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Philippe Clair

(1ère publication de cette bio : 2005)

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Photo de Philippe Clair prise par Franck Tempesti, pour illustrer une interview fleuve du réalisateur parue dans le numéro 15 de Brazil (février 2009).


« Son œuvre est incroyablement stupide et vulgaire » (Jean Tulard, Dictionnaire des réalisateurs) ; « Chaque film de Philippe Clair est pire que le précédent, et pourtant cela n'arrête jamais » (Télérama). Le moins que l'on puisse dire est que Philippe Clair ne fait pas partie de ces réalisateurs qui ont les faveurs de la critique. S'il ne fut pas le plus prolifique des réalisateurs français de nanars comiques, son nom reste, autant que ceux de Max Pécas ou Richard Balducci, un symbole de la grande époque du rire gras. Au point d'ailleurs que certains le prennent pour le réalisateur habituel des films de Jean Lefebvre, avec lequel il n'a pourtant jamais tourné ! Grand habitué des programmes de La 5 dans les années 1980, Philippe Clair est pourtant victime, à l'heure où ces lignes sont écrites, d'un oubli injuste, Max Pécas l'ayant supplanté dans la mémoire collective comme "roi du nanar". En attendant un retour en grâce du fou furieux de la pantalonnade, cette fiche a pour modeste ambition d'honorer l'oeuvre d'un artisan chanceux qui eut son heure de gloire.


Philippe Clair n'est pas, comme beaucoup le croient, natif d'Algérie. L'auteur de « Plus beau que moi tu meurs », de son vrai nom Prosper Chalom Bensoussan, est né le 14 septembre 1930 à Martinprey-du-Kiss, au Maroc, au sein d'une famille juive séfarade. A vingt-trois ans, il s'installe à Paris, travaille un temps comme camelot, puis s'inscrit brièvement au cours Simon. Il raconte que c'est René Simon qui lui trouve son pseudonyme, "Philippe Clair", car le jeune Prosper admire à la fois Gérard Philippe et le réalisateur René Clair. Prosper Bensoussan alias Philippe Clair entre ensuite au Conservatoire, dont il sort trois ans plus tard avec deux premiers prix de meilleur jeune comédien.

Philippe Clair et Jean-Paul Belmondo, à la sortie du Conservatoire de Paris en 1956.

Il s'illustre alors au théâtre, travaillant notamment avec la troupe de « La Famille Hernandez », composée principalement de comédiens pied-noirs algériens, et où officient entre autres Marthe Villalonga (qui tournera plus tard avec lui) et Robert Castel. Philippe Clair joue essentiellement dans des pièces comiques, comme la revue « Purée de nous z'ôtres » ou « La Parodie du Cid », d'Edmond Brua, qui transpose à Bab-El-Oued la tragédie de Corneille.


Philippe Clair est Tonton Merguez, alias "Survolta, le roi du disco" dans « Ces flics étranges venus d'ailleurs ».


Notre homme trouve les Français de métropole « trop moroses à son goût » et se lance dans une carrière d'acteur comique et d'humoriste, interprétant sur les planches des sketches de sa composition (« De Bab-El-Oued à l'Elysée », « Tata Julie »), dont beaucoup seront édités sous forme de disques. En 1967, la guerre des six jours lui inspirera un sketch acerbe, « Rien Nasser de courir », dont la tonalité anti-arabe lui vaudra d'être interdit par la censure gaulliste : le disque circulera abondamment sous le manteau. Philippe Clair compose également une chanson très sérieuse en hommage à Israël, « Deux mille ans d'espoir ».






Entre-temps, Philippe Clair a fait ses débuts de cinéaste en 1965, avec « Déclics et des claques », mésaventures de jeunes rapatriés à Paris. Très empreint – et abusant parfois – de folklore pied-noir (on y voit d'ailleurs Enrico Macias faisant une brève apparition dans son propre rôle), le film est une sorte de témoignage de son époque, multipliant des gags loufoques dont certains tombent à plat, mais dont beaucoup emportent l'adhésion à force de bonne humeur. Philippe Clair y tient la vedette, aux côtés d'Annie Girardot qui semble beaucoup s'amuser, et de plusieurs de ses partenaires de scène comme Georges Blaness. Le réalisateur-comédien mise beaucoup sur le film, et déclarera plus tard au magazine « Brazil » (n°15, février 2009) : « C'est tout ce que je voulais mettre, tout l'espoir que j'avais dans le cinéma, et j'ai complètement dépeint ma nature, c'était une poésie comique, il y avait un charme fou dans ce film ».


Mais, si le film lui vaut le prix de l'humour cinématographique, il n'est cependant pas un grand succès, signe que le comique loufoque de notre héros a encore du mal à s'imposer. Philippe Clair doit attendre cinq ans pour tourner son deuxième film, « La Grande Java », avec Francis Blanche et un groupe de jeunes chanteurs comiques, les Charlots. Les choses ne se passent pas toujours très bien avec ces derniers, qui trouvent Philippe Clair plutôt sympathique mais restent parfois dubitatifs devant ses trouvailles comiques et se sentent plus en harmonie avec son assistant Claude Zidi. Philippe Clair assurera plus tard (« Brazil », ibid.) leur avoir soumis le scénario de ce qui deviendrait plus tard « Comment se faire réformer »… pour voir le quintette tourner, sous la direction de Zidi, « Les Bidasses en folie », film qui lança la vogue du comique troupier en France.








Le succès commercial de « La Grande Java » lance en attendant tant Philippe Clair que les Charlots. L'année suivante, avec « La Grande Maffia », le réalisateur retrouve Francis Blanche et remplace les Charlots par le trio comique « Les Tontos », fondé par celui qui deviendra plus tard son acteur fétiche, pour le meilleur et le pire : Aldo Maccione. Philippe Clair ne va plus cesser de tourner durant toutes les années 1970. Réalisés pour des budgets modiques, ses films remplissent les salles du samedi soir lors de leurs sorties estivales, dans une France où le cinéma populaire est encore florissant. Contrairement à Max Pécas, réalisateur plus "mercenaire" qui changea plusieurs fois de genre, Philippe Clair ne s'illustre que dans le comique, avec un univers caractéristique nourri d'outrances toutes méditerranéennes.


Ses films se caractérisent par un humour cartoonesque, ne reculant devant aucun effet outrancier et reproduisant souvent en live des gags de bande dessinée. Les acteurs (Philippe Clair lui-même en tête, mais aussi une belle équipe de vétérans : Sim, Amarande, Jacques François, Patrick Topaloff, Michel Galabru, Philippe Castelli, Jackie Sardou…) y cabotinent de façon éhontée. Pas de subtilité chez Philippe Clair, mais un humour de corps de garde à la vigueur parfois contagieuse et une fantaisie à la fois très verbale et très visuelle, parfois proche du cinéma muet malgré un goût immodéré pour la tchatche délirante. Le bon goût n'y est pas toujours de mise. « Le Führer en Folie » suscitera ainsi les protestations d'anciens résistants : on y voit Hitler défier les Nations Alliées dans un match de foot où les couleurs de la France libre seront défendues par Luis Rego, Maurice Risch et Patrick Topaloff (!). Ajoutez un Henri Tisot totalement en roue libre dans le rôle d'Hitler et Alice Sapritch en Eva Braun, et vous obtiendrez l'un des films les plus surréalistes du cinéma comique français.




Henri Tisot et Alice Sapritch.




Philippe Clair, jouant le rôle du "Curé de Baden-l'Oued", toujours dans « Le Führer en Folie ».


Philippe Clair reprend ensuite son vieux projet de « Comment se faire réformer », surfant sur la vague du comique troupier, avec une nouvelle troupe de comédiens, « Les 13 Cloches ». Avec la même équipe, il tourne dans la foulée une suite, « Les Réformés se portent bien » et un troisième film « Ces flics étranges venus d'ailleurs » (où les anciens bidasses deviennent des policiers, d'ailleurs tout aussi peu efficaces). Parmi ces 13 cloches, on trouve Hervé Palud, futur réalisateur de « Un indien dans la ville » et « Mookie ». L'année suivante, Clair adapte à l'écran « La Parodie du Cid » qu'il avait créée sur les planches, sous le titre de « Rodriguez au pays des merguez » : le film, l'un des préférés de son auteur, souffrira néanmoins d'une sortie sabotée du fait d'un distributeur mal inspiré.






La filmographie de Philippe Clair peut se diviser grossièrement en deux époques : son oeuvre des années 1970 se compose d'une série de films marqués par l'improvisation, les gags cartoonesques, et les acteurs lâchés dans un freestyle aussi total que mal maîtrisé. C'est la période de « La Grande Maffia », « La Brigade en Folie », « Le Führer en Folie » : si l'on excepte sa première bidasserie, plus classique, les films de Philippe Clair sont en majorité réalisés sous le signe d'un humour flirtant quelque peu avec le surréalisme et s'apparentent parfois à des bandes dessinées live.


Philippe Clair en compagnie d'Annie Girardot dans "Déclic et des claques" (1964).


Les années 1980 correspondent à une nouvelle période, qui voit Philippe Clair s'assagir : produit par le tunisien Tarak Ben Ammar, le réalisateur accède à des budgets plus importants et à des lieux de tournage exotiques. Au tournant des années 80, ses films sont de véritables blockbusters comiques. Aldo Maccione renoue sa collaboration avec lui pour deux gros succès, « Tais-toi quand tu parles » et, surtout, « Plus beau que moi tu meurs » consacreront Aldo la classe comme vedette comique à part entière.




L'humour de Philippe Clair perd cependant de son mordant et de son caractère explosif : les grands moments de n'importe quoi se font plus rares, la fantaisie est mise légèrement en sourdine et devient plus "mainstream", mais également plus lourde et moins sympathique. Grosses blagues sur les homosexuels, filles à poil, vulgarité accrue… Malgré – ou à cause de – l'accumulation de triomphes commerciaux, l'œuvre du cinéaste oublie un peu de son âme et se confond en partie, dans l'esprit du public, avec celle du gros des tâcherons de la comédie populaire française. Aldo Maccione, qui abuse quelque peu de son personnage de séducteur italien, est désormais la vedette n°1 du cinéma de Philippe Clair : les relations avec les deux hommes sont cependant loin d'être idéales, et le cinéaste dressera plus tard à « Brazil » un portrait assez détestable de son ancien acteur-fétiche, décrit comme un comédien égocentrique, caractériel et particulièrement pénible à diriger.


En 1984, Philippe Clair réalise son plus beau coup en débauchant Jerry Lewis en personne (le comique américain tentait alors de relancer sa carrière en France) pour tenir la vedette de l'hallucinant « Par où t'es rentré, on t'a pas vu sortir ». Philippe est si content qu'il s'octroie le deuxième rôle principal aux côtés de Jerry, accentuant encore le coté OVNI du film. A noter également la présence de la Danoise Connie Nielsen, que l'on vit bien plus tard dans « Gladiator ». Jerry Lewis, lui, se serait arrangé pour empêcher toute exploitation du film aux Etats-Unis.




Jerry Lewis et Philippe Clair : l'hideux font la paire


Mais ce sera le dernier gros succès de la carrière de Philippe Clair ; dans les années 1980, avec l'arrivée de la vidéo, la fin des petits cinémas et l'évolution des goûts du public, le cinéma commercial français s'effondre et entraîne avec lui la comédie populaire. Le film suivant de Clair, « Si t'as besoin de rien, fais-moi signe », est un échec : son ancien élève Claude Zidi étant passé à un registre comique plus raffiné et intimiste, Clair essaie de faire de même avec ce portrait d'un jeune acteur rameur et de son pote magouilleur; mais il ne convainc guère, la subtilité (certes très relative) ne lui seyant pas. « Si tu vas à Rio… tu meurs », suite de « Plus beau que moi tu meurs », toujours avec Aldo Maccione, tente de renouer avec les recettes précédentes mais n'a pas plus de chance au box-office.




En 1989, Philippe Clair et Aldo Maccione tentent de se relancer avec une autre comédie plus subtile, « L'Aventure extraordinaire d'un papa peu ordinaire ». C'est un nouvel échec, qui enterre la carrière de nos deux lascars. Philippe Clair n'avait plus sa place dans le nouveau paysage du cinéma français ; il aurait tenté durant les années 1990 de monter un nouveau projet mais selon certaines sources, il en était réduit à essayer de recruter ses comédiens dans la rue… Comble de malheur, un conflit avec l'ayant droit de ses plus gros succès commerciaux (« Tais-toi quand tu parles », « Plus beau que moi tu meurs » et « Par où t'es rentré, on t'a pas vu sortir ») bloque la sortie en DVD de ces trois classiques et, par là, celle des autres films de leur auteur, que les distributeurs souhaitaient diffuser à la suite de ses trois blockbusters.


Si Philippe Clair est aujourd'hui bien méprisé en sa qualité de symbole d'un cinéma comique grossier et franchouillard, il n'en reste pas moins un personnage attachant, que l'on espère voir un jour mieux considéré. Auteur complet (monteur, scénariste et dialoguiste de tous ses films), ayant monté ses long-métrages à force de bagout et d'enthousiasme, l'homme était un cinéaste fort sympathique dans le travail, si l'on en croit le compositeur Alan Silvestri, débauché pour « Par où t'es rentré, on t'a pas vu sortir » : « Son enthousiasme envers moi et sa volonté à me voir travailler sur son film étaient irrésistibles ! Philippe était simplement spectaculaire d'enthousiasme ! Je ne sais même pas si j'ai vu finalement le film ou non, mais je savais que quoi que souhaitait Philippe, je l'aurais fait ! Parce que je voulais être avec lui. C'est le genre de personne avec qui vous aimez passer votre temps. » (propos cités par le site Traxzone.) A quand une réhabilitation en fanfare du roi du comique couscous-merguez ?


Philippe Clair en 2008, dans le (très médiocre) documentaire "Mon curé chez les bidasses" diffusé sur Paris Première.


Une autobiographie du Maître sortie en novembre 2014 chez "Grrr...Art Editions".


Devenu ami de Nanarland, Philippe Clair est resté alerte notamment sur les réseaux sociaux où il a su partager ses souvenirs et se faire une nouvelle cohorte de fans. Il nous a hélas quitté le 29 novembre 2020, alors qu'il préparait un nouveau livre d'entretien "Authentique mais vrai" avec le journaliste Gilles Botineau. Alors même si on a gentiment brocardé vos films en ces lieux, merci pour ces bons moments de folie enthousiaste M. Clair.

Icono :moviecovers, clubdesmonstres, maxpecasspirit,  le défunt site aubonsketch.com...

Remerciements au Rôdeur

- Nikita -

Films chroniqués

Filmographie

Réalisateur :



1964 - Déclic et des claques

1970 - La Grande java

1971 - La Grande maffia

1972 - La Brigade en folie

1973 - Le Führer en folie

1975 - Le Grand fanfaron / Le Grand fanfaron et le petit connard / Les Bidasses en cavale



1977 - Comment se faire réformer

1978 - Les Réformés se portent bien

1978 - Ces flics étranges venus d'ailleurs

1979 - Rodriguez au pays des merguez

1981 - Tais-toi quand tu parles

1982 - Plus beau que moi, tu meurs

1984 - Par où t'es rentré, on t' as pas vu sortir

1986 - Si t'as besoin de rien... fais-moi signe

1987 - Si tu vas à Rio... tu meurs

1989 - L'Aventure extraordinaire d'un papa peu ordinaire

Acteur :



1960 - Cyrano de Bergerac (TV), de Claude Barma

1961 - Donnez-moi dix hommes désespérés, de Pierre Zimmer

1962 - Les Petits matins, de Jacqueline Audry

1964 - La Caravane Pacouli (TV), de Louis Soulanès

1965 - Du rififi à Paname de Denys de La Patellière

1971 - La Grande Maffia, de Philippe Clair

1973 - La Brigade en folie, de Philippe Clair

1973 - Le Führer en folie, de Philippe Clair

1977 - Comment se faire réformer, de Philippe Clair

1978 - Les Réformés se portent bien, de Philippe Clair

1978 - Ces flics étranges venus d'ailleurs, de Philippe Clair

1979 - Rodriguez au pays des merguez, de Philippe Clair

1981 - Tais-toi quand tu parles, de Philippe Clair

1982 - Les Sept jours du marié (TV), de Serge Moati

1982 - Plus beau que moi, tu meurs, de Philippe Clair

1984 - Par où t'es rentré, on t' as pas vu sortir, de Philippe Clair

1985 - Les Mondes engloutis (TV), de Michel Gauthier (voix)

1986 - Si t'as besoin de rien... fais-moi signe, de Philippe Clair

1987 - Si tu vas à Rio... tu meurs, de Philippe Clair

1987 - Cayenne Palace, de Alain Maline