobines et en remixant le résultat dans le style de Kenneth Anger mais avec l’esthétique d’Andy Milligan et des moyens amateurs. On en reste, au choix, effaré d’ennui ou hypnotisé au dernier degré et ravi devant tant de nawak fumeux. C’est, en tout cas, littéralement inracontable, le spectateur n’ayant d’autre choix que de se laisser porter par ce déluge d’images non-sensiques, ou bien de fuir le visionnage séance tenante. Comparable à « Devil Story : Il était une fois le diable », mais encore plus extrême, « Mad Mutilator » est un véritable trip qui, lorsqu'il s'achève, vous donne l'impression d'un retour violent dans le monde réel. Vraiment unique.








Pour terminer le film en beauté, on nous offre une guest-star, en la personne de Howard Vernon : en fuite devant les morts-vivants, l’héroïne est prise en stop par un Cardinal (Howard, donc), qui se révèle être un vampire. Pourquoi pas ? Au point où on en était, ils auraient pu envoyer Michel Galabru déguisé en éléphant rose, on ne l’aurait même pas remarqué.






Pour la petite histoire, il paraît qu'Howard Vernon, venu par gentillesse faire une apparition de quelques minutes, aurait été un peu froissé de voir les jaquettes l'annoncer en vedette.


Ceux qui s’intéressent au microcosme cinéphilique et bissophile français se réjouiront de voir que le casting est un véritable Who’s Who de rédacteurs et d’éditeurs de fanzines, dont beaucoup passèrent professionnels avec les années : outre Nobert Moutier lui-même, le film se targue également de la présence d’Alain Petit (spécialiste n°1 de Jesus Franco) dans le rôle d’un bûcheron qui affronte Ogroff à la tronçonneuse. Jean-Pierre Putters (fondateur de « Mad Movies » et de la librairie Movies 2000) incarne d’abord une victime d’Ogroff, puis l’un des morts-vivants. Christophe Lemaire (le magazine « Brazil ») incarne lui aussi un zombie. Et ainsi de suite…




Alain Petit contre Norbert Moutier !



Jean-Pierre Putters (photo tirée d'un numéro de "Mad Movies").





Moutier trucide Putters avec un pieu (non, la capture d'écran n'est pas ratée, c'est le plan qui est sur-exposé d'origine).



Bruno Terrier, devenu plus tard responsable de diverses boutiques de cinéma parisiennes (bonjour le microcosme cinéphilique).


Présenté au festival du film Super 8 que Mad Movies organisait chaque année durant la décennie 1980, le film de Norbert Moutier fut projeté dans une ambiance apocalyptique, le délire de la salle étant encore renforcé par l’enthousiasme des fanzineux et de leurs copains qui se reconnaissaient à l’écran. Moutier en fut paraît-il mortifié, son film ayant été tourné tout à fait au premier degré. Il devait heureusement persévérer, pour le plus grand bonheur des cinéphiles pervers. Réservé aux warriors les plus hardcore, « Mad Mutilator » reste en tout cas comme un témoignage unique de passion bisseuse et de délire premier degré : à découvrir si vous avez des couilles au cul.


Christophe Lemaire (en haut à gauche), François Cognard (en haut à droite) et feu Pierre Pattin (en bas). Photo de tournage issue de l'album de Jean Claude Guenet (comme le dit Christophe Lemaire : "A chacun son Viêt-nam !").

- Nikita -
Moyenne : 2.85 / 5
Nikita
NOTE
3.5/ 5
Kobal
NOTE
3.75/ 5
Rico
NOTE
0.5/ 5
Barracuda
NOTE
2/ 5
Jack Tillman
NOTE
4.5/ 5

Cote de rareté - 2/ Trouvable

Barème de notation


Edité directement en VHS, le film a d’abord été disponible sous son titre original, dans une édition devenue introuvable, chez "Horror Vidéo", puis sous le titre "Mad Mutilator", probablement jugé plus commercial par "American". Il est à noter que la première édition contient un pré-générique qui explique la genèse de Ogroff, cette scène ayant été retirée de l'édition "American" à la demande de Norbert Moutier à cause d'une mauvaise synchronisation des dialogues.


Et puis en 2012, "Artus Film", en collaboration avec Moutier lui-même, nous a offert un superbe DVD "collector 30ème anniversaire", largement pourvu en sous-titres internationaux et surtout en bonus de choix, dont un entretien avec le réalisateur ou encore un documentaire de près d'une heure où les différents protagonistes du projet reviennent avec tendresse sur le tournage. Le prélude à la réédition des films du maître ? On l'espère.

On pourra toujours objecter que l'image n'est certes pas très belle mais elle est la meilleure possible au regard des sources d'origine : en effet, il ne faut pas oublier qu'il n'y a jamais eu de master cinéma mais uniquement des bandes vidéo passablement usées par le temps. C'est en tout cas une bien courageuse initiative (et puis si vous n'êtes pas content Ogroff viendra lui même vous fermer votre clapet !).


Enfin l'extase ne serait pas complète sans la bande originale de Jean Richard et Patrick Giordano, incluant aussi celle de Trepanator, et rééditée par les esthètes du défunt label Omega Productions Records dans leur collection "Horreur à la française".